L'occupation du journal Libération le 26 octobre 1977 (3)
Submitted by Anonyme (non vérifié)L'occupation de Libération par la mouvance autonome, conseilliste, rupturiste, spontanéiste ne produisit donc rien, à part l'éloignement définitif du quotidien qui, de toutes façons, était née de la capitulation de la Gauche Prolétarienne et ne pratiquait qu'une constestation libérale-libertaire.
Cette mouvance ne le comprit pas et s'effondra rapidement par la suite, en raison du succès de François Mitterrand ; ceux et celles cherchant à continuer la perspective formèrent Action Directe, dans un mélange anarchiste-communiste travaillé au corps par des partisans de la ligne « communiste combattante italienne ».
La seule tentative de bilan réel fut faite par l'Organisation Communiste Libertaire, ou plutôt sa section parisienne, qui pour cette raison même se fera exclure de l'organisation pour ce tournant radical, alors que l'orientation était plutôt tournée vers la CFDT, les luttes anti-nucléaires, un mouvementisme associatif teinté de syndicalisme révolutionnaire.
La section parisienne cessa de publier Front Libertaire au service de l'organisation et se fondit dans les autonomes, qui ne tardèrent pas à disparaître.
Mais, ainsi dans Front Libertaire du 10 novembre 1977, on trouve la tentative d'une explication quant à la décision d'occuper Libération et de ses conséquences. Elle maintient ce qui est indéniablement une fiction, à savoir que Libération a été le vecteur d'une sorte mouvement anti-autoritaire qui serait né de mai 1968 et du dépassement du gauchisme.
« C'est avec la crise du gauchisme, qui est aussi la crise du léninisme que naît « Libération ». Et ceci n'est pas un hasard. « Libération » traduit consciemment ou pas, le besoin de rendre compte de ce mouvement dans la totalité de sa richesse.
« Libération », c'est aussi la nécessité de trouver un lieu de rencontre, un lieu de confrontation, un lieu de coordination.
« Libération » est à sa naissance, pour ainsi dire « porté » par le mouvement.
Nous ne nous attarderons pas sur les aspects positifs qu'a pu avoir « Libération », mais il est nécessaire de souligner la dissociation qui progressivement s'est installée entre « Libé » et le mouvement, et qui aboutit aujourd'hui à un journal de journalistes.
La dispersion de multiples réalités sociales en a fait accentuer la division entre d'une part une institution centrale, et d'autre part une multitude d'interlocuteurs isolés. Pas de contrôle du contenu du journal sans rapport de forces, pas de rapport de forces sans coordination du mouvement.
2. Une institution indépendante de l'autonomie
« Libé », comme toute institution journalistique, est le lieu de professionnels de l'information où la part « libre expression » est réduite au ghetto du courrier des lecteurs, véritable caution démocratique qui permet à certains d'affirmer que « Libé » est ou-vert à ses lecteurs. « Libé », comme toute institution journalistique, ne parle de la réalité sociale que dans ses aspects spectaculaires (procès de femmes, de journaux, squatters expulsés, insoumis, violences extraordinaires, par exemple) qui fait d'ailleurs vendre.
Mais ces mêmes réalités ne s'expriment jamais dans « Libé » à travers les multiples débats qui les traversent. Quand par extraordinaire on en parle, il s'agit des phantasmes d'un journaliste totalement extérieur qui affirme et analyse plus qu'il ne donne la parole.
« Libé », comme toute institution s'avère incapable de se remettre en cause et se complaît dans l'auto-satisfaction de ses 30.000 exemplaires vendus.
Quand il y a un problème au sein du journal, celui-ci reste interne. A « Libé », on ne vide pas, on use ceux qui croient changer les choses et qui finissent bujours par s'en aller écœurés.
C'est l'exemple de la dernière occupation de « Libé » qui suscite un réflexe de groupe attaqué par un corps étranger, incapable de tout dialogue politique.
C'est aussi la grève de la fabrication, projet qui devait être relégué aux poubelles de la rédaction ; July ayant notamment déclaré en comité de rédaction que les textes présentés étaient débiles. Ce qui entraîna de nouveaux dé-parts... Exemples parmi beaucoup d'autres.
A « Libération » comme dans de nombreuses enreprises gauchistes, il existe un patronat, ainsi (Ilium hiérarchisation des tâches. Bien sûr, pas de hiérarchie salariale, mais une division des tâches manuels/intellectuels (rédaction/fabrication) sans aucune rotation des postes.
Rares sont les rédacteurs qui mettent la main à la fabrication, l'inverse est rare (salement et la participation de clavistes à la rédaction se limite à une ou deux rares lignes à la fin d'un article ; sans commentaires...
Quant au patron July, il est copain, « style Libé », paternaliste en diable, mais patron quand même.
Aussi grave est le phénomène d'irresponsabilité collective qui accompagne tout phénomène de bu-reaucratisation ; individuellement, les journalistes sont toujours d'accord pour reconnaître telle carence, telle position ambiguë, MAIS c'est toujours la faute du voisin, « j'étais pas là », « on va discuter », « c'est le fonctionnement, que veux-tu... »...
Quant aux articles censurés, qui ne passent pas, ils n'ont jamais été vraiment censurés ; on les a perdus, oubliés, ils n'étaient pas complets, pas dans le « style Libé », ou tout Simplement, il ne reste plus de place, ce qui n'est jamais le cas pour de nombreux éditos ou articles « pavé ».
