12 mai 2013

L'âge roman - 2ème partie : développement de l’État et du christianisme sous Charlemagne

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Avec l'effondrement de l'empire romain sous le poids de ses propres contradictions et des invasions barbes, la situation devint particulièrement instable dans le monde gallo-romain. Des guerres incessantes se déroulaient pour la domination de chefs locaux, et jusqu'à ce qu'une force prédomine.

Cette force consistera en la dynastie carolingienne (terme venant de Carolus, Charlemagne), qui va triompher non pas simplement par des victoires militaires, mais par l'établissement d'un véritable État, permettant la sortie de la barbarie et l’avènement d'une idéologie progressiste pour l'époque.

Cette idéologie, c'est le christianisme. Jusqu'au 8ème siècle, celui-ci est extrêmement arriéré. Il est un mélange d'idéalisme à la Platon avec une morale post-Aristote : le stoïcisme. Il enseigne l'espoir et tente d'aider face aux difficultés de la vie ; il est un opium du peuple dont le peuple a besoin, mais qui subit des influences extérieures très importantes (restes païens, hérésies diverses, faible niveau culturel et idéologique du clergé, etc.).

La naissance d'un véritable Etat va modifier cette situation, et ce n'est donc pas la religion qui va s'adapter au régime, mais le régime qui va impulser des changements très nets dans la religion, unifiant les liturgies, les styles de travail, et même le personnel dirigeant, fusionnant d'ailleurs en partie avec lui.

L'Eglise catholique telle qu'on la connaît aujourd'hui au début du 21ème siècle ne provient pas tant d'une « véritable » tradition des premiers chrétiens, que de l'élan progressiste à l'époque fournie par les carolingiens.

Ces changements, tant dans la religion que dans la société et donc finalement également l’État, les historiens bourgeois les résument dans l'expression « renaissance carolingienne » et les masses les connaissent sous la phrase « Charlemagne a inventé l'école ».

La chanteuse France Gall par exemple sortit en 1964 une chanson au refrain très connu en France : « Qui a eu cette idée folle Un jour d'inventer l'école ? C'est ce sacré Charlemagne Sacré Charlemagne. »

Le texte contient une explication très exacte, puisqu'il est dit de Charlemagne :

 Il n'avait qu'à s'occuper
De batailles et de chasse
Nous n'serions pas obligés
D'aller chaque jour en classe 

 

En effet, Charlemagne a fait sortir la royauté de la vie immédiate et quasi barbare de « batailles et de chasse » pour l'amener à une véritable culture étatique, en tant qu'aboutissement d'un processus commencé par ses prédécesseurs caroligiens.

Le processus se déroule dialectiquement de la manière suivante. Tout d'abord, Charlemagne va mettre en place des moyens administratifs de gouverner. Sont ainsi mis en places des « capitulaires », c'est-à-dire des ordonnances formulées par le souverain.

Comme il lui faut également un cadre, il produit également une « exhortation générale », sorte de constitution.

Seulement, il a également besoin d'un personnel administratif. Pour cela, Charlemagne va procéder de deux manières. Dans cette « exhortation », est directement exigé des prêtres, avec un caractère obligatoire, d'avoir la connaissance des prières et des sacrements de base.

En plus de cela, chaque évêché doit posséder son école. En pratique, cathédrales et monastères doivent ouvrir une école destinée aux clercs et aux moines, et en plus organiser des cours gratuits à qui le voudraient bien (pour la lecture et l'écriture, la religion, etc.).

Le chapitre 72 de cette célèbre ordonnance Admonitio generalis de 789 demande par exemple :

 que les prêtres attirent vers eux non seulement les enfants de condition servile, mais aussi les fils d'hommes libres. Nous voulons que soient fondées des écoles où les enfants puissent [apprendre à] lire. Dans chaque monastère ou évêché, corrigez scrupuleusement les psaumes, les notes [l'écriture sténographique], le chant [d'église], le comput [calcul], la grammaire et les livres religieux ; parce que souvent, ceux qui souhaitent bien prier Dieu le font mal à cause de livres non corrigés.

Ne permettez pas que vos élèves les altèrent, soit en les lisant, soit en les écrivant ; et s'il faut copier les Évangiles, le psautier ou le missel, que des hommes d'expérience les transcrivent avec le plus grand soin. 

Ce sont ces cours qui sont à l'origine de l'affirmation selon laquelle Charlemagne a inventé l'école. En réalité, il a appelé à l'organisation du personnel de ce qui devra être l'appareil d’État.

Charlemagne avait véritablement compris le besoin d'une assise idéologique à son royaume ; si peu cultivé, il comprenait la valeur de la culture, et il envoya ainsi à l'abbé de Fulda la lettre De litteris colendis (De la culture littéraire).

Cela n'est cependant pas tout et c'est là qu'on arrive au second aspect : celui du contrôle du personnel administratif. Charlemagne instaure en effet des missi dominici (« envoyés du seigneur », en latin), c'est-à-dire des envoyés du roi qui vérifient les activités des représentants du roi au niveau local.

