24 juil 2015

L'importance symbolique de la fin du Ramadan pour l'Etat islamique

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Le mois musulman du Ramadan s'est terminé il y a quelques jours, et c'est par conséquent un événement important pour « l’État Islamique », au-delà de sa fin par la fête de l'Aïd al-Fitr. Celui-ci s'est en effet constitué de manière officielle en tant que « califat » le 29 juin 2014, Abu Bakr al-Baghdadi l'annonçant à la grande mosquée al-Nuri à Mossoul, et en devenant le calife.

Cela signifie que l’État islamique se présente comme le seul endroit authentiquement islamique, conformément à l'idéologie fondamentaliste islamique développée de manière spécifique dans la mouvance « wahabite », du nom du courant qui a commencé au XVIIIe siècle par Mohammed ben Abdelwahhab en Arabie Saoudite.

Fêter le Ramadan en Dar al-Islam, c'est-à-dire dans le domaine où il y a l'Islam, la soumission à Dieu, est d'une importance capitale dans la critique islamiste du Dar al-Harb, le domaine de l'incroyance.

Rien ne serait plus erroné que d'oublier cet aspect territorial, absolument fondamental, et par exemple étranger tant à Al Qaeda qu'au courant religieux islamiste sur lequel s'appuie les Talibans en Afghanistan, appelé Deobandi du nom d'une ville indienne de l'Uttar Pradesh où il est apparu au XIXe siècle.

Le fait que le régime existe depuis plus d'une année renforce sa légitimité d'autant plus qu'il se situe par rapport à sa prétention à être au coeur de la « fin des temps ». Il faut ici avoir en tête que la tradition islamique affirme qu'il n'y aura que 12 califes après Mahomet, ce qui veut dire qu'il n'y en aura plus que quatre après Abu Bakr al-Baghdadi.

Le drapeau de « l’État Islamique » correspond d'ailleurs au drapeau noir qui est considéré, dans la tradition islamique, comme celui des dernières troupes affrontant les troupes de l'antéchrist regroupés dans la région du Khorasan, dans le Nord-Est de l'Iran, juste avant le jugement dernier.

A Al Quaeda, ce thème n'existait et n'existe pas ; ni Oussama Bin Laden ni Ayman al Zawahiri n'abordaient comme une actualité la fin des temps, ni même comme un thème au sens strict.

Si au contraire, « l’État Islamique » a tout fait pour conquérir la ville syrienne de Dabiq, c'est que les « armées de Rome » sont censées s'y regrouper pour affronter les musulmans lors de la dernière grande bataille de la fin des temps, les musulmans n'étant plus que 5000 à Jérusalem, mais sauvés in extremis par Jésus revenu sur Terre.

La revue en anglais de « l’État Islamique » s'appelle même « Dabiq », le premier numéro traitait du « retour du califat », le second annonce : c'est le califat ou l'inondation (comme dans l'épisode de Noé).

On voit quel est le contexte idéologique et culturel, et on saisit que plus le temps passe, plus une nouvelle vague de soutien se constituera si le califat se maintient ou s'agrandit, et en tout cas lui-même est condamné à la fuite en avant, d'où ses attaques tous azimuts, comme en France, en Israël au moyen de roquettes, en Algérie, etc. : l'élargissement territorial témoignerait de l'inéluctabilité de la victoire consistant en l'établissement territorial de l'Islam.

« L’État Islamique » a même réaffirmé que le fait de reconnaître des frontières était contraire à l'Islam, tout comme de ne pas mener la guerre au moins une fois par an, et que tout traité de paix, jamais avec tous les ennemis en même temps de toutes manières, ne saurait durer plus de dix ans.

« L’État Islamique » est évidemment sur ce plan très critique des Talibans, qui avaient échangé depuis l'Afghanistan des ambassadeurs avec l'Arabie Saoudite, le Pakistan et les Emirats Arabes Unis.

Tout cela est, en pratique, le prix à payer pour que l'Islam en tant qu'idéologie féodale puisse exister de manière autonome, hors de sa réalisation comme idéologie servant au maintien semi-féodal d'un pays.

