30 oct 2012

Prose poétique contre formalisme académique

Submitted by Anonyme (non vérifié)

La France a été profondément marqué par la pensée classique-formelle née lors de la monarchie absolue. Cela a apporté un sens formel de la rigueur extrêmement avancé. La France a eu le goût de la méthode, Descartes en a été un théoricien, et les lignes de Boileau dans l'Art poétique résument parfaitement ce sens français :

« Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,

Fit sentir dans les vers une juste cadence,

D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,

Et réduisit la muse aux règles du devoir.

(...)

Marchez donc sur ses pas; aimez sa pureté,

Et de son tour heureux imitez la clarté.

Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,

Mon esprit aussitôt commence à se détendre,

Et, de vos vains discours prompt à se détacher,

Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher.

Il est certains esprits dont les sombres pensées

Sont d'un nuage épais toujours embarrassées;

Le jour de la raison ne le saurait percer.

Avant donc que d'écrire apprenez à penser.

Selon que notre idée est plus ou moins obscure,

L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Néanmoins, la bourgeoisie anglaise avait raison de prôner l'expérience comme base élémentaire de la science authentique et la bourgeoisie allemande avait raison de lancer le romantisme contre le formalisme français.

La France a ici raté le virage important, celui de la dignité du réel. C'est cela qui a laissé Rimbaud être un marginal et qui fait que l'écologie et le respect de la nature sont inexistants culturellement en France.

C'est cela aussi qui a permis à des zozos bourgeois de faire passer leur subjectivisme complet pour un rejet du formalisme, alors qu'il s'agissait de pure décadence. Contentons nous de nommer ici le surréalisme et le situationnisme, délires littéraires bourgeois ayant pris le masque de la « libération. »

C'est donc là que la prose poétique intervient. Gonzalo, en utilisant la prose poétique, a frappé très fort dans ses écrits, montrant l'aspect principal : la dignité du réel. Sans nul doute, face à l'esprit retors et formaliste de l'idéologie dominante, il faut trouver un sens de l'expression adéquat.

Evidemment, quand on parle de prose poétique, on ne parle de poésie en prose, de poésie au sens du subjectivisme le plus complet.

Cela n'a rien voir avec la définition (ridicule et d'ailleurs fausse) de Suzanne Bernard dans Le Poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours (Nizet, 1959):« Il s'agit d'un texte en prose bref, formant une unité et caractérisé par sa « gratuité », c'est-à-dire ne visant pas à raconter une histoire ni à transmettre une information, mais recherchant un effet poétique »

Cette définition est ridicule et fausse, comme le montrent les articles en prose poétique de Baudelaire dans Le spleen de Paris. Rappelons son admirable définition, dans la préface de cet ouvrage justement :

« Quel est celui d'entre nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. »

La prose poétique est bien entendu un art difficile. Mais il y a des exemples déjà de haut niveau : Gaspard de la nuit, sous-titré Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, d'Aloysius Bertrand, Petits poèmes en prose, sous-titré Le spleen de Paris de Baudelaire, Illuminations de Rimbaud, et dans une forme plus romanesque Les Filles du feu, de Nerval.

Et comme il faut savoir vivre avec son temps, et donc les exigences de la lutte des classes, il faut une forme brève, d'une dizaine-quinzaine de lignes, racontant donc une histoire, transmettant une information, et se contentant donc absolument pas de faire de la forme poétique pour faire de la forme poétique, ce qui est propre à la conception bourgeoise de l'art pour l'art.

Ce dont nous avons besoin, c'est d'un équivalent en prose poétique du fameux Dormeur du val, le poème de Rimbaud de 1870 :

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Le niveau technique est élevé, le sujet progressiste, la vie et la nature célébrée, la guerre rejetée, les couleurs sont nombreuses, c'est l'éloge de la compassion et le mépris de la tyrannie de la brutalité sanglante.

Voilà le modèle. Produire des Dormeur du val en prose poétique, sur des thèmes différents, voilà qui sera utile de par la forme et le contenu aux exigences révolutionnaires de notre époque troublée, alors que la France sombre dans la barbarie du capitalisme décadent, assassinant chaque jour le clair de lune et précipitant la culture et la civilisation dans l'oubli par le désintérêt et l'écrasement par les valeurs de concurrence, de haine, d'individualisme, d'égoïsme, de carriérisme, d'opportunisme !

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