Le Capital de Marx – 1. introduction : il faut étudier le Capital en long, en large et en travers
Submitted by Anonyme (non vérifié)Karl Marx avait remarqué que « le public français [est] toujours impatient de conclure, avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immédiates qui le passionnent ». C'est pour cela qu'il a voulu « prévenir et prémunir les lecteurs [du Capital] soucieux de vérité ». Marx est très clair, il faut partir de l'analyse de la marchandise, puis dégager les lois de la valeur, afin de comprendre réellement les mouvements du Capital. Et critiquer pleinement le mode de production capitaliste. Nous pensons qu'il a raison.
1. introduction : il faut étudier le Capital en long, en large et en travers. Et commencer dans l’ordre !
« Au citoyen Maurice Lachâtre
Cher citoyen,
J’applaudis à votre idée de publier la traduction de Das Kapital en livraisons périodiques. Sous cette forme, l’ouvrage sera plus accessible à la classe ouvrière et, pour moi, cette considération l’emporte sur toute autre.
Voilà le beau côté de votre médaille, mais en voici le revers : la méthode d’analyse que j’ai employée, et qui n’avait pas encore été appliquée aux sujets économiques, rend assez ardue la lecture des premiers chapitres, et il est à craindre que le public français toujours impatient de conclure, avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immédiates qui le passionnent, ne se rebute parce qu’il n’aura pu tout d’abord passer outre.
C’est là un désavantage contre lequel je ne puis rien si ce n’est toutefois prévenir et prémunir les lecteurs soucieux de vérité. Il n’y a pas de route royale pour la science, et ceux-là seulement ont chance d’arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir ses sentiers escarpés.
Recevez, cher citoyen, l’assurance de mes sentiments dévoués.
Karl Marx. »
Ainsi était introduite la première édition française de l’œuvre magistrale de Karl Marx, le Capital. Marx pointe ici une vérité fondamentale en affirmant que « le public français [est] toujours impatient de conclure, avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immédiates qui le passionnent ».
C'est notamment pour cette raison qu'en France, les « théories » les plus farfelues à propos de « l'argent » ou encore de « la finance » sont très développées. Ces pseudos théories sont à la source de la pensée fasciste, elles s'incarnent dans ce que nous nommons l'anticapitalisme romantique.
Plutôt que de gravir courageusement les sentiers escarpés de l'analyse scientifique, les anticapitalistes romantiques sacrifient les moyens au but. Ils s'éloignent des sommets lumineux en croyant pouvoir y arriver directement.
Pour le socialisme à la française, noyé par l'esprit syndicaliste, rien n'est plus insupportable que l'abstraction. Alors la théorie est refusée sous prétexte d'être « concret », d'être attaché au réel. Mais, dialectiquement, c'est exactement l'inverse qui se produit en fait : le socialisme français a produit la plus grande et la plus terrible des abstractions. Il a produit l'antisémitisme comme fausse critique du capitalisme.
Pour Marx, un certain degré d'abstraction est nécessaire afin comprendre la réalité dans sa globalité. C'est un instrument. Mais ce n'est qu'une étape essentielle pour comprendre concrètement les mouvements et contradictions des différentes parties qui forment un tout cohérent.
Dans sa préface à la première édition du Capital, il présente sa démarche. Il explique que pour comprendre un corps organisé, en l’occurrence la société capitaliste, il faut en étudier les cellules. Il faut comprendre le fonctionnement, le mouvement de la marchandise, qui est en fait la forme cellulaire économique. Pour cela, l'abstraction est un instrument de l'analyse économique, au même titre que le microscope est un instrument pour l'étude des bactéries qui forment un corps.
« Dans toutes les sciences le commencement est ardu. Le premier chapitre, principalement la partie qui contient l’analyse de la marchandise, sera donc d’une intelligence un peu difficile. Pour ce qui est de l’analyse de la substance de la valeur et de sa quantité, je me suis efforcé d’en rendre l’exposé aussi clair que possible et accessible à tous les lecteurs.
