19 juil 2013

Le Tour de France, une histoire de dopage

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Le Tour de France est un monument de la France capitaliste du XXe siècle. Crée en 1903, il fête cette année sa 100e édition. Son histoire est largement marquée par le dopage. Cette année encore les performances du kenyan-britanique Christopher Froome, similaires à celles de Lance Amstrong alors qu'il était dopé, provoquent la suspicion. 

Le dopage n'est pas spécifique au Tour de France, ni même au cyclisme. Il est largement généralisé dans la grande majorité des compétitions sportives capitalistes. Mais du fait de sa popularité et de sa professionnalisation très ancienne, le dopage a pris une dimension industrielle dans le cyclisme avant les autres sports.

Les scandales à répétition ayant choqué les masses, elles se sont mises à se détourner massivement de ce sport. En réaction à cela, une mascarade s'est mise en place avec une intensification des contrôles pour rehausser l'image de ce sport d'un côté et une recherche plus poussée pour continuer la progression des performances sportives. Les témoignages de cyclistes professionnels « repentis » sur le dopage - malgré leur relative sincérité - rentrent aussi dans ce jeu médiatique.

Aux USA, ce qui se passe depuis plusieurs années dans le football américain est très similaire à cela. Dans d'autres sports populaires générant beaucoup d'argent (notamment du fait des paris) comme le football, le rugby ou le freefight par exemple, la question est tout simplement niée – alors qu'il y a un grand nombre de preuves, de rapports et de témoignages.

La mise en place d'un passeport biologique est l'une des mesures les plus importantes dans le cyclisme professionnel. Il s'agit de mesures régulières sur les prélèvements sanguins des coureurs afin de détecter des anomalies pouvant être liées à la prise de produits prohibés. 

Le pharmacien Marc Kluszczynski responsable de la rubrique "Sur le front du dopage" du magazine Sport & Vie explique : 

Le passeport n'est pas encore l'arme absolue, mais son effet dissuasif a permis une modification des paramètres hématologiques : les taux d'hémoglobine sont plus bas et les taux de réticulocytes, témoins d'une transfusion sanguine ou d'une utilisation d'EPO, très abaissés.

Le dopage n'est pas un phénomène récent, il est présent depuis les origines du Tour de France. Cependant, il n'a commencé à être critiqué que très tard, à la fin du XXe siècle. Aux origines du Tour de France, le dopage n'était pas considéré comme un problème en lui-même. Le flou était volontairement entretenu sur la frontière entre l'amélioration de l’hygiène sportive et la prise de certain produits pour améliorer les performances.

Le magazine Sport & Vie de septembre 2003 rapporte les propos du Docteur de Mondenard : 

En parcourant des documents anciens, je suis tombé sur une trouvaille vraiment étonnante qui atteste de sa prédominance déjà avant la Première Guerre mondiale. Il s'agit de la présentation du Kolayo®, un médicament à base de Kola (caféine) et de coca (cocaïne) qui figure dans la première édition du dictionnaire du médicament Vidal en 1914. A la rubrique indications, on peut lire en toutes lettres "tonique et stimulant pour cyclistes" au milieu d'une kyrielle de maladies comme l'anémie, la chlorose, la débilité générale, le diabète, la neurasthénie, etc. 

Il s'agissait surtout à l'époque de produits permettant de limiter la souffrance liée à l’effort. Cela correspond à la vision capitaliste de la performance sportive qui est comprise non pas comme un mouvement de réussite collectif mais comme un acte individuel de suprématie. La souffrance qui est un phénomène naturel est alors rejetée comme étant un obstacle à la performance. De plus, il y a la recherche permanente de records pour rendre « exaltant » le spectacle sportif et servir de support à toute l'industrie développée derrière lui.

Le dopage est organiquement lié à cette logique capitaliste de la suprématie : tout les moyens sont bons pour « triompher » de l'adversaire et de la nature.

Le dopage à prendre une tournure industrielle dans les années 1950, c'est-à-dire à la période de relance de l'accumulation capitaliste après la seconde Guerre Mondiale.

Les années 1950 / 1960 marquent la généralisation des hormones de croissance ou de produits agissant directement sur le système nerveux, permettant d'accélérer la fréquence cardiaque et d'optimiser l'apport en oxygène. Il ne s'agit plus alors de simples tricheries individuelles mais d'une véritable industrie organisée autour de médecins, de laboratoires, de revendeurs, avec un véritable business lié à cette pratique.

Roger Bastide, dans une ouvrage majeur sur la question du dopage dans le cyclisme paru en 1970 (Doping, les surhommes du vélo) rapportait les propos du Dr Pierre Dumas, médecin du Tour de France en 1955 :

Et je voyais dans les valises et sur les tables tout un déploiement de flacons, de boîtes de pilules et de suppositoires, d'ampoules et de seringues. Les mains encore grasses de pommade on faisait la piqûre sans procéder à l'aseptisation préalable. Et (...) on me faisait comprendre, toujours avec des formes, que j'étais un intrus. 

Les premiers qui m'ont réservé un bon accueil ont été les gars du Sud-Est (...). Ils étaient plein de gentillesse et de rondeur. Ils ne m'ont pas consulté pour un traitement, mais ils m'ont demandé, puisque j'étais médecin, de leur faire des piqûres, avec leurs produits à eux. J'ai été effrayé. Je n'oublierai jamais Apo me montrant la boîte d'un produit qui était, je crois, à base de venin de crapaud. J'ai voulu les mettre en garde : c'est dangereux, inefficace... 

- Ecoutez docteur, m'ont-il répondu, nous avons besoin de fortifiants, vous ne savez pas ce que c'est que le vélo ! si vous ne voulez pas nous faire des piqûres, nous les ferons nous-même.

Les performances des cyclistes ont connu un bond formidable dans les années 1990 avec l'arrivée d'un produit ultra « performant » : l'Érythropoïétine connue sous le nom d'EPO. C'est une hormone naturellement sécrétée par le corps humain afin de stimuler la production de globules rouges, ce qui entraîne une meilleure oxygénation des muscles et accroît donc la génération de puissance. Elle a été synthétisée à des fins médicales, puis détournée par l'industrie pharmaceutique pour approvisionner les sportifs rendus dépendant.

Le scandale a éclaté en 1998 sur le Tour de France lorsque les douanes françaises découvrent dans la voiture d'un médecin de l'équipe Festina des quantités impressionnantes de produits dopants : 235 ampoules d'érythropoïétine (EPO), 120 capsules d'amphétamines, 82 solutions d'hormones de croissance et 60 flacons de testostérone.

Mais le dopage ne concerne pas seulement les scandales liés à l'EPO dans les années 1990. Le site cyclisme-dopage.com a résumé dans un tableau le rapport entre le dopage et le Tour de France depuis 1968. Voici la synthèse impressionnante qui en est fait :

Ces "vrais chiffres du dopage" révèlent ce qui pendant des années a été éludé, caché, minimisé : un tiers des participants au Tour ont croisé le dopage, près des deux-tiers parmi les dix premiers à Paris, environ les trois-quarts des bouquets du podium et 84,4% des maillots jaunes.

Les scandales autour du dopage dans le cyclisme sont l'expression d'une pression populaire de rejet du dopage. Mais dans le même temps, le sport professionnel est une industrie capitaliste qui recherche le profit et la production de « performances » et qui porte en elle la culture social-darwiniste. C'est une contradiction qui ne peut pas être résolue sans dépasser le mode de production capitaliste lui-même. 

Il y a comme nous l'avons dit une question idéologique, lié à la vision du monde, au rejet de la nature par la bourgeoisie prônant le social-darwinisme, l'écrasement des faibles par les plus forts. C'est pour cela que le dopage est aussi très répandu dans le cyclisme amateur.

Il y aussi une pression économique très importante. Concrètement, les entreprises-sponsors qui financent directement les équipes (elles portent même leurs noms) veulent des performances : les maillots doivent être vus, le nom de l'équipe citée. L'image donnée doit être celle d'une entreprise performante et conquérante.

De plus, la bourgeoisie écrase culturellement les masses de par ses nombreux relais. Le Tour de France est principalement relayé par deux gros médias : le journal l’Équipe, propriété du même groupe que celui possédant la société du Tour, et puis France Télévision, lié à l’État.

Ces deux médias continuent systématiquement de nier, minimiser, relativiser quand ils ne peuvent plus passer sous silence la question du dopage. Le cycliste Laurent Jalabert (qui avait quitté le Tour en 1998 lors de l'affaire Festina et traité les commissaires de l'Union Cycliste International de « vampires » et de « néo-nazis ») était jusque l'année dernière commentateur du Tour sur France Télévision. Il est un grand détracteur de la lutte antidopage. Le jour de la suspension à vie de Lance Armstrong de toutes compétions cycliste pour dopage, il expliquait sur RTL « Quoi qu'il en soit, c'est un immense champion, il avait un talent énorme. »

Il a démissionné de France Télévision juste avant cette 100e édition car ses résultats positifs à l'EPO sur le Tour de France 1998 ont été révélés ; pourtant ces résultats sont connus depuis 2005, mais avaient été volontairement cachés par l’État jusqu'à présent. L’État qui fait semblant de lutter contre le dopage avec une commission d'enquête lancée par le Sénat alors que dans le même temps il « cède » face à des coureurs qui ont exigé que les résultats de l'enquête ne soient pas publiés pendant la période du Tour 2013. Cela est le reflet de l’hypocrisie et du mépris de la bourgeoisie vis-à-vis des masses populaires exigeant la vérité et la moralité.

Depuis les quelques dernières années, le dopage dans le cyclisme s'est modéré comme en témoigne le recul des performances globales des coureurs ainsi que les sanctions contre certains d'entre eux pour calmer le jeu (Lance Armstrong ou Alberto Contador - l'actuel numéro deux de la compétition - ont été démis de toutes leurs victoires sur le Tour de France).

Pour autant, le rejet du dopage est une lutte perdue d'avance tant il est consubstantiel au sport capitaliste.

Par ailleurs, la lutte antidopage aura toujours un temps de retard sur l'industrie du dopage. A mesure que les méthodes de dépistage progressent, les méthodes de dopage s'améliorent et s'affinent. De fait, ces deux « parties opposées » sont des branches des mêmes trusts pharmaceutiques.

Les dernières évolutions ne concernent plus tant la recherche de nouveaux produits que l'amélioration de leur dissimulation. Les médecins et les laboratoires cherchent à dissimuler la prise de produits dopant en modifiant les données de résultats sanguins afin qu'elles apparaissent comme « normales », bien que les « performances » ne le soient pas !

La véritable question que pose le dopage est une question idéologique : qu'elle doit être notre rapport à la nature, que doit signifier la performance sportive pour une humanité affirmant la civilisation ?

Il est clair que ce n'est pas grâce à l'immense machinerie capitaliste qu'est le Tour de France que les masses populaires trouveront les moyens de répondre à cela.

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