31 Jan 2007

Brochure ANTIFASCISME - Kurt Gossweiler

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Présentation

Kurt Gossweiler, né en 1917 en Allemagne, il déserte en 1943 l’armée nazie pour rejoindre l’armée rouge. Il devient alors un responsable de l’agitation antifasciste auprès des anciens membres de l’armée nazie, puis l’une des principales figures universitaires d’Allemagne de l’est ; de 1970 à 1983 il est collaborateur scientifique de l’Institut central d’histoire de l’Académie des Sciences en RDA. Auteur en 1972 d’une thèse sur Les monopoles industriels et l’Etat, il a publié de très nombreux travaux sur le mouvement nazi et le nazisme au pouvoir.

Les soutiens des nazis révèlent leur nature

Aux élections du 6 novembre 1932, le NSDAP perd deux millions de voix et tombe à 11,7 millions de voix, cela malgré l’énorme démagogie sociale et la violence des centaines de milliers de SA. Les communistes sont à 5,2 millions de voix, gagnant 700,000 voix, alors que l’action antifasciste, front uni de lutte, se développe.

Ce n’est qu’à ce moment là que le NSDAP est intégré au gouvernement, alors que justement sort en  novembre 1932 un document au gouvernement signé par des banquiers (Solmssen, Urbig, Schlitter, Fischer...) et des industriels (Krupp, Thyssen, Stinnes...) demandant qu’on intègre Hitler au gouvernement.

Cela ne relève pas du hasard: tous ces éléments se combinent et font partie d’un grand tout; avec Gossweiler justement on profite de toutes les recherches faites en RDA après la seconde guerre mondiale sur le nazisme. Gossweiler a mené un énorme travail pour savoir comment les nazis fonctionnaient et de quels soutiens ils disposaient. Gossweiler a constaté que les monopoles de l’électricité et de la chimie avaient été largement ouverts au développement de la social-démocratie, à l’opposé des capitalistes de l’industrie lourde et des grands propriétaires terriens, dont nombre craignait la concurrence internationale. Mais avec le développement de la crise, les intérêts des uns et des autres vont se rejoindre, alors que depuis le début de la première guerre mondiale, il y a un processus pour créer un parti politique représentant les intérêts de cette fraction et disposant d’une base de masse affaiblissant celle de la fraction opposée.

« Sous le capitalisme, la loi de l’offre et de la demande est aussi valable dans le domaine politique. Cette nouvelle organisation se créa tout naturellement après que la demande d’une telle organisation se soit manifestée suffisamment clairement et fortement sur le marché de la politique. Elle ne s’engendra cependant pas sous sa forme achevée mais se développa à partir de différents germes d’organisations.

La plupart de ces germes furent plantés par des membres d’associations pangermaniques. Ces associations possédaient des relations étroites et explicites avec les représentants de l’industrie lourde (Emil Kirdorf, Albert Vögler, Alfred Hugenberg, Paul Reusch entre autres) et les grands propriétaires terriens (le comte Arnim-Muskau, comte Udo de Stolberg-Wernigerode, le baron de ManteuffelKatzdangen, entre autres). Les partis fascistes ne furent pas inventés comme résultat final de ces efforts mais furent choisis au terme d’une sorte de processus de sélection comme étant les organisations les plus conformes aux nouveaux besoins du cercle le plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste. Ce processus de sélection fut particulièrement long car ce cercle de la bourgeoisie ne fut prêt à soutenir la fondation d’un « parti national-ouvrier » qui serait vu de l’extérieur comme indépendant de lui qu’après qu’il ait été démontré que toutes les autres formes d’organisations ne menaient pas au but désiré. »
(Classe ouvrière et fascisme)

Gossweiler constate alors une division du travail: il y a deux grands partis de la « droite nationale. » D’un côté le DNVP (parti populaire national d’Allemagne) se charge de rassembler les fractions traditionnellement nationalistes ainsi que les milieux dirigeants. Les milieux autour du DNVP avaient été responsables du putsch fasciste de 1920, qui fut mis en échec par les masses. Le NSDAP (parti national socialiste des travailleurs allemands) quant à lui se charge d’avoir un impact dans les masses populaires; lui-même a tenté un putsch en 1923 et est lié aux réseaux de l’association pan-allemande.

