30 mai 2018

Georges Bernanos et le romantisme spiritualiste - 6e partie : la déception de 1918

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Georges Bernanos n'avait aucunement conscience du processus de dénonciation romantique du monde auquel il appartenait. Comme Pierre Drieu La Rochelle, il fonçait tête baissée. Et comme Pierre Drieu La Rochelle, d'ailleurs, l'émergence de son romantisme naît aussi de la dénonciation de la figure tutélaire, Charles Maurras.

En pratique, Georges Bernanos, né en février 1888, s'inscrit aux Camelots du roi de l'Action française en décembre 1908, alors que ceux-ci mènent le coup de poing dans le quartier latin à Paris.

Il fut dans ce cadre condamné à cinq jours de prison pour les échauffourées de plusieurs semaines contre le professeur d'histoire Amédée Thalamas, la Sorbonne étant prise d'assaut, le professeur fessé en plein amphithéâtre, le ministère de la justice occupé, etc.

Le coup d'éclat des monarchistes se place dans le cadre d'une opération de mise en valeur de Jeanne d'Arc datant de la fin du 19e siècle et culminant ici dans le culte à la fois nationaliste et catholique de cette « sainte ».

Georges Bernanos est ici un ultra, un agité, au point d'ailleurs que l'Action française le fait passer en « conseil de guerre » pour sa participation à une tentative de restauration monarchique au Portugal ; il devint en septembre 1913 le rédacteur en chef de hebdomadaire de l'Action française à Rouen : L'Avant-Garde de Normandie.

Il y polémique avec le philosophe Alain professeur de lycée à Rouen, d'esprit radical (et antifasciste avant de passer au pacifisme pro-antisémite), rencontre sa future femme descendant d'un des frères de Jeanne d'Arc.

La première guerre mondiale vient interrompre sa vie politique et, réformé, il parvient à revenir dans l'armée, étant blessé et ayant plusieurs citations.

Le retour est cependant un traumatisme. Il était parti à la guerre pétri de l'esprit de Charles Péguy, voyant une formidable mobilisation populaire : il espérait qu'elle se prolongerait, qu'elle renouvellerait le pays. L'amertume le poursuivra toute sa vie.

Dans La France contre les robots, en 1947, il regrette ainsi le manque de clairvoyance des soldats qui se sont sacrifiés au front de la guerre de 1914-1918 :

« Les pieds enracinés dans l’argile gluante, le dos gelé par la pluie, la paume de la main brûlée par le canon du fusil, l’épaule meurtrie par la crosse, avec en face d’eux un coin de bois quelconque, couronné d’une vapeur bleue, et qui crache du feu par tous ses trous d’ombre, ils n’eussent, pour rien au monde, boudé à la besogne.

Mais, six semaines après l’armistice, ils ne comprenaient pas que la France pût encore avoir besoin d’eux. Il ne prenaient déjà pas la paix au sérieux ; je crois qu’ils ne l’ont jamais respectée.

Ils étaient aussi dégoûtés que moi du carnaval de l’après-guerre, ils regardaient avec le même dégoût les gorilles d’affaires américains liquidant les stocks, les ogresses internationales escortées de leurs gigolos, mais ils n’éprouvaient nullement le besoin de délivrer la France de cette ordure, ils n’en avaient nullement envie, voilà le malheur.

Leur dégoût pour ces millions de jeunes cyniques, avides de jouir, et qui mettaient le pays à l’encan, était plutôt jovial, sans colère et sans haine ; on aurait même cru volontiers qu’il ne leur déplaisait pas de voir l’Arrière, ce fameux « Arrière » dont le Bulletin des Armées leur avait si souvent vanté « le Moral » – l’Arrière tiendra ! – donner ainsi la mesure de sa profonde et secrète dégradation.

Car un gouffre s’était creusé peu à peu, au cours de ces quatre années, entre l’Arrière et l’Avant, un gouffre que le temps ne devait pas combler, ou ne devait combler qu’en apparence.

Oh ! c’est là une remarque que je serai peut-être le seul à faire ; personne ne m’en disputera le mérite, elle est trop simple, qu’importe !

Aux jours de Munich, qui rappelaient si cruellement les jours maudits de 1920 par une égale ignominie dans l’égoïsme et l’évasion – l’esprit de l’Avant et celui de l’Arrière demeuraient aussi inconciliables qu’autrefois, bien que la politique eût depuis longtemps perverti le premier.

Cette opposition des deux Esprits, qui aurait pu être vingt ans plus tôt un principe de salut, n’a servi qu’à rendre impossible toute véritable union des Français devant l’ennemi.

L’Arrière et l’Avant, méconnaissables sous le nom de Gauche ou de Droite, de Front Populaire ou de Front National, ne se sont réconciliés qu’en deux occasions, pour une égale abdication de l’honneur, pour un égal reniement de l’ancienne Victoire, à Munich et à Rethondes.

J’ai été injuste envers l’homme de 1920 ; on ne saurait être déçu sans être injuste.

La déception m’a d’ailleurs jeté dans la littérature, je suis entré dans « le Soleil de Satan » – je m’excuse d’une telle comparaison – un peu comme l’abbé de Rancé résolut de se faire trappiste devant le visage de sa maîtresse tout grouillant de vers, et ses nobles cheveux blonds collés au front par l’écume de la pourriture. »