L'affaire Kerviel, une campagne anticapitaliste romantique
Submitted by Anonyme (non vérifié)Dimanche 18 mai, Jérôme Kerviel a été incarcéré pour des faits de faux et usages de faux lors de son activité de trader à la Société Générale. Du début à la fin, l'affaire Kerviel a été un outil puissant d'offensive culturelle de l'anticapitalisme romantique.
Jérôme Kerviel est à la base un pion du capital financier baignant totalement dans la culture social-darwiniste et prêt à piétiner les plus faibles pour accumuler le plus de capitaux. Son rôle à la Société Générale en tant que trader consistait à acheter des actions financières d'un côté et en vendre de l'autre dans le même temps pour faire des bénéfices sur la différence entre ces deux mouvements..
En 2007-2008 a explosé la crise dite des « subprimes » du nom des emprunts à taux très élevés mais consentis à des emprunteurs dont la fiabilité dans la capacité de remboursement est douteuse. Ce sont donc des emprunts qui rapportent beaucoup mais qui sont très risqués. Ces emprunts avaient été consentis en masse aux États-Unis d'Amérique afin de tenter de relancer l'économie (particulièrement par le bâtiment). Mais les défauts de paiements d'un grand nombre d'emprunteurs ont eu un effet domino conduisant à la ruine d'un certain nombre de banques et d'assurances dans le monde et donnant un coup d'accélérateur à la crise générale du capitalisme.
La Société Générale, comme la plupart des banques, a été fortement impactée par cette crise, elle-même étant engagée fortement sur le marché américain des subprimes.
De son côté, Jérôme Kerviel engageait, sans l'aval officiel de sa hiérarchie, des sommes très importantes sur des postions très risquées mais très rentables sans compenser ces achats par des ventes comme la règlementation l'oblige. Ces investissements s'élevaient à hauteur de 50 milliards d'euros selon la banque – ce qui équivaut à peu près au double des fonds propres de la banque. Pour ce faire, il a truqué les fichiers de la Société Générale pour faire croire que ces risques pris étaient compensés par des ventes qui en fait n'existaient pas.
Après avoir subi une perte de 2 milliards d'euros en juin 2007, le « portefeuille » de positions boursières de Jérôme Kerviel était revenu en positif avec à peu près 1,4 milliard de crédit.
La crise s'accélérant du fait de l'implosion du marché des subprimes, l'engagement de telles sommes risquait d'occasionner des pertes très importantes à la Société Générale qui de plus voyait que ce montage illégal et très risqué avait de grandes chances d'être révélé publiquement et donc de déclencher des plaintes et la défiance de ses investisseurs.
La banque a donc décidé de liquider tous ces investissements de manière très rapide puis a rendu l'affaire publique et porté plainte contre Jérôme Kerviel pour fraude et « faux et usage de faux ». Elle accuse alors Jérôme Kerviel d'être à l'origine d'une perte globale de 4,9 milliards d'euros. Ce qui équivaut à peu près aux bénéfices annoncés cette année-là par la Société Générale à savoir 5,2 milliards d'euros, amenant donc la banque à un bilan nul.
La Société Générale a en fait profiter de cette affaire de fraude d'ampleur pour masquer les pertes gigantesques causées par la crise des prêts subprimes.
Au delà de ça encore, cette affaire a servi d'offensive idéologique de la bourgeoisie. En effet, en sacrifiant le « bon soldat » Kerviel, la banque puis toute la bourgeoisie et ses médias ont mis en avant l'idée que la crise économique ne serait que la conséquence de mauvaises actions de personnes sans scrupules, d'escrocs amoraux dont les banques seraient en fait aussi les victimes.
La réalité est que cette crise n'est pas une crise « financière » mais bien une crise fondamentale du mode de production capitaliste. Les prêts « subprimes » n'étaient en fait qu'une tentative de relancer l'économie en injectant une grande masse de capitaux rapidement de manière artificielle. Tentative qui a inévitablement échouée et accéléré encore plus la crise de production - qui continue encore aujourd'hui.
S'en est suivi un long procès qui vient de s'achever par la condamnation définitive de Jérôme Kerviel à 3 ans de prison ferme.
Pour tenter d'échapper à sa condamnation, Jérôme Kerviel s'est placé dans le personnage du repenti regrettant ses « mauvaises actions ». Il s'est mis à dénoncer « la finance », à dire qu'il ne faisait que suivre un système, voire qu'il avait été piégé, etc.
Qu'on ne s'y méprenne pas, il ne s'agit absolument pas là d'une auto-critique sincère où la personne reconnait ses fautes, s'engage sur le chemin du changement et fait face dignement aux conséquences de ses actes. Non Jérôme Kerviel ne cherche juste qu'à échapper à ses responsabilités et à la prison en se plaçant comme une victime, niant par la même la réalité de ses propres actes (ce qui est une attitude typique de sa classe sociale, la petite-bourgeoisie).
Il a tout simplement retourné l'argument du « trader escroc », utilisé par la Société Générale pour masquer la réalité de la crise, contre la banque elle-même en disant que cela était vrai mais qu'en fait tout le « système » fonctionnait comme cela et que la véritable coupable est la banque et la « finance aveugle ».
