La guerre d'Espagne - 9e partie : le Front populaire face aux menées fascistes et au coup de force militaire
Submitted by Anonyme (non vérifié)La libération des 30 000 prisonniers politiques par le Front populaire et l'instauration d'un gouvernement de centre-gauche soutenue par la gauche apparaît immédiatement comme une tendance terrible pour les forces conservatrices, car montrant le Front populaire capable d'une grande stabilité de par sa conquête du centre et d'un grand élan de par le renforcement de la gauche révolutionnaire.
Initialement, la République apparaissait comme une sorte de tampon entre les forces conservatrices et progressistes ; dans ses deux premières années, la répression républicaine avait fait à gauche 400 morts, 3.000 blessés, 9.000 arrêtés, 160 déportés, 160 saisies de journaux ouvriers (et 4 de journaux d'extrême-droite). Le Front populaire apparaissait comme un changement dans le précaire équilibre, d'autant plus que cela succédait à la tentative échouée de l'extrême-droite de faire pencher la balance dans l'autre sens.
Des mouvements de masse s'exprimèrent d'ailleurs immédiatement et l'agitation gagna les campagnes. Apparut alors une atmosphère de guerre civile, avec des affrontements armés très brutaux : pour saisir cette tension régnante, il faut saisir que les forces conservatrices possédaient, en effet, deux factions de plus, pratiquant une ligne agressive de provocations et d'affrontements.
Dès les années de gouvernement de droite, ces deux factions menaient une vaste agitation pour apparaître comme la seule vraie alternative ; avec la victoire du Front populaire, à la pression des forces conservatrices s'ajoutaient l'intervention de ces deux factions cherchant à provoquer le chaos et à polariser.
Tout d'abord, il y a la Falange Española – phalange espagnole – fondée en 1933 par José Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur Miguel Primo de Rivera, ainsi que par Julio Ruiz de Aida, aviateur qui avec un frère de Francisco Franco pilota le vol transatlantique de l'hydravion Plus Ultra.
Son modèle est l'Italie fasciste et son objectif la formation de troupes de choc – les chemises bleues – pour un coup de force ; électoralement elle ne dépassa pas les 0,7 % et les 15000 membres.
Toutefois, les phalangistes étaient capables de mener des opérations, leur ligne étant immédiatement pratique et se construisant dans l'offensive anti-communiste. José Antonio Primo de Rivera résumera son option en disant, de manière typique dans la démagogie nationale et sociale :
« Quand on outrage la Justice et la Patrie, la seule dialectique qui vaille est celle des poings et des pistolets. »
L'arrière-plan idéologique consiste en une sorte de traditionalisme révolutionnaire, dans une veine romantique célébrant un passé idéalisé. José Antonio Primo de Rivera formule cela notamment ainsi :
« Rendre aux hommes l’ancienne saveur de la règle et du pain ; voilà la tâche de notre temps.
Leur faire voir que la règle vaut plus que le déchaînement ; que même pour se déchaîner parfois il faut être sûr de pouvoir revenir à un point d’attache fixe.
Et d’autre part, dans le domaine économique faire que l’homme remette les pieds sur la terre, le lier d’une manière plus profonde à ses choses : au foyer où il vit et à l’œuvre quotidienne de ses mains.
Conçoit-on une forme plus féroce d’existence que celle du prolétaire qui vit peut-être pendant quatre lustres en fabriquant la même vis dans le même atelier immense sans jamais voir complet l’objet dont va faire partie cette vis et sans être lié à l’usine par autre chose que par la froideur inhumaine de la feuille de paye ?
Toutes les jeunesses conscientes de leur responsabilité s’efforcent de redresser le monde (…).
Tout ceux qui comme nous sont venus au monde après des catastrophes comme celle de la Grande guerre et comme la crise, et après des événements comme la dictature et la République espagnole, sentent, ce qui est latent en Espagne, le besoin dont chaque jour réclame avec plus d’insistance la réalisation au grand jour – et je le soutins ici l’autre nuit – d’une révolution.
Cette révolution a deux veines : la veine d’une justice sociale profonde et qu’il n’y a pas d’autre remède que d’implanter et la veine d’un sentiment traditionnel profond, d’une moelle traditionnelle espagnole qui peut-être ne réside pas où beaucoup de gens le pensent et qu’il faut à tout prix rajeunir. »
José Antonio Primo de Rivera prône un mouvement anti-mouvement, un mouvement révolutionnaire contre-révolutionnaire, une ligne matérielle anti-matérielle :
« Ce mouvement présent n'est pas un parti, mais plutôt un anti-parti, un mouvement, nous le proclamons, qui n’est ni de droite, ni de gauche. La droite, au fond, aspire à maintenir une organisation économique qui s'est montrée incapable et la gauche a anéantir une organisation économique, détruisant dans ce bouleversement les réalisations bonnes qui auraient pu être maintenues. D'un côté comme de l'autre, ces idées sont appuyées par des considérations spirituelles.
