Le trotskysme anglais sur la dialectique de la nature
Submitted by Anonyme (non vérifié)La revue en ligne « Que faire ? », produite par des personnes actives au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), vient de publier un article intitulé « La dialectique, la nature et la dialectique de la nature ».
Ce n'est pas dit, à part par un lien vers l'original en bas de page mais en fait il s'agit d'une traduction de l'anglais, d'un article produit par Camilla Royle, dont on peut voir la conférence à ce sujet ici. Bien entendu, cette conférence de 2013 a été faite au sein du « Socialist Workers Party » (SWP), la principale organisation trotskyste anglaise.
On comprend naturellement que ce site est un front du SWP anglais au sein du NPA, dans une longue histoire de succès et surtout d'échecs dans l'implantation du SWP en France (Socialisme International, Socialisme par en bas, etc.).
On peut deviner que l'article vient du trotskysme anglais de toutes manières, car le trotskysme français a toujours catégoriquement rejeté la dialectique de la nature, alors que le trotskysme anglais n'est pas d'accord avec la dialectique de la nature, mais prétend qu'il y a des élements intéressants, des pistes intellectuelles, etc.
Or, pour arriver à effectuer ce tour de passe-passe, ces gens sont obligés de raconter des aberrations. On lit ainsi :
« Malgré tout, l'idée de dialectique de la nature demeure controversée – ce qui est aggravé par le fait qu'Engels n'a jamais eu le temps de finir son livre, ou de défendre son projet. »
L'article parle ici de « La dialectique de la nature », livre dont les chapitres écrits et les notes ont été publiés en Union Soviétique. Sauf que l'article « oublie » ici que la thèse de la dialectique de la nature... avait déjà été exprimée de manière ouverte dans le fameux « Anti-Dühring » !
Le tour de passe-passe visant à dire : la « dialectique de la nature », c'est un truc de Friedrich Engels plus ou moins intéressant, mais c'est un concept pas défini, pas terminé intellectuellement... ne tient donc pas du tout debout...
Un autre aspect du tour de passe-passe du trotskysme anglais est d'oublier, ou de feindre oublier, que la dialectique de la nature était l'idéologie officielle de l'URSS de Lénine et Staline, ainsi que de la Chine populaire de Mao Zedong.
L'auteure de l'article le sait, expliquant :
« Il n'en reste pas moins que la Dialectique de la nature a été très influente en Union soviétique après y avoir été publiée en 1925. »
Et pourtant, l'article dit également :
« Les conceptions d'Engels à ce sujet ont provoqué une vive polémique dès la parution de Dialectique de la nature, ses idées se trouvant alors « déformées à la fois par des ennemis et de prétendus amis ». »
Friedrich Engels était mort depuis longtemps à la parution de l'ouvrage. Par contre, Lénine avait entretemps publié « Matérialisme et empirio-criticisme », assumant de manière explicite la dialectique de la nature. On voit mal donc comment il pourrait y avoir une polémique : si celle-ci a existé, c'est dès la parution de l'Anti-Dühring, ou bien dès la parution de Matérialisme et empirio-criticisme...
L'article se contredit donc. Et l'objectif est de rejeter la dialectique de la nature en prétendant qu'il y a dedans une piste intellectuelle seulement.
D'où l'accentuation de l'article de la dimension « polémique » qu'aurait la dialectique de la nature :
« La notion de dialectique de la nature est demeurée depuis lors un sujet de controverse. La dialectique, telle qu'elle s'applique à l'étude de la société, est contestée, et il existe de nombreuses interprétations de ce qu'est la dialectique et de ce à quoi elle est censée servir. »
« Si la dialectique aide les marxistes à comprendre quelque chose à la société humaine, peut-elle également être utile aux sciences naturelles – à des gens qui essaient de comprendre des aspects très différents du monde ? Peu de scientifiques ont déclaré de façon explicite qu'ils faisaient une science dialectique, mais il y a quelques exceptions notables. »
« Une approche dogmatique de la dialectique était à mille lieues des intentions d'Engels. Et bien sûr, la Dialectique de la nature était un ouvrage inachevé – une série de notes, qu'Engels aurait peut-être considérablement révisée s'il l'avait publiée lui-même. Helena Shehan, dans Marxism and the Philosophy of Science, assure que son travail devrait être davantage considéré comme pointant vers des domaines qui nécessitaient une étude plus approfondie plutôt que comme le dernier mot sur la question. »
« Les philosophes ne sont même pas tous d'accord pour dire que le monde existe en dehors de l'esprit de la personne qui pense. Et tenter de comprendre quelque chose à la façon dont ce monde fonctionne n'est pas un rôle universellement reconnu à la philosophie. Pour de nombreux penseurs, il est bien trop ambitieux de prétendre qu'il existe des lois ou des processus sous-jacents gouvernant la réalité, et que nous pouvons les comprendre. »
L'article est tellement mensonger dans sa négation de l'Anti-Dühring, ce grand classique de la social-démocratie allemande, qu'il dit au sujet du gauchiste hongrois (et germanophone complet) Georg Lukàcs, qui rejette la dialectique de la nature :
« Il est par ailleurs important de rappeler qu'en 1923 Lukács ne pouvait avoir lu Dialectique de la nature et ne répondait donc pas à ce texte particulier, qui n'avait pas encore été publié. »
Si la dialectique de la nature n'était pas connue, comment Lénine aurait-il alors pu la défendre, avant 1923, comme une composante du marxisme, comme sa substance même ?
L'article a ceci d'intéressant qu'il considère réellement la dialectique de la nature comme une « piste » - en étant conséquent, alors on ne peut que reconnaître que le matérialisme dialectique, c'est le marxisme-léninisme-maoïsme, et donc abandonner le trotskysme.
Mais l'article veut « sauver » politiquement et idéologiquement Antonio Gramsci et Georg Lukàcs, qui rejettent la dialectique de la nature, il veut sauver le trotskysme. D'où une conclusion simplement « matérialiste », et pas du tout matérialiste dialectique :
« Nous expliquons souvent la dialectique en utilisant des exemples tirés de la science et de la nature – mais l'idée que la dialectique peut s'appliquer dans ces domaines n'est pas universellement acceptée. De nombreux marxistes rejettent complètement la notion de dialectique de la nature. Mais il y a aussi une tradition marxiste qui considère la séparation entre la nature et la société comme typique de l'idéologie capitaliste. Si nous remettons en question la division entre société et nature, et si nous sommes d'accord pour dire que la dialectique nous éclaire sur la société, pouvons-nous prétendre de façon vraisemblable qu'elle n'a rien à nous dire sur la nature ? (…)
La dialectique est un outil pour comprendre la réalité du monde dans lequel nous vivons. Comme disait Engels, elle nous parle de la matière en mouvement. Si nous essayons de traiter le monde comme s'il pouvait être divisé en éléments séparés, et que tout ce qu'il contient reste inchangé, nous risquons de laisser quelque chose d'important échapper à notre compréhension. Mais les marxistes ne se bornent pas à interpréter le monde; nous changeons également la réalité. L'approche dialectique considère le problème de la rupture actuelle avec la nature comme un aspect de la société de classe – et, avec tout le reste, comme quelque chose qui peut être changé. »
Que la réalité est un mouvement – voilà une thèse classiquement matérialiste. Mais que ce mouvement soit interne à la matière, qu'il soit dialectique, voilà la thèse du matérialisme dialectique.
Et le trotskysme anglais peut tourner autour du pot comme il le veut, il peut nier les formidables avancées sur ce plan – pensons à Vernadsky ou Sakata -, mais cela ne changera rien au fait que son approche est bourgeoise, une simple défense du matérialisme anglais si formidable il y a trois cent ans, mais totalement dépassé par le matérialisme dialectique aujourd'hui.