L'âge roman - 7ème partie : l'art roman, niveau historique du reflet du mouvement de la matière
Submitted by Anonyme (non vérifié)Il serait faux, bien entendu, de ne pas voir l'amplitude de l'art roman. Car l'art roman fait plus que présenter des restes de matriarcat à côté de l'idéologie générale de l'époque que nous avons appelé l'âge roman.
Ce qui se passe est facile à comprendre. A l'époque, seul l'art roman permettait une représentation. Or, si l'église entend intégrer les masses, il faut qu'elle se présente comme le reflet de la réalité en mouvement, réalité bien entendu perçue comme incompréhensible ou comme relevant de l’ordre divin et statique.
Cela signifie que la complexité même de la réalité des masses doit être intégrée. Ainsi, l'art roman fait ce que la bourgeoisie croit que Rabelais a fait, bien plus tard, avec Gargantua et Pantagruel.
En pratique, c’est la culture populaire qui est intégrée, de manière littérale, aux églises romanes. Il y a ici toute une histoire à écrire, celle des masses populaires justement.
Pour comprendre à quel point l'art gothique, qui suit l'art roman, « nettoie » cette dimension populaire, il suffit de lire une critique religieuse datant de cette époque :
“ Que viennent faire dans vos cloîtres où les religieux s'adonnent aux saintes lectures, ces monstres grotesques, ces extraordinaires beautés difformes et ces belles difformités ?
Que signifient ici des singes immondes, des lions féroces, de bizarres centaures qui ne sont hommes qu'à demi ? (...) Ici l'on voit tantôt plusieurs corps sous une tête, tantôt plusieurs têtes sur un seul corps. (...)
Enfin, la diversité de ces formes apparaît si multiple qu'on déchiffre les marbres au lieu de lire dans les manuscrits, qu'on occupe le jour à contempler ces curiosités au lieu de méditer la loi de Dieu. Seigneur, si l'on ne rougit pas de ces absurdités, que l'on regrette au moins ce qu'elles ont coûté. ”
(Saint Bernard, Apologie à Guillaume)
En effet, les restes ouverts de matriarcat sont surtout présents à la périphérie du pouvoir franc, pour ce qu'il en reste aujourd'hui, et des églises accueillent même des femmes avec des serpents. On comprend ce que sera la grande bataille meurtrière contre les sorcières que mènera l’Église.
Pour autant, l'art roman se construit comme la conquête idéologique des masses par l'église s'appuyant sur le pouvoir royal, et même construit initialement par le pouvoir royal, comme on l'a vu.
Alors, la conception des masses, avec toute la richesse de la vie, quasiment kaléidoscopique, est assimilée par l’Église.
On a ainsi des personnages haut en couleurs, au-delà même des restes matriarcaux : des couples enlacés, des personnages avec des gros sexes (surtout masculins), des figures montrant leurs fesses, des acrobates dans des positions incongrues, des monstres tirant la langue...
Parfois, cela peut se prolonger même à travers l'art roman, comme le montre le personnage perdu en haut d'une maison à Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, datant du 15ème siècle.
Bien entendu et comme déjà dit, il s'agit normalement d'enseignement religieux, comme en témoigne le diable venant conquérir un pécheur, ici dans l'abbaye de Puypéroux en Charente.
Ici, c'est une femme que vient chercher le diable, à l'abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire.
Et là, c'est un prêteur d'argent, avec deux sacs d'or, qui se voit susurrer des messages par un serpent diabolique, à Saint-Parize-Le-Châtel dans la Nièvre.
C'est un riche roi que le diable cherche ici, à l'église de Cunault dans le Maine-et-Loire.
Cette dimension populaire, centrale dans l'intégration des masses à l'idéologie générale du nouveau pouvoir royal formé sur les décombres de l'esclavagisme, reste à étudier de manière approfondie, par l'Etat socialiste qui suivra la révolution. Ce qui signifiera aussi préserver l'art roman, la bourgeoisie l'interprétant et ne préservant finalement comme patrimoine que ce qui la sert.
Il est bien sûr possible de se demander pourquoi le moyen-âge ne fut pas une meilleure période sociale, alors que l'art roman se développait en tant qu'idéologie. De nombreux éléments expliquent cela.
Tout d'abord, les aristocrates faisant partie du soutien au roi s'émancipent, tout comme le clergé s'est émancipé. Les terres remises pour une vie seulement se transforment en terres héréditaires.
Les mottes castrales, mini-forteresses en bois, construites rapidement sur de la terre amassée en motte, se transforment également en châteaux de pierre, dont le donjon est le symbole du châtelain.
C'est une première cassure dans le processus d'unification du pays ; les forces féodales s'arrogent de véritables bastions, exploitant violemment les « manants. » C'est l'instauration de la féodalité telle qu'on la connaît, avec son « chevalier » qui est en fait un agent de répression, et toutes les corvées, taxes, péages, etc.
Cela va provoquer une crise sévère, le clergé étant lésé localement par cette affirmation aristocratique. Va être alors lancé au 10ème et 11ème siècle le mouvement de la « paix de Dieu », qui va réguler les rapports entre aristocrates locaux d'un côté, population et clergé de l'autre.
C'est en fait surtout une mobilisation de masse en faveur du pouvoir central, qui va en pratique reprendre en main l'organisation du pays, tout en reconnaissant la nouvelle aristocratie locale installée.
Là est le second élément : les masses sont coincées entre le clergé et la noblesse. En Orient, avec la conquête musulmane, les princes ont une hégémonie dans le pays, même le clergé est obligé de se soumettre devant ceux qui permettent justement le triomphe des conquêtes.
Il n'y a pas cela en Europe et, par conséquent, il y a une concurrence au cœur du pouvoir entre clergé et noblesse, dont le peuple est victime. En Orient et en Afrique du Nord, à la fin de la conquête musulmane, le clergé reviendra pareillement en force et cela en sera fini de la possibilité d'un noyau philosophe, la falsafa, proche du pouvoir et protégé par lui.
Voilà pourquoi les masses ne pouvaient pas, historiquement, se soulever, même si elles pousseront la logique de l'art roman jusqu'au bout, avec le catharisme, les différentes et nombreuses révoltes paysannes entendant réaliser le royaume de Dieu sur Terre.
Seule la bourgeoisie pouvait mettre à bas le système féodal en sapant ses fondements mêmes.
Et c'est au cœur même de la féodalité, par les commerçants et les marchands, les banquiers, que le capitalisme naît et se propage avec les villes.
La particularité de la situation italienne aidera naturellement, dans la mesure où les marchands disposaient d'une marge de manœuvre bien plus grande qu'ailleurs. Mais c'est surtout l'averroïsme qui va fournir l'arme idéologique capable d'arriver à ébranler la construction idéologique – culturelle née dans la féodalité.
La preuve de cela est que les masses restent prisonnières de la religion, initialement, et cela tant en Orient qu'en Europe.
Ce ne sera pas avant les Lumières que les conceptions averroïstes, humanistes et libertines se diffuseront réellement dans les masses.
Seule la bourgeoisie, de par sa position, peut s'extirper du régime féodal, puisqu'elle naît tardivement au sein de la féodalité et contre elle, puisque, pour se développer, elle devait briser les obstacles féodaux, notamment la question de la propriété et des droits individuels.