Tous ceux qui nous écoutent de bonne foi savent que ces considérations spirituelles ont leur place dans notre mouvement, mais que pour rien au monde, nous ne lierons notre destinée à un groupe politique ou une classe sociale se rangeant sous la dénomination arbitraire de droite ou de gauche.
La Patrie est un tout comprenant tous les individus de quelque classe sociale que ce soit. La patrie est une synthèse transcendantale, une synthèse indissoluble devant atteindre des buts qui lui sont propres. Nous, que cherchons-nous ? Que le mouvement présent et le Gouvernement qu'il créera soit un instrument ayant une autorité agissante au service de cette unité constante, de cette unité irrévocable qui s'appelle «La Patrie». »
A ce titre, le mouvement se veut ouvertement idéaliste et romantique, voire franchement poétique :
« Je crois que le drapeau est brandi. Nous allons le défendre joyeusement, poétiquement.
Certains estiment que pour s'opposer à la marche d'une révolution, il faut, pour grouper les volontés contraires, proposer des solutions mitigées et dissimuler dans sa propagande, tout ce qui pourrait éveiller un enthousiasme, éviter toute position énergique et absolue. Quelle erreur ! Les peuples n'ont jamais été plus remués que par les poètes et malheur à celui qui ne saura opposer une poésie créatrice à une poésie dévastatrice.
Pour notre idéal, soulevons ces aspirations de l'Espagne, sacrifions-nous, renonçons-nous, et nous triompherons, le triomphe (en toute franchise) nous ne pourrons l'obtenir aux prochaines élections. Aux prochaines élections votez pour celui qui vous paraîtra le moins mauvais.Notre Espagne ne sortira pas de ces élections. Notre place n'est pas là dans cette atmosphère trouble, lourde, comme celle d’un bordel, d'une taverne après une nuit crapuleuse Je crois que je suis candidat, mais sans foi, ni respect; je l'affirme dès maintenant, au risque de détourner de moi les électeurs.
Cela m'est égal. Nous n'allons pas disputer aux familiers les restes de ces banquets pourris; notre place est au dehors, bien que provisoirement nous puissions y assister. Notre place est à l'air libre, sous la nuit claire, l'arme au bras, sous les étoiles. Que les autres continuent leur festin. Nous resterons dehors, sentinelles fermes et vigilantes, pressentant l'aurore dans l'allégresse de nos coeurs. »
L'hymne de la phalange, Cara al sol, qui devint l'hymne du régime franquiste lui-même, correspond entièrement à ce romantisme :
Cara al sol con la camisa nueva (Face au soleil avec ma nouvelle chemise)
que tú bordaste en rojo ayer, (que tu brodas de rouge hier,)
me hallará la muerte si me lleva (Si la mort me cherche elle me trouvera)
y no te vuelvo a ver. (et je ne te reverrai plus jamais.)
Formaré junto a mis compañeros (Je serai aux côtés des camarades)
que hacen guardia sobre los luceros, (qui montent la garde sur les étoiles,)
impasible el ademán, (l'attitude impassible)
y están presentes en nuestro afán. (et qui sont, présents dans notre effort.)
Si te dicen que caí, (Si on te dit que je suis tombé,)
me fuí al puesto que tengo allí. (c'est que je m'en serai allé au poste qui m'attend dans l'au-delà.)
Volverán banderas victoriosas (Ils reviendront victorieux, les drapeaux)
al paso alegre de la paz (au pas allègre de la paix,)
y traerán prendidas cinco rosas: (et cinq roses seront attachées)
las flechas de mi haz. (Aux flèches de mon faisceau.)
Volverá a reír la primavera, (Il rira de nouveau le printemps,)
que por cielo, tierra y mar se espera. (que les cieux, la terre, la mer espèrent.)
Arriba escuadras a vencer (Debout, légions, courez à la victoire,)
que en España empieza a amanecer. (qu'une aube nouvelle se lève sur l'Espagne.)
La conclusion de l'hymne se faisait bras tendu, aux cris successifs de España! ¡Una! (Espagne ! Une !), ¡España! ¡Grande! (Espagne ! Grande !), ¡España! ¡Libre! (Espagne ! Libre !), ¡Arriba España! (Debout l'Espagne !).
Ensuite, il y a la Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista - Union d'Offensive National-Syndicaliste –, formée en 1931 par Ramiro Ledesma Ramos, qui vise la formation d'une organisation de masse, une sorte de CNT nationaliste, sur la base d'une idéologie national-révolutionnaire
Ramiro Ledesma Ramos, maîtrisant bien la langue allemande, est pétri de philosophie idéaliste allemand, de Johann Gottlieb Fichte à Friedrich Nietzsche, et profondément marqué par Oswald Spengler et sa théorie conservatrice révolutionnaire du déclin de l'occident. C'est un véritable intellectuel, qui tente de théoriser une voie propre au fascisme espagnol.