Al Qaeda a lancé le processus d'autonomisation, les Frères Musulmans l'assument entièrement et « l’État Islamique » tente de l'imposer le plus rapidement possible. C'est là l'expression de l'émergence expansionniste de certains pays semi-coloniaux semi-féodaux. C'est un phénomène qui semble « nouveau », alors qu'il profite de la base semi-féodale ou féodale, ainsi que du soutien à ce titre de l'impérialisme, à qui il était soumis et dont la matrice idéologique est en rapport étroit.

On ne soulignera jamais assez à quel point le fondamentalisme islamique est quelque chose de récent, avec des théoriciens ayant étudié le plus souvent dans les universités impérialistes et ayant parfaitement intégré les discours post-modernes.

Le fondamentalisme islamique est typique de la « révolte contre le monde moderne ». A ceci près qu'elle propose de réaliser en pratique son « rêve », avec une ampleur et une dimension bien plus romantique que les « ZAD » en France.

La motivation pour les départs vers le califat, que ce soit depuis l'Europe ou des pays semi-coloniaux semi-fondamentaux, tient précisément à cette question territoriale. Il n'y a aucune naïveté, que ce soit du côté des hommes comme des femmes, sur les conditions réelles qui sont celles là-bas : les gens pensent réellement transcender cela, il s'agit d'un idéalisme visant à établir concrètement une utopie.

On a là une utopie, différente mais similaire dans l'abnégation, aux pionniers protestants européens en Amérique ou aux sionistes en Palestine. Le don de soi, le sacrifice, le labeur complet, tout cela est intégré dès le départ pour chacun. L'engagement est total.

Le fondamentalisme islamique est ici une véritable idéologie, une véritable culture, un système cohérent proposant un mode de vie. Il se pose comme une tendance historique concernant le mode de vie des êtres humains sur Terre.

La charia n'est pas à considérer seulement sous l'angle pénal : les partisans de « l’État Islamique » considèrent que si l'Arabie Saoudite a assumé la dimension pénale, sur le plan social, économique, voire culturel, on n'est pas dans la charia.

D'où la formation du califat, seule société réellement islamique où être musulman a un sens.

Le rapprochement avec l'idéalisme récent de type sioniste-religieux est ici flagrant : partir sur une terre précise rentre en correspondance avec une fusion avec l'ordre divin ; la vie personnelle prenant alors un sens « authentique ».

La différence est que si la religion juive se veut isolée et cultive cet isolement, même dans sa tendance ultra-réactionnaire et colonialiste par rapport au peuple palestinien, l'Islam se veut universel et entend s'imposer à l'échelle mondiale.

C'est une proposition, de type stratégique et à valeur universelle. D'ailleurs, la dernière tendance est le départ de femmes, y compris avec des enfants ; le niveau d'études est plutôt bon et il n'y a pas de liaisons avec des réseaux islamistes clandestins.

On est ici dans un choix subjectif, ouvertement subjectiviste et rupturiste, avec une attitude extrêmement bornée. Ce qui se passe est la même chose qu'on a vu avec les gens d'Al Qaeda du 11 septembre 2001: il s'agit de gens ayant eu la capacité d'atteindre un très haut niveau de formalisme, avec une négation totale de la dialectique.

Le régime social du « califat » est en effet absolument féodal, fonctionnant suivant le principe des clans, avec les femmes ayant une vie sociale totalement contrôlée et séparée. L'esclavage est entièrement légalisée, avec la crucifixion, la lapidation et l'amputation comme des modes normaux de répression.

Refuser la mise en esclavage de la famille d'un « ennemi » de l'Islam est considéré comme une apostasie, un refus de l'Islam en tant que tel. De la même manière, est une apostasie que de mourir comme un « ignorant » (jahil) et c'est le cas si on ne prête pas allégeance (baya’a), au calife mais également à tout un système pyramidal typiquement féodal.

Comment peut-on choisir cela, si ce n'est pas parce qu'on a rejeté dans son esprit (et son coeur) les valeurs démocratiques ? Cela montre à quel l'impérialisme des pays capitalistes et le semi-féodalisme des pays opprimés se combinent pour former un grand obstacle anti-démocratique.

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