Pourquoi est-ce que plus les gens sont « de gauche », plus ils nient le danger fasciste de Marine Le Pen ?
Submitted by Anonyme (non vérifié)C'est un paradoxe tout à fait frappant, dont la nature est évidente : plus les gens sont de gauche ou plutôt pensent l'être, plus ils ne considèrent pas qu'il y ait un danger fasciste en France.
C'est tout à fait étrange, car dans l'ordre des choses, c'est la gauche réformiste qui devrait ne pas pouvoir penser que les choses peuvent radicalement changer dans les institutions françaises, par confiance en la « solidité » des institutions.
Pourtant, ce n'est pas le cas. Plus les gens pensent être de gauche, plus le Front National leur semble être un épouvantail, une pseudo-menace agitée par le capitalisme pour les empêcher d'assumer d'être de gauche.
C'est une lecture complotiste, qui accorde au capitalisme non seulement le fait de penser, ce qui est absurde, mais aussi de penser de manière machiavélique, de calculer, de « choisir » sa manière de tromper les masses.
Dans cette vision des choses, les personnalités politiques sont totalement interchangeables, il n'y aurait aucune différence entre eux. Marine Le Pen ne pourrait pas faire vraiment différemment de François Hollande ou de François Fillon, d'Emmanuel Macron.
C'est là la négation de l'existence de différentes couches et classes sociales : haute bourgeoisie, bourgeoisie parisienne rive gauche, bobos, bourgeoisie catholique, petite-bourgeoisie des entrepreneurs, artisans, commerçants, ouvriers, couche supérieure de la petite-bourgeoisie, agriculteurs pauvres, employés qualifiés, etc. etc.
Or, ces couches sociales n'ont pas les mêmes intérêts ; leurs approches sont différentes. Elles combattent avec des approches différentes, des méthodes différentes, qui leur sont propres. On ne peut pas être ici unilatéral.
Les élections unissent certaines couches, en séparent d'autres, dans un jeu d'alliance très particulier. On ne peut donc pas dire, comme le fait Lutte Ouvrière :
« Quel que soit le futur président, il gouvernera pour les riches et le grand patronat. »
Car le grand patronat favorable à l'Union Européenne n'a pas la même nature que la grand patronat qui veut s'en éloigner de manière relative en se tournant vers la Russie. Le premier soutien Emmanuel Macron, le second François Fillon et leurs projets sont totalement différents.
Le premier soutient le libéralisme dans les mœurs et l'économie, le second est un ultra-conservateur ayant placé des responsables de Sens Commun, la structure issue de la Manif pour tous, à tous les niveaux de l'organigramme de sa campagne.
C'est là qu'on comprend le problème : les gens qui pensent être le plus à gauche raisonnent non pas en termes de capitalisme, mais d’État. Ils relèvent de l'anarchisme, pour eux c'est l’État l'ennemi qui vient les déranger, les perturber. Ils n'ont pas une lecture de classe.
Ils ne voient pas que l’État n'est qu'un instrument au service d'une classe, d'une fraction d'une classe. Ils ne peuvent donc pas comprendre que si l’État passe au service d'une fraction de la haute bourgeoisie en particulier, les conséquences sont innombrables.
Si c'est Marine Le Pen qui gagne les élections présidentielles, par exemple, ce serait un pas en avant vers le fascisme, c'est-à-dire la mise en place d'institutions à vocation terroriste.
Les gens qui pensent être le plus à gauche ne croient pas en ce terrorisme. Pour eux, la France vivrait déjà ce terrorisme. Nous connaîtrions une « austérité » terrible, les policiers seraient tous des violeurs et des assassins, les manifestations seraient déjà sauvagement réprimés.
Partant de là, ils ne peuvent pas reconnaître que c'est faux, que la répression était bien plus grande même au début des années 1990 et encore plus dans les années 1970. Que l'austérité réelle représenterait bien autre chose, que le fascisme interdirait toute structure contestataire en général, afin de généraliser un apolitisme nationaliste.
C'est là qu'on reconnaît également la base idéologique des gens qui s'imaginent le plus à gauche : elle est petite-bourgeoisie, pratiquant aisément l'hystérie politique. Elle s'imagine en rupture, comme avec « Nuit debout » ou le mouvement contre la Loi Travail, elle feint la radicalité afin de chercher un appui dans les masses.
Elle profite pour cela de l'aristocratie ouvrière, qui elle aussi a besoin de présenter ses syndicats, notamment la CGT, comme une vraie force sociale.
Le fond du problème est donc là : l'alliance de la petite-bourgeoisie radicalisée et de l'aristocratie ouvrière nous conduit dans le mur. Elle amène les gens vraiment de gauche à basculer dans une fausse radicalité, vide idéologiquement, vide culturellement, vide politiquement.
On récolte ici le prix de l'apolitisme forcené, du nivellement par le bas amené par le Nouveau Parti Anticapitaliste, la CNT, d'un côté, Alain Soral et Dieudonné de l'autre, sans oublier le rôle tout à fait néfaste du populisme outrancier de Jean-Luc Mélenchon.
Le résultat est que des gens de centre-gauche, qui ne veulent nullement du socialisme, comme Manuel Valls ou Anne Hidalgo, qui est maire de Paris, comprennent bien mieux qu'il y a une menace terrible d'extrême-droite que les gens les plus à gauche, qui balaient cela d'un revers de la main, criant au chantage.
On risque alors de connaître la même situation qu'en Italie au tout début des années 1920. La grande vague de contestation sociale s'est enlisée, elle n'a rien produit sur aucun plan, ni culturellement, ni politiquement, ni idéologiquement. Et la menace sociale a fait basculer la bourgeoisie hésitante dans les bras de la haute bourgeoisie fasciste.
C'est ainsi que Benito Mussolini a pris le pouvoir en Italie. C'est ainsi que Marine Le Pen risque de prendre le pouvoir en France.