12 mai 2013

L'âge roman - 5ème partie : plan des églises, rôle des voûtes et figure du Christ

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A partir du moment où l'art roman est une synthèse idéologique d'une époque historique, alors on doit retrouver dans ses formes des rapports avec les valeurs culturelles-idéologiques dominantes.

Or, nous avons vu que le clergé avait gagné en autonomie lors de la genèse de l'âge roman, avec en arrière-plan la conception de la Civitas Dei.

On ne sera donc pas étonné que l'église forme une croix. Voici par exemple le plan de la Basilique Notre-Dame-du-Port, de Clermont-Ferrand, et celui de l'abbatiale Saint-Austremoine d'Issoire (juste à côté se trouvant le Centre d'art roman Georges-Duby).

 

Voici une vue de l'intérieur, pour bien comprendre la disposition.

Voici à quoi cela ressemble construit, avec l'abbaye de Cluny.

 

Bien entendu, il y a tout un vocabulaire très complexe pour décrire les différentes parties.

L'entrée immédiate s'appelle le narthex, la première partie la nef, la zone transversale donnant la forme de croix s'appelle le transept, puis la fin où est le clergé est nommé le prolongement de la nef.

Chaque partie est également subdivisée. Voici un exemple avec l'église de Saint-Nectaire.

 

Si l'on comprend alors que l'église est orientée vers l'Est, alors on a la clef pour résoudre la question de la nature de l'architecture de l'âge roman.

L'église se présente comme un passage – d'où le symbole de la croix, « clef » de ce passage – qui permet d'accéder à l'autre monde. Il faut ainsi un maximum d'éloignement entre l'entrée et là où se trouve la croix et le personnel religieux exerçant son office.

Il ne doit rien y avoir de non-religieux, d'où la réussite de l'ordre de Cluny à ce que l'aristocratie cesse d'utiliser, pour des procès par exemple, l'aile ouest qui formait une sorte de pré-église, qui a donc par la suite été automatiquement intégrée au reste.

C'est néanmoins dans la partie ouest que l'on va trouver la « loge » pour les aristocrates, qui disposent d'un accès en hauteur, symbole de leur privilège et de leur importance.

Car là est l'aspect central : toute la population va à l'église. C'est une tradition obligatoire, un devoir social. Par conséquent, les églises doivent être en mesure d'accueillir les fidèles.

Et le climat européen connaissant de grandes variations de température, il a fallu que les bâtiments soient solides et fermés.

C'est là qu'on découvre de manière matérialiste pourquoi les églises ont des formes voûtées. Car si l'on veut couvrir une salle, il n'y a que deux moyens. Soit soutenir le plafond par des piliers, mais alors ce n'est pas pratique pour un office, il n'y a pas de vue globale, de sentiment d'unité sans bornes. Soit on utilise le principe de la voûte. Une voûte « referme » le plafond, à condition que les murs de côté soient très solides (voilà pourquoi ils sont renforcés à l'extérieur). Voici une image montrant comment le poids se redirige vers l'extérieur.

On comprend donc la forme des églises. D'un côté, il y a la croix, bien que cela ne saute pas forcément aux yeux aujourd'hui, les églises étant imbriqués dans des quartiers le plus souvent. A côté de cela, il y a la salle.

En fait, l'âge roman est le premier où la population se rassemble véritablement ensemble. Les salles de l'antiquité gréco-romaine ne rassemblait au mieux que des « hommes libres. »

L'âge roman, par contre, est l'âge où les masses passent un palier : elles nient l'esclavage. Bien entendu, il y a encore des rapports de domination, forts aigus. Mais les maîtres consistant en les aristocrates ont des devoirs.

Ils peuvent les contourner, mais pas systématiquement, l'unité sociale étant à ce prix. Les églises sont le témoignage de cette unité, absolue qui plus est dans l'au-delà.

Le monde matériel est ainsi imparfait, mais de toutes manières, les conditions de vie à l'intérieur de ce mode de production ne permettent pas un grand épanouissement. Voilà pourquoi dans une mesure importante, il cède la place à une valorisation de l'au-delà, de la Jérusalem céleste en tant que monde idéal à venir, lors du retour de Jésus Christ.

Les voûtes sont le symbole d'un passage, d'une sorte de couloir aboutissant à Dieu avec, en plus, une dimension sociale totale : contrairement à la société esclavagiste, tout le monde est concerné.

C'est un saut qualitatif très important et le « Dieu » chrétien comme concept est ici un passage progressiste et nécessaire. Il permet de passer à un mode de production supérieur, à une unité supérieure de l'humanité.

Sur le plan individuel également, le Dieu chrétien permet l'émergence de rapports nouveaux, que la brutalité de l'esclavage ne permettait pas.

Hegel a raison de constater que :

“ Dans le ressuscité, dans celui qui était ensuite monté aux cieux, l'image retrouva la vie et l'amour, la représentation de son unité. Dans cette nouvelle union de l'esprit et du corps, l'opposition du vivant et du mort disparaissait, elle trouvait sa conciliation en un Dieu ; la nostalgie de l'amour s'est découverte elle-même comme nature vivante et peut désormais jouir d'elle-même ; son adoration est désormais la religion de la communauté ; le besoin religieux trouve sa satisfaction dans ce Christ ressuscité, dans cette vie qui a pris figure. ”

(L'esprit du christianisme et son destin)

Le christianisme établit la possibilité d'une vie où règne la compassion ; c'est pour cela qu'au 19ème siècle et au 20ème siècle, le philosophe décadent Nietzsche et les nationaux-socialistes allemands le rejetteront comme idéologie des « faibles ».

Dans la mesure où la figure du Christ est à la fois terrestre et divine, alors l'amour est au moins en partie possible sur terre. C'est une négation de la barbarie, et l'église est le lieu idéologique de ce refus.

Voilà pourquoi Hegel a bien noté que le christianisme ne propose pas un Dieu lointain, absent depuis depuis des siècles, comme le fait le judaïsme, mais un Dieu présent perpétuellement et « portant » le monde.

L'islam fait de même et le judaïsme rénové parallèlement à la même période s'adaptera similairement (avec la conception kabbaliste notamment).

Hegel constatait ainsi :

“ Mais en tant qu'esprit, Dieu consiste essentiellement à être pour un autre, c'est-à-dire à se révéler ; il ne crée pas le monde une fois, il est le créateur éternel, cette activité éternelle de se révéler ; il est cela, cet actus [cette poursuite, processus en cours]. C'est là son concept, sa détermination.

La religion est ainsi la religion manifeste, car elle est esprit pour l'esprit. Elle est la religion de l'esprit et non pas ce qui est secret, elle n'est pas fermée mais manifeste, elle est pour un autre, mais un autre qui n'est que momentanément un autre ; Dieu est ce processus, il pose l'autre et le supprime dans son mouvement éternel. L'esprit consiste ainsi essentiellement à s'apparaître à soi-même, à se manifester. ”

(Leçons sur la philosophie de la religion)

« Dieu » est le miroir de l'activité humaine : on comprend pourquoi le protestantisme naîtra avec la forme qu'il a eu. Le protestantisme n'est que le miroir modifié selon les exigences pratiques de la bourgeoisie naissante.

Et la figure du Christ est cruciale, car c'est le Christ qui est humain, et tout ce qui est humain est d'une certaine manière Christ. En étant « chrétien » c'est-à-dire d'une certaine manière comme le Christ, l'humain prend les attributs du Christ sur Terre, c'est-à-dire que, dans le monde matériel, il peut faire des choix, agir, s'approprier... mais de manière aliénée.

Pour autant, avec le christianisme, l'être humain s'affirme comme universel ; il rejette le tribalisme et ce, définitivement, car il souligne la dimension universelle, même si uniquement véritablement dans l'au-delà.

Le « Dieu » des humains est bien un miroir ; le « Dieu » qui a tout fait devient indirectement la considération de l'humanité sur toute la réalité terrestre. L'idée d'un « tout » s'affirme ; Hegel explique ainsi :

“ Ce n'est pas seulement lorsque l'homme vient au monde qu'il est celui qui répand la lumière ; [la lumière] est aussi dans le monde lui-même, le monde est tout entier avec toutes ses relations, toutes ses déterminations, l'œuvre de l'homme se développant sans que le monde dans lequel ces rapports vivent l'ait reconnu, ait reconnu la totalité de la nature parvenant à la conscience, sans qu'elle soit venue à la conscience du monde.

Le monde des hommes est ce qui est le plus authentiquement sien, ce qui lui est le plus apparenté, mais les hommes refusent de l'accueillir, le traitent comme un étranger.

Ceux, au contraire, qui se reconnaissent en lui, reçoivent de ce fait une puissance qui n'exprime pas une force nouvelle, une nouvelle réalité vivante, mais seulement le degré, l'égalité ou l'inégalité de la vie ; ils ne deviennent pas autres, mais ils reconnaissent Dieu et se reconnaissent comme enfants de Dieu, plus faibles que lui, mais de même nature, dans la mesure où ils prennent conscience de ce rapport de l’homme comme répandant la lumière véritable, découvrant leur essence, non dans une réalité étrangère, mais en Dieu. ”

(L'esprit du christianisme et son destin)

L'église de l'âge roman est ainsi la porte menant à ce miroir.