16 Jan 2012

La révolution socialiste libérera les sentiments. Etude du film L'honneur perdu de Katharina Blum

Submitted by Anonyme (non vérifié)

- Cela vous arrive souvent de danser avec des inconnus ?

- Non.

- Mais vous avez fait une exception pour Götten, vous qui ne dansez jamais.

- Il m'est déjà arrivé de danser avec M. Blorna et ses relations, des hommes politiques et des industriels quand je devais aider à l'organisation de soirées. Après m'être achetée une voiture, j'ai refusé ces invitations.

- Pourquoi ?

- Parce que les hommes étaient souvent ivres et me faisaient des avances. Avant cela, je devais me faire raccompagner chez moi.

[...]

- Apparemment, les avances de Ludwig [Götten] ne vous ont pas dérangé.

- Ludwig ne faisaient pas des avances. Il était tendre.

- C'est pareil.

- Non, ce n'est pas pareil ! Les avances sont une action unilatérale, la tendresse c'est vraiment différent, elle vient des deux côtés.

- Qui s'intéresse à cela !?

 

Ce dialogue est extrait du film « L'honneur perdu de Katharina Blum » (Die verlorene Ehre der Katharina Blum), un film de 1975 réalisé par Volker Schlöndorf, adapté du roman éponyme de l'Allemand Heinrich Böll.

 

Heinrich Böll avait dénoncé la propagande odieuse du quotidien ultra-populiste "Bild" contre la Fraction Armée Rouge. Böll n'était pas communiste, mais il protestait la propagande qu'il considérait comme fasciste visant à attribuer des meurtres sans preuves aux "assassins" de la RAF. Suite à la campagne énorme contre lui après cela, il en rajouta avec « L'honneur perdu de Katharina Blum », expression bourgeoise démocratique dans une Allemagne de l'Ouest dominée par une hystérie anti-communiste organisée à grande échelle par la bourgeoisie jamais dénazifiée.

 

Le roman consiste en un interrogatoire de police auquel est soumise Katharina. Elle est accusée d'être en relation avec un braqueur de banques, Ludwig Götten, dans le contexte tendu des « années de plomb ». Ils se sont rencontrés, à Cologne, lors d'une soirée pendant le carnaval et sont tombés amoureux l'un de l'autre, tout au moins c'est ce que cela laisse penser.

 

Katharina Blum, honnête, sincère, subira une campagne de diffamation à son encontre orchestrée par la presse, complice de la police. Katharina finira par tuer le principal journaliste qui l'a calomniée et salie et qui poussera le cynisme jusqu'à lui proposer grossièrement de coucher avec elle. Ce journaliste est aussi responsable de la mort de la mère souffrante de Katharina Blum qu'il ait allé perturber jusque sur son lit d'hôpital. Cette critique de la presse correspond parfaitement à la dimension de collaborateurs de classe des journalistes. Cet aspect est très visible de nos jours quand on voit à quel point la presse contribue à la progression du fascisme.  

 

Dans L'honneur perdu de Katharina Blum, c'est donc plus particulièrement le magazine allemand Bild qui est clairement visé. A propos du traitement de la RAF dans les pages de Bild pendant "les années de plomb" en Allemagne, Heinrich Böll déclarait que "ce que Bild fait n'est plus cryptofasciste, ni même fascistoïde, mais bien du fascisme brut, de l'agitation, des mensonges et de l'obscénité"

 

Dans le film, le dialogue suivant en dit long également : 

 

« Katharina Blum : Ces gens sont des criminels. Tous. Leur travail consiste précisément à voler l'honneur de personnes innocentes, et souvent de prendre leur vie. Sinon, personne n'achèterait leurs journaux 

Le chirurgien : Vous êtes marxiste ? ».

 

S'il est démocrate, Böll a tout de même compris le fond de la question: l'anti-communisme, suintant de la société bourgeoise.

