5 avr 2012

Merah, le Ravachol du nouveau siècle, l'anti-Machiavel

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Ravachol était un anarchiste de la fin du XIXe siècle, connu pour ses actions « par le fait », c'est-à-dire le fait de placer des bombes. Mais ce n'était nullement de la lutte armée, c'était un « style », une « démarche » : il n'y avait pas de stratégie ; ce qu'il y avait c'est un style de vie hors-la-loi, avec des « débordements. »

Des « débordements » relativement organisés, mais pas une stratégie, car on était dans une démarche qui est typiquement française. On est là dans état d'esprit français qui a fait du fasciste Nietzsche un théoricien de la libération. On est dans la logique anti-politique typique de l'anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire. On est dans le même délire que le situationnisme ou son ancêtre le surréalisme.

Déjà le théoricien surréaliste André Breton expliquait que :

« L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tout ce qu'on peut dans la foule. »

Ce qui correspond à l'idéologie théorisée par Sorel, pour qui « tout plan préétabli est utopique et réactionnaire », et pour qui le « mythe » devait permettre la « mobilisation. »

Merah est, dans sa démarche, parfaitement conforme à cette logique. De délinquant anti-social, il est passé à une démarche d'attaque anti-politique, de destruction purement destructrice, au nom d'un mythe.

Merah n'appelait ainsi pas à un bouleversement politique, mais religieux, c'est-à-dire moral et culturel.

Et cet appel est subjectiviste-nihiliste. C'est typiquement fasciste : contourner la politique (qui doit mener à la morale) en passant par une morale sans objectif politique.

C'est exactement ce sur quoi se sont cassés le nez les antifascistes en Italie et en Allemagne.

Merah est un Ravachol du nouveau siècle, un anti-politique, un anti-Machiavel, un barbare désireux de revenir à avant l'irruption de la politique.

Pour bien saisir cela, regardons Gramsci parlant de Machiavel. Non pas du Machiavel fantasmé comme étant un cynique faisant l'apologie de l'opportunisme, mais du véritable Machiavel, qui explique ce que font les puissants, en prétendant s'adresser à ces derniers.

Comme Rousseau l'a formulé dans le Contrat social :

« En feignant de donner des leçons aux rois, il en a donné de grandes aux peuples. Le Prince est le livre des républicains. »

Voici donc ce que Gramsci dit au sujet de Machiavel, et qui nous aide à rejeter Merah (et avec lui les spontanéistes, les anarchistes, les syndicalistes-révolutionnaires).

Car Gramsci montre que Machiavel non seulement montre ce que font les puissants, mais il appelle également à l'irruption du Prince – du Parti politique en réalité – qui a la théorie et qui agit.

Exactement ce que refusent les Merah, les anarchistes, les spontanéistes, les syndicalistes-révolutionnaires.

Voici ce que dit Gramsci :

« Machiavel n'est pas un simple savant : il est l'homme d'un camp, aux passions puissantes, un politique en acte, qui veut créer de nouveaux rapports de force et qui, par là même, ne peut pas ne pas s'occuper du « devoir-être », sans le comprendre certes au sens moral.

La question ne doit donc pas être posée en ces termes, elle est plus complexe : il s'agit, autrement dit, de voir si le « devoir-être » est un acte arbitraire ou nécessaire, s'il est volonté concrète, ou velléité, désir, amour des nuées.

Le politique en acte est un créateur ; il suscite, mais il ne cré pas à partir de rien et il ne se meut pas dans le vide trouble de ses désirs et de ses rêves.

Il se fonde sur la réalité effective, mais qu'est-ce que cette réalité effective ? Est-ce quelque chose de statique et d'immobile ou n'est-ce pas plutôt un rapport de forces en continuel mouvement et en continuel changement d'équilibre ?

