Le rôle néfaste de Jean-Pierre Jouffroy au PCF pour les arts et les lettres
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le document qui suit est d'une grande importance historique. Il s'agit d'une intervention publiée dans le compte-rendu officiel du Parti Communiste français pour son XVIIe congrès, qui s'est tenu du 14 au 17 mai 1964.
Elle a été écrite par Jean-Pierre Jouffroy, membre de la Fédération de Paris. Né en 1933, il est peintre, influencé par Paul Gauguin, Vassily Kandinsky, Paul Cézanne, ses œuvres relevant de l'abstrait avec quelques petites touches figuratives. Il résuma sa conception de l'art de la manière suivante :
« Je tiens beaucoup, en art, à deux vertus, tout à fait contradictoires : la spontanéité la plus totale, comme ce que les surréalistes appelaient l'écriture automatique, spontanéité, liberté‚ qui, permettent à l'inconscient de passer par-dessus les censures que nous imposent la conscience et la raison, et la maîtrise qui peut permettre une véritable reconstruction du monde. »
On a là un point strictement opposé au réalisme socialiste, l'art étant selon le matérialisme dialectique un reflet synthétique de la réalité.
Or, justement, à partir du moment où il rejoint le PCF en 1962 (et ce jusque les années 2010), Jean-Pierre Jouffroy joue un rôle central comme critique d'art. Il a été le directeur artistique de L’Humanité Dimanche, enseignant dans les écoles du PCF et de la CGT, dirigeant de l’Union des arts plastiques, et responsable des grandes expositions de la Fête de l’Humanité.
Dans la partie de l'intervention qui est reproduite ici, il dit trois choses, que l'on peut résumer ainsi :
— le réalisme socialiste est un sorte de « machin » littéraire typique du dogmatisme philosophique soviétique ;
— le PCF n'a de toutes façons jamais appliqué le réalisme socialiste ;
— ce qui compte c'est une prise de position historique, le reste est totalement secondaire, voire sans importance en fait.
C'est là une position qui n'est même pas révisionniste, car elle ne révise même pas le matérialisme dialectique : le PCF n'a jamais rien compris, historiquement, à la théorie du reflet dans les arts et la littérature, ce qui en dit long sur son niveau de matérialisme dialectique.
Dans les arts et les lettres, le PCF s'est fait le serviteur du modernisme et de ses abstractions, contribuant à l'émergence du post-modernisme décadent, de l'art contemporain.
Depuis Maurice Ravel, signataire d'une affiche de soutien aux rebelles du 17e, depuis Mirbeau, Jules Renard en passant par Signac, Steinlen, jusqu'aux membres du Parti : Eric Satié, Anatole France, Henri Barbusse. Il existe, continuant et précisant les traditions du XIXe siècle, un art combattant, combattant âprement sur les positions de la classe ouvrière.
La naissance du premier Etat socialiste va poser des problèmes nouveaux qui se refléteront dans la vie de ce Parti de type nouveau qui se fonde avec le Congrès de Tours. En 1934, en U.R.S.S., au Congrès des écrivains, se précise cette notion de réalisme socialiste qui va faire couler tant d'encre, qui va susciter tant de passions (à juste titre vu l'importance de la chose) et que Gorki rattache à un certain nombre de grands courants du siècle passé qui ont constitué le réalisme critique tant en Russie qu'en France, en Allemagne.
Il faut souligner d'abord cette part prépondérante que les écrivains ont prise à la naissance du réalisme socialiste et que, défini par des gens du verbe par leurs besoins spécifiques, la spécificité et l'originalité plastiques ont fait l'objet d'une bien moindre attention.
Ainsi, pour les plasticiens, le réalisme socialiste a-t-il plus été un mouvement d'idées qu'un mouvement culturel. Les artistes des autres disciplines que celles du secteur littéraire ont dû se forger leurs propres conceptions, non sans batailles, non sans difficultés. C'est le cas par exemple d'Eisenstein, de Poudovkine ou de Dziga Vertov, chez qui la création théorique et pratique furent simultanées.
Ce qui est caractéristique de la France, c'est l'adhésion d'un certain nombre de grands artistes au Parti, venant des mouvements artistiques d'avant-garde : Aragon, Picasso, Eluard, Fernand Léger, Marquet n'ont pas adhéré parce que le Parti avait élaboré la meilleure théorie esthétique, mais en vertu d'un jugement plus général sur la société et sur l'histoire.
C'est ainsi qu'il faut comprendre le vaste mouvement qui s'est développé chez les créateurs pendant la période du Front populaire.
