19 sep 2016

Les «estivales» 2016 de Marine Le Pen

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Marine Le Pen a tenu ce week-end ses « estivales », terme choisi pour éviter d'employer celui d'employer l'expression « université d'été » qui la relierait au Front National. Pour les élections présidentielles, sa stratégie est en effet de suivre une ligne conforme à l'esprit gaulliste de ces élections : une personne vient sauver la Nation et trouve sa majorité après avoir été élue.

Tout a par conséquent tourné autour d'elle et l'un des symboles de cette démarche résolument fasciste a été son passage lors de la soirée festive du samedi avec un pygargue au bras. Un spectacle équestre avait eu lieu l'année dernière et cela relève du même esprit : la mise en avant du contrôle, du terroir, des traditions.

On est ici au coeur de la réaction et sur le plan de la vie quotidienne, il n'y a rien à sauver. D'ailleurs, Marine Le Pen dispose désormais de cadres éprouvés et d'intellectuels réactionnaires bien organisés.

L'économiste Jacques Sapir (anciennement membre du Front de Gauche) n'est pas venu mais a envoyé une vidéo, rendant semi-officiel une sorte de coming-out d'extrême-droite qui n'étonnera personne. Etait par contre bien présent l'enseignant Jean-Paul Brighelli, bien connu pour surfer sur la catastrophe post-moderne qu'est l'Éducation Nationale pour propager une ligne réactionnaire et académique.

Les « horaces » ont été mis en avant, en tant que groupe rassemblant 80 hauts fonctionnaires, avec comme porte-parole Jean Messiha, venu à huit ans d'Égypte mais se présentant comme « Français de souche par naturalisation », dont le compte twitter est abonné au compte des « identitaires », etc.

La présence du criminologue Xavier Raufer n'étonnera personne : ce médiatique spécialiste du « terrorisme » vient à l'origine lui-même de l'extrême-droite (Occident, L'élite européenne, Défense de l'occident, Ordre nouveau). Il en va de même pour l'avocat toulousain Serge Didier, lui-même lié à Occident dans sa jeunesse. Mentionnons également Philippe Vardon, issu des identitaires et qui compte bien être la tête de liste locale à Nice pour tenter de devenir député...

Tout cela sert à mettre en valeur le thème se voulant apolitique de la « souveraineté », Marine Le Pen se chargeant de tenir un discours national-républicain. Marion Maréchal-Le Pen s'occupant quant à elle de tenir un discours plus catholique-réactionnaire.

Marine Le Pen sait très bien, en effet et comme tout le monde d'ailleurs, qu'elle est quasi certaine d'arriver au second tour, mais qu'à ce second tour elle perdra nécessairement, dans la configuration actuelle.

D'où les opérations de communication, avec aussi la nomination du maire de Fréjus David Rachline comme directeur de campagne, qui présente bien, qui est jeune, qui est pragmatique et transcende les courants multiples du Front National, etc.

D'où, aussi et surtout, la mise en place de thèmes fascistes relevant de l'approche nationale-républicaine, tout à fait dans l'esprit de François de La Rocque, le dirigeant des Croix de Feu et du Parti Social Français.

Le corporatisme et l'anticapitalisme romantique sont de rigueur comme on peut le voir avec les thèmes des ateliers :

La banque au service de l’entreprise - et non l’inverse !

Libérer le syndicalisme français, au bénéfice des salariés et des entreprises

Les secteurs visés sont clairement la petite-bourgeoisie :

Paupérisation : le grand déclassement ?

Les familles françaises face au mur de l’austérité

La défense et la modernisation de la République forment le vecteur du fascisme. Le Front populaire avait bloqué le fascisme en défendant les principes républicains, cette fois le fascisme tente de briser la gauche par l'intermédiaire des thèmes républicains :

Le service Public : une idée moderne

SOS Santé en danger

Le thème civilisationnel de l'école est essentiel, bien entendu :

Enseignement universitaire et professionnel : sortir de la dualité

« L’Ecole est morte ; vive l’école ! »

Le nationalisme, dans un cadre « républicain », est un moteur naturellement évident ici :

Immigration et communautarisme : la France au bord de l’explosion

Nation, République et nationalité

Laïcité, identité et cohésion nationale : en finir avec les capitulations

France : l’invisible désastre sécuritaire

La dynamique agressive de l'impérialisme se révèle bien sûr aussi :

Entreprise, industrie et innovation : les clés de l’emploi

La France, puissance mondiale

Enfin, les préoccupations de la vie quotidienne – la sécurité, l'environnement – sont visées, afin de canaliser des initiatives :

Pour une écologie patriote

Sécurité et Justice : en finir avec le terrorisme islamiste

Tout cela est très fort. À travers le discours de rentrée de Marine Le Pen prononcé à Brachay, nous avons souligné qu'il y avait lieu de s'inquiéter de la vague fasciste qui était lancée. Nous avons ici malheureusement encore une illustration significative de la tendance de fond qui traverse la société française.

Marine Le Pen a d'ailleurs fait des records d'audience : dimanche 11 septembre, lors de son passage sur TF1 à l'émission « Vie Politique », elle a eu près de 2,3 millions de téléspectateurs.

Cette émission politique occasionnelle, créée en vue de l'élection présidentielle de 2017, est typique du rapport hyper-personnalisé entre une figure politique et le « peuple ».

On est là dans la pure tradition populiste à la française, dont TF1 est la spécialiste, proposant un « show » plus proche de la télé-réalité que d'une émission informant et politisant réellement la population., offrant par là un boulevard à Marine Le Pen.

Cela représente ici 16, 5 % de part de marché, lorsqu'Alain Juppé et Manuel Valls, passés sur la même émission, avait eux attiré en moyenne l'attention de 1,5 millions de personnes.

Marine Le Pen cultive aussi sa communication via les réseaux sociaux, et là aussi il y a mobilisation. Son discours de clôture des « estivales » de Frejus prononcé dimanche 18 septembre a été visionné sur facebook plus de 190 000 fois seulement quelques heures après sa clôture, contre 19 400 vues pour Alain Juppé sur le même type de discours.

Si ces taux d'audience ne signifient rien en soi de l'adhésion ou non des auditeurs aux idées de Marine Le Pen, il n'en reste pas moins qu'elle continue à peaufiner sa figure comme personnage clivant à l'approche de l'élection présidentielle de 2017.

La réforme du temps de parole promulguée en avril 2016 qui a remplacé le principe d' « égalité » du temps de parole par celui d' « équité » selon le degré de représentativité politique (incluant les sondages d'opinion) en lien avec les forts parts de marché que représente la candidate du Front National ne peut que consolider sa mise au centre de l'élection présidentielle.

En général, sa stratégie roule parfaitement bien puisqu'en parvenant à cliver les masses sur sa seule figure, elle entend incarner la seule candidate crédible pour représenter le courant néo-gaulliste, à travers le clivage que sa personnalité installe.

Facilitée en cela par l'hyper-personnalisation présidentielle d'une Ve République qui fonctionne comme une monarchie élective, les masses atomisées sont placées devant la question de savoir qui est appelé pour les « sauver ».

Marine Le Pen leur propose une solution nationaliste clef en main :

« Ce moment est décisif (présidentielles 2017) à la fois pour le meilleur et pour le pire.

Pour le pire parce que l'échec du libéralisme financier, l'arnaque de la mondialisation heureuse qui détruit si bien la société pour livrer l'individu aux intérêts privés confrontent nos sociétés et la France elle-même à des régressions politiques, morales et sociales que nous n'aurions même pas oser imaginer (…).

N'écoutons pas les marchands de territoire, d'hommes et de monnaie : nous ne sommes pas à vendre ! La France n'est pas à vendre ! »

Marine Le Pen va même jusqu'à opposer à certains moments le « capitalisme national » au « capitalisme mondialisé » dans ce qui relève classiquement du fascisme, un élan idéologiquement national-socialiste effroyable.

Le contenu de cette idéologie pseudo-révolutionnaire se confond avec la forme de la campagne menée par Marine Le Pen. Apparaître comme intégrée à l'ordre bourgeois tout en laissant croire à sa pseudo-subversion. Voilà sa ligne contradictoire qui s'exprime dans le fait d'aller dans une émission complètement lessivée par la culture beaufe TF1, et dans le même temps d'appeler à « court-circuiter » ces mêmes médias traditionnels par les réseaux sociaux. Et cela fonctionne puisque les deux interfaces font le « buzz ».

Cela amène bien entendu Marine Le Pen au centre de l'attention, posant immédiatement la question « Pour ou contre Marine Le Pen ? », sans même attendre le second tour. Elle joue à la fois à la combattante et à la dirigeante responsable, conciliatrice.

Et, en arrière-plan, elle profite de tout ce que l'extrême-droite compte d'intellectuels et d'activistes en quête d'un fascisme français. La manière dont elle cite le philosophe catholique René Girard, partisan d'un sorte de psychologie « négative » influencé par Georges Bataille, est symptomatique : il y a ici une idéologie en formation. Le fascisme français tente de se synthétiser.

« Le multiculturalisme quant à lui a une apparence, celui du respect de toutes les différences.

Et puis il a une réalité, dénoncé par René Girard, celui de les détruire toutes sous prétexte de les tolérer toutes. Il est devenu une religion enseigné dans les écoles, diffusés par tous les médias, imposés dans les esprits […] La religion immigrationniste est une insulte à la personne humaine »

Ce qui découle de cette citation, c'est la défense du particulier contre l'universel, au nom du refus de « l'uniformisation ». C'est le discours commun à l'extrême-droite et aux post-modernes, à tous les individualistes, avec l'arrière-plan français de l'individualisme existentialiste teinté de catholicisme social.

Et cela parle forcément vue la nature de l'idéologie dominante en France. Le fait que Marine Le Pen soit regardée à la télévision par 2,3 millions de personnes et par presque 190 000 personnes sur Facebook, deux dimanches soirs d'affilés, en témoigne.

Derrière ces interventions, les masses, rivées derrière leur écrans, subissent de manière passive toute la déferlante nationaliste diffusée à travers la valorisation d'une image lisse et policée de Marine Le Pen.

La mobilisation pour l'instant passive derrière un projet de restructuration « par en haut » de l'appareil d'État, voilà ce que traduit les taux élevés d'audience de la candidate néo-gaulliste qui pousse résolument à la pacification sociale, essentielle pour le corporatisme et le militarisme impérialiste.

L'appel à la fausse rébellion derrière son chef suprême qui va sauver la « Nation en péril » est une lame de fond qui tente de soulever notre pays. Et le travail à fournir pour s'y opposer est immense.

Les progressistes doivent en prendre conscience et ne surtout pas abdiquer : c'est une très rude bataille qui s'annonce !

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