Employer sa volonté à créer un nouvel équilibre entre des forces qui existent et agissent réellement, en se fondant sur cette force déterminée qu'on pense être progressive et en accroissant sa puissance pour la faire triompher, c'est toujours se mouvoir sur le terrain de la réalité effective, mais pour la dominer et la dépasser (ou contribuer à le faire).

Le « devoir-être » est donc du concret, c'est même la seule interprétation réaliste et historiciste de la réalité ; le devoir-être est seulement histoire en acte, philosophie en acte, seulement politique. »

Gramsci a raison : il faut rejeter le subjectivisme ; la pratique n'existe réellement que guidé par la théorie : elle devient alors politique.

Bien entendu, il y a une difficulté : il ne faut pas faire de la théorie pour la théorie (se contenter de dire « oh la belle flèche » et ne pas tirer, comme l'a formulé Mao Zedong).

Voici ce que dit Gramsci :

« L'erreur dans laquelle on tombe souvent dans les analyses historico-politiques consiste à ne pas savoir trouver le juste rapport entre ce qui est organique et ce qui est occasionnel : on en arrive ainsi, ou bien à présenter comme immédiatement agissantes des causes qui n'opèrent au contraire que médiatement, ou bien à affirmer que les causes immédiates sont les seules causes efficientes : dans le premier cas, il y a excès « d'économisme » ou de doctrinarisme pédant, dans l'autre, excès « d'idéologisme » ; dans un cas, on surestime les causes mécaniques, dans l'autre, on exalte l'élément volontariste et individuel. »

Le seule moyen d'éviter cela est de maîtriser le matérialisme dialectique, car le problème de la « cause » dont parle Gramsci est résolu puisqu'en réalité il n'y a pas de « cause », la contradiction étant interne (voir "Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l'origine" ainsi que Engels sur la cause et l'effet).

Et de là on maîtrise ce qui compte et ce qui ne compte pas dans la société. Merah pratiquait un subjectivisme complet, fondé sur « l'islamophobie » comme pseudo-réalité justifiant la réponse sous forme de « djihad. »

Alors que nous, nous considérons les luttes de classes comme moteur historique dans la société française. Le racisme, le sexisme, l'antisémitisme... existent bien, mais ils sont conjoncturels, ce sont des superstructures (meurtrières parfois bien sûr et toujours réelles!), mais ce ne sont pas des composantes organiques de la société.

Voilà ce qui distingue, par exemple, le PCMLM des tendances « progressistes » petites-bourgeoises (qui luttent contre « l'homme blanc patriarcal » comme source de tous les maux, alors que s'il est réel, il n'est pas pour autant la base de la société).

Aidons-nous encore de Gramsci pour comprendre cette nature politique de la compréhension de la base réelle de la société :

« C’est le problème des rapports entre structure et superstructure qu’il faut poser exactement et résoudre pour parvenir à une juste analyse des forces qui opèrent dans l’histoire d’une période déterminée et définir leur rapport.

Il faut évoluer dans les limites de deux principes :

1. celui qu’une société ne se propose aucune tâche pour laquelle n’existent pas déjà les conditions nécessaires et suffisantes ou des conditions qui seraient au moins en voie d’apparition et de développement;

2. celui qu’aucune société ne se dissout et ne peut être remplacée tant qu’elle n’a pas développé toutes les formes de vie qui sont contenues implicitement dans ses rapports.

A partir de la réflexion sur ces deux règles fondamentales on peut arriver à développer toute une série d’autres principes de méthodologie historique.

Cependant, dans l’étude d’une structure, il faut distinguer les mouvements organiques (relativement permanents) des mouvements qu’on peut appeler « de conjoncture » (et qui se présentent comme occasionnels, immédiats, presque accidentels).

Les phénomènes de conjoncture dépendent certes eux aussi de mouvements organiques, mais leur signification n’a pas une large portée historique : ils donnent lieu à une critique politique mesquine, jour par jour, et qui s’attaque aux petits groupes dirigeants, et aux personnalités qui ont la responsabilité immédiate du pouvoir.

