25 mai 2016

Cédric Villani et sept prix Nobel appellent à la fusion des perspectives scientifiques et industrielles

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A la fin du mois d'octobre 2015, le mathématicien Cédric Villani a participé à une conférence à l'Université Savoie Mont Blanc (Chambéry) au titre ouvertement capitaliste : « Capital immatériel : la révolution est en marche », pour disserter sur « la vraie richesse des entreprises : leur capital immatériel ».

A côté de ce partisan de l'idéalisme mathématique, présenté comme le « très médiatique jeune mathématicien prodige », on y trouvait Daniel Kawka qui est un chef d’orchestre directeur de l’Ensemble Orchestral Contemporain, la présidente de la Caisse d’Epargne Rhône Alpes, le directeur du média capitaliste local Acteurs de l’économie, et toute une flopée de managers.

C'est là une expression résolue de l'idéalisme du capitalisme, qui s'imagine que tout fonctionne par la création, par le génie d'un individu assumant son libre-arbitre. L'art contemporain, la musique contemporaine, le « génie mathématique », tout cela procède de la conception bourgeoise comme quoi c'est le « choix » qui donne naissance à la réalité.

Voici comment les capitalistes voient cela avec la présentation par l'école de commerce HEC de la vision scientifique de Cédric Villani, nommé justement Professeur Honoris Causa (professeur à titre honorifique) par HEC :

« A partir du thème de sa conférence : "Des triangles, des gaz, des prix et des hommes", Cédric Villani a tout d’abord montré que tout était "au fond" mathématique : "La mathématique s'incarne tout autour de nous. Notre monde en général et l'économie en particulier sont de plus en plus mathématiques".

Il a ensuite "démontré", au grand ravissement des élèves, la proximité entre la mathématique et la poésie, car elles procèdent toutes deux, selon lui, d'une "entreprise de re-création du monde, fondée sur une utilisation rigoureuse et créative du langage". »

Une utilisation « rigoureuse et créative du langage », voilà bien une expression contradictoire qui ne peut que rappeler l'appel idéaliste de Arthur Rimbaud comme quoi le « Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

Telle est la conception idéaliste, qui prétend donner naissance, qui prétend découvrir la magie d'un monde divin façonné au moyen des nombres, des combinaisons chiffrées.

Telle est la conception idéaliste qui nie le caractère éternel et en mouvement, au profit d'un « Big Bang » comme base de l'univers « créé » mathématiquement par une entité divine et où régnerait le « libre-arbitre » à travers le hasard.

On ne doit pas s'étonner, avec un tel arrière-plan, de retrouver Cédric Villani dans un appel à soutenir la recherche afin que cela profite aux entreprises.

C'est d'ailleurs un terrible signe de décadence que lui et des chercheurs ayant eu le prix Nobel aient lancé un appel de protestation contre la baisse des investissements dans le recherche, avec un discours ouvertement nationaliste, en faveur de l'impérialisme.

Normalement, les chercheurs tendent à l'universel et non au particulier, car ils recherchent la théorie générale, dépassant les éléments particuliers ; ils tendent donc à des élans universalistes, pacifiques, démocratiques.

S'ils ne comprennent pas les enjeux idéologiques la plupart du temps, ils tendent à une position scientifique universelle, au-delà des conflits nationalistes ; l'exemple d'Albert Einstein est le plus parlant : il se revendiquait progressiste et avait fondé le Comité d'Urgence des Scientifiques Atomistes.

D'autres exemples de ce type sont nombreux, comme en France avec l'astrophysicien Hubert Reeves, d'esprit démocratique et très engagé pour la nature et les animaux.

Or, là, l'appel publié dans Le Monde est d'une rhétorique dont l'esprit est pratiquement celle de 1914, avec un appel nationaliste à la mobilisation en faveur de la patrie et de son économie.

Il associe systématiquement la recherche… à la « R&D », c'est-à-dire la « Recherche & Développement » des entreprises !

Il fait donc de la recherche scientifique non pas une base universelle, mais une plate-forme pour soutenir les entreprises au moyen de la « R&D ». Le particularisme triomphe sur l'universalisme.

L'appel contient de multiples remarques ouvertes sur le contexte d'affrontement inter-impérialiste, parlant d'un « monde incertain », mentionnant clairement les Etats-Unis d'Amérique et l'Allemagne comme des concurrents, appelant à une « nation prospère », mentionnant les « concurrents dans l’espace mondialisé ».

L'appel dénonce donc un « suicide scientifique et industriel » en assimilant les sciences organisées par l’État aux productions industrielles des entreprises, ce qui revient à demander un renforcement du rapport entre l'un et l'autre, dans une dynamique volontaire.

Cette logique est celle qu'on qualifie de monopoliste : cela renforce le pouvoir des monopoles et c'est précisément cela la base du fascisme.

Les huit lauréats de prix Nobel et d'une médaille Fields se font ici les porte-paroles d'une France agressive, bataillant dans le contexte d'affrontement inter-impérialiste.

La base de ce document est la tendance historique des scientifiques à refuser les explications matérialistes générales, pour se focaliser de manière pragmatique sur des choses « qui marchent », utiles aux entreprises. Et ce particulièrement en France où la recherche scientifique est déjà très largement liée aux grands monopoles qui la financent, lui passent des commandes, participent largement au financement des Unités de Recherches et des thèses.

Et peu importe pour eux si la base scientifique est insuffisante et va provoquer des catastrophes : le nucléaire, les pesticides, la chimie à tout va, etc. tout cela marche à court terme et c'est bien suffisant à leurs yeux.

Les scientifiques s'imaginent dans le vrai, mais en réalité ils détournent les avancées des forces productives pour tirer des résultats pragmatiques à court terme, sans vue d'ensemble, sans aperçu réel. Leur prestige est grand, car effectivement cela « marche », mais c'est une illusion à court terme.

Les vastes pollutions, l'écocide à l'échelle planétaire, les blocages tout à fait visibles dans de nombreux domaines (comme celui des antibiotiques, de la recherche sur le cancer, etc.), tout cela révèle les déséquilibres.

L'appel publié dans Le Monde témoigne de cet esprit décadent, anti-démocratique, focalisé sur le court terme, privilégiant des résultats efficaces uniquement dans certains domaines et à court terme afin de satisfaire les besoins des capitalistes.

Il sera connu dans l'histoire comme « l'appel des corrompus », l'appel des renégats qui mettent l'universel au service du particulier.

Voici le document, pour archive :

Hasards de l’actualité : nous avons appris le même jour que les dépenses de recherche et développement (R&D) de l’Etat fédéral allemand ont augmenté de 75 % en dix ans, et que le gouvernement français annulait 256 millions d’euros des crédits 2016 de la Mission recherche enseignement supérieur (Mires), représentant un quart des économies nécessaires pour financer les dépenses nouvelles annoncées depuis janvier.

Au sein de ces mesures, on note que les principaux organismes de recherche sont particulièrement touchés, le CEA, le CNRS, l’INRA et Inria, pour une annulation globale de 134 millions d’euros.

Nous savons combien les budgets de ces organismes sont tendus depuis de longues années. Ce coup de massue vient confirmer les craintes régulièrement exprimées : la recherche scientifique française, dont le gouvernement ne cesse par ailleurs de louer la grande qualité et son apport à la R&D, est menacée de décrochage vis-à-vis de ses principaux concurrents dans l’espace mondialisé et hautement compétitif de la recherche scientifique. Exemple parmi d’autres, le gouvernement américain vient de décider de doubler son effort dans le domaine des recherches sur l’énergie.

Ce coup d’arrêt laissera des traces, et pour de longues années

Ce que l’on détruit brutalement, d’un simple trait de plume budgétaire, ne se reconstruit pas en un jour. Les organismes nationaux de recherche vont devoir arrêter des opérations en cours et notamment limiter les embauches de chercheurs et de personnels techniques. Ce coup d’arrêt laissera des traces, et pour de longues années.

Le message envoyé par le gouvernement n’incitera pas non plus la jeunesse à se tourner vers les métiers de la recherche scientifique et de la R&D en général.

Une analyse récente de la société Thomson Reuters plaçait trois organismes français, le CEA, le CNRS et l’Inserm, parmi les dix organismes publics les plus innovants au monde, illustrant ainsi le fait que notre pays dispose bien de la recherche de base et d’une R&D de qualité, conditions nécessaires pour mener à bien le redressement économique du pays.

Nous sommes encore loin des 3 % du PIB fixés comme objectif pour les dépenses de R&D par la stratégie Europe 2020, et nous n’y parviendrons pas en fragilisant à ce point les principaux organismes de recherche. Les mesures qui viennent d’être prises s’apparentent à un suicide scientifique et industriel.

Dans ce monde incertain, la qualité de notre recherche est un atout considérable. La recherche française est un des pôles reconnus de la science mondiale multipolaire et nous devons maintenir et consolider cette position enviable. Car il n’y a pas de nation prospère sans une recherche scientifique de qualité. Puisse le gouvernement français entendre cet appel.

Françoise Barré-Sinoussi (Prix Nobel de physiologie ou médecine) 
Claude Cohen-Tannoudji (Prix Nobel de physique) 
Albert Fert (Prix Nobel de physique) 
Serge Haroche (Prix Nobel de physique) 
Jules Hoffmann (Prix Nobel de physiologie ou médecine) 
Jean Jouzel (vice-président du groupe scientifique du GIEC, au moment où celui-ci reçoit le prix Nobel de la paix) 
Jean-Marie Lehn (Prix Nobel de chimie) 
Cédric Villani (médaille Fields)

Les grandes questions: