24 juin 1910

Xénophane - Fragments

Submitted by Anonyme (non vérifié)

 

1. Il est un seul dieu suprême parmi les dieux et les hommes ; il ne ressemble aux mortels ni pour le corps ni pour la pensée.

2. Tout entier il voit, tout entier il pense, tout entier il entend.

3. Mais, sans labeur aucun, son penser mène tout.

4. Il reste, sans bouger, toujours en même état ; il ne lui convient pas de s’en aller ailleurs.

5. Les mortels croient que les dieux sont nés comme eux, qu’ils ont des sens, une voix, un corps semblables aux leurs.

6. Mais si les bœufs ou les lions avaient des mains, s’ils savaient dessiner et travailler comme les hommes, les bœufs feraient des dieux semblables aux bœufs, les chevaux des dieux semblables aux chevaux ; ils leur donneraient des corps tels qu’ils en ont eux-mêmes.

7. Homère et Hésiode ont attribué aux dieux tout ce qui, chez les hommes, est honteux et blâmable ; le plus souvent ils leur prêtent des actions criminelles : vols, adultères, tromperies réciproques.

8. Tout sort de la terre, tout retourne à la terre.

9. Nous sommes tous sortis de la terre et de l’eau.

10. Terre et eau, tout ce qui naît ou pousse.

11. La mer est la source de l’eau. 12. Noua voyons sous nos pieds cette limite de la (erre, <’n haut, du côté de L’éther, mais le bas s’en va à l’infini.

13. Ce qu’on appelle Iris est aussi un nuage qui parait naturellement violet, rouge et vert.

14. Il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais personne qui ait une claire connaissance des dieux ni de tout ce dont je parle. Qui pourrait s’exprimer là-dessus de la façon la plus accomplie, celui-là même n’en sait rien ; il n’y a partout que des opinions.

15. Voilà ce qui m’a paru ressembler à la vérité.

16. Les dieux n’ont pas tout montré aux bommes dès le commencement, mais les hommes cherchent, et avec le temps ils trouvent le meilleur.

17. Voici ce qu’il est bon de dire près du feu, par un temps d’hiver, couché sur un lit moelleux, n’ayant plus faim, buvant du vin doux et grignotant des pois: « De quel pays es-tu? quel âge as-tu, mon ami? et quel âge avais-tu, quand le Mède est survenu? »

18. Maintenant je commence un autre discours, je prends une nouvelle voie

Un jour, dit-on, comme il (Pythagore) passait près d’un chien qu’on battait, il s’écria, plein de pitié : « Arrête, ne frappe plus, c’est l’âme d’un ami, je l’ai reconnu en entendant ses plaintes. »

19. Que quelqu’un remporte la victoire par la légèreté de ses pieds, ou au pentathle à Olympie, là où le temple de Zeus s’élève sur les bords du Pisas, qu’il triomphe à la lutte, au pugilat, ou encore à ce terrible combat qu’on appelle pancrace, on le verra honoré parmi ses concitoyens, siégeant au premier rang pour les spectacles, nourri aux frais du peuple; la ville lui offrira un don digne d’être consacré. Pour une course de chevaux, ce sera la même chose; et cependant je suis plus digne de tels honneurs; ma science vaut mieux que la vigueur d’un homme ou d’un cheval. Il y a là une mauvaise coutume, il n’est pas juste d’estimer la vigueur au-dessus de la science utile. Ce n’est pas parce qu’il y aura dans la ville un bon athlète pour le pugilat, le pentathle ou la lutte, parce qu’il y aura un bon coureur, quoiqu’on estime encore plus dans les jeux la légèreté que la vigueur, ce n’est pas pour cela que la ville aura de meilleures lois. Non, il n’y a guère à se réjouir, pour une ville, d’une victoire remportée sur les bords du Pisas, ce n’est pas cela qui remplit les magasins.

20. Quand ils ne subissaient pas l’odieuse servitude, emprun- tant aux Lydiens leurs ruineuses folies, ils allaient à l’agora tout couverts de pourpre; ils étaient souvent là plus de mille, superbes, la chevelure artistement ordonnée, exhalant le parfum de savantes onctions.

21. Le sol est pur, pures sont les mains et les coupes; voici les couronnes de fleurs, voici le suave parfum qui circule dans la fiole. Le crater est debout, rempli d’allégresse; il y a du vin et il ne fera pas défaut, il est prêt dans les cruches, doux comme le miel, odorant comme la fleur. Au milieu de nous l’encens exhale sa sainte vapeur; voici de l’eau fraîche, pure et de bon goût, voici des pains dorés et la table est richement chargée de fromage et de miel onctueux. Au milieu, l’autel tout couvert de fleurs; tout autour, dans la maison, les chants et la joie. Il faut d’abord, en hommes sages, célébrer le dieu par de bonnes paroles et de chastes discours, faire des libations et demander de pouvoir nous comporter justement; voilà ce qu’il faut, amis, pas d’injures; puis, que chacun boive de façon à pouvoir retourner chez lui sans serviteur, à moins d’être trop âgé. Et nous louerons celui qui, tout en buvant, dira des choses utiles et vertueuses, selon sa mémoire ou son esprit. Il ne faut pas raconter les combats des Titans, des Géants ou des Centaures, contes forgés par les anciens, ni des disputes ou des bagatelles qui ne servent à rien; il faut toujours bien penser des dieux.

22. Pour une cuisse de chevreau, tu as reçu, présent honorable, celle d’un bœuf engraissé; cela se saura dans toute l’Hellade, cela ne s’oubliera pas, tant qu’il y aura des chanteurs hellènes.

23. Ne verse pas d’abord le vin dans la coupe; mais d’abord l’eau, le vin ensuite.

24. Voilà déjà soixante-sept ans qui ont ballotté mon inquiétude sur la terre hellène; j’étais né depuis vingt-cinq, si je sais bien la vérité là-dessus.

25. La partie n’est pas égale, entre un impie et un homme pieux.