Les phénomènes organiques donnent lieu à la critique historique-sociale, qui, elle, s’adresse aux vastes groupements, par-delà les personnes immédiatement responsables, par-delà le personnel dirigeant.

Au cours de l’étude d’une période historique, on découvre la grande importance de cette distinction.

Il se produit une crise qui parfois se prolonge pendant des dizaines d’années. Cette durée exceptionnelle signifie que se sont révélées (ont mûri) dans la structure des contradictions incurables, et que les forces politiques qui œuvrent positivement à la conservation et à la défense de la structure même, tentent toutefois de guérir, à l’intérieur de certaines limites, et de surmonter.

Ces efforts incessants et persévérants (car aucune forme sociale ne voudra jamais avouer qu’elle est dépassée) forment le terrain de l’ « occasionnel » sur lequel s’organisent les forces antagonistes qui tendent à démontrer (démonstration qui, en dernière analyse, ne réussit et n’est « vraie » que si elle devient réalité nouvelle, que si les forces antagonistes triomphent ; mais immédiatement se développe une série de polémiques idéologiques, religieuses, philosophiques, politiques, juridiques, etc. dont le caractère concret peut être évalué à la façon dont elles réussissent à convaincre et à la façon dont elles déplacent l’ancien dispositif des forces sociales) qu’existent déjà les conditions nécessaires et suffisantes pour que des tâches déterminées puissent et soient donc en devoir d’être résolues historiquement (en devoir, parce que toute dérobade au mouvement historique augmente le désordre nécessaire et prépare de plus graves catastrophes).

L’erreur où l’on tombe fréquemment, dans les analyses historiques-politiques, consiste à ne pas savoir trouver le juste rapport entre ce qui est organique et ce qui est occasionnel : on en vient ainsi soit à présenter comme immédiatement opérantes des causes qui sont au contraire opérantes d’une manière médiate, soit à affirmer que les causes immédiates sont les seules causes efficientes ; dans un cas, on a l’excès de l’« économisme » ou du doctrinarisme pédant ; et dans l’autre, l’excès de l’ « idéologisme » ; dans un cas, on surestime les causes mécaniques, dans l’autre, on exalte l’élément volontariste et individuel.

La distinction entre « mouvements » et faits organiques et mouvements et faits de « conjoncture » ou occasionnels doit être appliquée à tous les types de situation, non seulement à ceux qui manifestent un développement régressif ou une crise aiguë mais à ceux qui manifestent un développement progressif ou de prospérité, et à ceux qui manifestent une stagnation des forces productives.

Le lien dialectique entre les deux ordres de mouvement et, par conséquent de recherche, est difficilement établi avec exactitude ; et si l’erreur est grave dans l’historiographie, elle devient encore plus grave dans l’art politique, quand il s’agit non pas de reconstruire l’histoire du passé mais de construire celle du présent et de l’avenir : ce sont les désirs mêmes des hommes et leurs passions les moins nobles et les plus mauvaises, immédiates, qui sont la cause de l’erreur, dans la mesure où ils se substituent à l’analyse objective et impartiale, ce qui se fait non comme « moyen » conscient pour stimuler l’action, mais comme une erreur qui les abuse eux-mêmes. »

Voilà qui explique très bien pourquoi Merah était un Ravachol moderne, un anti-Machiavel, au sens d'un barbare anti-politique. Merah a agi comme un Ravachol des Temps Modernes, comme un anarchiste ou un barbare réfutant ce qui est de notre époque: la politique (authentique) comme moyen de réaliser la morale et la culture, c'est-à-dire la civilisation. Il a été une expression contre-révolutionnaire de concrétiser politiquement le Parti Communiste dont nous avons besoin, le Parti de la classe ouvrière et du matérialisme dialectique, le PCMLM dont l'Histoire a besoin.

Publié sur notre ancien média: 
Rubriques: