Le sentiment anti-allemand, une composante de l'idéologie dominante française
Submitted by Anonyme (non vérifié)Il est intéressant de voir le thème de la germanophobie revenir à la surface. Car dans l'imaginaire de l'idéologie dominante en France, l'Allemagne représente la pensée totalitaire : depuis Leibniz dont se moque Voltaire dans Candide, jusqu'à Proudhon dans ses attaques contre Karl Marx, en passant par Jules Verne qui dans « Les cinq cent millions de la Begum » oppose le gentil ingénieur français construisant une Franceville agréable au vilain scientifique allemand fabriquant un canon depuis Stahlstadt (la « ville d'acier ») pour détruire la ville produite par le génie français.
Lorsque Montebourg attaque la chancelière allemande Angela Merkel comme étant une nouvelle « Bismarck », c'est du même niveau que le slogan « Merkel = Hitler » que l'on peut trouver en Grèce... C'est du même niveau que les attaques du Parti « Communiste » français révisionniste en 1968 contre « l'allemand Cohn-Bendit »... Ou celle en 1982 contre l'équipe de football d'Allemagne lors de la coupe du monde.
Il s'agit de xénophobie, et d'une xénophobie particulière (comme tout racisme a une dimension particulière), car « l'Allemand » représente la personne « systématique. »
Or, pour le libéralisme, une pensée « systématique » est forcément tyrannique.
Vu comme cela, Voie Lactée apparaît d'ailleurs à l'extrême-gauche française comme un projet non français, mais bien comme un projet « allemand », ou bien « juif » d'ailleurs, car pour le petit-bourgeois c'est « l'Allemand » et le « Juif » qui auraient le même culte de la totalité, de la synthèse, en opposition avec la célébration voltairienne du panache individuel.
En fait et d'ailleurs ici, nos détracteurs chauvins français nous ont aidé à découvrir l'intérêt historique du protestantisme, qui n'est nullement un catholicisme « ultra prude » mais une idéologie bourgeoise qui a pavé la voie aux Lumières.
C'est bien une démonstration de la lutte entre deux lignes dont le caractère est universel. C'est en s'affrontant aux réactionnaires qu'on construit la ligne rouge.
Et combattre l'idéologie dominante française, c'est comprendre le sens du racisme anti-allemand, dont d'ailleurs fait partie l'affaire Dreyfus, qui n'est pas qu'un scandale antisémite, mais possède bien une dimension anti-allemande approfondie, et typique de l'extrême-droite française.
La pensée allemande ressemble, dans l'imaginaire français libéral, à une forteresse : c'est en quelque sorte ce que symbolise Stahlstadt.
Voici comment le roman de Jules Verne présente la chose :
« Cette masse est Stahlstadt, la Cité de l'Acier, la ville allemande, la propriété personnelle de Herr Schultze, l'ex-professeur de chimie d'Iéna, devenu, de par les millions de la Bégum, le plus grand travailleur du fer et, spécialement, le plus grand fondeur de canons des deux mondes.
Il en fond, en vérité, de toutes formes et de tout calibre, à âme lisse et à raies, à culasse mobile et à culasse fixe, pour la Russie et pour la Turquie, pour la Roumanie et pour le Japon, pour l'Italie et pour la Chine, mais surtout pour l'Allemagne.Grâce à la puissance d'un capital énorme, un établissement monstre, une ville véritable, qui est en même temps une usine modèle, est sortie de terre comme à un coup de baguette. Trente mille travailleurs, pour la plupart allemands d'origine, sont venus se grouper autour d'elle et en former les faubourgs. En quelques mois, ses produits ont dû à leur écrasante supériorité une célébrité universelle.
Le professeur Schultze extrait le minerai de fer et la houille de ses propres mines. Sur place, il les transforme en acier fondu. Sur place, il en fait des canons.
Ce qu'aucun de ses concurrents ne peut faire, il arrive, lui, à le réaliser. En France, on obtient des lingots d'acier de quarante mille kilogrammes. En Angleterre, on a fabriqué un canon en fer forgé de cent tonnes. A Essen, M. Krupp est arrivé à fondre des blocs d'acier de cinq cent mille kilogrammes. Herr Schultze ne connaît pas de limites : demandez-lui un canon d'un poids quelconque et d'une puissance quelle qu'elle soit, il vous servira ce canon, brillant comme un sou neuf, dans les délais convenus.
Mais, par exemple, il vous le fera payer ! Il semble que les deux cent cinquante millions de 1871 n'aient fait que le mettre en appétit.En industrie canonnière comme en toutes choses, on est bien fort lorsqu'on peut ce que les autres ne peuvent pas. Et il n'y a pas à dire, non seulement les canons de Herr Schultze atteignent des dimensions sans précédent, mais, s'ils sont susceptibles de se détériorer par l'usage, ils n'éclatent jamais. L'acier de Stahlstadt semble avoir des propriétés spéciales. Il court à cet égard des légendes d'alliages mystérieux, de secrets chimiques. Ce qu'il y a de sûr, c'est que personne n'en sait le fin mot.
Ce qu'il y a de sûr aussi, c'est qu'à Stahlstadt, le secret est gardé avec un soin jaloux.
Dans ce coin écarté de l'Amérique septentrionale, entouré de déserts, isolé du monde par un rempart de montagnes, situé à cinq cents milles des petites agglomérations humaines les plus voisines, on chercherait vainement aucun vestige de cette liberté qui a fondé la puissance de la république des Etats-Unis.
En arrivant sous les murailles mêmes de Stahlstadt, n'essayez pas de franchir une des portes massives qui coupent de distance en distance la ligne des fossés et des fortifications. La consigne la plus impitoyable vous repousserait. Il faut descendre dans l'un des faubourgs. Vous n'entrerez dans la Cité de l'Acier que si vous avez la formule magique, le mot d'ordre, ou tout au moins une autorisation dûment timbrée, signée et paraphée. »
Quelle ironie que des décennies après, on aura droit à Staline, l'homme d'acier !