Il y a 150 ans, le 22 août 1862, Claude Debussy naissait. Ce compositeur français était un personnage clé d'une période cruciale de l'histoire française. En gros, on peut dire que, pour ce qui concerne une période précise, Debussy est à la musique ce qu'est Proust à la littérature et Bergson à la philosophie.

Debussy signifie le triomphe de la bourgeoisie développée. Ce n'est plus la bourgeoisie luttant, qui a dû se battre contre la restauration dans les années qui ont suivi la débâcle de Napoléon. Ce n'est pas la bourgeoisie inquiète de 1848 et 1871, lorsque les masses qui ont aidé la bourgeoisie à vaincre l'aristocratie ont essayé de « continuer » la révolution démocratique.

Non, Debussy est le compositeur de la Belle époque ; sa musique est pleine d'impressions, de psychologie, comme les livres de Proust et la philosophie de Bergson ou la poésie de Mallarmé.

En ce sens, Debussy est un « moderniste. » Il produit la musique demandé par l'impressionnisme et le symbolisme. Il n'a pas le contenu romantique de Nerval, Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud, il ne prend que l'aspect moderniste chez eux, rejetant l'aspect révolutionnaire.

La musique de Debussy préfigure la musique des films de Disney, elle est vide de toute dimension épique. Elle est simplement douce, mystérieuse, sans mélodie, juste lisse comme une danse bourgeoise et le sentiment bourgeois de « liberté » qui va avec.

La musique de Debussy est ainsi semblable à la poésie de son ami Mallarmé: sensorielle sans aucune construction sérieuse, sans but. C'est de l'art pour l'art, la dissonance utilisée pour renforcer l'aspect individuel sensible.

En ce sens, Debussy est moderne, et c'est pourquoi la bourgeoisie du monde entier le considère comme un grand compositeur, qui a ouvert la porte pour la musique moderne et le jazz (dans sa dimension bourgeoise).

Et il est logique que Debussy se soit de plus en plus orienté vers la musique baroque. Si nous portons un regard historique sur toute classe décadente, nous trouvons toujours le « grotesque » et la disharmonie, le manque d'âme.

Cette accusation est la plus importante: Debussy manque d'âme, il appelle l'auditeur et l'auditrice à un plaisir individualiste. Non pas que les sentiments ne puissent pas être personnels - mais ces sentiments ont nécessairement une dimension universelle: l'amour, la compassion, la symbiose.

Mais Debussy n'appelle pas cela, il appelle à une attitude passive individuelle, comme la littérature de Proust, comme la poésie de Mallarmé, comme la philosophie de Bergson.

Debussy était très conscient de cet aspect anti-épopée, voici ce qu'il dit à propos de son opéra, Pelléas et Mélisande (1902):

« J'ai voulu que l'action ne s'arrêtât jamais, qu'elle fût continue, ininterrompue. La mélodie est antilyrique. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie.

Je n'ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d'exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s'efface dès qu'il convient qu'elle leur laisse l'entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur. »

Il s'agit d'un individualisme bourgeois ouvert, la négation de la synthèse, la négation de l'opéra comme « gesamtkunstwerk », œuvre d'art totale, que le romantisme a essayé de trouver (dans l'opéra), à l'époque où il était la bannière contre le formalisme féodal.

C'est pourquoi Debussy a pu pourrait dire quelque chose d'aussi ridicule que:

« Voir le jour se lever est plus utile que d'écouter la Symphonie Pastorale. »

Opposer un chef-d'œuvre de Beethoven à la nature est un non-sens, mais un non-sens qui est logique: Debussy veut une vue « personnelle » du lever du soleil, qu'il oppose au principe de la symphonie, du mouvement.

Debussy pense à regarder le « lever du soleil » comme étant purement passif, fondé sur l'individualisme, il rejette l'aspect universel de cela, que le romantisme avait presque compris.

Debussy est contre le mouvement et l'universalisme, c'est un esthète bourgeois, dans l'esprit de la Belle époque, juste avant la première guerre impérialiste (Debussy est né en 1862 et mort en 1918). A la fin de sa vie, il exigeait qu'on accole à son nom les mots « musicien français. »

Avec Debussy, il y a 150 ans, la bourgeoisie réactionnaire trouvé son agent dans la musique, qui a soutenu la disparition de la mélodie et de l'objet, l'utilisation de la musique comme simple arrière-plan simple pour produire des humeurs individuelles colorées.