Renaud Camus, un romantisme devenu lune de fiel
Submitted by Anonyme (non vérifié)La société française se précipite dans le laid, le bête, le vulgaire, le méchant et le bas. Voilà des termes qui définissent une réalité certaine, et ce sont les mots employés par Renaud Camus, esthète raffiné se précipitant dans la littérature, cherchant à connaître toujours davantage tout ce qui existe de manière culturel, même ailleurs, partout dans le monde, dans cet « ailleurs innombrable. »
Mais ce Renaud Camus, porté aux nues par toute la presse réactionnaire, a une particularité, qui consiste en le fait qu'il va dénoncer dès les années 1980 ceux qui fument dans le métro parisien, tout en faisant... l'apologie de la masturbation, de la fellation et de la sodomie dans les buissons.
Voilà bien un étrange mélange, propre à un certain élitisme intellectuel et homosexuel, rétif au travail, tributaire de la haute société et des médias afin d'exister dans une existence purement intellectuelle et sexuelle.
Ce n'est pas sans rappeler la Grèce, où une petite minorité vivant de l'esclavagisme pouvait s'élever culturellement, tout en se vautrant toujours davantage dans le stupre et la fornication.
On peut penser ici à Baudelaire, cependant Baudelaire produisait de la culture ; or, Renaud Camus ne le peut pas : il sait raconter sa vie et ses branlettes dans les toilettes, il sait dénoncer le manque de culture, il a un regard cultivé, mais il est incapable d'écrire un roman, en raison de sa propre nature parasitaire.
Voici d'ailleurs comment Renaud Camus perçoit, de manière fort juste, Baudelaire, dans une perspective très vive et fraîche:
« Pour en finir avec mes lectures récentes, rendues très accidentées par ma vie de patachon, Baudelaire sur Delacroix me déçoit un peu comme critique d'art, malgré la réputation considérable qu'on lui fait, mais me passionne comme portraitiste, méticuleux et fin psychologue, fidèle (je suppose) et inspiré, merveilleusement éloquent mais instructif.
Ces textes n'aident guère à mieux voir les toiles de Delacroix, dans l'ensemble, mais ils laissent du peintre une image d'un relief saisissant. » (Aguets, 1988)
C'est effectivement bien dit et bien compris, cependant la vie de patachon est là, l'esthétisme est dandy, et commet un esthète de ce type a besoin, pour des paroles gracieuses, de choses gracieuses, cela fait de Renaud Camus un grand romantique, avec une critique acerbe et juste d'un phénomène se déroulant malgré lui.
Ce qui fait justement, comme cela se passe malgré lui, il est n'est pas en mesure d'écrire un roman, il ne peut qu'être esthète, sombrant dans l'esthétique pour l'esthétique, ce qui, bien sûr, aboutit au fascisme.
Son roman L'Épuisant Désir de ces choses est ainsi une simple description d'un esthète cultivé de la grande bourgeoisie, qui d'ailleurs couche finalement avec la compagne de son fils, alors que celui-ci est emprisonné au Tibet...
Mais attention, et justement! On ne dira jamais assez à quel point la littérature est aussi, voire surtout, le fruit de la contradiction entre villes et campagnes, bien plus qu'une simple opposition entre travail manuel et travail intellectuel.
L'échec de Renaud Camus se situe là, d'où justement un romantisme virulent, touchant parfois juste, lorsqu'on se rapproche de la contradiction entre villes et campagnes.
Voici ce qu'on peut lire dans le Le Département de la Lozère:
« On nous rebat quotidiennement les oreilles avec la « désertification » des campagnes. Et sans doute sont elles de moins en moins peuplées, c'est vrai. La Lozère ne le sait que trop bien, qui est passée en un siècle de cent cinquante mille à soixante-dix mille habitants.
Mais à ces populations toujours plus réduites correspond bizarrement une consommation d'espace sans cesse accrue. Des villages qui occupaient deux ou trois hectares quand ils comptaient six cent âmes en dévorent allègrement quinze ou vingt quand ils ne rassemblent plus que cent cinquante citoyens.
Les trois quarts des maisons sont vides, mais tout le monde veut en faire construire de nouvelles, des jeunes agriculteurs jusqu'aux nouveaux retraités, des résidents de nuit jusqu'aux campagnards du dimanche.
Ils disent tous : bâtir coûte moins cher que de restaurer, et en plus on se retrouve avec quelque chose de plus confortable...
De plus confortable, peut-être ; mais qui, dans les vilains matériaux du jour, sans noblesse, sans vibration sympathique dans l'air, sans lien profond avec la terre qui ne paraît jamais que les subir, comme une blessure, ne sera jamais autant une maison, aussi digne, aussi belle, d'autant assise et de sens qu'une maison de pierre, de fondation ancienne (…).
A Châteauneuf, c'est bien pire. On n'arrive même plus à imaginer comment on a bien pu voir, en ce chef-lieu de canton ivre de banalité, de sens pratique, et de saine indifférence à la beauté, un des hauts lieux de la géographie négative (…).
Rien ne manque non plus sur la hauteur. Une ville, ce n'est pas seulement une forme, c'est aussi – surtout si elle occupe une éminence – la composition d'un volume.
Comment dix siècles ont-ils pu avoir le génie des volumes, sans y penser, et le nôtre le secret de les gâcher tous, dès qu'il bouge le petit doigt ?
Gendarmerie, institution spécialisée, lotissement villas blanches : toutes choses éminemment utiles, loin de nous de prétendre le contraire, et même indispensables, suppose-t-on.
Ceux qui détruisent les paysages avec leurs hangars de tôle ondulée, leurs camps de concentration pour les canards ou leurs dépôts Intermarché, ont toujours le même argument : pas moyen de faire autrement.
Et en effet, il n'y a pas moyen. La poésie est seule, ou disons la littérature, par décence – et c'est encore un bien grand mot ; l'âme, ou disons la liberté ; le paraître, ou disons la dignité, l'imposition de la forme, ou son maintien, le grand refus, en somme, le grand non, l'angélique et luciférien non serviam – seule, seuls contre tous, à se buter, absurdement, dans le déni de la contingence.
Ils sont ce qui trouve le moyen, quand il n'y a pas de moyen ; ce qui se dérobe obstinément aux lois de la statistique ; le reste irréductible, dans les opérations comptables du réel (…).
Face à la mairie et sa stupide façade se dresse une haute statue du Connétable, œuvre d'Hector Lemaire, assez gaiement pompier, et plaisamment trop grande pour cette ville et cette place.
L'espace qu'elle régit avait grand caractère, jadis : beau foirail percé au cœur de la bourgade sur son roc, elle-même commandant le plateau vide, ondoyant et venteux.
Mais l'aspiration à ressembler à tout est la plus forte. On démolit à tour de bras. Et ce qu'on ne démolit pas on le maquille ou le rhabille, afin que ce n'ait l'air de rien : un rien qui pourrait être n'importe où. »
Renaud Camus écrit ici, certainement, de belles lignes historiques, décrivant une réalité très nette, la forme d'une époque elle-même. Mais il parle de paysage au lieu de parler de la nature, et il critique les camps de concentration pour canards sans assumer leur dignité et leur droit à la vie libre.
Il parle pareillement du « long casernement pour les canards ou les cochons, en parpaings mal jointés sous la tôle ondulée », mais ne rejette pas pour autant ce qui amène ce lieu à exister : la barbarie face à la vie, le massacre de la biosphère en raison de la quête du profit.
Il commence le romantisme, mais il ne va pas jusqu'au bout ; il l'atteint dans une certaine mesure, mais il ne s'appuie pas dessus pour exiger une civilisation véritable.
Là est le secret de la valeur de Renaud Camus, de sa tentative lucide mais, par la décadence et donc l'incompréhension du romantisme, de son échec.
Voici justement comment il aborde cette question précise de l'existence naturelle, propre au romantisme. On y voit une critique tout à fait pertinente, mais butant sur l'incompréhension de l'idéologie française séparant nature et culture.
D'esprit grand bourgeois, Renaud Camus perçoit le réel et la nature, mais n'arrive pas à formuler sa dignité, alors qu'il en voit le besoin.
