17 aoû 2017

Les remarques d'Arsène Wenger au sujet du football moderne

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Arsène Wenger est une importante figure du football, dans la mesure où il entraîne le club londonien d'Arsenal depuis 1996. Surnommé «  Le Professeur » en Angleterre pour son style studieux, entraîneur mais également manager, il vient d'exprimer dans France Football une critique de la situation actuelle du football qui est d'un grand intérêt.

Il constate en effet, avec un regard matérialiste, le développement du capitalisme dans le football, les transformations que cela implique, comme le changement de perception de ce qu'est un club de football :

« C'est quoi, la taille d'un club de football ? Il y a trente ans, elle était définie par un chiffre, le nombre de gens qui allaient soutenir ce club au stade le samedi après-midi.

Aujourd'hui, c'est toujours celle du public qu'il attire, mais c'est aussi désormais le pouvoir financier de ses propriétaires. Et ça, c'est un changement fondamental. »

Ce processus a, effectivement, abouti à une division dialectique, opposant quelques clubs de très haut niveau à un ensemble de clubs sans envergure réelle, opposant quelques pays au fort championnat à un ensemble de championnats sans envergure réelle.

Arsène Wenger constate que les achats de clubs par des milliardaires ou des pays comme le Qatar modifient d'autant plus la donne, ceux-ci raisonnant en termes de promotion, de publicité, pas d'efficacité économique.

Le matérialisme d'Arsène Wenger montre ici sa limite, car la tendance était déjà présente avec des clubs portés à fonds perdus par des forces sociales particulières, comme le Real Madrid par la royauté espagnole ou le FC Barcelone par la bourgeoisie catalane.

Pareillement, l'Italie n'a pas attendu des entreprises chinoises achetant les clubs de Milan pour avoir une Juventus de Turin comme joyau de la famille industrielle Agnelli (les patrons de Fiat), l'Autriche n'a pas attendu Red Bull à Salzbourg pour voir le Rapid de Vienne soutenu par un Parti Socialiste multi-millionnaire, etc. etc.

La tendance était inhérente au football s'appuyant sur le capitalisme, chaque pays voyant une poignée de clubs émerger, portés par différentes forces sociales et financières, se renforçant plus ou moins selon la taille du pays, du championnat, etc.

Arsène Wenger ne peut pas voir cela, car il a lui-même été porté par cette vague, le club d'Arsenal émergeant précisément du renforcement financier et social des clubs.

La critique qu'il fait ainsi est juste mais l'était déjà vrai il y a dix ans, même si de manière moins forte :

« Le danger, selon moi, c'est qu'on fragilise ce que j'aime dans le football, à savoir qu'il est un sport d'équipe. Aujourd'hui, le football est devenu davantage une affaire d'individualités, à l'image de notre société qui met davantage l'accent sur le statut de la star, la réussite individuelle, moins sur ce qui fait d'une équipe une équipe.

On peut se demander si, aujourd'hui, Nottingham Forest pourrait gagner la coupe d'Europe, comme en 1979 et en 1980. La réponse est non. »

Cela est indéniablement juste et la critique du « football moderne » tient précisément à cela. Cependant, c'était déjà vrai il y a quinze ans. La tendance actuelle ne fait que renforcer cela, avec le cosmopolitisme fondamental qui va avec.

Car le soutien à la poignée de grands clubs ne s'appuie plus sur aucune tradition populaire, mais uniquement sur le fait que ceux-ci gagnent. Les fans de Chelsea, du Bayern, de Manchester United, de la Juventus, etc. se retrouvent aux quatre coins du monde, avec des mises en scène pour les transferts, une dramatisation permanente des médias au sujet des compétitions, un merchandising effréné, etc.

Cela ne veut sans doute pas dire qu'il faille regretter le football comme base d'un esprit de clocher, avec une haine régressive pour le voisin au moment des « derbys ». La dimension patriarcale du soutien au football nécessite une critique virulente.

Pour autant, la dimension populaire ne peut pas être niée et la reconnaissance individuelle dans un club est également un facteur relevant de la culture, du collectivisme. Le football a une dimension historiquement prolétarienne.

Le football lui-même, en tant que sport collectif, ramène justement à cette question du collectivisme. Arsène Wenger en a tout à fait conscience et il y a là un prétexte très intéressant de réflexion.

Voici ce que dit Arsène Wenger, de manière démocratique, sur la question de la nécessité d'un point de vue collectif et non plus simplement individuel :

« L'époque du manager qui décidait de tout est révolue. On ne reverra jamais ce type d'entraîneur. Je pense même qu'on se dirige vers un type de management totalement différent de celui que j'ai connu.

Aujourd'hui, je suis à la tête d'une équipe d'une vingtaine de personnes environ. Et le rôle du manager, au XXIe siècle, est de savoir s'entourer d'une équipe et de faire cette accepter cette équipe à l'équipe, je veux dire aux joueurs.

Les footballeurs ont un odorat très développé. Ils sentent, très vite, s'il y a des frictions au sein de leur encadrement. Le défi, aujourd'hui, c'est de constituer une équipe unie au sein du staff technique.

Quand vous êtes entourés de beaucoup de gens, ça veut dire que vous entendez beaucoup d'opinions diverses. Dans notre sport, ça peut être une bonne chose.

Sur certains sujets, le jardinier du stade peut avoir raison, et moi tort. Peut-être que sur cinquante questions, j'aurai plus souvent raison que lui, mais sur certaines, son opinion aura plus de validité que la mienne. »

Arsène Wenger, toutefois, n'est pas en mesure de fournir une autre perspective que celle historiquement fournie par la cybernétique, par le culte des statistiques, des données :

« J'étais récemment à une réunion de la League Managers Association, et je leur ai dit que ce serait intéressant de faire une étude sur l'avenir de notre métier, car je suis sûr que dans dix ou quinze ans, ce ne sera pas nécessairement un spécialiste du football qui sera manager d'un club.

Il ou elle sera entouré(e) de scientifiques, qui lui diront quelle équipe mettre sur le terrain le samedi.

Le responsable sera un spécialiste du management, parce que les décisions footballistiques seront prises par la technologie et l'analyse. »

Arsène Wenger se trompe ici, car c'est déjà ce que font les clubs, les achats à coups de millions se faisant justement en fonction de cela. Sauf que cela ne saurait marcher, la réalité exigeant une analyse matérialiste dialectique, pas des « savants calculs ».

C'est cela qui avait permis le succès de Leicester City dans le championnat anglais et qui est l'origine des « surprises » que le football apporte encore.

C'est ce qui explique également la prochaine faillite du football de l'époque du capitalisme décadent : seule une poignée de clubs peuvent gagner, car ayant siphonné les meilleurs joueurs ; ne sachant cependant agir dans la durée, ils tentent de colmater les brèches de manière pragmatique.

Le Paris Saint-Germain est ici la caricature de l'utopie footballistique du capitalisme décadent, avec des capitalistes sans culture s'imaginant qu'ils sont en mesure d'acheter des victoires.

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