La question de la révolution démocratique dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux
Submitted by Anonyme (non vérifié)La question de la révolution démocratique est d'une grande importance pour les communistes en France.
Non pas parce que cette révolution serait à l'ordre du jour – la révolution française a en effet été le modèle du genre à l'époque où la bourgeoisie jouait un rôle révolutionnaire dans l'histoire de la lutte des classes.
Mais parce que la révolution démocratique est une question actuelle pour l'écrasante majorité des masses mondiales, qui vivent une oppression caractérisée par la domination des pays impérialistes, en alliance avec les forces féodales ou néo-féodales locales.
La question de la révolution démocratique a été d'une grande importance pour le mouvement communiste dès Lénine ; pourtant, dans les pays capitalistes devenus impérialistes, dont la France fait partie, les communistes ne se sont intéressés à cette question qu'à la suite de la défaite de l'Allemagne nazie, pour comprendre le poids de la culture féodale prussienne dans la culture nationale allemande.
Pareillement, dans les années 1960-1970, l'extrême-gauche des pays impérialistes qui a défendu Mao Zedong et pratiqué l'internationalisme prolétarien n'a jamais compris le principe de « pays semi-coloniaux semi-féodaux » mis en avant par les communistes de Chine, pourtant essentielle pour la lutte dans les pays de la « zone des tempêtes » (Afrique, Asie, Amérique latine).
Cela a joué un grand rôle dans son effondrement, l'évolution du monde étant alors incomprise, alors que dans le même temps se fondaient, dans la zone des tempêtes justement, des partis marxistes-léninistes-maoïstes sur la base de cette compréhension de la question de la révolution démocratique dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux.
Le présent document résume par conséquent la ligne marxiste-léniniste-maoïste concernant ce point essentiel de l'idéologie communiste.
a) Le point de vue de Karl Marx et Friedrich Engels
Karl Marx et Friedrich Engels ont posé les principes du matérialisme historique et dialectique. Ils ont grandement étudié l'histoire des différents pays, et notamment ceux des pays capitalistes, cherchant à comprendre comment le capitalisme s'est développé et a finalement triomphé à leur époque.
Partant du principe comme quoi « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes » (Manifeste du Parti Communiste), ils ont alors défini les grandes étapes de l'évolution des sociétés humaines : communisme primitif, esclavagisme, féodalisme, capitalisme, socialisme, communisme.
Karl Marx et Friedrich Engels ont constaté que la bourgeoisie, lorsqu'elle était opprimée par la féodalité, a lutté pour ébranler la domination de l'aristocratie et finalement lui arracher le pouvoir.
La bourgeoisie a ainsi joué un rôle révolutionnaire en abolissant les relations féodales, et en levant le drapeau de la démocratie contre le despotisme féodal.
Karl Marx et Friedrich Engels ont toujours considéré que la bourgeoisie avait joué un rôle éminemment révolutionnaire dans sa lutte contre l'aristocratie, et ont toujours combattu les velléités de cette dernière à reprendre le pouvoir, notamment sous le drapeau pseudo révolutionnaire du « socialisme féodal ».
Karl Marx et Friedrich Engels ont toujours considéré que la démocratie était une forme politique révolutionnaire, correspondant au besoin de la classe ouvrière et des masses populaires.
Voilà pourquoi Karl Marx et Friedrich Engels ont affirmé que la révolution, cette fois dirigée par la classe ouvrière, amènerait un « pouvoir nouveau, vraiment démocratique. » (Friedrich Engels, Introduction à la guerre civile en France) ; et ils ont présenté la Commune de Paris comme modèle de la dictature du prolétariat.
Ce pouvoir de la dictature du prolétariat est démocratique pour les classes opprimées, mais pas pour les classes dominantes qui sont en train d'être renversées ; il correspond au principe de la lutte des classes, selon lequel
« Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi correspond une période de transition politique où l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. »
(Karl Marx, Critique du programme de Gotha)
Dans toutes leurs analyses et points de vue politiques, Karl Marx et Friedrich Engels ont par conséquent mis en avant la victoire des forces historiquement progressistes sur les forces réactionnaires, ce qui signifie également le triomphe des forces démocratiques sur le despotisme.
b) La révolution démocratique selon Lénine avant 1917
A la suite des thèses du Manifeste du Parti Communiste, la question de la révolution démocratique est alors principalement née sur le plan pratique avec Lénine. En effet, selon les enseignements de Karl Marx et Friedrich Engels, le socialisme naît du capitalisme, mais le capitalisme naît lui-même du féodalisme qui lui-même naît de l'esclavagisme.
