16 juil 1924

André Breton : Manifeste du surréalisme

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort, fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage, et que lui a livrés sa nonchalance, ou son effort, son effort presque toujours, car il a consenti à travailler, tout au moins il n’a pas répugné à jouer sa chance (ce qu’il appelle sa chance !). Une grande modestie est à présent son partage : il sait quelles femmes il a eues, dans quelles aventures risibles il a trempé ; sa richesse ou sa pauvreté ne lui est de rien, il reste à cet égard l’enfant qui vient de naître et, quant à l’approbation de sa conscience morale, j’admets qu’il s’en passe aisément. S’il garde quelque lucidité, il ne peut que se retourner alors vers son enfance qui, pour massacrée qu’elle ait été par le soin des dresseurs, ne lui en semble pas moins pleine de charmes. Là, l’absence de toute rigueur connue lui laisse la perspective de plusieurs vies menées à la fois ; il s’enracine dans cette illusion ; il ne veut plus connaître que la facilité momentanée, extrême, de toutes choses. Chaque matin, des enfants partent sans inquiétude. Tout est près, les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs, on ne dormira jamais.

Mais il est vrai qu’on ne saurait aller si loin, il ne s’agit pas seulement de la distance. Les menaces s’accumulent,on cède, on abandonne une part du terrain à conquérir. Cette imagination qui n’admettait pas de bornes, on ne lui permet plus de s’exercer que selon les lois d’une utilité arbitraire ; elle est incapable d’assumer longtemps ce rôle inférieur et, aux environs de la vingtième année, préfère, en général, abandonner l’homme à son destin sans lumière.

Qu’il essaie plus tard, de-ci de-là, de se reprendre, ayant senti lui manquer peu à peu toutes raisons de vivre, incapable qu’il est devenu de se trouver à la hauteur d’une situation exceptionnelle telle que l’amour, il n’y parviendra guère. C’est qu’il appartient désormais corps et âme à une impérieuse nécessité pratique, qui ne souffre pas qu’on la perde de vue. Tous ses gestes manqueront d’ampleur, toutes ses idées, d’envergure. Il ne se représentera, de ce qui lui arrive et peut lui arriver, que ce qui relie cet événement à une foule d’événements semblables, événements auxquels il n’a pas pris part, événements manqués. Que dis-je, il en jugera par rapport à un de ces événements, plus rassurant dans ses conséquences que les autres. Il n’y verra, sous aucun prétexte, son salut.

Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas.

Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. À nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire l’imagination à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule imagination me rend compte de ce qui peut être, et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit ; assez aussi pour que je m’abandonne à elle sans crainte de me tromper (comme si l’on pouvait se tromper davantage). Où commence-t-elle à devenir mauvaise et où s’arrête la sécurité de l’esprit ? Pour l’esprit, la possibilité d’errer n’est-elle pas plutôt la contingence du bien ?

Reste la folie, « la folie qu’on enferme » a-t-on si bien dit. Celle-là ou l’autre… Chacun sait, en effet, que les fous ne doivent leur internement qu’à un petit nombre d’actes légalement répréhensibles, et que, faute de ces actes, leur liberté (ce qu’on voit de leur liberté) ne saurait être en jeu. Qu’ils soient, dans une mesure quelconque, victimes de leur imagination, je suis prêt à l’accorder, en ce sens qu’elle les pousse à l’inobservance de certaines règles, hors desquelles le genre se sent visé, ce que tout homme est payé pour savoir. Mais le profond détachement dont ils témoignent à l’égard de la critique que nous portons sur eux, voire des corrections diverses qui leur sont infligées, permet de supposer qu’ils puisent un grand réconfort dans leur imagination, qu’ils goûtent assez leur délire pour supporter qu’il ne soit valable que pour eux. Et, de fait, les hallucinations, les illusions, etc., ne sont pas une source de jouissance négligeable. La sensualité la mieux ordonnée y trouve sa part et je sais que j’apprivoiserais bien des soirs cette jolie main qui, aux dernières pages de L’Intelligence, de Taine, se livre à de curieux méfaits. Les confidences des fous, je passerais ma vie à les provoquer. Ce sont gens d’une honnêteté scrupuleuse, et dont l’innocence n’a d’égale que la mienne. Il fallut que Colomb partît avec des fous pour découvrir l’Amérique. Et voyez comme cette folie a pris corps, et duré.

Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination.

Le procès de l’attitude réaliste demande à être instruit, après le procès de l’attitude matérialiste. Celle-ci, plus poétique, d’ailleurs, que la précédente, implique de la part de l’homme un orgueil, certes, monstrueux, mais non une nouvelle et plus complète déchéance. Il convient d’y voir, avant tout, une heureuse réaction contre quelques tendances dérisoires du spiritualisme. Enfin, elle n’est pas incompatible avec une certaine élévation de pensée.

Par contre, l’attitude réaliste, inspirée du positivisme, de saint Thomas à Anatole France, m’a bien l’air hostile à tout essor intellectuel et moral. Je l’ai en horreur, car elle est faite de médiocrité, de haine et de plate suffisance. C’est elle qui engendre aujourd’hui ces livres ridicules, ces pièces insultantes. Elle se fortifie sans cesse dans les journaux et fait échec à la science, à l’art, en s’appliquant à flatter l’opinion dans ses goûts les plus bas ; la clarté confinant à la sottise, la vie des chiens. L’activité des meilleurs esprits s’en ressent ; la loi du moindre effort finit par s’imposer à eux comme aux autres. Une conséquence plaisante de cet état de choses, en littérature par exemple, est l’abondance des romans. Chacun y va de sa petite « observation ». Par besoin d’épuration, M. Paul Valéry proposait dernièrement de réunir en anthologie un aussi grand nombre que possible de débuts de romans, de l’insanité desquels il attendait beaucoup. Les auteurs les plus fameux seraient mis à contribution. Une telle idée fait encore honneur à Paul Valéry qui, naguère, à propos des romans, m’assurait qu’en ce qui le concerne, il se refuserait toujours à écrire : La marquise sortit à cinq heures. Mais a-t-il tenu parole ?

Si le style d’information pure et simple, dont la phrase précitée offre un exemple, a cours presque seul dans les romans, c’est, il faut le reconnaître, que l’ambition des auteurs ne va pas très loin. Le caractère circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu’ils s’amusent à mes dépens. On ne m’épargne aucune des hésitations du personnage : sera-t-il blond, comment s’appellera-t-il, irons-nous le prendre en été ? Autant de questions résolues une fois pour toutes, au petit bonheur ; il ne m’est laissé d’autre pouvoir discrétionnaire que de fermer le livre, ce dont je ne me fais pas faute aux environs de la première page. Et les descriptions ! Rien n’est comparable au néant de celles-ci ; ce n’est que superpositions d’images de catalogue, l’auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l’occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d’accord avec lui sur des lieux communs :

La petite pièce dans laquelle le jeune homme fut introduit était tapissée de papier jaune : il y avait des géraniums et des rideaux de mousseline aux fenêtres ; le soleil couchant jetait sur tout cela une lumière crue… La chambre ne renfermait rien de particulier. Les meubles, en bois jaune, étaient tous très vieux. Un divan avec un grand dossier renversé, une table de forme ovale vis-à-vis du divan, une toilette et une glace adossées au trumeau, des chaises le long des murs, deux ou trois gravures sans valeur qui représentaient des demoiselles allemandes avec des oiseaux dans les mains — voilà à quoi se réduisait l’ameublement[1].

Que l’esprit se propose, même passagèrement, de tels motifs, je ne suis pas d’humeur à l’admettre. On soutiendra que ce dessin d’école vient à sa place, et qu’à cet endroit du livre l’auteur a ses raisons pour m’accabler. Il n’en perd pas moins son temps, car je n’entre pas dans sa chambre. La paresse, la fatigue des autres ne me retiennent pas. J’ai de la continuité de la vie une notion trop instable pour égaler aux meilleures mes minutes de dépression, de faiblesse. Je veux qu’on se taise, quand on cesse de ressentir. Et comprenez bien que je n’incrimine pas le manque d’originalité pour le manque d’originalité. Je dis seulement que je ne fais pas état des moments nuls de ma vie, que de la part de tout homme il peut être indigne de cristalliser ceux qui lui paraissent tels. Cette description de chambre, permettez-moi de la passer, avec beaucoup d’autres.

Holà, j’en suis à la psychologie, sujet sur lequel je n’aurai garde de plaisanter.