Les positions du Parti dans les arts plastiques depuis la Libération ont été plus complexes que certains ne le disent aujourd'hui. Il faut d'abord rappeler les prises de positions de principe, justes alors, et encore justes maintenant, qui consistaient à montrer que le lieu d'élection des formes de la création se trouve dans les masses populaires et dans leur vie.
L'épuisement du contenu culturel progressif de la classe dominante justifiait et justifie encore plus ces positions. Il faut rappeler aussi que l'application de ces principes s'est faite à la fois dans le climat de la guerre froide et dans celui du dogmatisme. II est apparu que le Parti se contentait trop souvent, comme critère de valeur d'une oeuvre, de l'inversion du jugement de l'ennemi de classe.
C'est une façon idéaliste de procéder. L'âpreté de la bataille a également fait confondre dans trop de cas la politique et le culturel. Il doit être évident, maintenant, mais c'est aussi beaucoup plus facile maintenant, du fait du développement des forces socialistes dans le monde, et du fait de la dénonciation des erreurs dogmatiques, particulièrement en philosophie, que la haine des flics pour une oeuvre ne peut nous suffire pour apprécier cette oeuvre, quant à son pouvoir culturel spécifique et dans la lutte des classes.
Il faut souligner aussi que, quelqu'aient pu être les erreurs commises à cette époque, le Parti n'a pas cessé de saluer et d'apprécier des artistes, comme Picasso et Fernand Léger dont le travail ne correspondait pas aux critères d'un réalisme étroitement conçu.
Ce qu'on peut reprocher à l'action de cette époque c'est, dans les difficultés d'un combat quotidien, le dos au mur, de n'avoir pas fait une analyse suffisante des mouvements culturels existants et de la dialectique qui pouvait ou devait les animer. C'est pour toutes ces raisons que les succès du réalisme socialiste en tant que mouvement ont été limités.
Mais il ne faudrait pas conclure, du fait que le mouvement n'a pas pleinement réussi quant aux oeuvres et quant aux jugements, qu'il n'y a pas eu de succès, qu'il faut tirer un trait, passer l'éponge et tout recommencer.
Certes, la définition de Jdanov nous a porté grand tort. Pour autant que nous l'ayions appliquée. Tout autant quand elle n'était pas appliquée, du seul fait du poids que prenait dans notre monde culturel une voix venant du premier pays socialiste.
Certes, la conception de liens mécaniques entre l'art et la politique, la spéculation sur les effets directement politiques de l'art constituaient des vues fausses et il ne faudra pas se lasser de le redire.
Mais l'intérêt du réalisme socialiste, en tant qu'art ne provient pas de ses effets politiques immédiats, il provient d'une définition maximum des possibilités d'expansion de la création, constructrice de l'homme, et du choix des meilleures méthodes pour développer cette activité. Ne négligeons donc pas ce qui a été gagné par ces camarades qui se sont lancés dans la bataille du réalisme socialiste, plus ou moins bien armés, avec plus ou moins de conscience précise des buts à atteindre.
Ce qui est clair, et qu'il me soit ici permis de prendre la parole à la première personne, c'est qu'ils nous ont, comme on dit en termes militaires, fait le trou. En effet, la bataille livrée pour le droit à l'existence d'un art directement lié, par ses sources d'inspirations aux grandes luttes historiques, est aujourd'hui une bataille gagnée. Et c'est autant de pris pour la liberté de création. Parce que ces grandes luttes historiques sont la source des sujets les plus riches. Et les plus difficiles. Ce qui n'est pas un mince moteur de la création artistique.
A condition de comprendre ces luttes d'une façon très profonde : ce sont aussi bien les luttes de la science, les conceptions nouvelles de l'espace, les propositions pour de nouveaux objets, les batailles livrées dans la rue et à l'usine. L'éventail est très vaste, suffisamment pour que chacun y développe son propre lyrisme. Mais le flot n'a qu'un sens : celui du matérialisme dialectique, c'est-à-dire du matérialisme scientifique. Les succès du réalisme socialiste, sur le plan des idées et quel que soit le jugement que l'on porte sur les oeuvres du passé, nous pouvons le constater autour de nous.
Alors que certains se réjouissent de la mort de l'oiseau, tel Phénix, le mouvement renaît à chaque instant de ses cendres mêmes : le mouvement s'est étendu à bien d'autres que nous. Avec des développements inégaux qui ne doivent pas nous étonner.
Mais la pléiade des créateurs qui participent au combat dans des proportions diverses, avec leur art, est grandissante. La présence, tout à côté du Congrès, à l'Odéon, de la troupe de Planchon, et le répertoire qui s'y donne, est un exemple éclatant. Au cinéma, au théâtre, dans la littérature, des artistes de plus en plus nombreux trouvent leur inspiration dans l'analyse de l'histoire. Je serais injuste en ne citant que ceux que je connais.