Les lignes suivantes échouent ainsi dans leur tentative, mais sont d'une valeur extrême de par leur substance romantique :
« Bientôt, grâce au tourisme, tout sera uniformément affreux. Même les touristes et mêmes les vacanciers seront découragés. Ils préféreront rester chez eux, puisque chez eux ce sera pareil. Et tout pourra reprendre à zéro.
A des voyageurs solitaires (et tout voyageur solitaire est le diable, comme on sait), on montrera les vestiges de la civilisation touristique : stations de ski pourrissantes, villages de vacances rongés, bungalows décontenancés près des lacs. Et ils auront le charme amer de tout ce qui parle de la mort... (…)
Contrairement à ce qui est le cas au Japon, en Chine, ou même en Angleterre et peut-être en Suisse, voire en de certaines parties de l'Allemagne, il n'y a jamais eu de vraie civilisation du paysage en France. Ce n'est certes pas chez nous qu'on dresserait solennellement des listes hiérarchiques, non pas seulement des plus beaux sites, pour chacun d'entre eux, des plus beaux points de vue sur lui – avec discussions passionnées et millénaires, entre amateurs, poètes, peintres et marcheurs, sur la prééminence de celui-ci sur celui-là !
Pas chez nous ! Pas chez nous ! Pas chez nous qu'on montrerait « le trente-deuxième plus bel emplacement pour contempler le mont Ventoux » (et d'aucuns soutiendraient qu'en fait ce n'est que le tente-troisième ; et quelques exaltés : le dix-huitième).
En France, un site est un site, et quand on l'a vu on l'a vu.
Qu'on aime le paysage quand il est beau, maintenant, c'est une chose à peu près convenue, qui va sans dire – mais qu'il est tout de même de bon ton d'affirmer, de temps en temps, comme étant chez soi une profonde conviction, profondément ressentie. Quant à assurer ou à défendre sa beauté, cependant, notre culture ne prévoit rien à cet effet.
L'école ne lève pas le petit doigt pour en enseigner l'amour, ni le respect.
Bien entendu, personne ne se risque expressément à dire du mal de lui (au fond ce serait assez rafraîchissant : « Ah ! Les beaux paysages, c'est comme Venise, je ne supporte pas... ») ; ni à reconnaître qu'on lui en cause ; et qu'on lui en causerait davantage sans scrupuple.
Mais l'immense majorité des hommages qui lui sont rendus sont de pure forme, hypocrites, hâtifs, conventionnels et distraits.
Ce sont des discours morts : les mots et les concepts sont encore debout et défilent comme à la parade, armée fantôme ; mais ils n'ont aucune épaisseur de chair ni de sens – pur déplacement d'air.
On confesse emphatiquement son amour pour lui, mais s'il faut choisir entre lui et la moindre commodité, la moindre espérance de gain, la moindre exigence de rentabilité politique ou économique, ce sera toujours lui qui sera sacrifié. Il l'est d'ailleurs tous les jours.
La vérité, la vérité vraie, attestée quotidiennement par les faits, c'est que très peu de Français sont vraiment sensibles à son attrait ; et que quatre-vingt quinze pour cent de la population, sinon plus, est parfaitement indifférente à son sort. (…)
De ces ennemis de toute espèce, voici la liste incomplète : la tôle ondulée, la fibre de verre, le parpaing, la décentralisation [… qui tend à placer les décisions entre les mains d'élus, notamment les maires, dont la faveur auprès du public, et donc la réélection, dépend assez étroitement, hélas, du degré de laxisme dont ils auront fait preuve.], la publicité, le sens pratique, les poteaux électriques, les silos à grains, le tourisme, les élargissements de fenêtres, les tunnels de plastique pour culture intensive, le désir de communication, les stations de ski, le ciment, les piscines turquoises, les cimetières des voitures, l'agriculture industrielle, les maisons préfabriquées, les lignes à haute tension, les remonte-pentes, les décharges de détritus, les lotissements, les stations-service, les piscines, les fauteuils de jardin en matière plastique, les papiers pas gras, la signalisation routière, la tuile industrielle, les boules de collecte du verre, les châteaux d'eau, la lutte contre le chômage [« Ce nouveau dépôt de marchandises est vraiment hideux, et il gâche tout le panorama. - Il est peut-être hideux, mais il donne du travail à trente-cinq personnes ! » Qu'est-ce que l'on peut répondre à cela ? (…)], les hangars, les parcs d'attraction, le remembrement, les villas prétentieuses, les villas modestes, le développement démographique... »
Voilà des lignes d'une grande profondeur, c'est un regard critique qui mérite qu'on s'y penche, qui dit des choses très justes. Quelle vision! Quel regard! C'est là qu'on voit que la littérature existe, possède une valeur, comme reflet du mouvement du réel et les exigences allant avec. L'hypocrisie bourgeoise du rapport à la beauté est bien présentée ; le mépris de la nature est bien saisi, à ceci près que la nature, elle, est incomprise.