L'un d'entre eux sera Théodulf, évêque d'Orléans (et archevêque par la suite) également à l'origine d'une célèbre chapelle avec une mosaïque de type byzantine, à Germigny-des-Prés.

Notamment calligraphe et poète, Théodulf va non seulement enseigner selon les principes de Charlemagne et donner un « modèle » au clergé, mais il va être le principal théologien du régime, notamment lors d'une polémique sur le culte des images écrite à la demande de Charlemagne. Théodulf va également superviser la retraduction de textes latins et hébreux, considérés par Charlemagne comme étant imparfaits.

Théodulf rejetait absolument et formellement tout culte des images, toute représentation du Christ et des Saints, mais comme théologien de Charlemagne, il a accepté de prôner une ligne conciliatrice par rapport à l'empire byzantin (qui lui reconnaissait le culte en utilisant des images).

Il dit ainsi dans son œuvre destinée au pape, contre son avis mais déjà dans l'esprit de la fusion politique et religion : « À l'endroit des images, nous ne blâmons rien, si ce n’est leur adoration ; aussi permettons-nous qu’il y ait des images dans les basiliques des saints, non dans un but d’adoration, mais pour rappeler leur action et embellir les murs. »

Pour asseoir cette dimension politique, et asseoir une position de « centre », Charlemagne met le premier un terme à la vie itinérante des rois, et fixe en 790 son palais à Aix-la-Chapelle.

C'est la naissance d'une cour stabilisée, avec autour d'elle des architectes, des peintres, des calligraphes, mais pas seulement : le palais qui disposera lui-même d'une école de haut niveau, destiné bien entendu à former les fils de la plus haute aristocratie.

Le responsable de cette école fut Alcuin d'York (en vieil anglais Ealhwine, en latin Albinus), qui organisa également les enseignements pour le clergé, en se fondant sur la culture antique, avec les Trivium (grammaire, dialectique et rhétorique) et Quadrivium (arithmétique, musique, géométrie et astronomie).

On lui attribue souvent l'écriture du Capitulaire De Villis, document donnant les ordres aux intendants de Charlemagne.

Au début du 9ème siècle, on a donc le principe d'une exigence intellectuelle et culturelle de haut niveau, s'appuyant sur le clergé dont les structures sont littéralement récupérées par Charlemagne.

La tendance était bien sûr déjà présente. Son grand-père Charles Martel, figure « chrétienne » importante de par sa victoire sur les armées musulmanes en 732, attribuait déjà des charges abbatiales et épiscopales à des parents ou à des hommes de confiance.

Son père Pépin le Bref avait lui-même décidé d'imposer aux moines la règle de Saint-Benoît leur imposant un certain style de vie et de travail (activité manuelle, lecture des textes sacrés avec notamment prière personnelle, office divin, autorité d'un abbé...).

C'est le même Pépin le Bref qui a permis l'instauration d'un Etat papal en 756.

C'est un processus d'assimilation du clergé par les Carolingiens qui se déroule très rapidement, et voilà pourquoi Charlemagne, roi des Francs en 768 et roi des Lombards en 774, effectue des pèlerinages à Rome en 774, et en 781, avec comme point culminant le sacre en tant qu'empereur, à Rome le jour de Noël 800.

Charlemagne est alors un empereur régnant sur des peuples différents, mais les unifiant sous une idéologie unique : le christianisme, en tant que vecteur de la connaissance, du savoir, de l'érudition, en tant que pourvoyeur du personnel administratif de l'Etat.

Voilà pourquoi Charlemagne a poussé le christianisme à n'avoir partout qu'un seul style de liturgie : c'est pour des besoins d'unification. Les peuples de l'empire parlaient différentes langues, mais toutes les célébrations religieuses étaient en latin, langue de l'administration fournie par le christianisme et ses structures.

D'où le souci des carolingiens de faire se fusionner leurs propres structures avec la direction du personnel religieux et de faciliter l'émergence idéologique : est même lancé une écriture en minuscule, dite « minuscule caroline », censée favoriser la lecture et l'écriture.

Charlemagne, un Franc, a dépassé le statut de simple « roi des Francs » et n'est pas tombé dans le travers de vouloir « redevenir » un Auguste, un empereur romain. Il a placé l'empire dans le christianisme, lui donnant une légitimité comme intermédiaire entre la terre et le ciel.

Alors, le petit-fils de Charlemagne (843-877) pourra revendiquer la formule « Gratia Dei Reix », c'est-à-dire « Roi par la grâce de Dieu. »

Ce sera là le modèle de la féodalité, et c'est cette fusion-assimilation du christianisme par les royautés qui donne naissance à l'art roman.

Sur le plan culturel-idéologique, on peut parler de l'âge roman comme la première étape de l'établissement véritable de la féodalité, du premier développement des cadres nationaux en Europe et, pour ce qui nous concerne, en France.