Les deux organisations politiques de la « droite nationale » disposent d’un large soutien des milieux industriels et financiers. Les nazis participent à de nombreux colloques privés pour expliquer leur utilité: le 28 février 1926, Hitler tient une conférence pour les armateurs, patrons de chantiers navals et gros commerçants du « Club national de 1919 » de Hambourg, entre juin 1926 et décembre 1927, il est invité à cinq reprises au moins par les gros industriels de la Ruhr. A la réunion très connue de Dusseldorf le 27 janvier 1932, Hitler explique qu’il faut exterminer le communisme car même avec la moitié du pays votant nationaliste, rien ne pourra sinon changer pour les monopolistes. Le comte Ernst zu Reventlow, affirmait déjà en ce sens en mai 1930

« Le ralliement d’un seul ouvrier au mouvement national-socialiste a infiniment plus de valeur que l’adhésion d’une douzaine d’excellences ou de personnalités. »

En 1927, les patrons de la chimie Wilhelm Keppler et Emil Kirdorf, qui comptaient parmi les hommes les plus puissants de la Ruhr, étaient devenus membres de la NSDAP. Dès le début de 1930, le banquier Kurt von Schröder décidait de soutenir les nazis. Le 27 octobre 1931, C.F. von Siemens parle devant la General Electric Company à New York du

« désintéressement du mouvement de Monsieur Hitler et de la grandeur de ses hauts idéaux nationaux... Les racines de son mouvement résident dans la lutte contre le socialisme, contre le marxisme... Il est opposé à la domination effrénée du parlementarisme, pour laquelle notre peuple allemand n’est pas suffisamment mûr. »

Et plus le NSDAP a du succès, plus la fraction la plus moderne et la plus impérialiste de la bourgeoisie abandonne l’option socialdémocrate pour préférer le fascisme; socialdémocratie qui a bien servi: si les nazis avaient obtenu 810.000 voix en 1928, puis 6.409.000 en 1930, alors que durant le même temps le gouvernement socialiste ne cessait de réprimer les communistes.

« Plusieurs personnalités entrèrent ainsi en contact avec le NSDAP après les élections de septembre 1930 afin de le mettre sous contrôle, de l’orienter dans le sens du capital financier et de le rendre apte à gouverner :

• Kurt Freiherr von Schröder : associé dans une banque privée de Cologne, parent et partenaire en affaires des propriétaires anglais et américains de la Banque Schroeder. • Hjalmar Schacht: président de la Banque Nationale allemande et homme de confiance du capital financier international. En automne 1930, il entreprit un voyage à travers les États-Unis pour rassurer les monopolistes américains inquiets du succès électoral des nazis et leur dire qu’une éventuelle prise de pouvoir des nazis ne représentait aucun risque pour leurs placements en Allemagne.

• Emil Georg von Stauss : un des directeurs de la banque monopoliste la plus puissante d’Allemagne, la Deutsche Bank und Disconto-Gesellschaft.

• Le Prince royal Guillaume de Hohenzollern, et son frère, le Prince AugusteGuillaume: der «Auwi» [August Wilhelm] comme on le surnommait officieusement. « Auwi » quitta le « Stahlhelm » [Casques d’acier, branche paramilitaire du DNVP] dès 1930 pour les SA de Hitler, où il obtint tout de suite une haute fonction dirigeante. (...) L’influence directe du grand capital sur le NSDAP fut renforcée par l’adhésion de monopolistes importants et de personnalités proches. Certains étaient des membres secrets.

Ainsi, outre Hjalmar Schacht, déjà cité, rejoignirent, entre autres, le NSDAP en 1931 :

• Walter Funk: à l’époque éditeur du journal de la grande bourgeoisie Die Berliner Börsen-Zeitung. Il devint conseiller économique de Hitler.

• Fritz Thyssen : membre du conseil d’administration de l’Union des aciéries Vereinigten Stahlwerke AG, le plus grand trust de l’industrie du charbon et de l’acier en Europe.

• Wilhelm Mann: membre de la direction du plus grand groupe chimique mondial, IG-Farben AG.

• Le Prince Eulenburg-Hertefeld: grand propriétaire terrien (4 600 ha) et entrepreneur (briqueterie, brasserie, ferme d’élevage d’animaux à fourrure).
(De Weimar à Hitler : Les causes de l’avènement de la dictature fasciste)

Le NSDAP mettait donc en avant un discours socialiste, tout en étant totalement lié aux industriels et aux financiers. Les liens sont permanents et la ligne du NSDAP est sévèrement encadrée; les nazis ne sont pas du tout des « plébéiens » exprimant les intérêts de la petite-bourgeoisie et autonomes par rapport aux grands capitalistes, mais des cadres politiques nationalistes sachant très bien quelles forces ils représentent au fond: le parti de la guerre.