L’auteur s’en prend à un caractère, et, celui-ci étant donné, fait pérégriner son héros à travers le monde. Quoi qu’il arrive, ce héros, dont les actions et les réactions sont admirablement prévues, se doit de ne pas déjouer, tout en ayant l’air de les déjouer, les calculs dont il est l’objet. Les vagues de la vie peuvent paraître l’enlever, le rouler, le faire descendre, il relèvera toujours de ce type humain formé. Simple partie d’échecs dont je me désintéresse fort, l’homme, quel qu’il soit, m’étant un médiocre adversaire. Ce que je ne puis supporter, ce sont ces piètres discussions relativement à tel ou tel coup, dès lors qu’il ne s’agit ni de gagner ni de perdre. Et si le jeu n’en vaut pas la chandelle, si la raison objective dessert terriblement, comme c’est le cas, celui qui y fait appel, ne convient-il pas de s’abstraire de ces catégories ? « La diversité est si ample, que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuers… [2]» Si une grappe n’a pas deux grains pareils, pourquoi voulez-vous que je vous décrive ce grain par l’autre, par tous les autres, que j’en fasse un grain bon à manger ? L’intraitable manie qui consiste à ramener l’inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux. Le désir d’analyse l’emporte sur les sentiments[3]. Il en résulte des exposés de longueur qui ne tirent leur force persuasive que de leur étrangeté même, et n’en imposent au lecteur que par l’appel à un vocabulaire abstrait, d’ailleurs assez mal défini. Si les idées générales que la philosophie se propose jusqu’ici de débattre marquaient par là leur incursion définitive dans un domaine plus étendu, je serais le premier à m’en réjouir. Mais ce n’est encore que marivaudage ; jusqu’ici, les traits d’esprit et autres bonnes manières nous dérobent à qui mieux mieux la véritable pensée qui se cherche elle-même, au lieu de s’occuper à se faire des réussites. Il me paraît que tout acte porte en lui-même sa justification, du moins pour qui a été capable de le commettre, qu’il est doué d’un pouvoir rayonnant que la moindre glose est de nature à affaiblir. Du fait de cette dernière, il cesse même, en quelque sorte, de se produire. Il ne gagne rien à être ainsi distingué. Les héros de Stendhal tombent sous le coup des appréciations de cet auteur, appréciations plus ou moins heureuses, qui n’ajoutent rien à leur gloire. Où nous les retrouvons vraiment, c’est là où Stendhal les a perdus.

Nous vivons encore sous le règne de la logique, voilà, bien entendu, à quoi je voulais en venir. Mais les procédés logiques, de nos jours, ne s’appliquent plus qu’à la résolution de problèmes d’intérêt secondaire. Le rationalisme absolu qui reste de mode ne permet de considérer que des faits relevant étroitement de notre expérience. Les fins logiques, par contre, nous échappent. Inutile d’ajouter que l’expérience même s’est vu assigner des limites. Elle tourne dans une cage d’où il est de plus en plus difficile de la faire sortir. Elle s’appuie, elle aussi, sur l’utilité immédiate, et elle est gardée par le bon sens. Sous couleur de civilisation, sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir de l’esprit tout ce qui se peut taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère, à proscrire tout mode de recherche de la vérité qui n’est pas conforme à l’usage. C’est par le plus grand hasard, en apparence, qu’a été récemment rendue à la lumière une partie du monde intellectuel, et à mon sens de beaucoup la plus importante, dont on affectait de ne plus se soucier. Il faut en rendre grâce aux découvertes de Freud. Sur la foi de ces découvertes, un courant d’opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qu’il sera à ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires. L’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter, à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite, s’il y a lieu, au contrôle de notre raison. Les analystes eux-mêmes n’ont qu’à y gagner. Mais il importe d’observer qu’aucun moyen n’est désigné a priori pour la conduite de cette entreprise, que jusqu’à nouvel ordre elle peut passer pour être aussi bien du ressort des poètes que des savants et que son succès ne dépend pas des voies plus ou moins capricieuses qui seront suivies.

C’est à très juste titre que Freud a fait porter sa critique sur le rêve. Il est inadmissible, en effet, que cette part considérable de l’activité psychique (puisque, au moins de la naissance de l’homme à sa mort, la pensée ne présente aucune solution de continuité, la somme des moments de rêve, au point de vue temps, à ne considérer même que le rêve pur, celui du sommeil, n’est pas inférieure à la somme des moments de réalité, bornons-nous à dire : des moments de veille) ait encore si peu retenu l’attention. L’extrême différence d’importance, de gravité, que présentent pour l’observateur ordinaire les événements de la veille et ceux du sommeil, a toujours été pour m’étonner. C’est que l’homme, quand il cesse de dormir, est avant tout le jouet de sa mémoire, et qu’à l’état normal celle-ci se plaît à lui retracer faiblement les circonstances du rêve, à priver ce dernier de toute conséquence actuelle, et à faire partir le seul déterminant du point où il croit, quelques heures plus tôt, l’avoir laissé : cet espoir ferme, ce souci. Il a l’illusion de continuer quelque chose qui en vaut la peine. Le rêve se trouve ainsi ramené à une parenthèse, comme la nuit. Et pas plus qu’elle, en général, il ne porte conseil. Ce singulier état de choses me paraît appeler quelques réflexions :

1° Dans les limites où il s’exerce (passe pour s’exercer), selon toute apparence le rêve est continu et porte trace d’organisation. Seule la mémoire s’arroge le droit d’y faire des coupures, de ne pas tenir compte des transitions et de nous représenter plutôt une série de rêves que le rêve. De même, nous n’avons à tout instant des réalités qu’une figuration distincte, dont la coordination est affaire de volonté[4]. Ce qu’il importe de remarquer, c’est que rien ne nous permet d’induire à une plus grande dissipation des éléments constitutifs du rêve. Je regrette d’en parler selon une formule qui exclut le rêve, en principe. À quand les logiciens, les philosophes dormants ! Je voudrais dormir, pour pouvoir me livrer aux dormeurs, comme je me livre à ceux qui me lisent, les yeux bien ouverts ; pour cesser de faire prévaloir en cette matière le rythme conscient de ma pensée. Mon rêve de cette dernière nuit, peut-être poursuit-il celui de la nuit précédente, et sera-t-il poursuivi la nuit prochaine, avec une rigueur méritoire. C’est bien possible, comme on dit. Et comme il n’est aucunement prouvé que, ce faisant, la « réalité » qui m’occupe subsiste à l’état de rêve, qu’elle ne sombre pas dans l’immémorial, pourquoi n’accorderais-je pas au rêve ce que je refuse parfois à la réalité, soit cette valeur de certitude en elle-même, qui, dans son temps, n’est point exposée à mon désaveu ? Pourquoi n’attendrais-je pas de l’indice du rêve plus que je n’attends d’un degré de conscience chaque jour plus élevé ? Le rêve ne peut-il être appliqué, lui aussi, à la résolution des questions fondamentales de la vie ? Ces questions sont-elles les mêmes dans un cas que dans l’autre et, dans le rêve, ces questions sont-elles, déjà ? Le rêve est-il moins lourd de sanctions que le reste ? Je vieillis et, plus que cette réalité à laquelle je crois m’astreindre, c’est peut-être le rêve, l’indifférence où je le tiens qui me fait vieillir.

2° Je prends, encore une fois, l’état de veille. Je suis obligé de le tenir pour un phénomène d’interférence. Non seulement l’esprit témoigne, dans ces conditions, d’une étrange tendance à la désorientation (c’est l’histoire des lapsus et méprises de toutes sortes dont le secret commence à nous être livré), mais encore il ne semble pas que, dans son fonctionnement normal, il obéisse à bien autre chose qu’à des suggestions qui lui viennent de cette nuit profonde dont je le recommande. Si bien conditionné qu’il soit, son équilibre est relatif. Il ose à peine s’exprimer et, s’il le fait, c’est pour se borner à constater que telle idée, telle femme lui fait de l’effet. Quel effet, il serait bien incapable de le dire, il donne par là la mesure de son subjectivisme, et rien de plus. Cette idée, cette femme le trouble, elle l’incline à moins de sévérité. Elle a pour action de l’isoler une seconde de son dissolvant et de le déposer au ciel, en beau précipité qu’il peut être, qu’il est. En désespoir de cause, il invoque alors le hasard, divinité plus obscure que les autres, à qui il attribue tous ses égarements. Qui me dit que l’angle sous lequel se présente cette idée qui le touche, ce qu’il aime dans l’œil de cette femme n’est pas précisément ce qui le rattache à son rêve, l’enchaîne à des données que par sa faute il a perdues ? Et s’il en était autrement, de quoi peut-être ne serait-il pas capable ? Je voudrais lui donner la clé de ce couloir.

3° L’esprit de l’homme qui rêve se satisfait pleinement de ce qui lui arrive. L’angoissante question de la possibilité ne se pose plus. Tue, vole plus vite, aime tant qu’il te plaira. Et si tu meurs, n’es-tu pas certain de te réveiller d’entre les morts ? Laisse-toi conduire, les événements ne souffrent pas que tu les diffères. Tu n’as pas de nom. La facilité de tout est inappréciable.

Quelle raison, je le demande, raison tellement plus large que l’autre, confère au rêve cette allure naturelle, me fait accueillir sans réserve une foule d’épisodes dont l’étrangeté à l’heure où j’écris me foudroierait ? Et pourtant j’en puis croire mes yeux, mes oreilles ; ce beau jour est venu, cette bête a parlé.