Par conséquent, la Russie de l'époque de Lénine étant un pays marqué par le féodalisme, tant sur le plan politique (l'autocratie) qu'en très grande partie sur le plan économique (avec la prédominance du semi-servage), la révolution à l'ordre du jour était la révolution démocratique.
La Russie tsariste était un pays particulièrement déséquilibré. En raison de sa dimension et sa domination sur nombre de pays asiatiques, l'aristocratie russe avait pu considérablement s'enrichir, jusqu'à jouer un rôle dans le jeu impérialiste. Mais sa base économique était féodale, l'écrasante majorité de la population vivait dans des conditions moyen-âgeuses, et pour cette raison même l'aristocratie russe devait consentir à une forte pénétration impérialiste en Russie même, notamment de la part de la bourgeoisie française.
Vues les conditions prévalant en Russie, Lénine a par conséquent expliqué que les communistes devaient assumer les tâches de la révolution démocratique. La bourgeoisie russe était trop faible pour assumer les tâches démocratiques bourgeoises, il fallait en tirer la conséquence :
« Reste le « peuple », c'est-à-dire le prolétariat et la paysannerie : seul le prolétariat est capable d'aller avec fermeté jusqu'au bout, car il va bien au delà de la révolution démocratique. »
(Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique)
Ainsi, contrairement à ce qui s'est passé en France et en Angleterre, c'est le prolétariat qui devrait assumer les tâches que la bourgeoisie, pour des raisons historiques (le grand retard de son développement), ne peut pas assumer.
La révolution démocratique permettrait ainsi en Russie de paver « la voie d'un développement large et rapide, européen et non asiatique, du capitalisme en Russie » (Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique), amenant ainsi, par la suite, le développement de la classe ouvrière et du socialisme.
Mais si le prolétariat avait tout intérêt à la révolution démocratique et en était le partisan le plus acharné, il ne pouvait pas mener cette lutte seule, c'est-à-dire qu'il ne pouvait pas faire la révolution à la place de la grande majorité du peuple, qui était paysan (et avait donc des intérêts matériels à la révolution démocratique).
Lénine a ainsi souligné non seulement l'importance de la paysannerie, mais également le fait que celle-ci était, dans cette situation russe, une alliée du prolétariat, donnant pour cela deux raisons essentielles :
- « la paysannerie est moins intéressée à la conservation absolue de la propriété privée qu'à la confiscation des terres seigneuriales, une des formes principales de cette propriété. Sans devenir pour cela socialiste, sans cesser d'être petite bourgeoise, la paysannerie est capable de devenir un partisan décidé, et des plus radicaux, de la révolution démocratique. » (Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique)
- la paysannerie représente la grande majorité du peuple et que par conséquent, la paysannerie n'a pas peur de la démocratie, qui est une forme politique conforme à ses intérêts de majorité.
La paysannerie est par conséquent l'allié le plus sûr du prolétariat, à l'opposé de la bourgeoisie qui elle a déjà peur de la révolution socialiste et refuse donc tout désordre. La bourgeoisie préférerait que la féodalité soit abolie, mais elle ne veut pas se risquer à lancer des mobilisations de masse, elle entend réduire au minimum la participation des masses, elle espère conserver le maximum de préjugés de passés, et surtout elle considère que le maître-mot est celui de réforme, pas de révolution.
La conséquence en Russie est très claire selon Lénine: « Voilà pourquoi la bourgeoisie, comme classe, se réfugie naturellement et immanquablement sous l'aile du parti monarchiste libéral, tandis que la paysannerie, comme masse, se met sous la direction du parti révolutionnaire et républicain.
Voilà pourquoi la bourgeoisie est incapable de mener la révolution démocratique jusqu’au bout, alors que la paysannerie en est capable. Et nous devons l'y aider de toutes nos forces. » (Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique)
Lénine définit donc ainsi les principes de la révolution démocratique, première étape permettant le passage par la suite à la révolution socialiste: « Le prolétariat doit faire jusqu'au bout la révolution démocratique, en s'adjoignant la masse paysanne, pour écraser par la force la résistance de l'autocratie et paralyser l'instabilité de la bourgeoisie.
Le prolétariat doit faire la révolution socialiste en s'adjoignant la masse des éléments semi prolétariens de la population, pour briser par la force la résistance de la bourgeoisie et paralyser l’instabilité de la paysannerie et de la petite bourgeoisie. » (Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique)
c) Lénine et la tactique de l'appui au mouvement de libération démocratique bourgeois
Lorsque le tsarisme s'effondre en février 1917 sous les coups du butoir du peuple, le gouvernement provisoire qui se met en place est porté par la bourgeoisie. Par conséquent, il continue la participation à la guerre mondiale impérialiste, en raison des liaisons de la bourgeoisie russe avec les capitalistes français et anglais. Il ne peut non plus satisfaire les exigences des masses paysannes, car cela serait heurter aux grands propriétaires fonciers, qui représentent la fraction des capitalistes dans les campagnes.
Lénine n'était alors pas en Russie, mais dans ses Lettres de loin il appelait au passage à la révolution socialiste, considérée comme une seconde étape: « Ouvriers! Vous avez accompli des prodiges d'héroïsme prolétarien et populaire dans la guerre civile contre le tsarisme. Vous devez accomplir des prodiges d'organisation prolétarienne et populaire pour préparer votre victoire dans la seconde étape de la révolution. »
Lénine rentre en Russie en avril 1917 et met en avant alors ce qu'on appellera les « Thèses d'avril », qui affirment que, désormais, il en va de la révolution socialiste, non pas dans un futur plus ou moins lointain, mais maintenant, et qu'il faut que les bolchéviks assument cette tâche politique. Lénine met en avant la forme soviétique, du terme soviet signifiant conseil en Russie. « Tout le pouvoir aux soviets » est le mot d'ordre révolutionnaire de l'époque.
On arrive alors à la conception léniniste de la révolution ininterrompue, présupposant deux moments : le premier consiste en la résolution des tâches démocratiques, le second consistant en les tâches socialistes.
Lénine affirme que les communistes doivent appuyer les mouvements démocratiques bourgeois, mais sans pour autant leur attribuer la valeur de communiste; il affirme également que les communistes doivent rejeter les mouvements tel le panislamisme, ce dernier n'étant par exemple que l'expression des grands propriétaires fonciers locaux et pas l'expression d'une lutte démocratique, même au sens bourgeois.
Lénine explique en 1920, dans sa « première ébauche des thèses sur les questions nationale et coloniale (pour le deuxième congrès de l'Internationale Communiste):
« Quant aux États et nations plus arriérés, où prédominent des rapports de caractère féodal, patriarcal ou patriarcal-paysan, il faut tout particulièrement avoir présent à l'esprit :
1° La nécessité pour tous les partis communistes d'aider le mouvement de libération démocratique bourgeois de ces pays ; et, au premier chef, l'obligation d'apporter l'aide la plus active incombe aux ouvriers du pays dont la nation arriérée dépend sous le rapport colonial et financier ;
2° La nécessité de lutter contre le clergé et les autres éléments réactionnaires et moyenâgeux qui ont de l'influence dans les pays arriérés ;
3° La nécessité de lutter contre le panislamisme et autres courants analogues, qui tentent de conjuguer le mouvement de libération contre l'impérialisme européen et américain avec le renforcement des positions des khans, des propriétaires fonciers, des mollahs, etc. ;
4° La nécessité de soutenir spécialement le mouvement paysan des pays arriérés contre les hobereaux, contre la grosse propriété foncière, contre toutes les manifestations ou survivances du féodalisme, et de s'attacher à conférer au mouvement paysan le caractère le plus révolutionnaire en réalisant l'union la plus étroite possible du prolétariat communiste d'Europe occidentale avec le mouvement révolutionnaire paysan des pays d'Orient, des colonies et en général des pays arriérés ; il est indispensable, en particulier, de faire tous ses efforts pour appliquer les principes essentiels du régime des Soviets aux pays où dominent des rapports précapitalistes, par la création de «Soviets de travailleurs», etc. ;
5° La nécessité de lutter résolument contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés ; l'Internationale Communiste ne doit appuyer les mouvements nationaux démocratiques bourgeois des colonies et des pays arriérés qu'à la condition que les éléments des futurs partis prolétariens, communistes autrement que par le nom, soient dans tous les pays arriérés groupés et éduqués dans l'esprit de leurs tâches particulières, tâches de lutte contre les mouvements démocratiques bourgeois de leur propre nation ; l'Internationale Communiste doit conclure une alliance temporaire avec les démocrates bourgeois des colonies et des pays arriérés, mais pas fusionner avec eux, et maintenir fermement l'indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire ;
6° La nécessité d'expliquer et de dénoncer inlassablement aux larges masses laborieuses de tous les pays, et plus particulièrement des pays arriérés, la duperie pratiquée systématiquement par les puissances impérialistes qui, sous le couvert de la création d'Etats politiquement indépendants, créent en fait des Etats entièrement sous leur dépendance dans les domaines économique, financier et militaire ; dans la situation internationale actuelle, en dehors de l'union des républiques soviétiques, il n'y a pas de salut pour les nations dépendantes et faibles. »
Par la suite, le terme de mouvement « démocratique bourgeois » sera remplacé par celui de mouvement « national‑révolutionnaire », en raison du fait que la bourgeoisie nationale peut parfois préférer la subordination à l'impérialisme à la révolution démocratique, par peur du communisme.
Lénine, dans le « Rapport de la commission nationale et coloniale » au deuxième congrès de l'Internationale Communiste en 1920, dit à ce sujet que:
« Le sens de cette substitution est que, en tant que communistes, nous ne devrons soutenir et nous ne soutiendrons les mouvements bourgeois de libération des pays coloniaux que dans les cas où ces mouvements seront réellement révolutionnaires, où leurs représentants ne s'opposeront pas à ce que nous formions et organisions dans un esprit révolutionnaire la paysannerie et les larges masses d'exploités. »
Telle est la tactique léniniste, qui sera appliquée dans l'Internationale Communiste.
d) La révolution ininterrompue mise en avant par l'Internationale Communiste
A la suite de Lénine, l'Internationale Communiste, fondée en Union Soviétique, a résumé dans son programme, datant de 1928, les principes généraux de la thèse léniniste sur la révolution démocratique.
On peut y lire:
« La révolution prolétarienne internationale résulte de procès divers et non simultanés: révolutions prolétariennes proprement dites; révolutions du type démocratique-bourgeois se transformant en révolutions prolétariennes; guerres d'émancipation nationale, révolutions coloniales.
Ce n'est qu'en fin de compte que le procès révolutionnaire aboutit à la dictature mondiale du prolétariat. »
L'Internationale Communiste a compris que la révolution mondiale ne se déroulera pas d'un seul coup, et distingue dans son programme trois sortes de pays: les pays capitalistes, les pays capitalistes où le développement du capitalisme est relativement faible et où la féodalité conserve une certaine base, et enfin les pays coloniaux et semi-coloniaux.
Concernant les pays de la seconde catégorie, le programme affirme:
« Dans certains de ces pays, une transformation plus ou moins rapide de la révolution démocratique-bourgeoise en révolution socialiste est possible; dans d'autres, sont possibles divers types de révolutions prolétariennes ayant, cependant, à accomplir des tâches de caractère bourgeois-démocratique d'une grande ampleur.
Ici, la dictature du prolétariat peut donc ne pas s'établir d'emblée; elle s'institue au cours de la transformation de la dictature démocratique du prolétariat et des paysans en dictature socialiste du prolétariat; quand la révolution revêt immédiatement un caractère prolétarien, elle suppose la direction, par le prolétariat, d'un large mouvement paysan-agraire; la révolution agraire y joue, en général, un très grand rôle, parfois décisif;
au cours de l'expropriation de la grande propriété foncière, une grande partie des terres confisquées est mise à la disposition des paysans; les rapports économiques du marché conservent une grande importance au lendemain de la victoire du prolétariat; amener les paysans à la coopération puis les grouper dans des associations de production est une des tâches les plus importantes de l'édification socialiste. L'allure de cette édification est relativement lente. »
Le point de vue concernant les pays de la troisième catégorie, c'est-à-dire les pays coloniaux et semi-coloniaux, notamment la Chine et l'Inde, est le suivant:
« La lutte contre le féodalisme et contre les formes précapitalistes de l'exploitation et la révolution agraire poursuivie avec esprit de suite, d'une part; la lutte contre l'impérialisme étranger, pour l'indépendance nationale, d'autre part, ont ici une importance primordiale.
Le passage à la dictature du prolétariat n'est possible dans ces pays, en règle générale, que par une série d'étapes préparatoires, par toute une période de transformations de la révolution bourgeoise-démocratique en révolution socialiste; le succès de l'édification socialiste y est, dans la plupart des cas, conditionné par l'appui direct des pays de dictature prolétarienne. »
Puis, le programme parle également des pays où le capitalisme n'est pas du tout développé, où les populations en sont encore au stade tribal, et met en avant dans ces pays le « soulèvement national. »
Comme on le voit donc, pour l'Internationale Communiste, et à la suite de Lénine, dans les pays marqués par le féodalisme, les communistes doivent se poser comme les partisans les plus absolus de la révolution démocratique.
Le moteur de la révolution démocratique reste la bourgeoisie, mais le prolétariat pousse la bourgeoisie à assumer son rôle dans cette révolution, et le cas échéant assume de jouer le rôle dirigeant de la révolution démocratique bourgeoise.
e) la question chinoise: révolution ininterrompue ou révolution permanente?
L'Internationale Communiste a tenté d'appliquer la ligne léniniste à toute une série de pays, dans de multiples situations. Dans certains cas, les communistes représentaient une force conséquente; dans d'autres cas, les communistes n'étaient encore guère organisés.
C'était notamment souvent le cas en Afrique, en Asie et en Amérique latine, en raison de la faiblesse de la classe ouvrière et du rôle de l'impérialisme qui faisait la promotion des idéologies réactionnaires, religieuses notamment.
Toutefois, dans certains cas, la révolution était bien avancée, et c'était notamment le cas de la Chine. Le débat sur la Chine au sein du mouvement communiste a été l'un des grands témoignages de l'opposition entre les conceptions de « révolution ininterrompue » et de « révolution permanente », cette dernière conception étant développée par Léon Trotsky.
Trotsky s'opposait formellement au principe de « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » et il s'était opposé à Lénine, considérant qu'il fallait que la Russie soit un « Etat ouvrier » et non pas un « Etat ouvrier et paysan. »
En ce qui concerne la Chine, Trotsky refusait de considérer que l'aspect principal de la révolution était l'aspect démocratique. Il expliquait dans « La Guerre des paysans en Chine et le prolétariat » que:
« Dans la vieille Chine, chaque victoire de la révolution paysanne se terminait par la création d'une nouvelle dynastie, avec, en outre, de nouveaux grands propriétaires. Le mouvement aboutissait à un cercle vicieux. Dans la situation actuelle, la guerre paysanne, par elle-même sans une direction immédiate de l'avant-garde prolétarienne, ne peut que donner le pouvoir à une nouvelle clique de la bourgeoisie, à un quelconque Kuomintang de "gauche", à un "troisième parti", qui en pratique se différencieront très peu du Kuomintang de Tchang-Kai-Chek. Et cela signifierait une nouvelle défaite des ouvriers due à l'arme de la "dictature démocratique". »
Trotsky, conformément à sa théorie de la « révolution permanente », considérait que la paysannerie devait être au mieux neutralisée, qu'elle devait être « conduite » par la classe ouvrière, et que la seule bataille existante était celle entre la classe ouvrière et le capitalisme.
Partant de là, il considère, même dans les conditions semi-coloniales de la Chine, que la bourgeoisie nationale chinoise joue un rôle uniquement réactionnaire, et il en veut pour preuve la répression à la mi-avril 1927 du mouvement ouvrier de Shanghaï et, en décembre de la même année, de la commune de Canton.
Par conséquent, il expliquait que « Aucun régime révolutionnaire moyen, intermédiaire entre le régime de Kerensky ou de Tchang Kaï-chek et la dictature du prolétariat n'est possible. » (La révolution permanente).
Trotsky niait le caractère double de la bourgeoisie nationale, qui voulait d'un côté bien évidemment éviter à tout prix la révolution, mais qui de l'autre était en conflit avec l'impérialisme qui dominait totalement le pays. Et il niait la question de la révolution agraire.
Ce point de vue était exactement à l'opposé de l'Internationale Communiste. Staline expliquait ainsi:
« La révolution démocratique bourgeoisie en Chine est à la fois une lutte contre les survivances féodales et une lutte contre l'impérialisme. » (La révolution en Chine et les tâches de l'Internationale Communiste).
C'est-à-dire que selon Staline (et l'Internationale Communiste), l'actualité révolutionnaire en Chine était la révolution démocratique:
« Lénine disait que les Chinois auront bientôt leur 1905. Certains camarades ont compris cela comme si les Chinois devaient avoir une répétition, point par point, de ce qui se passa en Russie en 1905.
C'est inexact. Lénine n'a nullement dit que la révolution chinoise serait une copie de la révolution russe de 1905. Il a seulement dit que les Chinois auront leur 1905. Ce qui signifie que la révolution chinoise aura, outre les traits généraux de la révolution de 1905, ses particularités spécifiques qui mettront sur elle leur empreinte spéciale.
Quelles sont ces particularités ?
La première est que la révolution chinoise, tout en étant une révolution bourgeoise-démocratique, est également une révolution de libération nationale, dont la pointe est dirigée contre la domination de l'impérialisme étranger en Chine. Par-là elle se distingue d'emblée de la révolution russe de 1905. La domination de l'impérialisme en Chine ne se traduit pas seulement par sa puissance militaire, mais avant tout par le fait que les principales branches de l'industrie chinoise : chemins de fer, fabriques et usines, mines, banques, etc., se trouvent entre les mains des impérialistes étrangers.
Il en résulte que les questions de la lutte contre l'impérialisme étranger et ses agents chinois doivent jouer un rôle prépondérant dans la révolution chinoise. C'est ainsi que la révolution chinoise se rattache directement aux révolutions des prolétaires de tous les pays contre l'impérialisme.
De cette particularité de la révolution chinoise, il en découle une seconde : la grande bourgeoisie indigène est extrêmement faible, incomparablement plus faible que la bourgeoisie russe de la période de 1905. Et c'est compréhensible. Du moment que les principales branches de l'industrie sont concentrées entre les mains des impérialistes étrangers, la grande bourgeoisie chinoise doit être forcément faible et arriérée.
Sous ce rapport, le camarade Mif [Dans son ouvrage "Pour une Chine libre et forte" P. Mif reproche au PCC de négliger lors de son 3ème congrès (juin 1923) les recommandations de l'Internationale Communiste concernant la question paysanne] touchait juste en faisant remarquer que la faiblesse de la bourgeoisie nationale est un des facteurs caractéristiques de la révolution chinoise. Il s'ensuit que l'initiative et la direction de la révolution chinoise, le rôle de leader de la paysannerie chinoise doivent incomber fatalement au prolétariat chinois, plus organisé et plus entreprenant que la bourgeoisie.
Il ne faut pas oublier non plus la troisième particularité de la révolution chinoise qui réside dans le fait qu'à côté de la Chine existe et se développe l'Union Soviétique, dont l'expérience révolutionnaire et l'appui doivent faciliter la lutte du prolétariat chinois contre l'impérialisme et contre les survivances féodales et médiévales. » (Les perspectives de la révolution en Chine, discours à la commission chinoise du comité exécutif de l'Internationale Communiste).
f) La révolution ininterrompue prend en Chine la forme de révolution de nouvelle démocratie
Après l'échec des partisans chinois de l'insurrection urbaine, c'est Mao Zedong qui devient le dirigeant du Parti Communiste de Chine. Mao Zedong suit la ligne de l'Internationale Communiste et considère que la Chine doit vaincre l'impérialisme ainsi que le caractère semi-féodal du pays.
Il effectue alors une « Analyse des classes de la société chinoise », où il explique:
« Tous les seigneurs de la guerre, les bureaucrates, les compradores et les gros propriétaires fonciers qui sont de mèche avec les impérialistes, de même que cette fraction réactionnaire des intellectuels qui en dépend, sont nos ennemis.
Le prolétariat industriel est la force dirigeante de notre révolution.
Nos plus proches amis sont l'ensemble du semi-prolétariat et de la petite-bourgeoisie.
De la moyenne bourgeoisie toujours oscillante, l'aile droite peut être notre ennemie et l'aile gauche notre amie; mais nous devons constamment prendre garde que cette dernière ne vienne désorganiser notre front. »
C'est-à-dire qu'à l'opposé de Trotsky, Mao Zedong met en avant la révolution agraire, et considère que la bourgeoisie nationale, dans le cadre concret de la Chine semi-féodale semi-coloniale, peut avoir un rôle positif.
Mao Zedong ne considérait donc pas la Chine comme capitaliste. Les campagnes étaient dominées par les grands propriétaires fonciers, et les capitalistes chinois avaient un caractère compradore (le terme de « compradore » vient du portugais, et désigne le gérant chinois ou le premier commis chinois dans une entreprise commerciale appartenant à des étrangers).
La bourgeoisie dominant le pays est donc bureaucratique, et sert les intérêts de l'impérialisme, en étant allié aux grands propriétaires fonciers; tels sont les aspects essentiels du caractère semi-colonial semi-féodal du pays.
Cette thèse est conforme aux principes de l'Internationale Communiste; dans « La révolution chinoise et le Parti Communiste de Chine », Mao Zedong cite d'ailleurs le document de l'Internationale Communiste « Du mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux », qui explique que l'impérialisme « s'associe avant tout aux couches sociales dominantes du régime social précédent – aux féodaux et à la bourgeoisie commerçante et usurière -, contre la majorité du peuple.
L'impérialisme s'efforce partout de maintenir et de perpétuer toutes les formes précapitalistes d'exploitation (surtout à la campagne) qui sont la base même de l'existence de ses alliés réactionnaires. »
Mao Zedong reprend alors le principe de la révolution ininterrompue, et contre les « formes politiques, économique et culturelle dominantes », il s'agit de mener la révolution démocratique avant la révolution socialiste:
« Dans le cours de son histoire, la révolution chinoise doit passer par deux phases; la première, c'est la révolution démocratique, la seconde, la révolution socialiste; ce sont deux processus révolutionnaires de caractère différent.
Ce que nous appelons ici démocratie n'appartient plus à l'ancienne catégorie, n'est plus l'ancienne démocratie, mais relève de la nouvelle catégorie; c'est la démocratie nouvelle. » (La démocratie nouvelle)
Qu'est-ce que la révolution de nouvelle démocratie, selon Mao Zedong? Pourquoi oppose-t-il l'ancienne démocratie, de type bourgeoise, et la nouvelle démocratie, première étape de la révolution socialiste?
Mao Zedong affirme qu'en fait, « La première guerre mondiale impérialiste et la première révolution socialiste victorieuse, la Révolution d'Octobre, ont changé tout le cours de l'histoire universelle, dont elles ont inauguré une ère nouvelle (...).
Dans sa première étape ou première phase, la révolution dans une colonie ou une semi-colonie reste essentiellement, par son caractère social, une révolution démocratique bourgeoise, et ses revendications tendent objectivement à frayer la voie au développement du capitalisme; néanmoins, elle n'est déjà plus une révolution de type ancien, dirigée par la bourgeoisie et se proposant d'établir une société capitaliste et un Etat de dictature bourgeoise, mais une révolution de type nouveau, dirigée par le prolétariat et se proposant d'établir, à cette première étape, une société de démocratie nouvelle et un Etat de dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires. » (La démocratie nouvelle)
Ainsi, dans les conditions objectives, la bourgeoisie des pays coloniaux et semi-coloniaux est trop faible pour mener la révolution démocratique, et c'est donc la classe ouvrière qui assume la direction de celle-ci, et de par le caractère anti-impérialiste de cette révolution, celle-ci devient une composante de la révolution socialiste mondiale.
Mao Zedong affirme que ce type de révolution a un caractère universel dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, pays où ces révolutions « auront nécessairement chacune leurs caractéristiques propres, mais ce seront de petites différences dans une grande ressemblance. » (La démocratie nouvelle)
La révolution socialiste mondiale a « pour forces principales le prolétariat des pays capitalistes et pour alliés les peuples opprimés des colonies et semi-colonies. » (La démocratie nouvelle)
g) La Chine populaire comme exemple de nouvelle démocratie
La révolution chinoise avait deux objectifs: réaliser la révolution nationale en obtenant à l'indépendance vis-à-vis de l'impérialisme, et réaliser la révolution démocratique en abolissant la féodalité.
Il ne s'agit donc pas d'une révolution socialiste, car elle laisse certains secteurs capitalistes intacts: ceux qui sont favorables au caractère anti-impérialiste et anti-féodal.
Mais lorsque la révolution démocratique a triomphé en 1949, que les impérialistes et leurs alliés chinois compradores et féodaux ont été battus, on est passé de manière ininterrompue à la révolution socialiste, car la classe ouvrière dirigeait la révolution démocratique. Comme l'avait affirmé Mao Zedong:
« La révolution démocratique est la préparation nécessaire de la révolution socialiste, et la révolution socialiste est l'aboutissement logique de la révolution démocratique. Le but final de tout communiste, et pour lequel il doit lutter de toutes ses forces, c'est l'instauration définitive d'une société socialiste et d'une société communiste. » ( La révolution chinoise et le Parti Communiste de Chine)
La Chine populaire, à sa fondation en 1949, est un Etat socialiste, c'est-à-dire dirigé par la classe ouvrière et oeuvrant à construire le socialisme, dans la perspective du communisme.
La Chine populaire est, à sa fondation, un Etat socialiste, au même titre que l'URSS. Mais le pays étant moins développé, il ne s'agit pas encore d'une dictature du prolétariat, mais pour l'instant d'une démocratie populaire, dirigée par la classe ouvrière et fondée sur l'alliance entre la classe ouvrière et la paysannerie.
La paysannerie, alliée de la classe ouvrière, se voit allouer les terres et les moyens de production possédés autrefois par les grands propriétaires fonciers; la féodalité est abolie et cède la place à la propriété privée du petit paysan.
Toutefois, la Chine restant un pays retardé sur le plan économique, si les grandes banques et les grosses entreprises industrielles et commerciales sont des propriétés d'Etat, comme de fait tout ce qui a un caractère monopoliste, ou même dépasse les possibilités d'un simple particulier, l'Etat socialiste est tout de même obligé de tolérer dans une certaine mesure le capitalisme privé, urbain et rural, s'il est profitable à l'élévation des forces productives.
Ce capitalisme est totalement subordonné au secteur d'Etat, qui est prépondérant dans l'économie, et le mouvement des coopératives est lancé, comme forme intermédiaire entre l'organisation individuelle et l'organisation socialiste. En cinq ans, de 1949 à 1953, la part du secteur d'Etat dans la production industrielle passe de 34% à 59%, celle des entreprises privées de 63% à 24,9%.
Mais cela concerne la question de la construction du socialisme, une histoire passant également historiquement par la Nouvelle Politique Economique (NEP) en Russie, la démocratie populaire, etc., et non plus la révolution de nouvelle démocratie.
Ce qui compte ici pour nous, c'est que la révolution de nouvelle démocratie s'est montrée comme une étape essentielle et incontournable pour les pays semi-coloniaux semi-féodaux dans la voie au socialisme.
La révolution démocratique, dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux, prend la forme de la révolution de nouvelle démocratie, aboutissant de manière ininterrompue au socialisme.