Et c'est là que Renaud Camus s'empêche d'aller au romantisme. Refusant Rousseau, il ne lui reste plus que la « culture », coupée de la nature. D'où une coupure par rapport aux forces de la vie.
D'où aussi l'abandon du refus du pessimisme. Renaud Camus fait désormais l'apologie de Beckett et de son théâtre de l'absurde :
« En cette débâcle il n’y a d’espoir pour la culture que de nature beckettienne, à la Oh les beaux jours : un espoir contre tout espoir, pure volonté désespérée de continuer pour continuer, de persévérer dans l’être en dépit de toute raison, parce que chaque jour gagné est une éternité, chaque petite victoire une négation du pire, et qu’il n’y a d’alternative qu’entre cette obstination et la mort. » (La Grande Déculturation, publié en 2008)
Cependant, il y a 25 ans, il rejetait totalement Beckett et son théâtre de l'absurde, et ce de manière très claire...
« Le monde de Beckett est comme celui de Munch, il me semble relever à l’évidence d’une pathologie qui ne m’attire en rien.
Mais chez Munch je suis ébloui par la beauté de la matière, tandis que celle de Beckett me laisse indifférent.
Curieux comme ce qui paraissait n’avoir pas de sens, il y a trente ans, en semble terriblement lourd aujourd’hui, surchargé d’intentions, sans que le fameux « humour » beckettien, « tellement humain » lui aussi, trop « humain », fasse grand-chose pour alléger le poids de tant d’humanité souffrante.
L’héroïsme, l’infime petite lumière du malgré tout, serait dans le « continuons ». Mais quel héroïsme y a-t-il, en soi, à persévérer dans l’être contre toute attente, sans espoir, sans nul désir ?
N’y a-t-il pas plus de dignité humaine et de logique philosophique dans le suicide stoïcien, même à la Montherlant, que dans cette résignation butée au statut de pomme de terre? Peut-être, il est vrai, changerais-je d’avis sur un lit d’hôpital. » (Journal romain, 1985-1986)
Renaud Camus est passé du refus de la « résignation butée au statut de pomme de terre » à son apologie !
C'est logique : incapable de reconnaître la nature comme base de l'existence humaine, il doit se plonger dans la « culture » seule, une culture dénaturée, artificielle, produite uniquement, soi-disant, par l'humanité (et non par l'humanité à travers de mode de production qui sont re-production de la vie dans la réalité naturelle). Ne reste alors que le nationalisme, statique et prétendument protecteur de valeurs.
Ainsi, Renaud Camus ne va pas au bout de son romantisme, en assumant la culture et la civilisation par la production, et il tente alors d'assumer la culture et la civilisation par la préservation, en se tournant vers le passé.
Cependant, étant « trop » cultivé, il ne peut pas se cantonner au « local » ; tout comme le romantique allemand Novalis idéalisait une Europe chrétienne médiévale unie, Renaud Camus fantasme sur une réalité aux formes les plus multiples.
Il est à ce titre parfaitement exemplaire de voir que Renaud Camus, chantre de la « transmission » dans la culture et la civilisation, ait écrit un roman de 500 pages consistant en une horreur cosmopolite.
« Roman roi » est l'histoire d'un empire fictif entre les deux guerres ; Renaud Camus écrit mal, très mal, une histoire mal ficelée où il invente des noms royaux, des histoires d'une famille royale, une géographie de noms « exotiques » dans la veine d'un Français incapable de prononcer des noms slaves et magyars.
Renaud Camus idéalise une sorte de monarchie de grande classe, dans un paysage imaginaire. C'est-à-dire qu'il emprunte à l'auteur autrichien de l'entre-deux guerres Joseph Roth sa vision idéalisée de l'Autriche-Hongrie, visant à contre-balancer idéologiquement la montée du pangermanisme nazi, et qu'il vole bien sûr à Julien Gracq sa géographie imaginaire, comme celle qu'on trouve dans le Rivage des Syrtes.
Pour bien saisir le caractère véritablement minable – digne de la littérature de gare ou de commande – de ce qu'écrit Renaud Camus dans « Roman roi », voici un passage exemplaire :
« La voiture est un immense landaulet Rolls-Royce. Sur le bouchon du radiateur, loin, très loin en avant des passagers, la femme d'argent aux bras rejetés en arrière, voiles au vent, partage le paysage, le fend, l'inaugure. On roule vers Back, en suivant le cours de la Saudad, tantôt sur la rive gauche, tantôt sur la rive droite. Le Roi est à droite, sur la banquette arrière, en la seule compagnie de sa grand-mère Louise. Sa tempe est appuyée contre la glace. On va arriver à Mnö. »
De telles lignes, Renaud Camus en a certainement honte, au fond. Il a tenté d'être Roth ou Gracq, voire Roth et Gracq plutôt, et il se révèle Hergé muni d'un sceptre d'Ottokar. Le hasard n'existe pas ; sa position esthète va avec un cosmopolitisme comme style de vie. Ses références sont multinationales, on est perdu dans un tourisme mondialisé sans cœur ni réalité locale.
Or, c'est ce qu'il dénonce pourtant, et de manière affirmative et virulente aujourd'hui, ayant fondé son « parti » (parti de l'in-nocence, censé signifier la « non-nuisance »), soutenant ouvertement l'extrême-droite.
C'est-à-dire qu'il soutient le nationalisme pour « préserver » alors qu'il attribue à ce qu'il faut préserver une dimension internationale.
Voici ce qu'il raconte, en bon dandy ayant connu entre autres New York ou San Francisco :
« Comment vont Buena Vista Park, Central Park, Griffith Park, et les nuits du jardin de Reggio, en extrême Calabre ? Que racontent Parme aux voyageurs, Sabbioneta, Sils-Maria ?
Quels enchantements leur ménagent les remparts de Goa, les aubes d'Izmir, les bordels de Shanghai et les bars à matelots de Vancouver ? Une forte délégation d'achriens parisiens est partie pour Amsterdam, ces jours derniers, afin d'y assister aux fêtes, paraît-il débridées, de l'anniversaire de la reine.
Un modeste projet de voyage à Bordeaux pour l'inauguration, jeudi, de l'exposition de la collection Sonnabend aux entrepôts Lainé, s'est effondré, comme le sommier, quoique plus doucement.
Un attrayant Libanais m'invite à Limassol. Mais comment diable irais-je à Limassol ? Toutes ces histoires à régler d'appartements, de ventes, de fonds à trouver coûte que coûte, de notaires, de commissaires-priseurs et de déménagements, m'obligent à faire une croix, cette année, sur les jours les plus beaux, les terres les plus attirantes, et l'ailleurs innombrable.
Or il y a si peu d'années, si peu de printemps, tellement de plages, de terrasses, de sources, de fontaines... Comme le rappelaient certains t-shirts de San Francisco, jadis, à la grande époque : So many men, so little time... » (Aguets, Journal 1988)
La dernière allusion est une chanson classique de la high energy (de Miquel Brown) faisant l'apologie de relations sexuelles libres, et c'est là qu'on s'aperçoit que Renaud Camus n'est pas allé au romantisme, car c'est un décadent.
Ainsi, au musée Capitolin, sur la place du Capitola à Rome, Renaud Camus raconte :
« Ce Gaulois mourant – mais qu'est-ce qui prouve qu'il est mourant ? Sa blessure n'a pas l'air si grave... - est un objet de désir, et d'abord sans doute, de la part de l'artiste qui l'a sculpté. Mais pour qu'il s'installe pleinement dans les fastes de la mémoire, il fallait aussi qu'il fût une œuvre d'art, et superbe. C'est cette combinaison, somme toute bien rare, qui le rend si troublant, et si précieux : un chef d'oeuvre qui pourrait faire bander.
A peine l'avions-nous quitté, nous nous sommes arrêtés sous la galerie Colonna pour déjeuner rapidement de toasts, comme ils disent ici pour désigner de petits croquer-monsieur, et de sandwiches.
Une violente envie de pisser me mène aux profondeurs des toilettes. Mais comme je sors d'un cabinet, je vois aux urinoirs un Américain blond, croisé cinq minutes plus tôt sur le Corso.
Il se branle et paraît m'inviter à le rejoindre. Ma certo, vous pensez bien. Quelle belle queue !
C'est R. qui serait content ! Mais je n'ai pas plus tôt tendu la main pour la toucher que le voilà qui jouit, cet idiot. Je croyais qu'il m'en fallait peu, mais alors lui... Et dans ce peu je n'entrais pas beaucoup, j'en ai bien peur. Toujours est-il que je n'avais pas encore bandé qu'il avait déjà replié ses majestueuses affaires, et disparu. Pour une fois qu'il se passait quelque chose... » (Journal romain, 1985-1986)
Voilà qui n'est pas vraiment culturel et pas véritablement un programme de civilisation... Renaud Camus n'a donc pas d'idéal, seulement une démarche; c'est un esthète gay grand bourgeois décadent : il respecte le subjonctif mais baise dans les buissons un inconnu viril l'aguichant. C'est un homme traditionnellement inquiet, car sans racines, mais compensant par le patriarcat :
« Et quand je pense qu'à Rome je croyais finie, pour moi, la vie sexuelle ! Je ne suis pas sûr qu'à vingt-cinq ans je versais autant de foutre que maintenant, ni surtout qu'on se souciât tant, autour de moi, de m'en arracher. On ferait bien de rassurer, je m'y emploie ; ou de les inquiéter au contraire : s'ils croient pouvoir jouir sur ce front d'un repos bien mérité, ils se trompent. » (Aguets, Journal 1988)
Les lignes suivantes sont édifiantes, de par leur sexisme et leur ultra-libéralisme. Rappelons au passage que Robbe-Grillet, grande influence de Renaud Camus, est à la base du « nouveau roman », le courant nihiliste en littérature.
La dernière œuvre de Robbe-Grillet est tout un symbole de sa culture personnelle, puisqu'il s'agit d'une apologie de la pédophilie sadique.
Voici donc ce que raconte Renaud Camus :
« Longue conversation téléphonique avec Robbe-Grillet, hier après-midi : il est parfaitement jovial, comme toujours. En voilà un qui a réussi sa vie. La gloire, l'argent et les femmes, pour le coup. Il habite un joli château, il a un appartement à Paris, il passe son temps à voyager, il est reçu partout comme un roi, il connaît le monde entier. Il a la même épouse depuis trente-cinq ans, elle est intelligente et charmante. L'intimité rieuse qui les unit semble n'avoir d'égale que la liberté qu'ils se laissent. Comment n'éprouver pas d'envie ? » (Aguets, Journal 1988)
Comment ne pas éprouver d'envie devant l'ultra-libéralisme, l'incapacité à produire un couple, la gloire bourgeoise, l'argent bourgeois ? On voit à quel point le dandy Renaud Camus est éloigné historiquement des exigences du romantisme, de sa confrontation avec la société, de la vie de Bohème qui en est le prix !
Pourtant, Renaud Camus a croisé le romantisme, comme le prouvent ces lignes fort justes et belles:
« Belmondo, c'est vrai, n'a pas gardé cette aura d'élu du destin qu'on lui voit clairement dans A bout de souffle, et sans doute jusque dans Pierrot le Fou. C'est peut-être que, du point de vue de l'art, il a bien mal mené sa carrière.
Je ne dirais pas de son visage qu'il s'est vulgarisé, car on ne peut rien y lire de bas, de complaisant ni de veule, mais il s'est sans aucun doute banalisé ; non qu'il ne soit encore assez spécial, mais la troublante grâce de l'unique – je ne parle pas ici d'attrait physique, pour une fois – paraît s'en être retirée.
Ou bien n'était-ce que Godard, qui la prodiguait ? Qui, l'ayant su déceler, l'exploitait, comme d'ailleurs celle de Jean Seberg ? » (Aguets, Journal 1988)
Alors, pourquoi a-t-il choisi de soutenir l'extrême-droite ? Par esthétisme, par goût grand bourgeois. Ce qui l'amène dans le camp de la médiocrité, de la superficialité faite élitisme, au lieu de la production culturelle faisant passer un cap de civilisation, par la remise en avant de la nature comme réalité essentielle.
Renaud Camus, c'est ainsi l'échec du romantisme, ou plutôt d'un romantisme particulier, puisque le vrai romantisme, lui, a les exigences de Rimbaud et assume la Bohème, et non pas les costumes cravates permettant de s'imaginer cultivé et raffiné, en prenant un ton docte et en utilisant des mots savants, ou plutôt devrait-on dire grand bourgeois. « La vieillesse est un naufrage » disait justement Chateaubriand, référence si elle en est pour Renaud Camus, et rappelons justement ce qu'il écrivait sur la police il y a 25 ans, preuve qu'il aurait pu peut-être réussir, s'il n'avait pas été complaisant et acheté par la décadence de son propre style de vie...
« Mardi 15 juillet, 10 heures du matin.
Jean m’a envoyé la coupure d’un petit texte de Paul Otchakovsky-Laurens, parus dans Le Monde, et dont copie avait été communiquée au maire et au préfet de police de Paris.
Paul y raconte comment le « jeudi soir 3 juillet 1986, vers 23 heures, au coin de la rue du Moulin-Vert et de la rue Hippolyte-Maindron (14e arrondissement) » il a vu ceci : « Trois individus sortis d’une Renault bleu foncé, immatriculée 462 DMT 75, s’en prennent à un passant, un jeune passant, le ceinturent, le jettent à terre, le rouent de coups, le menottent, continuent à le frapper »…
Bien entendu, il s’agit de policiers en civil. Aux protestations des témoins, ils répondent seulement « Font chier ces cons ! » ou « Laisse-nous faire notre boulot, sale con ! »
« Mais surtout, alors que rien ne le justifie, ni dans l’attitude des passants ni dans celle, et pour cause, de l’homme maintenu à terre, l’un des trois individus sort un pistolet et en menace à la ronde, en les visant ostensiblement tour à tour, les témoins de la scène. »
Finalement, le jeune homme, « qui avait seulement refusé, comme la loi ne le lui interdit pas encore, de présenter ses papiers d’identité », est emmené dans la Renault bleu foncé…
Dire que les scènes de ce genre sont quotidiennes, en France, c’est rester bien en dessous de la vérité.
Le public, et peut-être le gouvernement, font l’objet d’un véritable chantage, de la part de la police : « Si vous voulez que nous assurions la sécurité, laissez-nous les mains libres. »
Seulement l’institution qui réclame et qui prend une presque entière liberté d’action, elle compte une proportion affligeante — qui reste à déterminer mais qui de toute façon n’est pas mince — de sadiques, de brutes épaisses, de débiles dangereux, de fascistes, d’escrocs et d’individus pour qui le droit, la loi, ne sont qu’une invention perverse d’intellectuels pourris pour protéger les malfaiteurs…
À l’immonde police parisienne de l’Occupation, à peine épurée à la Libération, tout ce que celle d’aujourd’hui peut envier, sans doute, c’est l’occasion. Le terrorisme pourrait bien lui en offrir une. » (Journal romain, 1985-1986)
Alors, qui est Renaud Camus ? Un être sensible né dans la contradiction entre villes et campagnes, mais qui ne l'a pas comprise, car il a refusé la nature.
Et il l'a refusé par complaisance pour une vie sexuelle débridée, dans l'esprit de la fameuse et légendaire émission de radio « lune de fiel » de la seconde partie des années 1980, sur la radio parisienne fréquence gaie.
Une émission sans tabou où la sexualité était abordée de manière franche et crue, et finalement fétichisée dans une idéologie de décadence imaginée liberté.
Ce sont les villes qui ont corrompu la sensibilité de Renaud Camus, et s'il en a vues la culture, il n'a pas pu s'extirper à leur mode de vie grand bourgeois qui le fascinait tant. C'est là qu'est la clef de son échec, et de sa chute - au sens moral et il faut relire ici La chute, de Camus, Albert Camus - dans le camp du fascisme.