 

Cette histoire de combat pour la dignité est celle et doit être celle des prolétaires au quotidien, confrontés au jour le jour au mépris, aux humiliations, aux insinuations malveillantes de la bourgeoisie. Cette dignité passe évidemment par les relations basées sur des sentiments authentiques, le droit à la romance revendiqué par les masses qui tente de se frayer un chemin dans l'ambiance glauque du capitalisme.

 

Dans l'interrogatoire que subit Katharina Blum, on voit immédiatement que l'idéologie dominante du pragmatisme, de la finalité de la « baise » est du côté du policier. Celui-ci est totalement aliéné au nihilisme capitaliste qui nie la réalité de la romance. De son point de vue patriarcal, les femmes sont des êtres uniquement passifs à « conquérir » par les hommes.

 

Dans une vision patriarcale, la « drague » vulgaire (les avances) et la tendresse ne sont qu'une seule et même chose destinée à « capturer » une proie féminine. Pour le policier, l'attitude de Katharina est forcément suspecte, car il rejette toute possibilité d'affinité élective, de « coup de foudre » qui fait battre le cœur plus vite et fait monter le rouge aux joues et provoque parfois un léger mal au ventre. C'est cela « tomber amoureux ». Ce sont ces sensations pourtant bien réelles que le cynisme patriarcal veut écraser pour les remplacer par une relation dominant/dominé où les femmes se tiennent passivement à disposition des hommes qui savent les « conquérir » et les "subjuguer" (comme le montre par exemple le film Sur la route de Madison).  

 

L'affaire du Sofitel de New-York et du Carlton de Lille témoignent de la prédominance de cette approche patriarcale dans le capitalisme où les femmes s'inscrivent dans le circuit banalisé des biens de consommation (Strauss-Kahn en parle comme du « matériel »). Ce mode de vie pervers et débauché est parfois légitimé au nom de l'hédoniste mais il ne s'agit que d'une spirale décadente misant sur la surenchère de « plaisirs » qui résulte à la base de l'incapacité des bourgeois nihilistes à ressentir de véritables sensations. La débauche n'est rien d'autre qu'une expression de l'insensibilité de personnes aliénées à la consommation de faux plaisirs qu'ils sont incapables d'éprouver en vrai.

 

En dehors même de la décadence bourgeoise, le capitalisme favorise l'opportunisme au détriment des sensations et des sentiments. L'idéologie dominante est celle de la consommation sans lendemain et de la vacuité des sensations.

 

La chanson de Sylvie Vartan, « L'amour c'est comme une cigarette », colporte ainsi l'idéologie dominante : elle reconnaît l'existence de sensations amoureuses tout en soulignant leur naïveté, leur caractère forcément éphémère et en plaçant les femmes dans la dépendance passive des hommes :

 

L'amour c'est comme une cigarette

Ca flambe comme une allumette
Ca pique les yeux, ça fait pleurer et ça s'envole en fumée

On fait tout un tabac quand l'amour s'en vient ou s'en va
On est des cigarettes qu'il roule quand il a envie 

 

Au contraire, Katharina met l'accent sur la tendresse en en soulignant la portée dialectique. Alors que le policier conçoit la relation comme résultante d'un rapport de domination, Katharina affirme la réciprocité des sentiments qui fonde la romance.

 

Son témoignage est également d'une grande valeur culturelle sur la vie de prolétaires subissant les pressions à connotation sexuelle d'hommes de pouvoir, souvent dans un environnement de travail.

 

Le capitalisme pourrit sur pied sous l'effet de la crise générale et sa déliquescence prend notamment la forme de soirées partouzardes dans la bourgeoisie dépravée. Les sentiments sont confrontés en permanence à ce climat de putréfaction capitaliste d'où ressort le cynisme, le pragmatisme, compétition individualiste, la beauferie patriarcale.

 

La révolution socialiste libèrera les sentiments amoureux emprisonnés dans le capitalisme pour que surgisse l'intensité de la romance, expression de la dignité du réel.  

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