Si l’éveil de l’homme est plus dur, s’il rompt trop bien le charme, c’est qu’on l’a amené à se faire une pauvre idée de l’expiation.

4° De l’instant où il sera soumis à un examen méthodique, où, par des moyens à déterminer, on parviendra à nous rendre compte du rêve dans son intégrité (et cela suppose une discipline de la mémoire qui porte sur des générations ; commençons tout de même par enregistrer les faits saillants), où sa courbe se développera avec une régularité et une ampleur sans pareilles, on peut espérer que les mystères qui n’en sont pas feront place au grand Mystère. Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais, certain de n’y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supputer un peu les joies d’une telle possession.

On raconte que chaque jour, au moment de s’endormir, Saint-Pol-Roux faisait naguère placer, sur la porte de son manoir de Camaret, un écriteau sur lequel on pouvait lire : LE POÈTE TRAVAILLE.

Il y aurait encore beaucoup à dire mais, chemin faisant, je n’ai voulu qu’effleurer un sujet qui nécessiterait à lui seul un exposé très long et une tout autre rigueur : j’y reviendrai. Pour cette fois, mon intention était de faire justice de la haine du merveilleux qui sévit chez certains hommes, de ce ridicule sous lequel ils veulent le faire tomber. Tranchons-en : le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau.

Dans le domaine littéraire, le merveilleux seul est capable de féconder des œuvres ressortissant à un genre inférieur tel que le roman et d’une façon générale tout ce qui participe de l’anecdote. Le Moine, de Lewis, en est une preuve admirable. Le souffle du merveilleux l’anime tout entier. Bien avant que l’auteur ait délivré ses principaux personnages de toute contrainte temporelle, on les sent prêts à agir avec une fierté sans précédent. Cette passion de l’éternité qui les soulève sans cesse prête des accents inoubliables à leur tourment et au mien. J’entends que ce livre n’exalte, du commencement à la fin, et le plus purement du monde, que ce qui de l’esprit aspire à quitter le sol et que, dépouillé d’une partie insignifiante de son affabulation romanesque, à la mode du temps, il constitue un modèle de justesse, et d’innocente grandeur[5]. Il me semble qu’on n’a pas fait mieux et que le personnage de Mathilde, en particulier, est la création la plus émouvante qu’on puisse mettre à l’actif de ce mode figuré en littérature. C’est moins un personnage qu’une tentation continue. Et si un personnage n’est pas une tentation, qu’est-il ? Tentation extrême que celui-là. Le « rien n’est impossible à qui sait oser » donne dans Le Moine toute sa mesure convaincante. Les apparitions y jouent un rôle logique, puisque l’esprit critique ne s’en empare pas pour les contester. De même le châtiment d’Ambrosio est traité de façon légitime, puisqu’il est finalement accepté par l’esprit critique comme dénouement naturel.

Il peut paraître arbitraire que je propose ce modèle, lorsqu’il s’agit du merveilleux, auquel les littératures du Nord et les littératures orientales ont fait emprunt sur emprunt, sans parler des littératures proprement religieuses de tous les pays. C’est que la plupart des exemples que ces littératures auraient pu me fournir sont entachés de puérilité, pour la seule raison qu’elles s’adressent aux enfants. De bonne heure ceux-ci sont sevrés de merveilleux, et, plus tard, ne gardent pas une assez grande virginité d’esprit pour prendre un plaisir extrême à Peau d’Âne. Si charmants soient-ils, l’homme croirait déchoir à se nourrir de contes de fées, et j’accorde que ceux-ci ne sont pas tous de son âge. Le tissu des invraisemblances adorables demande à être un peu plus fin, à mesure qu’on avance, et l’on en est encore à attendre ces espèces d’araignées… Mais les facultés ne changent radicalement pas. La peur, l’attrait de l’insolite, les chances, le goût du luxe, sont ressorts auxquels on ne fera jamais appel en vain. Il y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes encore presque bleus.

Le merveilleux n’est pas le même à toutes les époques ; il participe obscurément d’une sorte de révélation générale dont le détail seul nous parvient : ce sont les ruines romantiques, le mannequin moderne ou tout autre symbole propre à remuer la sensibilité humaine durant un temps. Dans ces cadres qui nous font sourire, pourtant se peint toujours l’irrémédiable inquiétude humaine, et c’est pourquoi je les prends en considération, pourquoi je les juge inséparables de quelques productions géniales, qui en sont plus que les autres douloureusement affectées. Ce sont les potences de Villon, les grecques de Racine, les divans de Baudelaire. Ils coïncident avec une éclipse du goût que je suis fait pour endurer, moi qui me fais du goût l’idée d’une grande tache. Dans le mauvais goût de mon époque, je m’efforce d’aller plus loin qu’aucun autre. À moi, si j’avais vécu en 1820, à moi « la nonne sanglante », à moi de ne pas épargner ce sournois et banal « Dissimulons » dont parle le parodique Cuisin, à moi, à moi de parcourir dans des métaphores gigantesques, comme il dit, toutes les phases du « Disque argenté ». Pour aujourd’hui je pense à un château dont la moitié n’est pas forcément en ruine ; ce château m’appartient, je le vois dans un site agreste, non loin de Paris. Ses dépendances n’en finissent plus, et quant à l’intérieur, il a été terriblement restauré, de manière à ne rien laisser à désirer sous le rapport du confort. Des autos stationnent à la porte, dérobée par l’ombre des arbres. Quelques-uns de mes amis y sont installés à demeure : voici Louis Aragon qui part ; il n’a que le temps de vous saluer ; Philippe Soupault se lève avec les étoiles et Paul Éluard, notre grand Éluard, n’est pas encore rentré. Voici Robert Desnos et Roger Vitrac, qui déchiffrent dans le parc un vieil édit sur le duel ; Georges Auric, Jean Paulhan ; Max Morise, qui rame si bien, et Benjamin Péret, dans ses équations d’oiseaux ; et Joseph Delteil ; et Jean Carrive ; et Georges Limbour, et Georges Limbour (il y a toute une haie de Georges Limbour) ; et Marcel Noll ; voici T. Fraenkel qui nous fait signe de son ballon captif, Georges Malkine, Antonin Artaud, Francis Gérard, Pierre Naville, J.-A. Boiffard, puis Jacques Baron et son frère, beaux et cordiaux, tant d’autres encore, et des femmes ravissantes, ma foi. Ces jeunes gens, que voulez-vous qu’ils se refusent, leurs désirs sont, pour la richesse, des ordres. Francis Picabia vient nous voir et, la semaine dernière, dans la galerie des glaces, on a reçu un nommé Marcel Duchamp qu’on ne connaissait pas encore. Picasso chasse dans les environs. L’esprit de démoralisation a élu domicile dans le château, et c’est à lui que nous avons affaire chaque fois qu’il est question de relation avec nos semblables, mais les portes sont toujours ouvertes et on ne commence pas par « remercier » le monde, vous savez. Du reste, la solitude est vaste, nous ne nous rencontrons pas souvent. Puis l’essentiel n’est-il pas que nous soyons nos maîtres, et les maîtres des femmes, de l’amour, aussi ?

On va me convaincre de mensonge poétique : chacun s’en ira répétant que j’habite rue Fontaine, et qu’il ne boira pas de cette eau. Parbleu ! Mais ce château dont je lui fais les honneurs, est-il sûr que ce soit une image ? Si ce palais existait, pourtant ! Mes hôtes sont là pour en répondre ; leur caprice est la route lumineuse qui y mène. C’est vraiment à notre fantaisie que nous vivons, quand nous y sommes. Et comment ce que fait l’un pourrait-il gêner l’autre, là, à l’abri de la poursuite sentimentale et au rendez-vous des occasions ?

L’homme propose et dispose. Il ne tient qu’à lui de s’appartenir tout entier, c’est-à-dire de maintenir à l’état anarchique la bande chaque jour plus redoutable de ses désirs. La poésie le lui enseigne. Elle porte en elle la compensation parfaite des misères que nous endurons. Elle peut être une ordonnatrice, aussi, pour peu que sous le coup d’une déception moins intime on s’avise de la prendre au tragique. Le temps vienne où elle décrète la fin de l’argent et rompe seule le pain du ciel pour la terre ! Il y aura encore des assemblées sur les places publiques, et des mouvements auxquels vous n’avez pas espéré prendre part. Adieu les sélections absurdes, les rêves de gouffre, les rivalités, les longues patiences, la fuite des saisons, l’ordre artificiel des idées, la rampe du danger, le temps pour tout ! Qu’on se donne seulement la peine de pratiquer la poésie. N’est-ce pas à nous, qui déjà en vivons, de chercher à faire prévaloir ce que nous tenons pour notre plus ample informé ?

