21 mar 2018

Pierre Drieu La Rochelle et le romantisme fasciste - 19e partie : «parce que je suis un petit bourgeois»

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Une fois le relativisme par rapport à la haute bourgeoisie assumée, Pierre Drieu La Rochelle arrive au point où il peut théoriser le fascisme, justement comme une non-idéologie. Quel est  alors le programme de Pierre Drieu La Rochelle dans Socialisme fasciste ? Quelle est sa vision du monde en 1934 ? Et en quoi consistera alors la révolution qu'il appelle de ses vœux ?

Dans Socialisme fasciste, Pierre Drieu La Rochelle présente celle-ci de la manière suivante :

« Cette révolution pour ne pas être prolétarienne n'en est pas moins profonde. Rendue nécessaire par la ruine de l'économie capitaliste, du système parlementaire, de la civilisation démocratique, elle détruit le complexe des vieilles classes et en crée un nouveau.

Pour ne pas être marxiste, elle ne sonne pas moins le glas pour tous ceux qui ne sont antimarxistes que du point de vue de la conservation de la vieille technique et des vieux privilèges (…).

L'économie exigée par les temps nouveaux est une police de la production (…). Le capitalisme défaillant ne peut se survivre qu'en mourant à lui-même, en se métamorphosant dans quelque chose qui est peu ou prou son contraire. Il devient une institution d’État (…).

On voit dans les partis fascistes ou communistes se coudoyer anciens aristocrates, bourgeois, prolétaires qui avouent qu'ils n'ont en commun qu'un caractère abstrait : celui de membre du parti. Dans une époque d’extrême conscience historique et, d'autre part, d'immense déliquescence sociale, il est naturel d'aboutir ainsi à une institution volontaire (…).

Bien loin qu'il y ait une dictature de classe, il n'y a même pas dictature de parti ; il y a obéissance du parti. Cela à Moscou comme à Rome ou Berlin. »

C'est ici la vision petite-bourgeoise d'une fusion de toutes les « bonnes volontés » pour dépasser le régime. Pierre Drieu La Rochelle ne fait d'ailleurs même pas semblant de masquer cet aspect petit-bourgeois : il l'assume même.

Le nouveau parti qu'il compte fonder est une sorte de parti radical réactualisé dans une époque nouvelle :

« Le prolétariat, est-ce que je le connais ? Je ne connais pas les ouvriers, pas plus que les paysans.

Mais y a-t-il là quelque chose de spécifique à connaître ? Je ne le saurai jamais.

Est-ce qu'il y a des classes ? Je ne le crois pas.

Pourquoi est-ce que je le crois pas ? Parce que je suis un petit bourgeois. Je tiens à toutes les classes et à aucune. Je les déteste et les apprécie toutes.

Mais après tout, pourquoi est-ce que je n'aurais pas le droit de parler ? Pourquoi n'aurais-je pas raison ? Est-ce que dans ma moyenne je ne suis pas tout ? Je suis tout. Je parle : qu'on m'écoute.

Je ne veux pas qu'on abuse davantage de ce mot travailleur. Nous aussi nous sommes des travailleurs.

Les paysans et les bourgeois sont aussi des travailleurs – comme les ouvriers. Certes, si le travail de l'ouvrier paraît le travail par excellence, c'est qu'il est le plus affreux, le travail de la machine. Mais le travail de bureau ne l'est pas moins.

Je veux défendre l'ouvrier comme une partie de mon sang, comme une partie du peuple. Je veux le défendre contre la grande ville.

Je dis que la grande ville c'est le capitalisme.

Pourquoi ne suis-je pas communiste ? Mais pourquoi ne suis-je pas réactionnaire ?

Parce que je suis un petit bourgeois et que je ne crois qu'aux petits bourgeois. Cette espèce de petits bourgeois qui tient du petit noble, du bourgeois des professions libérales, du paysan, de l'artisan.

Mais qui n'aime ni le fonctionnaire, ni l'employé, ni l'ouvrier d'usine quand ils ont oublié leur origine concrète.

Rien n'a jamais été fait que par nous. Et le socialisme sera fait par nous ou ne sera pas fait. »

Un tel discours, ouvertement démagogique de la part de quelqu'un issu d'une bourgeoisie de faible nouveau et vivant au milieu des grands-bourgeois rentiers à Paris, obéit en fait au besoin romantique de Pierre Drieu La Rochelle d'unir ce qui est unit dans un grand élan.

Il fait ce choix, parce que c'est le seul qui lui possible, de manière pragmatique. Qui plus est, il n'est même pas optimiste, exprimant même ouvertement ses doutes et ses espoirs entièrement romantiques :

« Corporatistes, vous dites que vous représentez et que vous imposerez la Troisième Force ; que votre Ordre Nouveau s'instaurera à la fois contre ces deux manifestations secrètement jumelles de la contrainte – le monopole capitaliste et l’État marxiste, que la France demain renaîtra de la fédération spontanée des familles et des métiers, des corporations et des régions.

Je ne puis guère vous croire, mais je veux vous suivre.

Je ne puis guère croire que l’État ne doive intervenir dans le premier mouvement de cette spontanéité. Mais alors s'en ira-t-il jamais?

Il arrivera à vos corporations ce qui est arrivé aux soviets : la tutelle de Staline n'est pas près de finir. Ni pour les corporations italiennes la tutelle de Mussolini.

Mais les dictateurs passent et il faudra bien que les hommes se débrouillent de nouveau par eux-mêmes ; alors, vous aurez raison.

Et en tout cas, ce détour corporatiste c'est notre manière à nous, petites gens, entre toutes les classes, toutes les doctrines. »

C'est là un aspect très important, voire fondamental. Pierre Drieu La Rochelle se force, il exprime un besoin romantique qu'il ne sait pas synthétiser, alors il tente de le canaliser, mais il voit que c'est bancal, et il ne sera jamais dupe de cet aspect. Alors il se force, il pousse jusqu'au bout tout ce qu'il trouve.

L'antisémitisme est ici un exemple flagrant de cet idéalisme bancal ayant besoin d'un élan, aussi délirant soit-il.