21 mar 2018

Pierre Drieu La Rochelle et le romantisme fasciste - 13e partie : l'idée d'Europe contre le nationalisme

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Dans l'immédiate après-guerre, avant de devenir un théoricien d'un prétendu Socialisme fasciste, Pierre Drieu La Rochelle se fait le grand partisan de la formation d'un bloc continental européen. Dans le recueil Interrogation, il écrivait déjà un poème intitulé Plainte des soldats européens.

L'approche était nietzschéenne, comme l'ensemble de son œuvre :

« Tel est le secret. Telle est la nécessité de la guerre. L'élite n'est point faite pour le peuple, mais l'élite et le peuple pour accomplir le commandement de la Vie qui se complaît dans le chaos.

Le secret est de se réjouir de l'imperfection du monde.

Ils demandent à quoi sert la guerre mais ils veulent dire à quoi sert la vie.

Il faut choisir entre le néant ou le chaos. »

Cependant, c'était aussi la tentative d'une complainte générale des combattants, avec la déception fondamentale du soldat qui s'aperçoit qu'il n'est qu'un jouet de forces l'utilisant et que la vie continue sans lui :

« Par le travers de l'Europe, nous sommes des millions et seuls.

Multitude solitaire, qui divulguera notre peine inconnue ?

Ennemis de cette tranchée-ci ou de la tranchée d'en face

Tous ensemble isolés au milieu monde

Au milieu de l'implacable sollicitude du monde (…).

Nous avons compris l'aventure plus tard quand derrière nos tranchées abominables du premier hiver,

On rouvrit les cinémas. »

Comme il lui fallait trouver un sens aux sacrifices pourtant vains de la première guerre mondiale, Pierre Drieu La Rochelle développe le thème d'un nationalisme européen qui naîtrait de la guerre, afin de faire face aux puissances s'étant développé parallèlement à la première guerre mondiale : les Etats-Unis et l'URSS.

Pierre Drieu La Rochelle a alors une fascination petite-bourgeoise pour le principe d'empire, qui permettrait on le devine la stabilité généralisée, en dépassant ce qui pose « souci ». Incapable de lire la contradiction interne propre au mode de production capitaliste, Pierre Drieu La Rochelle voit en la concurrence extérieure la source des problèmes fondamentaux.

Parmi les nombreux ouvrages qu'il va écrire au sujet du bloc européen, il y a en 1928 Genève ou Moscou, qu'il présente ainsi :

« Il faut saisir la réalité du monde sous les mots. Aux Etats-Unis d’Amérique ceux qu’on nomme capitalistes, dans l’U.R.S.S. de Russie ceux qu’on nomme communistes font la même chose.

Tous ces rudes mécaniciens de la grande machinerie moderne avancent en plein mystère et créent les ressources d’une société planétaire aux mœurs imprévues.

L’opposition communisme contre capitalisme n’existe plus qu’en Europe. Chez nous, contre un capitalisme arriéré et hésitant se dresse encore une ombre de critique furieuse et de désespoir qui garde au mot communisme son sens ancien, unilatéral, démodé déjà en Russie, inconnu en Amérique.

Le capitalisme européen doit se décider, accomplir une synthèse semblable à celles qui se font en Amérique et en Russie. Il doit accomplir de lui-même les désirs qui s’agitent sous un mot ennemi, mais qui au fond sont les siens.

Pour assurer, lui aussi, l’unification politique et économique de son continent, le capitalisme européen doit avant tout détruire le patriotisme local qui s’oppose au patriotisme européen.

Genève est le symbole de la fin des patries, désormais la condition inéluctable de l’ordre européen. Si le capitalisme européen ne s’unifie pas sous le signe de Genève, il ne pourra pas lutter contre l’impérialisme américain qui monte.

Les importations américaines – qui sont faites pour reporter sur l’Europe la crise qui devrait éclater en Amérique et que l’Amérique pourrait résoudre en se repliant sur elle-même grâce au communisme latent qui est dans son système – jetteront l’Europe dans de terribles difficultés économiques qu’entravée par ses frontières et ses douanes elle ne pourra surmonter. Les guerres intestines renaîtront qui engendreront les révolutions inexpiables.

Si la capitale politique et économique des États-Unis d’Europe, si Genève ne se fait pas, Moscou se fera. »

En 1931, Pierre Drieu La Rochelle publiait L'Europe contre les patries, que lui-même présente de la manière suivante :

« Ce qu’on appelle dans le monde entier, aujourd’hui, le nationalisme, c’est le résidu d’un état d’âme, qui a eu son heure de pleine vérité et de pleine fécondité.

Mais ce résidu tourne et s’aigrit. Quand les hommes deviennent conscients d’un état d’âme, c’est qu’il commence à se fatiguer et à ne plus correspondre aux faits. Alors on fait intervenir la volonté. Et bientôt on rentre dans l’exagération.

Ce qui était spontané et inconscient – faire partie d’une nation – devient une attitude – être nationaliste – bourrée d’intentions et de significations qui extravaguent fort loin du naïf point de départ.

Il est à peine besoin de montrer qu’il y a péril mortel pour les humains à mettre toute leur vie, toute leur activité à la merci des formations anachroniques que cause un tel résidu. Mais il faut faire toucher du doigt dans chacun des problèmes de l’Europe d’aujourd’hui comment les Européens, plus que tous les autres humains, s’embrouillent à chaque pas dans ce malentendu qui est tout près de leur être fatal.

Le point capital de cet essai, c’est de montrer qu’alors que le nationalisme, à bout de course chez les vieilles nations de l’Occident et du Centre (Angleterre, France, Italie, Allemagne), pourrait mourir de sa belle mort, il renaît d’autant plus dangereux que plus sénile au contact des jeunes nationalismes de l’Est qui pourtant ne sont eux-mêmes que des imitations artificielles, parce que tardives, de ce phénomène né à l’Ouest.

La solution, c’est que l’Europe se hâte de régler les derniers problèmes nationaux à l’Est pour pouvoir ensuite anéantir – s’il n’est pas trop tard – le nationalisme qui la subvertit et la divise et en venir à cette union, sans laquelle elle ne pourra pas lutter contre les fédérations continentales qui la menacent (Russie, Amérique). »

Cette quête d'une sorte de troisième voie impériale va être le prétexte à une critique généralisée, totalement romantique, de la mécanisation du monde, dans l'oeuvre majeure de cette période qu'est Le jeune européen, publié en 1927.