Si la base du NSDAP a été petit-bourgeoise, c’est parce que la tentative de conquérir la classe ouvrière a été un échec. Mais le mouvement fasciste permet surtout la réalisation du pouvoir absolu de la fraction la plus réactionnaire des capitalistes. Au Haut Comité Economique sous le gouvernement nazi, on trouve Krupp von Bohlen, roi de l’industrie d’armement, M. Fritz Thyssen, baron de l’acier, C. von Siemens, roi de l’électricité, Karl Bosch, de l’industrie des colorants...

« Où résident les causes pour lesquelles des couches déterminées de la petite bourgeoisie s’étaient ralliées à un mouvement qui n’agitait pas seulement le drapeau du nationalisme, que ces couches avaient toujours suivi, mais se présentait aussi comme socialiste, est une question en soi.

On peut seulement dire ici que la perte de confiance d’un large cercle petit-bourgeois envers le capitalisme, son aspiration à un ordre nouveau, plus juste socialement qui protégerait les classes moyennes du pillage par le grand capital et dont ils attendaient la réalisation par les fascistes, étaient à la fois une conséquence et un symptôme de la crise générale du capitalisme. Mais le parti fasciste ne fut pas engendré comme un parti original de la petite bourgeoisie radicalisée qui, à l’aide de ce parti et dans une lutte sur deux fronts contre le mouvement ouvrier et le grand capital, voulait conquérir le pouvoir, comme l’affirme les défenseurs de la théorie du fascisme comme ‘’mouvement social’’ et les théoriciens du ‘’bonapartisme’’.»
(Classe ouvrière et fascisme)

Gossweiler s’oppose ici au trotskysme et défend la ligne communiste, exprimé par Dimitrov. La petite-bourgeoisie est incapable de s’organiser, de par son statut. Mais elle est entraînée soit par la bourgeoisie, soit par la classe ouvrière, d’où la conception de front populaire.

Rôle et fonction du fascisme

Historiquement, le NSDAP s’est donc allié au DNVP. C’est une vérité quasiment toujours oubliée des historiens universitaires. Dès 1931 le NSDAP fait partie du front de Harzburg, alliance du NSADP, du DNVP et des casques d’acier dans l’opposition nationale. Par la suite le DNVP devra s’effacer devant le NSDAP, comme à l’intérieur du mouvement nazi les SA devant les SS. Gossweiler fait tout un historique des deux fractions capitalistes principales à la base du mouvement nazi, avec d’un côté les monopoles du charbon et de l’acier, et de l’autre, ceux de l’électricité et de la chimie. Selon les fractions, les politiques mises en avant ne sont pas les mêmes: prise du pouvoir légal ou putsch, alliance avec les USA dont le capital s’implantait fortement en Allemagne ou bien politique solitaire.

Il donne ainsi par exemple un aperçu très net de la « nuit des longs couteaux » qui se déroule après que le nouveau régime eut été mis en place. Les SA (sections d’assaut) avaient recruté dans le peuple et la petite-bourgeoisie; le mécontentement grandissait, appelant parfois même une « seconde révolution » et certaines sections étaient qualifiées de Beefsteak : brun à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Fort de ce mouvement - les SA ont rassemblé jusqu’à 4 millions de membres -, Roehm, dirigeant SA, voulait que les SA deviennent le noyau de la nouvelle armée allemande. Il représentait alors l’industrie chimique, notamment IG Farben, industrie le soutenant totalement, opposée à la fraction partisane de l’alliance avec les USA, représentée notamment par Schacht et Thyssen.

La « nuit des longs couteaux » (30 juin 1934) voit le triomphe des SS sur les SA, SS dont le dirigeant est Himmler qui dispose d’un « cercle d’amis », qui sont par ailleurs les plus grands financiers du parti nazi: le baron Kurt von Schroder, Hjalmar Schacht, le président du comité directeur des aciéries Vereinigten Stahlwerke Albert Vögler, le directeur de la Commerz-und Privatbank  Friedrich Reinhart, le directeur général du groupe chimique Wintershall  August Rostberg, le membre de la direction des aciéries Mitteldeutsche Stahlwerke Otto Steinbrik, le président du conseil d’administration de la Wintershall et président du conseil d’administration d’une entreprise contrôlée par l’Etat, ainsi que membre de la direction de Siemens Heinrich Schmidt, le président du conseil d’administration de la plus grosse compagnie allemande de transport maritime HAPAG  Emil Helfferich, Emil Meyer, de la Dresdner Bank, le comte Gottfried von Bismark, un grand proprietaire terrien. De la même manière, le putsch militaire (échoué) de juillet 1944 est le fruit de la concurrence inter-capitalistes, en raison du questionnement sur les alliances; de fait, l’énorme développement des monopoles allemands en R.F.A. après la guerre montre précisément comment les capitalistes allemands et les USA se sont alliés, en raison surtout de la menace communiste. Gossweiler explique donc que :