N’importe s’il y a quelque disproportion entre cette défense et l’illustration qui la suivra. Il s’agissait de remonter aux sources de l’imagination poétique, et, qui plus est, de s’y tenir. C’est ce que je ne prétends pas avoir fait. Il faut prendre beaucoup sur soi pour vouloir s’établir dans ces régions reculées où tout a d’abord l’air de se passer si mal, à plus forte raison pour vouloir y conduire quelqu’un. Encore n’est-on jamais sûr d’y être tout à fait. Tant qu’à se déplaire, on est aussi bien disposé à s’arrêter ailleurs. Toujours est-il qu’une flèche indique maintenant la direction de ces pays et que l’atteinte du but véritable ne dépend plus que de l’endurance du voyageur.


On connaît, à peu de chose près, le chemin suivi. J’ai pris soin de raconter, au cours d’une étude sur le cas de Robert Desnos, intitulée : ENTRÉE DES MÉDIUMS[6], que j’avais été amené à « fixer mon attention sur des phrases plus ou moins partielles qui, en pleine solitude, à l’approche du sommeil, deviennent perceptibles pour l’esprit sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination préalable ». Je venais alors de tenter l’aventure poétique avec le minimum de chances, c’est-à-dire que mes aspirations étaient les mêmes qu’aujourd’hui, mais que j’avais foi en la lenteur d’élaboration pour me sauver de contacts inutiles, de contacts que je réprouvais grandement. C’était là une pudeur de la pensée dont il me reste encore quelque chose. À la fin de ma vie, je parviendrai sans doute difficilement à parler comme on parle, à excuser ma voix et le petit nombre de mes gestes. La vertu de la parole (de l’écriture : bien davantage) me paraissait tenir à la faculté de raccourcir de façon saisissante l’exposé (puisque exposé il y avait) d’un petit nombre de faits, poétiques ou autres, dont je me faisais la substance. Je m’étais figuré que Rimbaud ne procédait pas autrement. Je composais, avec un souci de variété qui méritait mieux, les derniers poèmes de Mont de piété, c’est-à-dire que j’arrivais à tirer des lignes blanches de ce livre un parti incroyable. Ces lignes étaient l’œil fermé sur des opérations de pensée que je croyais devoir dérober au lecteur. Ce n’était pas tricherie de ma part, mais amour de brusquer. J’obtenais l’illusion d’une complicité possible, dont je me passais de moins en moins. Je m’étais mis à choyer immodérément les mots pour l’espace qu’ils admettent autour d’eux, pour leurs tangences avec d’autres mots innombrables que je ne prononçais pas. Le poème FORÊT-NOIRE relève exactement de cet état d’esprit. J’ai mis six mois à l’écrire et l’on peut croire que je ne me suis pas reposé un seul jour. Mais il y allait de l’estime que je me portais alors, n’est-ce pas assez, on me comprendra. J’aime ces confessions stupides. En ce temps-là, la pseudo-poésie cubiste cherchait à s’implanter, mais elle était sortie désarmée du cerveau de Picasso et en ce qui me concerne je passais pour ennuyeux comme la pluie (je le passe encore). Je me doutais, d’ailleurs, qu’au point de vue poétique je faisais fausse route, mais je me sauvais la mise comme je pouvais, bravant le lyrisme à coups de définitions et de recettes (les phénomènes dada n’allaient pas tarder à se produire) et faisant mine de chercher une application de la poésie dans la publicité (je prétendais que le monde finirait, non par un beau livre, mais par une belle réclame pour l’enfer ou pour le ciel).

À la même époque, un homme, pour le moins aussi ennuyeux que moi, Pierre Reverdy, écrivait :

L’image est une création pure de l’esprit.
Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.
Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique… etc.[7].

Ces mots, quoique sibyllins pour les profanes, étaient de très forts révélateurs et je les méditai longtemps. Mais l’image me fuyait. L’esthétique de Reverdy, esthétique toute a posteriori, me faisait prendre les effets pour les causes. C’est sur ces entrefaites que je fus amené à renoncer définitivement à mon point de vue.


Un soir donc, avant de m’endormir, je perçus, nettement articulée au point qu’il était impossible d’y changer un mot, mais distraite cependant du bruit de toute voix, une assez bizarre phrase qui me parvenait sans porter trace des événements auxquels, de l’aveu de ma conscience, je me trouvais mêlé à cet instant-là, phrase qui me parut insistante, phrase oserai-je dire qui cognait à la vitre. J’en pris rapidement notion et me disposais à passer outre quand son caractère organique me retint. En vérité cette phrase m’étonnait ; je ne l’ai malheureusement pas retenue jusqu’à ce jour, c’était quelque chose comme : « Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre », mais elle ne pouvait souffrir d’équivoque, accompagnée qu’elle était de la faible représentation visuelle[8] d’un homme marchant et tronçonné à mi-hauteur par une fenêtre perpendiculaire à l’axe de son corps. À n’en pas douter il s’agissait du simple redressement dans l’espace d’un homme qui se tient penché à la fenêtre. Mais cette fenêtre ayant suivi le déplacement de l’homme, je me rendis compte que j’avais affaire à une image d’un type assez rare et je n’eus vite d’autre idée que de l’incorporer à mon matériel de construction poétique. Je ne lui eus pas plus tôt accordé ce crédit que d’ailleurs elle fit place à une succession à peine intermittente de phrases qui ne me surprirent guère moins et me laissèrent sous l’impression d’une gratuité telle que l’empire que j’avais pris jusque-là sur moi-même me parut illusoire et que je ne songeai plus qu’à mettre fin à l’interminable querelle qui a lieu en moi[9].

Tout occupé que j’étais encore de Freud à cette époque et familiarisé avec ses méthodes d’examen que j’avais eu quelque peu l’occasion de pratiquer sur des malades pendant la guerre, je résolus d’obtenir de moi ce qu’on cherche à obtenir d’eux, soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l’esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s’embarrasse, par suite, d’aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée. Il m’avait paru, et il me paraît encore — la manière dont m’était parvenue la phrase de l’homme coupé en témoignait — que la vitesse de la pensée n’est pas supérieure à celle de la parole, et qu’elle ne défie pas forcément la langue, ni même la plume qui court. C’est dans ces dispositions que Philippe Soupault, à qui j’avais fait part de ces premières conclusions, et moi nous entreprîmes de noircir du papier, avec un louable mépris de ce qui pourrait s’ensuivre littérairement. La facilité de réalisation fit le reste. À la fin du premier jour, nous pouvions nous lire une cinquantaine de pages obtenues par ce moyen, commencer à comparer nos résultats. Dans l’ensemble, ceux de Soupault et les miens présentaient une remarquable analogie : même vice de construction, défaillances de même nature, mais aussi, de part et d’autre, l’illusion d’une verve extraordinaire, beaucoup d’émotion, un choix considérable d’images d’une qualité telle que nous n’eussions pas été capables d’en préparer une seule de longue main, un pittoresque très spécial et, de-ci de-là, quelque proposition d’une bouffonnerie aiguë. Les seules différences que présentaient nos deux textes me parurent tenir essentiellement à nos humeurs réciproques, celle de Soupault moins statique que la mienne et, s’il me permet cette légère critique, à ce qu’il avait commis l’erreur de distribuer au haut de certaines pages, et par esprit, sans doute, de mystification, quelques mots en guise de titres. Je dois, par contre, lui rendre cette justice qu’il s’opposa toujours, de toutes ses forces, au moindre remaniement, à la moindre correction au cours de tout passage de ce genre qui me semblait plutôt mal venu. En cela certes il eut tout à fait raison[10]. Il est, en effet, fort difficile d’apprécier à leur juste valeur les divers éléments en présence, on peut même dire qu’il est impossible de les apprécier à première lecture. À vous qui écrivez, ces éléments, en apparence, vous sont aussi étrangers qu’à tout autre et vous vous en défiez naturellement. Poétiquement parlant, ils se recommandent surtout par un très haut degré d’absurdité immédiate, le propre de cette absurdité, à un examen plus approfondi, étant de céder la place à tout ce qu’il y a d’admissible, de légitime au monde : la divulgation d’un certain nombre de propriétés et de faits non moins objectifs, en somme, que les autres.

En hommage à Guillaume Apollinaire, qui venait de mourir et qui, à plusieurs reprises, nous paraissait avoir obéi à un entraînement de ce genre, sans toutefois y avoir sacrifié de médiocres moyens littéraires, Soupault et moi nous désignâmes sous le nom de SURRÉALISME le nouveau mode d’expression pure que nous tenions à notre disposition et dont il nous tardait de faire bénéficier nos amis. Je crois qu’il n’y a plus aujourd’hui à revenir sur ce mot et que l’acception dans laquelle nous l’avons pris a prévalu généralement sur son acception apollinarienne. À phis juste titre encore, sans doute aurions-nous pu nous emparer du mot SUPERNATURALISME, employé par Gérard de Nerval dans la dédicace des Filles du feu[11]. Il semble, en effet, que Nerval posséda à merveille l’esprit dont nous nous réclamons, Apollinaire n’ayant possédé, par contre, que la lettre, encore imparfaite, du surréalisme et s’étant montré impuissant à en donner un aperçu théorique qui nous retienne. Voici deux phrases de Nerval qui me paraissent, à cet égard, très significatives :

Je vais vous expliquer, mon cher Dumas, le phénomène dont vous avez parlé plus haut. Il est, vous le savez, certains conteurs qui ne peuvent inventer sans s’identifier aux personnages de leur imagination. Vous savez avec quelle conviction notre vieil ami Nodier racontait comment il avait eu le malheur d’être guillotiné à l’époque de la Révolution ; on en devenait tellement persuadé que l’on se demandait comment il était parvenu à se faire recoller la tête.