La forme de la valeur réalisée dans la forme monnaie est quelque chose de très simple. Cependant l’esprit humain a vainement cherché depuis plus de deux mille ans à en pénétrer le secret, tandis qu’il est parvenu à analyser, du moins approximativement, des formes bien plus complexes et cachant un sens plus profond. Pourquoi ? Parce que le corps organisé est plus facile à étudier que la cellule qui en est l’élément. D’un autre côté, l’analyse des formes économiques ne peut s’aider du microscope ou des réactifs fournis par la chimie ; l’abstraction est la seule force qui puisse lui servir d’instrument.
Or, pour la société bourgeoise actuelle, la forme marchandise du produit du travail, ou la forme valeur de la marchandise, est la forme cellulaire économique. Pour l’homme peu cultivé l’analyse de cette forme paraît se perdre dans des minuties ; ce sont en effet et nécessairement des minuties, mais comme il s’en trouve dans l’anatomie micrologique. »
Cela est très concret. Et cela peut paraître complexe mais c'est en fait simple.
Il faut commencer par comprendre ce que c'est qu'est une marchandise. Puis ensuite comprendre en quoi consiste la valeur, comment se forme la valeur des marchandises et quelles sont les lois qui régissent son mouvement. Ensuite, Karl Marx expliquera ce qu'est la monnaie. Ainsi seulement on peut comprendre ce qu'est véritablement l'argent (et ce qu'il n'est pas). Pour être plus précis, il faudrait dire : ainsi seulement peut-on arriver à comprendre ce qu'est le mode de production capitaliste (et ce qu'il n'est pas).
Marx n'analyse pas le capital par simple plaisir d'analyser. En fait, il applique sa « méthode d’analyse », le matérialisme dialectique, « aux sujets économiques » car il a trouvé là le cœur des contradictions de la société bourgeoise. Le fond de la démarche est très concret, il s'agit de comprendre l'ordre existant pour le détruire, le dépasser.
Son raisonnement est simple :
« Lors même qu’une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement, ― et le but final de cet ouvrage est de dévoiler la loi économique du mouvement de la société moderne, ― elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel ; mais elle peut abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement. »
Si la société va mal, il faut en comprendre les lois afin de maîtriser leur développement.
Ce qu'il veut dire par « elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel », c'est qu'on ne peut pas décréter le Communisme. On ne peut pas y arriver du jour au lendemain comme le pensent les anarchistes et après (avec) eux (selon la même logique) les syndicalistes-révolutionnaires.
Mais par « abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement », Marx veut signifier qu'en maîtrisant ces lois, en planifiant l'économie, on peut sensiblement améliorer la vie et la rendre plus heureuse, comme ce fut le cas en URSS à l'époque de Staline et en Chine populaire à l'époque de Mao Zedong. Et ainsi engager au mieux les chemins qui mènent au Communisme.
Voilà pourquoi il est nécessaire d'étudier la loi la valeur établie par Karl Marx ; pourquoi il est impératif de comprendre ce que représente la marchandise dans la société capitaliste.
Il est ici absolument typique, et pour le coup très cocasse, que Louis Althusser, une figure du « marxisme » à la française, co-auteur du très célèbre «Lire le Capital » (1965), ait cru bon de donner ce conseil aux lecteurs du Capital (« avant tout » aux « prolétaires » osa-t-il d’ailleurs) :
« Point I :
Les plus grandes difficultés théoriques et autres, qui font obstacle à une lecture facile du livre I du Capital, sont malheureusement (ou heureusement) concentrées dans le début même du livre I, très précisément dans sa section I, qui traite de « La marchandise et la monnaie ».
Je donne donc le conseil suivant : mettre PROVISOIREMENT ENTRE PARENTHÈSES TOUTE LA SECTION I et COMMENCER LA LECTURE PAR LA SECTION Il : « La transformation de l'argent en capital ».