C'est le sens de sa conception du national-syndicalisme, permettant l'établissement d'une société à la fois hiérarchique et égalitaire car corporatiste, pavant la voie à une nouvelle dimension impériale pour l'Espagne, conformément aux exigences d'une époque qu'il voit comme renversant partout les valeurs du libéralisme.
Dans son ouvrage La conquête de l'Etat, Ramiro Ledesma Ramos résume notamment sa ligne idéologique en deux points :
« Nos griffes espagnoles – symboles d’Empire – serreront le rapace capitalisme étranger. »
« Face aux libéraux nous sommes actuels. Face aux intellectuels nous sommes impériaux. Vivent les valeurs espagnoles ! »
Si la ligne de José Antonio Primo de Rivera est celle de la formation d'une organisation de cadres fascistes en faveur du coup de force, Ramiro Ledesma Ramos est lui un adepte de la « mobilisation totale » telle que conceptualisée historiquement dans les milieux « nationaux-bolcheviks ».
Ramiro Ledesma Ramos est un adepte de la militarisation de masse, en tant que mouvement fasciste :
« La jeunesse espagnole actuelle a devant elle une étape comparable à celle qu’ont traversée tous les peuples et toutes les races au commencement de leur expansion et de leur croissance. Une étape également comparable à celle de tous ceux qui se savent prisonniers, cernés et entourés d’ennemis.
La première chose à faire en pareil cas est la suivante et seulement la suivante : IL FAUT ÊTRE DES SOLDATS.
La jeunesse d’Espagne se trouve maintenant devant ce très exigeant dilemme : ou se militariser ou périr. Il est impossible de l’ignorer. »
Les deux organisations fusionnent historiquement en 1934, avec comme mots d'ordre « Arriba Espana ! Espana Una Grande y Libre ! », « Por la Patria, el Pan y la Justicia ! » ; leur symbole consistant en un drapeau reprenant les couleurs anarchistes (le rouge et le noir), à quoi sont associés le faisceau de cinq flèches et un joug, blasons respectifs d'Isabelle Ire de Castille et de Ferdinand V d'Aragon.
José Antonio Primo de Rivera en devient le dirigeant, Ramiro Ledesma Ramos en est le théoricien, qui a d'ailleurs la carte numéro 1 de par l'antériorité de son mouvement. Les tensions apparaissent cependant rapidement, Ramiro Ledesma Ramos regrettant le manque d'interventionnisme social alors qu'il y a la révolution dans les Asturies ; il est alors exclu.
José Antonio Primo de Rivera tente alors, sans succès, de rejoindre le « bloc national » formé par la CEDA, ainsi que les monarchistes de Rénovation espagnole et de la Communion traditionalistes, avec également les agrariens, les radicaux et les républicains conservateurs.
Finalement, dans un contexte d’affrontements en 1936 – la ligne des phalangistes étant de chercher systématiquement la confrontation – il est procédé à l'arrestation de José Antonio Primo de Rivera, puis de Ramiro Ledesma Ramos ; ce dernier tenta d'arracher son arme à des policiers et fut tué dans l'action, José Antonio Primo de Rivera est plus tard fusillé.
Dans ce contexte d'interventions armées, José Castillo, membre du PSOE et lieutenant de la Garde d'Assaut – un corps policier particulièrement pro-républicain – est exécuté par un commando phalangiste, le 12 juillet 1936. En réponse, José Calvo Sotelo, monarchiste et principal dirigeant de la faction ultra des forces conservatrices, est exécuté par un commando de la Garde d'Assaut et des jeunesses socialistes.
Cela est pris comme prétexte pour une partie de l'armée qui avait déjà organisé un vaste plan pour un coup d’État. Le nouveau gouvernement de Front populaire avait compris cette menace et déplacé les généraux présentant une menace : Francisco Franco fut envoyé aux îles Canaries, Manuel Goded aux îles Baléares, Emilio Mola à Pampelune.
Cela n'empêche pas la conjuration militaire, et à la suite de l'exécution de José Calvo Sotelo, le multi-millionnaire Juan March finança un avion pour que le général Franco, jusque-là encore attentiste, puisse aller au Maroc, prend le contrôle des troupes et organise un putsch militaire le 17 juillet, avec un écho immédiat en Espagne.
Sur 170 000 soldats, 83 000 rejoignent le coup d’État, ainsi que 50% des généraux, 30% des colonels et lieutenants-colonels et 80% des jeunes officiers capitaines et lieutenants, galvanisés tant par le nationalisme des forces conservatrices que les appels fascistes des phalangistes à une insurrection généralisée pour régénérer le pays.
Le premier ministre Santiago Casares Quiroga, de la Gauche Républicaine, démissionna alors, incapable de faire face à l’événement. Il fut remplacé par Diego Martínez Barrio de l'Union Républicaine, qui échoua à négocier et fut remplacé au bout de quelques heures.
Arriva alors José Giral, de la Gauche Républicaine, partisan de faire bloc avec toute la gauche pour contrer le coup d’État et donc d'armer les organisations de celle-ci. C'était le début de la guerre civile.