Réflexions sur la signification d'Ilya Répine: la question du réalisme
Submitted by Anonyme (non vérifié)Posons la question simplement : pourquoi en France tout le monde connaît-il Picasso, au moins de nom, alors que c'est une peintre sans technique ni dimension aucune, alors qu'absolument personne ne connaît les ambulants ?
La raison en est simple. Déjà, les ambulants étaient des démocrates, qui à la fin du XIXe siècle organisaient des expositions ambulantes, et qui peignaient la réalité, le peuple.
Or, des démocrates, au service du peuple, cela ne colle pas avec l'idéologie dominante où le peuple est considéré comme idiot et rempli de vices, à l'opposé des élites qui seraient cultivées. La bourgeoisie adore cette fiction, qu'elle distille par ailleurs dans ses multiples séries télévisées policières.
Ensuite, Picasso a fait énormément d'oeuvres, se faisant par là un serviteur zélé du capitalisme avide de placements. Il ne faut pas se leurrer : déjà à la fin du XIXe, et encore plus aujourd'hui au début du XXIe, l'art est un placement.
Selon Wikipédia, et gageons qu'on peut faire confiance à ce média pour ce genre de statistiques, on sait de Picasso que : « Il a produit près de 50 000 œuvres dont 1 885 tableaux, 1 228 sculptures, 2 880 céramiques, 7 089 dessins, 342 tapisseries, 150 carnets de croquis et 30 000 estampes (gravures, lithographies, etc.). »
En fait, des tableaux, il y en a en réalité environ 8 000, et certains valent plus de 100 millions de dollars (c'est un de ses tableaux qui a dépassé cette « côte » pour la première fois dans l'histoire du marché de l'art).
Picasso, de son vivant, était richissime, et s'il pouvait jouer à être « communiste », c'était dans la mesure où il adhérait à un parti libéral comme le Parti Communiste français et que cela ne lui coûtait rien (même si le fameux épisode du croquis représentant Staline, paru à l'occasion de la mort de celui-ci, rappelle que la peinture de Picasso n'a jamais été apprécié des communistes authentiques).
Inversement, les ambulants étaient en lutte du coté du peuple. Aussi, la qualité des rares peintures des ambulants ne vaut rien pour un capitaliste, comparé aux productions industrielles des nullistes décadents comme Picasso, sans parler de l'art contemporain.
D'un côté, de la technique et du contenu, qu'on aime ou pas est ici secondaire, et de l'autre, de la démarche gratuite, intellectualisée et élitiste, sans valeur culturelle aucune. Il n'est pas difficile de voir ce que préfère le capitalisme.
Que vaut donc pour la bourgeoisie un géant comme Ilya Repine, peintre réaliste sans concessions, face à Cloaca de Wim Delvoye, installation du prétendu « art contemporain », produisant du caca que l'on peut vendre régulièrement ?
Rien, bien entendu. Et on retrouve là le formidable danger que représente le réalisme pour la bourgeoisie. Rien qu'à voir l'incroyable « Un café du boulevard », on voit la portée de la représentation de la réalité.
Cette œuvre est une véritable portrait typique d'une situation typique, celle du café de boulevard de la Belle époque. Ce tableau devrait être le chef d'oeuvre du musée d'Orsay à Paris (cliquer pour agrandir l'image).
Cette œuvre a été vendue un peu plus de 7 millions d'euros il y a deux ans, soit pratiquement rien sur le marché de l'art. C'était la première fois qu'une œuvre de Répine était aux enchères, et naturellement ce n'est pas un musée qui l'a achetée (mais un acheteur inconnu, surenchérissant au téléphone).
Voici une autre œuvre de Répine, très intéressante aussi dans sa représentation du typique parisien de la même époque.
Répine est un titan. Il est grave qu'en France, il y ait des gens pour faire semblant d'apprécier Vladimir Maïakovski et qui « oublient », outre de le lire, de s'y intéresser et de « découvrir » qu'il était un ami proche de Répine, et qu'eux et Gorki discutaient régulièrement chez Répine.
