28 avr 2013

Répine, ou le réalisme vivant

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Si l'on propose à quelqu'un de lire du Balzac aujourd'hui, il trouvera cela barbant. On dit d'ailleurs « du » Balzac, « du » Flaubert, mais « un » Camus. En fait, la littérature moderniste, simple divertissement moderniste, l'a d'autant plus emporté que pour les masses, le réalisme est ennuyeux.

Le triomphe de la fantasy, du fantastique, depuis Harry Potter jusqu'à Twilight en passant par le seigneur des anneaux, témoigne de cette acceptation de la fuite dans l'irrationnel. Twilight consiste en quatre romans qui se sont vendus à 48 millions d'exemplaires aux États-Unis et à 4,6 millions dans notre pays.

Les pratiquement 5 millions de personnes qui ont lu Twilight (voire plus en fait) n'en retiendront cependant rien, car il s'agit de divertissement, il n'y a aucune dimension. On est dans la même tendance, finalement et malgré les nuances et différences, que le très fasciste Hunger Games. Pourquoi cela ? Parce que ces œuvres nient la possibilité de dire quelque chose qui soit valable aujourd'hui, pour sa propre vie. Ce qu'on retient lorsqu'on voit un chef d'oeuvre de Répine est universel, compréhensible dans sa propre vie, car cela relève de la culture.

Là est la différence entre le réalisme et le divertissement bourgeois, de plus en plus glauque par ailleurs. Si le parallèle avec les gladiateurs à l'époque de Rome était auparavant forcé, de plus en plus on tend vers un divertissement moqueur, voyeur, agressif, sanglant.

Le divertissement est un bruit ininterrompu, là où inversement la peinture réaliste est un moment de pause, de réflexion, comme reflet de la réalité.

Il est assez fascinant de voir justement les immenses succès des expositions organisées par la bourgeoisie, notamment par le musée du Sénat à Paris. Les gens passent en rythme devant des tableaux dont ils ne voient rien, à part une esthétique floue anti-réaliste, qui les conforte dans leur propre conception du monde.

La peinture réaliste est, quant à elle, lorsqu'elle est authentique, vraiment vivante. Si les masses trouvent Balzac ennuyeux, c'est qu'il y a une part de vérité ; l'accent, comme toujours dans le réalisme français, est trop mis sur l'aspect négatif.

Il y a une fascination certaine pour le dégradant, l'abject ; cela provient de l'origine romantique des écrivains réalistes, mais également de leur soumission servile à la bourgeoisie. Tout cela a ouvert la voie au naturalisme, qui a littéralement assassiné le réalisme.

Comment se fait-il qu'en France où on a connu Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant, Zola, on ne connaisse rien à Répine ? Et comment se fait-il qu'on y fait un accueil triomphal à Camus, Sartre, Sarraute, Robbe-Grillet ?

Il est évident ici que c'est parce que le réalisme n'a pas été défendu ; Aragon, qui s'est prétendu son défenseur, n'a été qu'un révisionniste sabotant toute définition possible du réalisme socialiste. Cela veut dire qu'en France, le réalisme vivant reste à faire.

Le paradoxe ici est naturellement que des auteurs réactionnaires aient pu s'immiscer dans ce processus. Si on lit Barbey d'Aurevilly ou Drieu La Rochelle, on voit très bien comment le réalisme plane au-dessus de leur écriture, comment ces auteurs sont à deux doigts de basculer dans l'expressionnisme, parce que naturellement une approche réactionnaire de la littérature ne peut pas suffire.

Même Jean Genet qui a cherché à plonger dans ce qui serait un expressionnisme lyrique français a toujours adhéré à une forme nette de réalisme.

Disons ainsi simplement que pour la littérature française, connaître Répine est essentiel ; c'est une source d'inspiration évidente. Si on avait confronté la conception d'Aragon aux tableaux de Répine, la contradiction aurait été évidente, et Aragon eut été démasqué.

Répine est ainsi une arme ; il inspire et permet de démasquer. Répine est un immense artiste à connaître et de plus un moyen d'aborder le réalisme socialiste, car il en a pavé la voie. C'est par l'assimilation de la dimension vivante de Répine que le réalisme pourra en France dépasser son approche froide et « méthodique », pour plonger dans la dignité du réel, et aboutir à un réalisme vivant.

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