23 Jan 2013

Aaron Swartz, le suicide d'un jeune activiste numérique

Submitted by Anonyme (non vérifié)

aaron swartz soyez curieux

Ce Vendredi 11 janvier 2013, le jeune activiste américain Aaron Swartz s'est suicidé à l'âge de 26 ans dans sa chambre de Brooklyn.

Aaron Swartz était un jeune et très brillant informaticien et intellectuel progressiste américain. Toute l'activité de Aaron Swartz a été marquée par l'engagement et en même temps une forme de spleen face au manque d'engagement et de passion de ses contemporains.

Dans l'article Pourquoi la jeunesse, tournée vers le passé, n'a-t-elle pas trouvé le magnifique Nick Drake ?nous disions « la jeunesse doit regarder autour d'elle et avoir confiance et conscience, car nombreux sont les Nick Drake aujourd'hui ! » Et Aaron Swartz était un de ces Nick Drake, un Nick Drake geek et scientifique.

Aaron Swartz était un amoureux de la connaissance, qui ne la voyait que dans le cadre du partage, et une personne dotée d'une grande sensibilité.

Avec la passion et la curiosité de la jeunesse, il a commencé à apprendre le plus de choses possible à propos d'internet et des ordinateurs. La connaissance n'existant pas sans mise en pratique, Aaron Swartz a donc dans la foulée commencé à appliquer ce qu'il avait appris. Il a ainsi créé à l'âge de 13 ans, en 2000 soit un an avant Wikipedia, le site get.info qui se voulait un moyen de créer une encyclopédie collective où tout le monde pourrait poster ses connaissances et qui serait modifiable depuis le navigateur web.

Comme il passait beaucoup de temps à rechercher des informations sur internet, il a tenté de produire un moyen d'accéder rapidement aux nouveautés paraissant sur ses sites web favoris. Il a alors crée son site my.info. Il a immédiatement cherché à généraliser son travail. Il s'est alors associé avec d'autres personnes travaillant sur ce sujet et, ensemble, ils ont créé le format de données « RSS 1.0 » qui est aujourd'hui le format standard pour les flux de syndication et qui permet donc à chaque personne de centraliser les nouveautés des sites webs qu'elles souhaitent suivre.

Toujours dans cette démarche d'aider au partage de la connaissance et à son accès, il a commencé à participer durant l'été 2000 au projet Creative Commons. Ce projet a été lancé à un moment où les différents éditeurs et majors artistiques mettaient une grosse pression sur les personnes ne respectant pas le copyright. Creative Commons mis en place un grand nombre de licences différentes, inspirées par les licences opensource de l'informatique, permettant ainsi aux artistes de protéger leurs créations de l'appropriation par les majors tout en permettant à tout le monde de les réutiliser pour produire autre chose avec (comme par exemple dans le cas du mix audio).

Il intègre l'Université de Stanford (une des plus prestigieuses des USA), mais arrête ses études au bout d'un an. Il est en effet déçu par l'ambiance superficielle (typique des universités bourgeoises) et du peu d'intérêt que présentent les autres étudiants pour la connaissance.

Il participe ensuite avec deux autres jeunes étudiants à la création de la plateforme de « bookmarking social » Reddit.com, de « have you REaD IT » (avez-vous lu ceci). En gros, reddit permet de partager des liens avec toutes les autres personnes inscrites sur le site et d'en débattre. Ils finissent par vendre le projet au groupe de presse américain Condé Nast.

Mais Aaron Swartz supporte très mal le travail dans un bureau et la focalisation sur la rentabilité et l'argent. Il entre alors en dépression et finit par se faire pousser à la démission par Condé Nast. Devenu riche après la vente de Reddit, il aurait pu, comme d'autres, se contenter de gérer sa fortune et devenir un de ses nouveaux businessmen geek, mais son exigence morale et sa sensibilité le poussaient toujours vers l'engagement.

Il participe alors au lancement de plusieurs projets, toujours dans cet esprit d'aider au partage et de mettre l'internet au service du plus grand nombre. Il lance ainsi la plateforme jottit.com qui permet de créer des sites web facilement, la plateforme watchdog.net qui permet de créer des pétitions en ligne (moyen d'action très utilisé par la gauche américaine), un nouveau langage informatique - Markdown - qui a pour ambition de rendre plus simple l'édition de textes en ligne.

Il participe aussi au lancement de projets plus clairement politiques comme le groupe de pression DemandProgress avec un dirigeant du GreenParty américain et au Progressive Change Campaign Committee dont le but est de faire gagner les élections internes au Parti Démocrate aux candidats « progressive », c'est-à-dire réformiste radicaux.

Mais il a surtout été connu ces dernières années en tant que leader de l'opposition aux lois PIPA et SOPA en 2012 et pour ses actions menées pour le libre accès aux documents scientifiques, actions pour lesquelles il était poursuivi en justice.

En effet, Aaron Swartz s'est engagé dans le mouvement pour le libre accès de tous aux documents numérisés et particulièrement les documents scientifiques. Il avait d'ailleurs écrit un Manifeste de la guérilla pour le libre accès clairement marquée par la culture activiste radicale américaine.

Les documents numérisés (romans, bande-dessinées, traités, etc.) sont, dans leur très grande majorité, numérisés par les grands monopoles de la publication (Amazon, Google, etc.) et mis à disposition de manière payante ou restrictive – comme ce sera le cas pour ceux de la Bibliothèque Nationale de France qui vendra un accès payant à ses documents numérisés. 

Ceci est particulièrement vrai pour les publications scientifiques qui sont en général publiées dans des revues spécialisées très coûteuses et dont l'accès n'est possible que pour les professionnels ou les étudiants. Et quand elles sont numérisées, leur accès est pareillement restreint aux seuls étudiants et chercheurs ou aux personnes pouvant payer une somme conséquente.

Ainsi, il existe plusieurs projets de numérisation des revues scientifiques. Le plus important aujourd'hui pour les revues en langue anglaises (c'est-à-dire la majorité d'entre elles) est celui de la société d'édition JSTOR.

Entre septembre 2010 et janvier 2011, Aaron Swartz s'introduit plusieurs fois par effraction dans les locaux du Massachusets Institute of Technology et utilise différentes failles informatiques pour télécharger 4,8 millions d'articles scientifiques afin de les publier et de les mettre ainsi à disposition de tout le monde.

Il est arrêté et poursuivi en justice, à l'initiative de la procureur du Massachusets et du MIT, pour cela en juillet 2011. Il était poursuivi pour 13 chefs d'inculpation et risquait jusqu'à 35 ans de prison et 11 millions de dollars d'amende ; la procureure du Massachusets ayant annoncé vouloir faire de cette affaire un exemple dans la lutte pour la protection des « droits d'auteurs ». Son procès allait commencer dans quelques semaines.

 

Aaron Swartz était une figure de la jeunesse progressiste américaine. Une figure activiste et héritière des grandes luttes révolutionnaires des années 1960 des USA, comme le montre très bien la fin de son manifeste : 

Nous avons besoin de récolter l’information où qu’elle soit stockée, d’en faire des copies et de la partager avec le monde. Nous devons nous emparer du domaine public et l’ajouter aux archives. Nous devons acheter des bases de données secrètes et les mettre sur le Web. Nous devons télécharger des revues scientifiques et les poster sur des réseaux de partage de fichiers. Nous devons mener le combat de la guérilla pour le libre accès.

Lorsque nous serons assez nombreux de par le monde, nous n’enverrons pas seulement un puissant message d’opposition à la privatisation de la connaissance : nous ferons en sorte que cette privatisation appartienne au passé.

 

Aaron Swartz était aussi une personne d'une grande sensibilité, n'hésitant pas à parler publiquement de sa dépression et de sa souffrance.

Aaron Swartz ne cherchait pas qu'à s'opposer, qu'à témoigner, il cherchait à attaquer les monopoles et à les faire tomber concrètement. Il refusait d'ailleurs le terme de pirate. Refusant la démarche de s'approprier quoique ce soit, il voulait socialiser tout le savoir disponible. Aaron Swartz avait en effet une exigence morale sociale élevée – typique de la culture contestataire juive américaine – comme le montre ce passage de son manifeste : 

Vous qui avez accès à ces ressources, étudiants, bibliothécaires, scientifiques, on vous a donné un privilège. Vous pouvez vous nourrir au banquet de la connaissance pendant que le reste du monde en est exclu. Mais vous n’êtes pas obligés – moralement, vous n’en avez même pas le droit – de conserver ce privilège pour vous seuls. Il est de votre devoir de le partager avec le monde.

Il avait conscience de ses privilèges d'homme américain blanc venant d'un milieu aisé, et il avait conscience de l'injustice de cette situation et de son devoir de tout faire pour se mettre au service de ceux qui sont « exclus du banquet ».

L'engagement d'Aaron Swartz était simple : mettre au service des masses les outils informatiques et le savoir accumulé par l'Humanité. Mais son engagement ne pouvait trouver de réels débouchés dans le cadre de la « progressive left » au sein de laquelle il évoluait ni dans le cadre des mouvements pour la liberté de l'information.

Car ces mouvements sont profondément imbibés par l'individualisme petit-bourgeois et ne veulent changer les choses qu'en façade, qu'aménager l'existant. Ils ne veulent pas affronter de front les monopoles et ont montré peu de soutien à Aaron Swartz dans ce combat, se dissociant en général de son mode d'action.

Aaron Swartz voulait changer la vie, la rendre plus heureuse, plus consciente. Il voulait que tous soient des scientifiques. Comme tous les Nick Drake d'aujourd'hui, Aaron Swartz était à la recherche du communisme. Mais il ne l'a pas trouvé et c'est ce qui l'a tué, sa sensibilité ne lui laissant pas le choix d'accepter l'état de fait existant.

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