Aussi, « pour faire passer un article dans Libé », il faut connaître « machin » ou « truc » qui est bien placé à « Libé », ou bien avoir recours à des « vedettes » (par exemple Claude Berger) pour présenter la réalité d'une lutte autonome espagnole : La Rocca), ou bien alors arriver en groupe et taper sur la table...
Ainsi, des groupes éloignés de Paris n'ayant pas de relations à « Libé » ou dans « le grand monde », se voient réduits au silence.
En conclusion, l'incapacité du mouvement de résoudre, ou simplement de poser le « problème Libé », assure la pérennité d'une institution absolu-ment incontrôlable qui fait vaguement référence au mouvement, l'utilise parfois, le manipule souvent (par censure ou déformation des réalités), le parcellise, l'isole et le dépolitise toujours.
Enfin, il est nécessaire de préciser que « Libération » ne saurait être et n'a jamais été le journal du mouvement, mais qui « en tous les cas » a toujours prétendu être un journal dans le mouvement, capable de refléter ses pratiques et ses contradictions ; en fait, de jour en jour il s'est extériorisé pour devenir étranger au mouvement. »
On a ici une fiction, qui trouve sa source dans l'incompréhension de la Gauche Prolétarienne. Plus les autonomes étaient proches de cette dernière, plus ils avaient un sens ; plus ils s'en éloignaient, plus ils disparaissaient en perdant toute valeur.
Les anarchistes de la section parisienne de l'Organisation Communiste Libertaire pensaient au contraire qu'ils inventaient quelque chose de nouveau, que l'autonomie était non pas un débris du maoïsme, mais un mouvement en soi.
Ce mouvement devait porter la radicalité de la RAF, mais en étant de masse, l'autonomie formant une sorte de nouvelle CNT.
À ce titre, c'est la radicalité révolutionnaire qui est défendu, comme en témoigne le tract des autonomes distribué à un meeting général de l'extrême-gauche, le 26 octobre 1977 à Paris :
« LE RIDICULE NE TUE PAS L'ÉTAT ASSASSINE
Nous assistons actuellement dans l'Europe entière à la mise en place d'un appareil répressif à l'échelle continentale (Convention Européenne contre le terrorisme).
Cette opération correspond à une volonté délibérée du capital de ne laisser au mouvement révolutionnaire qu'une seule alternative :
la spirale de la non-violence
- ou la lutte armée clandestine.
L'extrême-gauche officielle, depuis de nombreuses années a choisi le premier terme du choix, en cherchant à se rendre crédible, à se présenter comme responsable, en refusant tout affrontement direct avec l'État, elle assume pleinement une logique qui l'amène au soutien critique à la Gauche du capital, à l'électoralisme, au néo-réformisme.
Le dernier exemple en date de cette attitude est le meeting de ce soir. En effet, il montre la volonté de l'extrême-gauche de baisser les bras face à une interdiction de manifester, il limite la lutte contre la mise en place de l'Euro-répression à la défense des droits démocratiques pour Klaus Croissant.
En dénonçant la RAF comme un corps étranger au mouvement révolutionnaire, l'extrême gauche évacue le débat sur la violence et favorise la criminalisation par l'État de tous ceux qui refusent l'alternative imposée par le capital.
D'autant plus qu'elle porte une entière responsabilité dans le développement éventuel de groupes spécialisés dans la lutte armée et coupés du mouvement dans le sens où en dénonçant, voire même en réprimant les tentatives du mouvement d'assumer collectivement la violence sur son propre terrain, celui de ses luttes ; elle provoque, d'une part le non aboutissement des luttes, d'autre part un sentiment d'impuissance qui s'associe à une délégation consciente ou non de la violence dont le mouvement est porteur, à quelques-uns.
La crise de l'extrême-gauche n'est ni plus ni moins le fait de la contradiction entre sa tentative de se faire reconnaître par la gauche du capital, et la nécessité pour cela de s'opposer ou de se couper des tendances profondes du mouvement social qui l'apporte.
Face à cela, le mouvement se situe ailleurs, dans une pratique quotidienne de lutte, l'invention de nouveaux rapports, le refus de l'aliénation dans tous ses aspects.
Apparaissant sur des luttes spécifiques où il s'affronte en permanence avec l'État à son niveau. Face à l'offensive du capital, il affirme son existence à travers des mobilisations de masse comme celle pour les cinq camarades espagnols assassinés en 75, pour Melville cet été, pour l'assassinat de Baader, Raspe et Ensslinn.
A Paris en particulier la mobilisation de ces derniers jours pour Croissant comme pour Baader et ses camarades s'est faite sur l'initiative de l'Assemblée parisienne des Groupes Autonomes.
Celle-ci appelle dans les prochains jours à : - Rassemblement vendredi 28 au Palais de justice pour le procès de Guillaume - Samedi 29 à 14 h 30, rendez-vous sur le parvis de Jussieu pour une nouvelle assemblée parisienne des groupes autonomes. - Mercredi 2, rassemblement à 16 heures à l'occasion du procès Croissant sur le parvis de Jussieu.
Assemblée Parisienne des Groupes Autonomes »
C'éait là quelque chose de vain, une erreur de compréhension de sa propre valeur, et le mouvement autonome s'effondra rapidement par la suite, les restes basculant – en raison de l'optique spontanéiste – dans la délinquance avec une vague justification révolutionnaire et pouvant aller jusqu'à l'ultra-violence, en étroit rapport avec une consommation de drogues dures.