On a là un moment historique dans l'avènement du réalisme socialiste. D'ailleurs, la maison de Répine était un grand lieu de rencontre démocrate des artistes progressistes.
Répine avait conçu une grande table ronde avec grand plateau tournant, pour que tout le monde puisse se servir quand il le voulait. Voilà un exemple parfaitement démocratique, tout comme le fait que les déjeuners étaient végétariens.
On a là un des plus hauts points de la culture humaine ; plein d'idéalisme démocratique, déjà prélude du matérialisme dialectique, Répine avait écrit dans ses mémoires : « En tant que manifestations supérieures de l’esprit, les idées authentiques et profondes resteront inaltérées. Véritables étoiles du monde des idées, elles retiendront l’attention des plus grands cœurs et des esprits les plus fins. »
Ce qui perturbe bien entendu les historiens bourgeois, c'est le fait que Répine ait dépeint le peuple ou ait poussé extrêmement loin le sens du détail dans ses peintures, alors qu'il aurait été un peintre « académique ».
C'est là un problème facile à comprendre. La bourgeoisie ne peut que repousser le réalisme ; elle ne peut que s'éloigner de sa propre période progressiste. Elle est donc obligée de nier Répine, de nier le caractère progressiste de la bourgeoisie russe contre l'autocratie, tout comme d'ailleurs les « gauchistes » doivent nier Répine et sa portée démocratique, car pour eux l'URSS était « conservatrice ».
Ce que porte Répine, tout comme Vladimir Vernadsky en science, c'est un moment particulier de la bourgeoisie, celui où elle est encore progressiste. C'est ce moment que la révolution russe a assimilé ; c'est pour cela qu'elle a intégré Pouchkine ou Répine.
C'est cette démarche qu'a tenté de reproduire le Parti Communiste français, ce qui dans un pays où la bourgeoisie était devenue réactionnaire, ne pouvait aboutir qu'à la soumission à celle-ci. En Russie, les éléments démocratiques bourgeois pouvaient se fondre dans le socialisme, de par la situation arriérée historiquement ; dans une France capitaliste, c'était une illusion.
C'est pourquoi Thorez avait tort : s'il est juste de reconnaître que la bourgeoisie française a été à un moment progressiste, cela ne voulait pas dire qu'il faille remettre en avant l'idéologie de la révolution française.
Cependant et bien entendu, il faut assumer les Répine français. Mais y en a-t-il eu ? Oui, bien entendu, en littérature, avec nos Flaubert et nos Balzac, même si bien entendu on n'y retrouve pas l'idéal démocratique et le portrait honorable du peuple que l'on retrouve chez Répine.
Le réalisme en littérature a en France été le reflet de l'approche bourgeoise anti-aristocratique, mais il n'y a pas eu de reconnaissance de la dignité du réel ; d'où par ailleurs les escrocs comme Victor Hugo qui pouvaient faire passer leurs charlataneries semi-romantiques pour quelque chose de « populaire ».
Le réalisme français a en littérature été froid, presque cynique, pavant justement la voie à un naturalisme « méthodique » et maniaque, dans un esprit vivisecteur. On ne peut pas dire que le côté positif de la réalité ressorte lorsqu'on lit Balzac ou Maupassant !
Dans les peintures de Répine, on a par contre le typique avec la dignité du réel ; la compassion est là, reconnue, assumée. Il ne s'agit pas d'un regard froid, suivant une méthode de chirurgien, d'ingénieur.
On comprend le problème des intellectuels bourgeois avec Répine : qu'ont-ils à faire de visages expressifs de Russes de la fin du XIXe siècle? Rien, bien sûr, le capitalisme s'élançant vers l'impérialisme n'assume rien d'universel.
Répine reste donc incompréhensible, inacceptable et en fait même pas visible. Là est une contradiction terrible qui, inévitablement, devra se résoudre historiquement.