« Le passage du capitalisme de libre concurrence au capitalisme monopoliste constitue donc la base économique et la condition première, et la plus importante, pour l’avènement du fascisme. La tendance de l’oligarchie financière, découlant de cette même base, à la réaction et à la violence, l’hostilité à la démocratie immanente à l’impérialisme, son aspiration naturelle à l’expansion illimitée de sa puissance représentaient les premiers germes du fascisme. Toutefois, cette tendance ne prit une forme fasciste qu’après la fin de la Première Guerre mondiale et la victoire de la révolution d’Octobre, autrement dit après que le capitalisme atteignit le stade de sa crise générale.

À côté du passage du capitalisme à son stade impérialiste, le début de sa crise générale est la condition la plus importante pour l’avènement du fascisme. »
(Origines et variantes du fascisme)

Le fascisme ne s’explique que dans le cadre de la crise générale du capitalisme et par l’affrontement entre révolution et contre-révolution.

« La tendance inhérente au capitalisme monopoliste à la réaction et à la violence, sa tendance à compléter le monopole économique par le monopole du pouvoir s’était concrétisée jusque-là par le développement d’un capitalisme monopoliste d’État : un effort constant pour renforcer l’exécutif au détriment du Parlement et des mesures répressives à l’encontre du mouvement ouvrier. Il franchit alors un palier supplémentaire : la bourgeoisie souhaitait désormais l’éradication et la liquidation complètes du mouvement ouvrier révolutionnaire et de l’État qui le soutenait, l’Union soviétique, et l’action dans ce sens de certains groupements réactionnaires du capital financier (...).

Cette évolution mena également à un «enrichissement» du spectre politique dans les pays capitalistes par la création d’organisations et de partis dont le but principal était l’éradication du communisme et même du mouvement ouvrier, essentiellement par des moyens violents et terroristes.

La création de telles organisations de combat fit suite à l’expérience extrêmement douloureuse pour la bourgeoisie de l’échec de leurs appareils militaires et politiques conventionnels face à des travailleurs révolutionnaires armés. En Allemagne, au lieu de le réprimer comme on leur ordonnait de le faire, les soldats de la vieille armée impériale s’étaient ralliés au soulèvement des marins et des travailleurs. Les forces de l’Entente qui envoyèrent leurs armées se battre contre l’Armée rouge durent contempler, avec une rage impuissante, comment leurs troupes, contaminées par le « bacille révolutionnaire » se désagrégeaient ou même se mutinaient et menaçaient de retourner leurs fusils contre leur propre bourgeoisie. Suite à ce constat d’impuissance face à la classe ouvrière révolutionnaire et armée, la bourgeoisie impérialiste, plus particulièrement celle des pays les plus menacés par la Révolution, redoubla d’efforts pour mettre en place aussi vite que possible des groupes contre-révolutionnaires opérationnels dans le domaine militaire et si possible dans le domaine politique contre les masses révolutionnaires (...).

Les événements révolutionnaires qui, dans de nombreux pays, firent suite à la victoire de la révolution d’Octobre avaient rendu la bourgeoisie impérialiste consciente que son arsenal d’armes n’était plus suffisant pour la lutte contre la classe ouvrière. Elle avait compris qu’était arrivé le temps de la confrontation directe pour le maintien de son pouvoir et qu’elle était face à une situation stratégique tout à fait nouvelle. La bourgeoisie impérialiste ressentit donc le besoin plus ou moins clair et plus ou moins fort d’un nouveau type d’organisation et d’une nouvelle arme contre le mouvement ouvrier révolutionnaire, adaptés aux nouvelles conditions du combat militaire et politique. Le fascisme est né pour répondre à ce besoin. Voilà pourquoi Togliatti qualifia le parti nazi de :

« parti bourgeois d’un type particulier (…) Il est à la fois un parti de la bourgeoisie d’un “nouveau type” qui correspond au contexte de l’époque de la décomposition du capitalisme et de la révolution prolétarienne (...). Le fascisme n’est pas né totalitaire, il l’est devenu au moment où les cercles dirigeants de la bourgeoisie ont atteint le degré le plus haut d’unification économique et politique. Même l’idée de totalitarisme n’est pas issue de l’idéologie fasciste. Il faut voir le totalitarisme comme la réflexion du changement qui est survenu et de la domination du capital financier » (Togliatti, Leçons) ».
(Origines et variantes du fascisme)

Les grandes questions: