Vers la guerre : la lettre factieuse de 15 hauts gradés à Emmanuel Macron
Submitted by Anonyme (non vérifié)La « grande muette » qu'est censée être l'Armée française – qu'elle n'a bien sûr jamais été – ne cesse plus de s'exprimer, toujours dans un sens ouvertement militariste, avec un esprit toujours plus fort de défiance vis-à-vis du pouvoir civil. Le style factieux se cache de moins en moins, profitant ici, il est nécessaire de le souligner, de l'agitation de la « manif pour tous » qui a activé ou réactivé les réseaux ultra-réactionnaires.
Le fait que 15 hauts gradés à la retraite osent rendre public une lettre ouverte au président de la République est un moyen habile de mettre la pression tout en respectant formellement l'interdiction faite aux militaire d'active de prendre la parole publiquement. Ces 15 hauts gradés ne font d'ailleurs même pas vraiment d'efforts pour masquer qu'ils parlent ouvertement au nom de l'Armée :
« Nous sommes des Officiers de tous grades et des différentes armées ayant quitté le service actif. Nous n’avons aucun mandat ; nous ne prétendons pas parler au nom de l’Armée, cette « grande muette ». Nous estimons en revanche, de notre devoir de vous faire part de notre indignation et de vous dire ce que beaucoup de nos jeunes camarades, nos frères d’armes en activité, ressentent sans pouvoir l’exprimer. »
C'est là une nouvelle incroyable provocation, lancée par pas moins qu'un général de brigade aérienne, soutenue par deux autres généraux de division aérienne, un général de brigade de l'armée de Terre, un autre de la gendarmerie, six colonels, etc.
D'ailleurs, le président de la République, ouvertement accusé de « reniements » et de « caporalisme », est remis en cause dans son action dès les premières lignes de la lettre :
« C’est au Chef des armées que les signataires de la présente lettre souhaitent s’adresser. C’est au Chef des armées qu’ils veulent dire combien ils ont été stupéfaits par son attitude à l’égard du Chef d’état-major des Armées de la France. »
Les pauvres hauts gradés, censés être prêts à tous les sacrifices de la guerre, sont « stupéfaits », pas moins ! Ils se sentent « humiliés » et « la blessure est profonde » ! Cette poésie de caserne a quelque chose de formidable.
Il est tout aussi formidable, de notre point de vue de communistes, que ce soit Capital.fr qui ait permis, à l'origine, la publication de cette lettre. Le militarisme soutenu par les capitalistes, c'est ici un cas d'école.
Car, malheureusement, cette lettre ouverte est l'expression de la tendance à la guerre. Elle salue en effet « l'image de l'autorité restaurée », la priorité accordée aux forces armées. Elle parle de l'ancien Chef d'état-major des Armées Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon comme d'un « grand militaire », faisant l'éloge de la supériorité du militaire sur le civil, dans un passage ouvertement factieux :
« Tous les militaires le savent et ils sont vexés que vous le leur rappeliez. Mais alors, serait-ce que vous en douteriez vous-même ?
Dans ce cas, ce doute vous honorerait car il montrerait que vous avez senti la différence entre être le chef légal, et être le chef véritable : celui qui, connaissant le métier des armes, respecte ses hommes et en retour se fait aimer d’eux ; celui qui, parce qu’il a d’abord commencé par obéir, a appris à commander.
Si votre jeunesse est une excellente chose, elle ne vous a pas apporté l’expérience du Service sous les armes. Personne ne vous le reproche, mais ceci implique un minimum d’humilité : commander n’est pas « manager » (…).
Où est la réserve dans de tels propos adressés à un homme qui sert les Armes de la France depuis quarante ans, quand vous ne les découvrez que depuis deux mois? »
L'opposition légal/véritable est bien entendu reprise à Charles Maurras, avec son opposition pays légal / pays réel. L'opposition commander / manager contient d'ailleurs une charge romantique tout à fait traditionnelle, relevant du discours factieux propre à l'Armée française.
On reconnaît ici le fond culturel monarchiste et catholique de l'élite militaire. Le véritable chef, pour ces gens, ne peut être qu'un militaire, de par son vécu, ses valeurs.
C'est cet esprit factieux qui est à l'origine des tentatives de coup d'État des maréchaux après 1918, avec finalement le succès du maréchal Philippe Pétain en 1940.
C'est cette tendance qui commence nécessairement à primer après la défaite de Marine Le Pen aux élections présidentielles. La mobilisation nationaliste par en bas a du mal à prendre, elle est trop dispersée puisqu'il y a également Jean-Luc Mélenchon dans la partie, elle ne parvient pas à se synthétiser.
L'Armée se remet donc au centre du jeu, faisant un appel d'air, formulant la proposition stratégique : si Emmanuel Macron ne réussit pas à tout relancer avec l'axe franco-allemand, alors les militaires doivent être aux premières loges d'une reprise en main.
Pour archives, le texte de la lettre :
15 HAUTS GRADÉS DE L'ARMÉE ÉCRIVENT À MACRON : "NOUS NOUS SENTONS HUMILIÉS"
PUBLIÉ LE 27/07/2017 À 19H50 MIS À JOUR LE 28/07/2017 À 12H17Les attaques d'Emmanuel Macron contre le général Pierre de Villiers ne passent décidément pas. Dans une lettre ouverte au président que Capital reproduit ci-dessous, 15 hauts gradés de l'armée ayant quitté le service - dont cinq généraux - clament leur soutien à l'ancien chef d'Etat-major et témoignent de leur "blessure profonde".
Monsieur le Président
C’est au Chef des armées que les signataires de la présente lettre souhaitent s’adresser. C’est au Chef des armées qu’ils veulent dire combien ils ont été stupéfaits par son attitude à l’égard du Chef d’état-major des Armées de la France.
Nous sommes des Officiers de tous grades et des différentes armées ayant quitté le service actif. Nous n’avons aucun mandat ; nous ne prétendons pas parler au nom de l’Armée, cette « grande muette ». Nous estimons en revanche, de notre devoir de vous faire part de notre indignation et de vous dire ce que beaucoup de nos jeunes camarades, nos frères d’armes en activité, ressentent sans pouvoir l’exprimer.
L’Armée est peut-être muette, mais elle n’est ni sourde ni aveugle, ni amnésique. Elle n’a pas été sourde quand elle a entendu et cru en vos promesses de campagne. Elle n’a pas été aveugle lorsque votre tout premier geste a été de vous rendre au chevet de ses blessés. Elle a apprécié le symbole qu’a représenté votre choix d’un véhicule de commandement le jour de votre prise de fonction, elle a été sensible à l’image de l’autorité restaurée que vous avez voulu afficher. Tant vos paroles que les symboles que vous aviez choisis semblaient donc démontrer votre compréhension des forces armées et la priorité que vous leur accorderiez dans le contexte actuel.
Mais alors tout cela n’était-il que promesses, paroles et maniement des symboles ? On est en droit désormais de se poser la question en entendant les propos que vous avez tenus publiquement à l’Hôtel de Brienne à l’encontre du Chef d’état-major des armées, à la veille des cérémonies du 14 juillet. Cela restera longtemps dans les mémoires.
«Je considère pour ma part, qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique… »
Mais alors est-il vraiment digne de réprimander, non seulement en public, mais devant ses subordonnés, un grand chef militaire, au sujet de propos destinés aux membres d’une commission parlementaire, au cours d’une audition censée être confidentielle ? Le CEMA ne faisait-il pas son devoir en rendant compte loyalement à la représentation nationale de l’état des armées ? Cette humiliation publique est une faute, Monsieur le Président.
«J’ai pris des engagements…»
Mais alors, après avoir prolongé le CEMA d’une année, ce qu’il a accepté en toute loyauté, précisément pour mettre en œuvre vos engagements de campagne, pourquoi lui faire grief de refuser d’endosser vos reniements ? Comment pouvez-vous penser qu’il accepterait de se soumettre et de perdre ainsi la confiance de ses subordonnées ? Ce reniement est une faute, Monsieur le Président.
«Je suis votre chef...»
Tous les militaires le savent et ils sont vexés que vous le leur rappeliez. Mais alors, serait-ce que vous en douteriez vous-même ? Dans ce cas, ce doute vous honorerait car il montrerait que vous avez senti la différence entre être le chef légal, et être le chef véritable : celui qui, connaissant le métier des armes, respecte ses hommes et en retour se fait aimer d’eux ; celui qui, parce qu’il a d’abord commencé par obéir, a appris à commander. Si votre jeunesse est une excellente chose, elle ne vous a pas apporté l’expérience du Service sous les armes. Personne ne vous le reproche, mais ceci implique un minimum d’humilité : commander n’est pas « manager ». Ce défaut d’humilité est une erreur, Monsieur le Président.
«Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir…»
Nous ne demandons qu’à le croire, mais pour l’instant vous ne les tenez pas, et nos ennemis eux, ne vont pas attendre une année supplémentaire pour frapper les nôtres. Quant à l’argument consistant à dire au pays que la coupe budgétaire annoncée n’aura aucune incidence sur la vie de nos soldats, il est fallacieux et vous le savez. Il a été utilisé par vos prédécesseurs depuis des décennies et il est la cause des nombreux retards, diminutions, voire annulation de programmes, responsables du délabrement actuel de nos matériels ; situation que nos hommes vivent durement au quotidien, en conditions de guerre. En réalité vous mettez nos armées dans une situation encore plus tendue, vous le savez et vous manipulez la vérité. Cette manipulation est une faute Monsieur le Président.
«Je n’ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire»
Considéreriez-vous donc comme une «pression» ou un «commentaire» le compte-rendu que le Chef d’état-major a présenté en toute vérité et loyauté à la commission parlementaire ? Le CEMA ne doit-il adresser à la représentation nationale que des propos bien lissés et bien formatés en lieu et place de la réalité ? Quel caporalisme, quel manque de considération pour lui comme pour elle ! Quel mépris vis-à-vis des problèmes réels auxquels nos armées ont à faire face ! Ce mépris est une faute Monsieur le Président.
«J’aime le sens du devoir, j’aime le sens de la réserve…»
Précisément votre devoir était de faire preuve de réserve vis-à-vis de votre grand subordonné ; les termes vifs qu’il a utilisés ne vous étaient pas destinés, vous le saviez. Rien ne vous obligeait à rendre publique une fuite de confidentialité et à l’exploiter en violente diatribe à son égard. Où est la réserve quand quelques jours plus tard, comme si cela ne suffisait pas, vous déclarez dans la presse que « L’intérêt des armées doit primer sur les intérêts industriels », laissant ainsi entendre que le souci du CEMA concernant l’obsolescence des matériels lui seraient « susurrés » par le lobby militaro-industriel ? C’est bas, ce n’est pas digne, Monsieur le Président. Où est la réserve quand, dans le même journal, vous ajoutez en parlant du général De Villiers qu’il a toute votre confiance, «mais à condition de savoir quelle est la chaîne hiérarchique et comment elle fonctionne, dans la république comme dans l’armée» ? Où est la réserve dans de tels propos adressés à un homme qui sert les Armes de la France depuis quarante ans, quand vous ne les découvrez que depuis deux mois?
En conclusion, vous aurez compris, Monsieur le Président, que vos paroles publiques visant le Général De Villiers n’ont pas seulement atteint ce grand serviteur de la France et de nos armées mais aussi un grand nombre de militaires qui, comme nous, se sentent humiliés. La blessure est profonde. C’est pourquoi, loin des innombrables commentaires politiques, techniques ou simplement polémiques, nous pensons qu’il est de notre devoir de vous parler avec le cœur. Vous aviez bien commencé avec les symboles, et nous avons cru en votre parole ; mais aujourd’hui elle s’est transformée en mots inutilement destructeurs et vos récentes déclarations d’amour à Istres ne sont encore perçues que comme des mots, pour ne pas dire comme de la communication.
Alors, Monsieur le Président, réservez et retenez votre parole pour qu’elle redevienne La parole, la parole donnée, la parole qu’on tient : celle en laquelle nous pourrons croire à nouveau. Laissez les symboles et les discours et passez aux actes concrets pour vos militaires. Vous êtes leur chef constitutionnel, soyez-le dans leur vie réelle, écoutez-les, respectez-les.
Général de brigade aérienne (2S) Diamantidis
Ont également signé cette lettre :
Général de division aérienne (2S) Tsédri
Général de division aérienne (2S) Champagne
Général de brigade Gendarmerie (2S) De Cet
Général de brigade Terre (2S) Reydellet
Colonel Terre (ER) Wood
Colonel Terre (ER) Lerolle
Colonel Terre (ER) Noirot
Colonel Terre (ER) Aubignat
Colonel Air (ER) Piettre
Colonel Air (ER) Populaire
Médecin en chef (H) Reynaud
Lieutenant-Colonel Air (ER) Delalande
Chef de bataillon Terre (ER) Gouwy
Capitaine Terre (ER) Diamantidis