On ne peut, à mon sens, commencer (et seulement commencer) de comprendre la section I, qu'après avoir lu et relu tout le livre I à partir de la section II.
Ce conseil est plus qu'un conseil : c'est une recommandation que je me permets, avec tout le respect que je dois à mes lecteurs, de présenter comme une recommandation impérative. »
Ce conseil est absurde, et pour le coup sacrément abstrait. Pour Althusser, pour le « marxisme » à la française, le Capital ne serait qu'un outil pragmatique pour la lutte des classes.
C'est pour cela que Althusser fantasme littéralement (de manière romantique typiquement petite-bourgeoise) sur le fait que les prolétaires seraient plus à même de comprendre le Capital du fait qu'ils font directement l'expérience de l'exploitation :
« Ce cœur, c'est la théorie de la plus-value, que les prolétaires comprennent sans aucune difficulté, parce que c'est tout simplement la théorie scientifique de ce dont ils ont l'expérience quotidienne : l'exploitation de classe. »
Seulement cela n'est pas exact. Ce dont les prolétaires font l'expérience quotidienne, c'est de la lutte des capitalistes pour imposer une augmentation du surtravail, du travail non payé. Cela consiste en la base de l’extorsion de la plus-value. On le comprend en étudiant le Capital, mais cela ne consiste pas en la plus-value elle-même. Et cela change tout.
En fait si Marx a dû écrire Le Capital c'est justement pour cela. Car il n'y a rien d'évident dans la critique du capitalisme, ni pour les prolétaires, ni pour personne d'autre. Ce qu'ont génialement compris Marx et Engels, c'est qu'il fallait donner une base scientifique au socialisme, et refuser l'idéalisme, pour combattre efficacement le capitalisme.
Ce que rejette en substance Althusser avec son « conseil » de lecture, en bon « marxiste » à la française imprégné de pensée syndicaliste, en digne représentant du « public français toujours impatient de conclure », c'est toute la nécessité d'une démarche scientifique de fond.
Ce qui compte pour Marx, ce n'est pas tant de faire l'expérience concrète l'exploitation, ce n'est pas tant le syndicalisme. Ce qui compte et qui est primordial, c'est la démarche scientifique, l'application de la « méthode d'analyse » matérialiste dialectique, qui permet à la société « de découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement » afin de pouvoir « abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement. »
C'est pour cela que Marx a écrit le Capital et qu'il se satisfaisait qu'il puisse être publié en « livraisons périodiques » pour être plus « accessible à la classe ouvrière ».
Ce qu'il faut acquérir pour renverser le mode de production capitaliste, c'est une démarche scientifique et un esprit concret – c'est à cela que doit servir le Parti Communiste.
Une démarche syndicaliste n'est pas compatible avec une démarche scientifique car elle ne permet pas de saisir la globalité des rapport du production. Le problème du syndicalisme est qu'il reste cantonné dans la sphère subjective des contradictions entre individus. Cela est important mais cela n'est pas l'aspect principal comme l'a expliqué Marx, encore dans la préface :
« Mon point de vue, d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager. »
Marx avait raison de « craindre que le public français toujours impatient de conclure, avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immédiates qui le passionnent, ne se rebute parce qu’il n’aura pu tout d’abord passer outre. »
C'est exactement ce qui s'est produit pendant le 20ème siècle et c'est justement pour cela que le mouvement socialiste en France (dont le Parti Communiste a été malgré tout le meilleur représentant) a échoué à renverser la bourgeoisie française.
Aujourd'hui le PCMLM se propose de renverser la vapeur.
Et pour cela, le PCMLM affirme avec Marx qu'il ne faut pas être impatient de conclure car :
Il n’y a pas de route royale pour la science, et ceux-là seulement ont chance d’arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir ses sentiers escarpés.
Il faut donc étudier le Capital en long, en large et en travers. Et commencer dans l’ordre !