… Et puisque vous avez eu l’imprudence de citer un des sonnets composés dans cet état de rêverie SUPERNATURALISTE, comme diraient les Allemands, il faut que vous les entendiez tous. Vous les trouverez à la fin du volume. Ils ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hegel ou les MÉMORABLES de Swedenborg, et perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible, concédez-moi du moins le mérite de l’expression…[12]

C’est de très mauvaise foi qu’on nous contesterait le droit d’employer le mot SURRÉALISME dans le sens très particulier où nous l’entendons, car il est clair qu’avant nous ce mot n’avait pas fait fortune. Je le définis donc une fois pour toutes :

SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. Ont fait acte de SURRÉALISME ABSOLU MM. Aragon, Baron, Boiffard, Breton, Carrive, Crevel, Delteil, Desnos, Éluard, Gérard, Limbour, Malkine, Morise, Naville, Noll, Péret, Picon, Soupault, Vitrac.

Ce semblent bien être, jusqu’à présent, les seuls, et il n’y aurait pas à s’y tromper, n’était le cas passionnant d’Isidore Ducasse, sur lequel je manque de données. Et certes, à ne considérer que superficiellement leurs résultats, bon nombre de poètes pourraient passer pour surréalistes, à commencer par Dante et, dans ses meilleurs jours, Shakespeare. Au cours des différentes tentatives de réduction auxquelles je me suis livré de ce qu’on appelle, par abus de confiance, le génie, je n ’ai rien trouvé qui se puisse attribuer finalement à un autre processus que celui-là.

Les NUITS d’Young sont surréalistes d’un bout à l’autre ; c’est malheureusement un prêtre qui parle, un mauvais prêtre, sans doute, mais un prêtre.

Swift est surréaliste dans la méchanceté.

Sade est surréaliste dans le sadisme.

Chateaubriand est surréaliste dans l’exotisme.

Constant est surréaliste en politique.

Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête.

Desbordes-Valmore est surréaliste en amour.

Bertrand est surréaliste dans le passé.

Rabbe est surréaliste dans la mort.

Poe est surréaliste dans l’aventure.

Baudelaire est surréaliste dans la morale.

Rimbaud est surréaliste dans la pratique de la vie et ailleurs.

Mallarmé est surréaliste dans la confidence.

Jarry est surréaliste dans l’absinthe.

Nouveau est surréaliste dans le baiser.

Saint-Pol-Roux est surréaliste dans le symbole.

Fargue est surréaliste dans l’atmosphère.

Vaché est surréaliste en moi.

Reverdy est surréaliste chez lui.

Saint-John Perse est surréaliste à distance.

Roussel est surréaliste dans l’anecdote.

Etc.

J’y insiste, ils ne sont pas toujours surréalistes, en ce sens que je démêle chez chacun d’eux un certain nombre d’idées préconçues auxquelles — très naïvement ! — ils tenaient. Ils y tenaient parce qu’ils n’avaient pas entendu la voix surréaliste, celle qui continue à prêcher à la veille de la mort et au-dessus des orages, parce qu’ils ne voulaient pas servir seulement à orchestrer la merveilleuse partition. C’étaient des instruments trop fiers, c’est pourquoi ils n’ont pas toujours rendu un son harmonieux[13].

Mais nous, qui ne nous sommes livrés à aucun travail de filtration, qui nous sommes faits dans nos œuvres les sourds réceptacles de tant d’échos, les modestes appareils enregistreurs qui ne s’hypnotisent pas sur le dessin qu’ils tracent nous servons peut-être encore une plus noble cause. Aussi rendons-nous avec probité le « talent » qu’on nous prête. Parlez-moi du talent de ce mètre en platine, de ce miroir, de cette porte, et du ciel si vous voulez.

Nous n’avons pas de talent, demandez à Philippe Soupault :

Les manufactures anatomiques et les habitations à bon marché détruiront les villes les plus hautes.

À Roger Vitrac :

À peine avais-je invoqué-le marbre-amiral que celui-ci tourna sur ses talons comme un cheval qui se cabre devant l’étoile polaire et me désigna dans le plan de son bicorne une région où je devais passer ma vie.

À Paul Éluard :

C’est une histoire connue que je conte, c’est un poème célèbre que je relis : je suis appuyé contre un mur, avec des oreilles verdoyantes et des lèvres calcinées.

À Max Morise :

L’ours des cavernes et son compagnon le butor, le vol-au-vent et son valet le vent, le grand Chancelier avec sa chancelière, l’épouvantail à moineaux et son compère le moineau, l’éprouvette et sa fille l’aiguille, le carnassier et son frère le carnaval, le balayeur et son monocle, le Mississippi et son petit chien, le corail et son pot-au-lait, le Miracle et son bon Dieu n’ont plus qu’à disparaître de la surface de la mer.

À Joseph Delteil :

Hélas ! je crois à la vertu des oiseaux. Et il suffit d’une plume pour me faire mourir de rire.

À Louis Aragon :

Pendant une interruption de la partie, tandis que les joueurs se réunissaient autour d’un bol de punch flambant, je demandai à l’arbre s’il avait toujours son ruban rouge.

Et à moi-même, qui n’ai pu m’empêcher d’écrire les lignes serpentines, affolantes, de cette préface.

Demandez à Robert Desnos, celui d’entre nous qui, peut-être, s’est le plus approché de la vérité surréaliste, celui qui, dans des œuvres encore inédites[14] et le long des multiples expériences auxquelles il s’est prêté, a justifié pleinement l’espoir que je plaçais dans le surréalisme et me somme encore d’en attendre beaucoup. Aujourd’hui Desnos parle surréaliste à volonté. La prodigieuse agilité qu’il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu’il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu’à les fixer. Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s’envolent au vent de sa vie.

Secrets de l’art magique surréaliste

Composition surréaliste écrite, ou premier et dernier jet

Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase, étrangère à notre pensée consciente, qui ne demande qu’à s’extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de l’autre, si l’on admet que le fait d’avoir écrit la première entraîne un minimum de perception. Peu doit vous importer, d’ailleurs ; c’est en cela que réside, pour la plus grande part, l’intérêt du jeu surréaliste. Toujours est-il que la ponctuation s’oppose sans doute à la continuité absolue de la coulée qui nous occupe, bien qu’elle paraisse aussi nécessaire que la distribution des nœuds sur une corde vibrante Continuez autant qu’il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure. Si le silence menace de s’établir pour peu que vous ayez commis une faute : une faute, peut-on dire, d’inattention, rompez sans hésiter avec une ligne trop claire. À la suite du mot dont l’origine vous semble suspecte, posez une lettre quelconque, la lettre l par exemple, toujours la lettre l, et ramenez l’arbitraire en imposant cette lettre pour initiale au mot qui suivra.

Pour ne plus s'ennuyer en compagnie

C’est très difficile. N’y soyez pour personne, et parfois lorsque nul n’a forcé la consigne, vous interrompant en pleine activité surréaliste et vous croisant les bras, dites : « C’est égal, il y a sans doute mieux à faire ou à ne pas faire. L’intérêt de la vie ne se soutient pas. Simplicité, ce qui se passe en moi m’est encore importun ! » ou toute autre banalité révoltante.

Pour faire des discours

Se faire inscrire la veille des élections, dans le premier pays qui jugera bon de procéder à ce genre de consultations. Chacun a en soi l’étoffe d’un orateur : les pagnes multicolores, la verroterie des mots. Par le surréalisme il surprendra dans sa pauvreté le désespoir. Un soir sur une estrade, à lui seul il dépècera le ciel éternel, cette Peau de l’Ours. Il promettra tant que tenir si peu que ce soit consternerait. Il donnera aux revendications de tout un peuple un tour partiel et dérisoire. Il fera communier les plus irréductibles adversaires en un désir secret, qui sautera les patries. Et à cela il parviendra rien qu’en se laissant soulever par la parole immense qui fond en pitié et roule en haine. Incapable de défaillance, il jouera sur le velours de toutes les défaillances. Il sera vraiment élu et les plus douces femmes l’aimeront avec violence.

Pour écrire de faux romans

Qui que vous soyez, si le cœur vous en dit, vous ferez brûler quelques feuilles de laurier et, sans vouloir entretenir ce maigre feu, vous commencerez à écrire un roman. Le surréalisme vous le permettra ; vous n’aurez qu’à mettre l’aiguille de « Beau fixe » sur « Action » et le tour sera joué. Voici des personnages d’allures assez disparates : leurs noms dans votre écriture sont une question de majuscules et ils se comporteront avec la même aisance envers les verbes actifs que le pronom impersonnel il envers des mots comme : pleut, y a, faut, etc. Ils les commanderont, pour ainsi dire et, là où l’observation, la réflexion et les facultés de généralisation ne vous auront été d’aucun secours, soyez sûr qu’ils vous feront prêter mille intentions que vous n’avez pas eues. Ainsi pourvus d’un petit nombre de caractéristiques physiques et morales, ces êtres qui en vérité vous doivent si peu ne se départiront plus d’une certaine ligne de conduite dont vous n’avez pas à vous occuper. Il en résultera une intrigue plus ou moins savante en apparence, justifiant point par point ce dénouement émouvant ou rassurant dont vous n’avez cure. Votre faux roman simulera à merveille un roman véritable ; vous serez riche et l’on s’accordera à reconnaître que vous avez « quelque chose dans le ventre », puisque aussi bien c’est là que ce quelque chose se tient.

Bien entendu, par un procédé analogue, et à condition d’ignorer ce dont vous rendrez compte, vous pourrez vous adonner avec succès à la fausse critique.

Pour se bien faire voir d'une femme qui passe dans la rue

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Contre la mort

Le surréalisme vous introduira dans la mort qui est une société secrète. Il gantera votre main, y ensevelissant l’M profond par quoi commence le mot Mémoire. Ne manquez pas de prendre d’heureuses dispositions testamentaires : je demande, pour ma part, à être conduit au cimetière dans une voiture de déménagement. Que mes amis détruisent jusqu’au dernier exemplaire l’édition du Discours sur le Peu de Réalité.

 

Le langage a été donné à l’homme pour qu’il en fasse un usage surréaliste. Dans la mesure où il lui est indispensable de se faire comprendre, il arrive tant bien que mal à s’exprimer et à assurer par là l’accomplissement de quelques fonctions prises parmi les plus grossières. Parler, écrire une lettre n’offrent pour lui aucune difficulté réelle, pourvu que, ce faisant, il ne propose pas un but au-dessus de la moyenne, c’est-à-dire pourvu qu’il se borne à s’entretenir (pour le plaisir de s’entretenir) avec quelqu’un. Il n’est pas anxieux des mots qui vont venir, ni de la phrase qui suivra celle qu’il achève. À une question très simple, il sera capable de répondre à brûle-pourpoint. En l’absence de tics contractés au commerce des autres, il peut spontanément se prononcer sur un petit nombre de sujets ; il n’a pas besoin pour cela de « tourner sept fois sa langue » ni de se formuler à l’avance quoi que ce soit. Qui a pu lui faire croire que cette faculté de premier jet n’est bonne qu’à le desservir lorsqu’il se propose d’établir des rapports plus délicats ? Il n’est rien sur quoi il devrait se refuser à parler, à écrire d’abondance. S’écouter, se lire n’ont d’autre effet que de suspendre l’occulte, l’admirable secours. Je ne me hâte pas de me comprendre (baste ! je me comprendrai toujours). Si telle ou telle phrase de moi me cause sur le moment une légère déception, je me fie à la phrase suivante pour racheter ses torts, je me garde de la recommencer ou de la parfaire. Seule la moindre perte d’élan pourrait m’être fatale. Les mots, les groupes de mots qui se suivent pratiquent entre eux la plus grande solidarité. Ce n’est pas à moi de favoriser ceux-ci aux dépens de ceux-là. C’est à une miraculeuse compensation d’intervenir — et elle intervient.

Non seulement ce langage sans réserve que je cherche à rendre toujours valable, qui me paraît s’adapter à toutes les circonstances de la vie, non seulement ce langage ne me prive d’aucun de mes moyens, mais encore il me prête une extraordinaire lucidité et cela dans le domaine où de lui j’en attendais le moins. J’irai jusqu’à prétendre qu’il m’instruit et, en effet, il m’est arrivé d’employer surréellement des mots dont j’avais oublié le sens. J’ai pu vérifier après coup que l’usage que j’en avais fait répondait exactement à leur définition. Cela donnerait à croire qu’on n’« apprend » pas, qu’on ne fait jamais que « réapprendre ». Il est d’heureuses tournures qu’ainsi je me suis rendues familières. Et je ne parle pas de la conscience poétique des objets, que je n’ai pu acquérir qu’à leur contact spirituel mille fois répété.

C’est encore au dialogue que les formes du langage surréaliste s’adaptent le mieux. Là, deux pensées s’affrontent ; pendant que l’une se livre, l’autre s’occupe d’elle, mais comment s’en occupe-t-elle ? Supposer qu’elle se l’incorpore serait admettre qu’un temps il lui est possible de vivre tout entière de cette autre pensée, ce qui est fort improbable. Et de fait l’attention qu’elle lui donne est tout extérieure ; elle n’a que le loisir d’approuver ou de réprouver, généralement de réprouver, avec tous les égards dont l’homme est capable. Ce mode de langage ne permet d’ailleurs pas d’aborder le fond d’un sujet. Mon attention, en proie à une sollicitation qu’elle ne peut décemment repousser, traite la pensée adverse en ennemie ; dans la conversation courante, elle la « reprend » presque toujours sur les mots, les figures dont elle se sert ; elle me met en mesure d’en tirer parti dans la réplique en les dénaturant. Cela est si vrai que dans certains états mentaux pathologiques où les troubles sensoriels disposent de toute l’attention du malade, celui-ci, qui continue à répondre aux questions, se borne à s’emparer du dernier mot prononcé devant lui ou du dernier membre de phrase surréaliste dont il trouve trace dans son esprit :

« Quel âge avez-vous ? — Vous. » (Écholalie.)

« Comment vous appelez-vous ? — Quarante-cinq maisons. » (Symptôme de Ganser ou des réponses à côté.)

Il n’est point de conversation où ne passe quelque chose de ce désordre. L’effort de sociabilité qui y préside et la grande habitude que nous en avons parviennent seuls à nous le dissimuler passagèrement. C’est aussi la grande faiblesse du livre que d’entrer sans cesse en conflit avec l’esprit de ses lecteurs les meilleurs, j’entends les plus exigeants. Dans le très court dialogue que j’improvise plus haut entre le médecin et l’aliéné, c’est d’ailleurs ce dernier qui a le dessus. Puisqu’il s’impose par ses réponses à l’attention du médecin qui l’examine — et qu’il n’est pas celui qui interroge. Est-ce à dire que sa pensée est à ce moment la plus forte ? Peut-être. Il est libre de ne plus tenir compte de son âge et de son nom.


Le surréalisme poétique, auquel je consacre cette étude, s’est appliqué jusqu’ici à rétablir dans sa vérité absolue le dialogue, en dégageant les deux interlocuteurs des obligations de la politesse. Chacun d’eux poursuit simplement son soliloque, sans chercher à en tirer un plaisir dialectique particulier et à en imposer le moins du monde à son voisin. Les propos tenus n’ont pas, comme d’ordinaire, pour but le développement d’une thèse, aussi négligeable qu’on voudra, ils sont aussi désaffectés que possible. Quant à la réponse qu’ils appellent, elle est, en principe, totalement indifférente à l’amour-propre de celui qui a parlé. Les mots, les images ne s’offrent que comme tremplins à l’esprit de celui qui écoute. C’est de cette manière que doivent se présenter, dans Les Champs magnétiques, premier ouvrage purement surréaliste, les pages réunies sous le titre : Barrières, dans lesquelles Soupault et moi nous montrons ces interlocuteurs impartiaux.

Le surréalisme ne permet pas à ceux qui s’y adonnent de le délaisser quand il leur plaît. Tout porte à croire qu’il agit sur l’esprit à la manière des stupéfiants ; comme eux il crée un certain état de besoin et peut pousser l’homme à de terribles révoltes. C’est encore, si l’on veut, un bien artificiel paradis et le goût qu’on en a relève de la critique de Baudelaire au même titre que les autres. Aussi l’analyse des effets mystérieux et des jouissances particulières qu’il peut engendrer — par bien des côtés le surréalisme se présente comme un vice nouveau, qui ne semble pas devoir être l’apanage de quelques hommes ; il a comme le haschisch de quoi satisfaire tous les délicats —, une telle analyse ne peut manquer de trouver place dans cette étude.

1° Il en va des images surréalistes comme de ces images de l’opium que l’homme n’évoque plus, mais qui « s’offrent à lui, spontanément, despotiquement. Il ne peut pas les congédier ; car la volonté n’a plus de force et ne gouverne plus les facultés[15]. » Reste à savoir si l’on a jamais « évoqué » les images. Si l’on s’en tient, comme je le fais, à la définition de Reverdy, il ne semble pas possible de rapprocher volontairement ce qu’il appelle « deux réalités distantes ». Le rapprochement se fait ou ne se fait pas, voilà tout. Je nie, pour ma part, de la façon la plus formelle, que chez Reverdy des images telles que :

Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule

ou :

Le jour s’est déplié comme une nappe blanche

ou :

Le monde rentre dans un sac

offrent le moindre degré de préméditation. Il est faux, selon moi, de prétendre que « l’esprit a saisi les rapports » des deux réalités en présence. Il n’a, pour commencer, rien saisi consciemment. C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’a jailli une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Lorsque cette différence existe à peine comme dans la comparaison[16], l’étincelle ne se produit pas. Or il n’est pas, à mon sens, au pouvoir de l’homme de concerter le rapprochement de deux réalités si distantes. Le principe d’association des idées, tel qu’il nous apparaît, s’y oppose. Ou bien faudrait-il en revenir à un art elliptique, que Reverdy condamne comme moi. Force est donc bien d’admettre que les deux termes de l’image ne sont pas déduits l’un de l’autre par l’esprit en vue de l’étincelle à produire, qu’ils sont les produits simultanés de l’activité que j’appelle surréaliste, la raison se bornant à constater, et a apprécier le phénomène lumineux.

Et de même que la longueur de l’étincelle gagne à ce que celle-ci se produise à travers des gaz raréfiés, l’atmosphère surréaliste créée par l’écriture mécanique, que j’ai tenu à mettre à la portée de tous, se prête particulièrement à la production des plus belles images. On peut même dire que les images apparaissent, dans cette course vertigineuse, comme les seuls guidons de l’esprit. L’esprit se convainc peu à peu de la réalité suprême de ces images. Se bornant d’abord à les subir, il s’aperçoit bientôt qu’elles flattent sa raison, augmentent d’autant sa connaissance. Il prend conscience des étendues illimitées où se manifestent ses désirs, où le pour et le contre se réduisent sans cesse, où son obscurité ne le trahit pas. Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts. C’est la plus belle des nuits, la nuit des éclairs : le jour, auprès d’elle, est la nuit.

Les types innombrables d’images surréalistes appelleraient une classification que, pour aujourd’hui, je ne me propose pas de tenter. Les grouper selon leurs affinités particulières m’entraînerait trop loin ; je veux tenir compte, essentiellement, de leur commune vertu. Pour moi, la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas ; celle qu’on met le plus longtemps à traduire en langage pratique, soit qu’elle recèle une dose énorme de contradiction apparente, soit que l’un de ses termes en soit curieusement dérobé, soit que s’annonçant sensationnelle, elle ait l’air de se dénouer faiblement (qu’elle ferme brusquement l’angle de son compas), soit qu’elle tire d’elle-même une justification formelle dérisoire, soit qu’elle soit d’ordre hallucinatoire, soit qu’elle prête très naturellement à l’abstrait le masque du concret, ou inversement, soit qu’elle implique la négation de quelque propriété physique élémentaire, soit qu’elle déchaîne le rire. En voici, dans l’ordre, quelques exemples :

Le rubis du Champagne. Lautréamont.

Beau comme la loi de l’arrêt du développement de la poitrine chez les adultes dont la propension à la croissance n’est pas en rapport avec la quantité de molécules que leur organisme s’assimile. Lautréamont.

Une église se dressait éclatante comme une cloche. Philippe Soupault.

Dans le sommeil de Rrose Sélavy il y a un nain sorti d’un puits qui vient manger son pain la nuit. Robert Desnos.

Sur le pont la rosée à tête de chatte se berçait. André Breton.

Un peu à gauche, dans mon firmament deviné, j’aperçois — mais sans doute n’est-ce qu’une vapeur de sang et de meurtre — le brillant dépoli des perturbations de la liberté. Louis Aragon.

Dans la foret incendiée,
Les lions étaient frais. Roger Vitrac.

La couleur des bas d’une femme n’est pas forcément à l’image de ses yeux, ce qui a fait dire à un philosophe qu’il est inutile de nommer : « Les céphalopodes ont plus de raisons que les quadrupèdes de haïr le progrès. » Max Morise.

Qu’on le veuille ou non, il y a là de quoi satisfaire à plusieurs exigences de l’esprit. Toutes ces images semblent témoigner que l’esprit est mûr pour autre chose que les bénignes joies qu’en général il s’accorde. C’est la seule manière qu’il ait de faire tourner à son avantage la quantité idéale d’événements dont il est chargé[17]. Ces images lui donnent la mesure de sa dissipation ordinaire et des inconvénients qu’elle offre pour lui. Il n’est pas mauvais qu’elles le déconcertent finalement, car déconcerter l’esprit c’est le mettre dans son tort. Les phrases que je cite y pourvoient grandement. Mais l’esprit qui les savoure en tire la certitude de se trouver dans le droit chemin ; pour lui-même, il ne saurait se rendre coupable d’argutie ; il n’a rien à craindre puisqu’en outre il se fait fort de tout cerner.

2° L’esprit qui plonge dans le surréalisme revit avec exaltation la meilleure part de son enfance. C’est un peu pour lui la certitude de qui, étant en train de se noyer, repasse, en moins d’une minute, tout l’insurmontable de sa vie. On me dira que ce n’est pas très encourageant. Mais je ne tiens pas à encourager ceux qui me diront cela. Des souvenirs d’enfance et de quelques autres se dégage un sentiment d’inaccaparé et par la suite de dévoyé, que je tiens pour le plus fécond qui existe. C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la « vraie vie » ; l’enfance au-delà de laquelle l’homme ne dispose, en plus de son laisser-passer, que de quelques billets de faveur ; l’enfance où tout concourait cependant à la possession efficace, et sans aléas, de soi-même. Grâce au surréalisme, il semble que ces chances reviennent. C’est comme si l’on courait encore à son salut, ou à sa perte. On revit, dans l’ombre, une terreur précieuse. Dieu merci, ce n’est encore que le Purgatoire. On traverse, avec un tressaillement, ce que les occultistes appellent des paysages dangereux. Je suscite sur mes pas des monstres qui guettent ; ils ne sont pas encore malintentionnés à mon égard et je ne suis pas perdu, puisque je les crains. Voici « les éléphants à tête de femme et les lions volants » que, Soupault et moi, nous tremblâmes naguère de rencontrer, voici le « poisson soluble » qui m’effraye bien encore un peu. POISSON SOLUBLE, n’est-ce pas moi le poisson soluble, je suis né sous le signe des Poissons et l’homme est soluble dans sa pensée ! La faune et la flore du surréalisme sont inavouables.

3° Je ne crois pas au prochain établissement d’un poncif surréaliste. Les caractères communs à tous les textes du genre, parmi lesquels ceux que je viens de signaler et beaucoup d’autres que seules pourraient nous livrer une analyse logique et une analyse grammaticale serrées, ne s’opposent pas à une certaine évolution de la prose surréaliste dans le temps. Venant après quantité d’essais auxquels je me suis livré dans ce sens depuis cinq ans et dont j’ai la faiblesse de juger la plupart extrêmement désordonnés, les historiettes qui forment la suite de ce volume m’en fournissent une preuve flagrante. Je ne les tiens à cause de cela, ni pour plus dignes, ni pour plus indignes, de figurer aux yeux du lecteur les gains que l’apport surréaliste est susceptible de faire réaliser à sa conscience.

Les moyens surréalistes demanderaient, d’ailleurs, à être étendus. Tout est bon pour obtenir de certaines associations la soudaineté désirable. Les papiers collés de Picasso et de Braque ont même valeur que l’introduction d’un lieu commun dans un développement littéraire du style le plus châtié. Il est même permis d’intituler POÈME ce qu’on obtient par l’assemblage aussi gratuit que possible (observons, si vous voulez, la syntaxe) de titres et de fragments de titres découpés dans les journaux :

POÈME


Un éclat de rire
de saphir dans l’île de Ceylan

Les plus belles pailles
ONT LE TEINT FANÉ
SOUS LES VERROUS

dans une ferme isolée
AU JOUR LE JOUR
s’aggrave
l’agréable

Une voie carrossable
vous conduit au bord de l’inconnu

le café
prêche pour son saint
L’ARTISAN QUOTIDIEN DE VOTRE BEAUTÉ

MADAME,
une paire
de bas de soie
n’est pas

Un saut dans le vide
UN CERF

L’Amour d’abord
Tout pourrait s’arranger si bien
PARIS EST UN GRAND VILLAGE

Surveillez
Le feu qui couve
LA PRIÈRE
Du beau temps

Sachez que
les rayons ultra-violets
ont terminé leur tâche
Courte et bonne

LE PREMIER JOURNAL BLANC
DU HASARD
Le rouge sera

Le chanteur errant
OÙ EST-IL ?
dans la mémoire
dans sa maison
AU BAL DES ARDENTS

Je fais
en dansant
Ce qu’on a fait, ce qu’on va faire

Et on pourrait multiplier les exemples. Le théâtre, la philosophie, la science, la critique parviendraient encore à s’y retrouver. Je me hâte d’ajouter que les futures techniques surréalistes ne m’intéressent pas.

Autrement graves me paraissent être[18], je l’ai donné suffisamment à entendre, les applications du surréalisme à l’action. Certes, je ne crois pas à la vertu prophétique de la parole surréaliste. « C’est oracle, ce que je dis »[19] : Oui, tant que je veux, mais qu’est lui-même l’oracle ?[20] La piété des hommes ne me trompe pas. La voix surréaliste qui secouait Cumes, Dodone et Delphes n’est autre chose que celle qui me dicte mes discours les moins courroucés. Mon temps ne doit pas être le sien, pourquoi m’aiderait-elle à résoudre le problème enfantin de ma destinée ? Je fais semblant, par malheur, d’agir dans un monde où, pour arriver à tenir compte de ses suggestions, je serais obligé d’en passer par deux sortes d’interprètes, les uns pour me traduire ses sentences, les autres, impossibles à trouver, pour imposer à mes semblables la compréhension que j’en aurais. Ce monde dans lequel je subis ce que je subis (n’y allez pas voir), ce monde moderne, enfin, diable ! que voulez-vous que j’y fasse ? La voix surréaliste se taira peut-être, je n’en suis plus à compter mes disparitions. Je n’entrerai plus, si peu que ce soit, dans le décompte merveilleux de mes années et de mes jours. Je serai comme Nijinski, qu’on conduisit l’an dernier aux Ballets russes et qui ne comprit pas à quel spectacle il assistait. Je serai seul, bien seul en moi, indifférent à tous les ballets du monde. Ce que j’ai fait, ce que je n’ai pas fait, je vous le donne.

Et, dès lors, il me prend une grande envie de considérer avec indulgence la rêverie scientifique, si malséante en fin de compte, à tous égards. Les sans-fil ? Bien. La syphilis ? Si vous voulez. La photographie ? Je n’y vois pas d’inconvénient. Le cinéma ? Bravo pour les salles obscures. La guerre ? Nous riions bien. Le téléphone ? Allô, oui. La jeunesse ? Charmants cheveux blancs. Essayez de me faire dire merci : « Merci. » Merci… Si le vulgaire estime fort ce que sont à proprement parler les recherches de laboratoire, c’est que celles-ci ont abouti au lancement d’une machine, à la découverte d’un sérum, auxquels le vulgaire se croit directement intéressé. Il ne doute pas qu’on ait voulu améliorer son sort. Je ne sais ce qui entre exactement dans l’idéal des savants de vœux humanitaires, mais il ne me paraît pas que cela constitue une somme bien grande de bonté. Je parle, bien entendu, des vrais savants et non des vulgarisateurs de toutes sortes qui se font délivrer un brevet. Je crois, dans ce domaine comme dans un autre, à la joie surréaliste pure de l’homme qui, averti de l’échec successif de tous les autres, ne se tient pas pour battu, part d’où il veut et, par tout autre chemin qu’un chemin raisonnable, parvient où il peut. Telle ou telle image, dont il jugera opportun de signaliser sa marche et qui, peut-être, lui vaudra la reconnaissance publique, je puis l’avouer, m’indiffère en soi. Le matériel dont il faut bien qu’il s’embarrasse ne m’en impose pas non plus : ses tubes de verre ou mes plumes métalliques… Quant à sa méthode, je la donne pour ce que vaut la mienne. J’ai vu à l’œuvre l’inventeur du réflexe cutané plantaire ; il manipulait sans trêve ses sujets, c’était tout autre chose qu’un « examen » qu’il pratiquait, il était clair qu’il ne s’en fiait plus à aucun plan. De-ci de-là, il formulait une remarque, lointainement, sans pour cela poser son épingle, et tandis que son marteau courait toujours. Le traitement des malades, il en laissait à d’autres la tâche futile. Il était tout à cette fièvre sacrée.

Le surréalisme, tel que je l’envisage, déclare assez notre non-conformisme absolu pour qu’il ne puisse être question de le traduire, au procès du monde réel, comme témoin à décharge. Il ne saurait, au contraire, justifier que de l’état complet de distraction auquel nous espérons bien parvenir ici-bas. La distraction de la femme chez Kant, la distraction « des raisins » chez Pasteur, la distraction des véhicules chez Curie sont à cet égard profondément symptomatiques. Ce monde n’est que très relativement à la mesure de la pensée et les incidents de ce genre ne sont que les épisodes jusqu’ici les plus marquants d’une guerre d’indépendance à laquelle je me fais gloire de participer. Le surréalisme est le « rayon invisible » qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires. « Tu ne trembles plus, carcasse. » Cet été les roses sont bleues ; le bois c’est du verre. La terre drapée dans sa verdure me fait aussi peu d’effet qu’un revenant. C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs.

  1. Dostoïevski: Crime et Châtiment.

  2. Pascal.

  3. Barrès, Proust

  4. Il faut tenir compte de l'épaisseur du rêve. Je ne retiens, en général, que ce qui me vient de ses couches les plus superficielles. Ce qu'en lui j'aime le mieux envisager, c'est tout ce qui sombre à l'éveil, tout ce qui ne me reste pas de l'emploi de cette précédente journée, feuillages sombres, branches idiotes. Dans la « réalité », de même, je préfère tomber.

  5. Ce qu'il y a d'admirable dans le fantastique, c'est qu'il n'y a plus de fantastique : il n'y a que le réel.

  6. Voir Les Pas perdus, N.R.F., édit.

  7. Nord-Sud, mars 1918.

  8. Peintre, cette représentation visuelle eût sans doute pour moi primé l'autre. Ce sont assurément mes dispositions préalables qui en décidèrent. Depuis ce jour, il m'est arrivé de concentrer volontairement mon attention sur de semblables apparitions et je sais qu'elles ne le cèdent point en netteté aux phénomènes auditifs. Muni d'un crayon et d'une feuille blanche, il me serait facile d'en suivre les contours. C'est que là encore il ne s'agit pas de dessiner, il ne s'agit que de calquer. Je figurerais bien ainsi un arbre, une vague, un instrument de musique, toutes choses dont je suis incapable de fournir en ce moment l'aperçu le plus schmatique. je m'enfoncerais, avec la certitude de me retrouver, dans un dédale de linges qui ne me paraissent concourir, d'abord, à rien. Et j'en éprouverais, en ouvrant les yeux, une très forte impression de « jamais vu ». La preuve de ce que j'avance a été faite maintes fois par Robert Desnos : il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à feuilleter le n° 36 des Feuilles libres contenant plusieurs de ses dessins (Roméo et Juliette, Un homme est mort ce matin, etc.) pris par cette revue pour des dessins de fous et publiés innocemment comme tels

  9. Knut Hamsun place sous la dépendance de la faim cette sorte de révélation à la quelle j'ai été en proie, et il n'a peut-être pas tort. (Le fait est que je ne mangeais pas tous les jours à cette époque.) À coup sûr ce sont bien les mêmes manifestations qu'il relate en ces termes : « ... » Apollinaire affirmait que les premiers tableaux de Chirico avaient été peints sous l'influence de troubles cénesthétiques (migraines, coliques).

  10. Je crois de plus en plus à l'infaillibilité de ma pensée par rapport à moi-même, et c'est trop juste. Toutefois, dans cette écriture de la pensée où l'on est à la merci de la première distraction extérieure, il peut se produire des « bouillons ». On serait sans excuse de chercher à les dissimuler. Par définition, la pensée est forte, et incapable de se prendre en faute. C'est sur le compte des suggestions qui lui viennent du dehors qu'il faut mettre ces faiblesses évidentes.

  11. Et aussi par Thomas Carlyle dans Sartor Resartus (chapitre VIII : Supernaturalisme naturel), 1833-34.

  12. Cf. aussi l'IDÉORÉALISME de Saint-Pol-Roux.

  13. Je pourrais en dire autant de quelques philosophes et de quelques peintres, à ne citer parmi ces derniers qu'Ucello dans l'époque ancienne, et, dans l'époque moderne, que Seurat, Gustave Moreau, Matisse (dans « La Musique » par exemple,) Derain, Picasso (de beaucoup le plus pur), Braque, Duchamp, Picabia, Chirico (si longtemps admirable), Klee, Man Ray, Max Ernst et, si près de nous, André Masson.

  14. Nouvelles Hébrides, Désordre formel, Deuil pour Deuil.

  15. Baudelaire.

  16. Cf. l'image chez Jules Renard.

  17. N'oublions pas que, selon la formule de Novalis, « il y a des séries d'événements qui courent parallèlement avec les réelles. Les hommes et les circonstances, en général, modifient le train idéal des événements, en sorte qu'il semble imparfait ; et leurs conséquences aussi sont également imparfaites. C'est ainsi qu'il en fut de la Réformation ; au lieu du Protestantisme est arrivé le Luthérianisme ».

  18. Quelques réserves ...

  19. Rimbaud.

  20. Rimbaud.