Se faisant Jérôme Kerviel est devenu le relais idéologique de l'anticapitalisme romantique. Toute une campagne a été montée autour de lui qui a réussi à agréger un certain nombre de soutiens important montrant bien la collusion entre les forces faisant de la « finance » l'ennemi principal.
Très vague politiquement au départ, Jérôme Kerviel se fait de plus en plus clairement le porte-parole de la « doctrine sociale » de l’Église catholique et devient un des éléments de son offensive de reconquête des masses. Il a annoncé ainsi avoir retrouver la foi et a fait, avant son incarcération, une marche de Paris à Rome « contre la tyrannie des marchés » qu'il a conclu par une rencontre furtive (mais médiatisée par ses soutiens) avec le Pape François.
S'il y a un aspect tactique et opportuniste indéniable dans la démarche de Jérôme Kerviel, il est très clair que son discours de « repenti de la finance » est un support concret pour la synthèse de l'idéologique anticapitaliste romantique catholique. Il matérialise le propos du Pape François qui déclarait :
« La crise financière que nous traversons nous fait oublier qu’elle a, à son origine, une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l’être humain ! Nous avons créé de nouvelles idoles. L’adoration de l’antique veau d’or a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage. »
Jérôme Kerviel a donc reçu logiquement le soutien de la réactionnaire catholique Christine Boutin et de son parti, du curé « médiatique » Patrice Gourrier qui officie une fois par semaine dans l'émission « les Grandes Gueules » sur RMC, de nombreux artistes et de l'évêque de Gap Monseigneur Jean-Michel Di Falco ancien porte-parole officiel de l’Église catholique et président de la Commission des Évêques de France, fondateur de la chaine de télévision de l’Église catholique française KTO TV, intervenant réguliers sur les radios, dans les journaux à grands tirages, et qui est maintenant le président du comité de soutien à Jérôme Kerviel.
Le rôle de Jérôme Kerviel a été campé par le réactionnaire Lorànt Deutsch dans une pièce de théâtre s'attaquant à « la finance » en 2009.
Comme on le voit l'affaire Kerviel a été largement récupérée par les forces national-catholiques pour en faire une pièce dans leur offensive de conquête idéologique des masses.
Mais cela ne s'arrête pas là. En effet, suite à la sortie de son livre Le roman d'un trader dans lequel il a commencé à se présenter comme un combattant repenti de la « finance internationale », Jérôme Kerviel a reçu le soutien d'une partie de la gauche et de l'extrême-gauche petite-bourgeoise qui, bien qu'elle s'en dédie, est très largement influencée idéologiquement par ce qu'on appelle le « catholicisme de gauche ».
Ainsi, Jérôme Kerviel est donc soutenu officiellement par Eva Joly, par le Front de Gauche et plus particulièrement et très activement par le Parti de gauche et Jean-Luc Mélenchon. Alexis Corbière, un des dirigeants du Parti de Gauche, s'est donc rendu en Italie avec d'autres militants du PCF et du Parti de Gauche pour participer à la marche retour de Jérôme Kerviel vers la France. Des responsables du Parti de Gauche étaient présents à chaque manifestation de soutien ou moments médiatiques de la procédure judiciaire. Et dans un grand élan de lyrisme négationniste, Jean-Luc Mélenchon en est même venu, ces derniers jours, à comparer Jérôme Kerviel à Alfred Dreyfus :
« On le soutient car on pense qu’il est innocent, et nous autres à gauche sommes comme ça depuis l’affaire Dreyfus. Dreyfus n’est pas des nôtres et on l’a soutenu. Kerviel est innocent, donc on le soutient.(…)
L’affaire Dreyfus était une affaire d’antisémitisme, là c’est tout autre chose. A l’époque c’était l’armée et certains milieux qui tenaient le haut du pavé à n’importe quel prix, là ce sont les banques. La banque prétend que cet homme lui a fait perdre 5 milliards, elle a toujours refusé toute expertise indépendante qui permette d’attester de cette perte. Sur la base de cette perte elle a reçu 1.7 milliards de dédommagement. Nous pensons qu’il a été transformé en coupable pour favoriser une manœuvre. »
C'est même depuis les colonnes du journal du PCF L'Humanité que l'avocat de Jérôme Kerviel a adressé une « lettre ouverte » à François Hollande (au fort contenu idéologique) lui demandant d'assurer la protection de ses témoins.
On voit bien là toute la collusion à laquelle mène le refus du matérialisme dialectique qui fait sombrer dans l'anticapitalisme romantique et la dénonciation de la seule « finance sans visage » comme étant à l'origine de tous les maux.
Du début à la fin, depuis sa mise en avant par la Société Générale comme « financier sans scrupule » à son utilisation pour la diffusion de l'idéologie national-catholique, l'affaire Kerviel aura été une campagne anticapitaliste romantique.
Jérôme Kerviel était un pion du capital financier pour son accumulation de richesse, il est devenu un pion du fascisme dans sa marche vers le pouvoir. Au final, il n'aura jamais cessé de servir la bourgeoisie impérialiste.