16 nov 2016

Notre-Dame-des-Landes : le coup de théâtre juridique

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Lien vers la liste d'articles : Notre-Dame-des-Landes« Le cadeau empoisonné des juges », « le suspense continue », « décollage imminent pour le chantier » : les réactions médiatiques et politiques des dernières 24 heures partent littéralement dans tous les sens, ne parvenant plus à décoder ce qui se trame au sujet de Notre-Dame-des-Landes.

Tout est parti de la décision de la Cour administrative d’Appel de Nantes, lundi 14 novembre 2016, de rejeter les requêtes déposées par des associations d'opposants à l'aéroport Notre-Dame-des-Landes dirigées contre des arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique.

Le rejet de ces requêtes a largement surpris les commentateurs compte tenu du fait que, lors de la première audience du 7 novembre 2016, le rapporteur public avait conseillé l'annulation de quatre arrêtés dits « Loi sur l'eau » et « espèces protégées ».

Allait-on devenir raisonnable, du côté des institutions, et prendre au moins au sérieux les lois en vigueur au sujet de l'environnement ?

C'était là trop demander à un système en pleine décadence où tout est hors-contrôle, au grand profit des monopoles.

Car, si les juges ne sont pas tenus de suivre la proposition du rapporteur public, ils le font dans la plupart des cas.

En effet, dans le système judiciaire français, le rapporteur public est un membre du Conseil d’État intervenant pour éclairer la formation d'un jugement.

Il est dit qu'« il prononce à cette fin des conclusions dans lesquelles il expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions soulevées par la requête et sur la solution qu’elle appelle. »

Il sert d'élément tampon qui temporise, gomme les effets les plus gênants, permet de masquer le fait que la justice n'est, finalement, toujours qu'un rapport de force. Il est là pour faire en sorte que les institutions se maintiennent en toute stabilité.

Donc, le rapporteur public, Christine Piltant, avait à l'audience du 7 novembre 2016 estimé que les arrêtés préfectoraux ne respectaient pas certaines dispositions du Code de l'environnement concernant les espèces protégées.

La loi qui, dans ce cas a pour but de protéger l'environnement, prévoit des dérogations à la protection de l’environnement.

En l’occurrence, la construction de l'Aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes nécessite de déroger à l'interdiction de détruire, capturer ou enlever et perturber intentionnellement des espèces animales protégées, de dégrader des sites de reproduction ou aires de repos d'espèces protégées animales et végétales.

Dans l'ordre des choses, si la justice est « neutre », alors la chose est entendue. Ce n'est bien entendu pas le cas dans un cadre capitaliste particulièrement décadent.

Liste des articles sur la grande question : De l'eau et des zones humides

Contre toute attente rationnelle, les juges de la Cour administrative d’Appel de Nantes ont estimé, contrairement à l'avis du rapporteur public, que les arrêtés respectaient le cadre prévu des dérogations.

Comme cela est expliqué dans le communiqué de presse concerné, ces juges ont estimé que la construction de l'aéroport relevait d'une « raison impérative d'intérêt public majeur », que « le réaménagement de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique ne constituait pas une solution alternative satisfaisante » et que les mesures prises n'était « pas de nature à nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Ces trois raisons sont des conditions cumulatives impératives à la dérogation au Code de l'environnement.

On reconnaît ici comment le droit, avec ses complications, sait être au service des monopoles.

D'autre part, il était aussi question des dérogations à la loi sur l'eau qui, par l'intermédiaire des schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, interdit normalement en France la destruction des zones humides comme celle de Notre-Dame-des-Landes.

Nous avions déjà présenté ce fonctionnement de la gestion de l'eau en France dans un article sur à propos des inondations du printemps 2016.

Les destructions de zones humides sont possibles juridiquement, si tant est qu'il est prouvé qu'il n'est pas faisable de trouver une alternative au projet concerné. On se doute bien en effet que la protection de la biosphère pour ce qu'elle est – la nature – n'est pas une obligation dans un cadre capitaliste...

En l’occurrence, la question est donc de savoir si le maintien de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique est ou non une alternative crédible à la construction de l'Aéroport du Grand-Ouest à Notre-Dame-des-Landes.

Le rapporteur public avait à l'audience du 7 novembre 2016 largement détaillé les raisons pour lesquelles il préconisait un réaménagement de l'actuel aéroport Nantes-Atlantique, considérant qu'il s'agissait d'une « alternative crédible », voire « satisfaisante ».

L'enjeu juridique n'était également pas de savoir si le maintien de l'actuel aéroport Nantes-Atlantique était une solution idéale, mais seulement de savoir si c'est une alternative possible. Pour motiver son point de vue, elle avait affirmé de manière fort juste :

« Peut-on vivre sans aéroport idéal ? La réponse est oui. Peut-on vivre sans eau ? La réponse est non. »

C'est d'un pragmatisme bourgeois assez terrible, mais cela a le mérite d'aller un peu dans le bon sens.

Aussi, le bon sens n'étant pas partageable dans les institutions, les juges de la Cour administrative d’Appel de Nantes ont émis un avis contraire, estimant pour leur part que :

« compte tenu des travaux très importants devant être effectués en vue de faire face à l’augmentation du trafic et du nombre de passagers, de la localisation de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique à proximité de zones très densément urbanisées, de l’importance de la question des nuisances sonores et des conséquences en matière d’urbanisme du réaménagement de cet aéroport, celui-ci ne constituait pas, à la date de ses arrêts, une solution alternative présentant un caractère avéré ainsi que l’exige le SDAGE. »

Le caractère bref et peu détaillé de cette affirmation tranche même largement avec le point de vue étayé longuement (trois heures d'audience !) du rapporteur public le 7 novembre 2016.

Il est étonnant – pour qui veut être étonné par les institutions dans le capitalisme – de constater également dans le communiqué de presse que ce point de vue est motivé par l'examen de trois rapports :

« [celui] de la Commission du dialogue d’avril 2013, celui de la direction générale de l’aviation civile de novembre 2013 ainsi que l’étude sur les alternatives pour le développement aéroportuaire du Grand Ouest, réalisée en mars 2016, à la demande de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. »

En effet, aucun de ces rapports ne conclut à l'impossibilité de l'aménagement de l'actuel aéroport Nantes-Atlantique !

Nous avions à l'époque de sa parution présenté en détail le rapport de la Commission du dialogue d’avril 2013.

Ce rapport expliquait de manière précise et détaillé :

« la non adéquation de la méthode de compensation avec la disposition 8B-2 du SDAGE du bassin Loire-Bretagne ».

Il apparaît donc contradictoire de lire dans le communiqué de presse de la Cour administrative d’Appel de Nantes que ce rapport est cité pour justifier le fait que les mesures de compensation serait conforme à l'article 8B-D du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, et donc que les arrêtés du prefet de Loire-Atlantique seraient conformes au droit.

Il faut toute la mauvaise foi bourgeoise pour une telle contorsion.

Le rapport de la direction générale de l’aviation civile de novembre 2013, bien que favorable à l'aéroport du Grand-Ouest, estimait pour sa part que :

« Cette étude détaillée montre que la solution du maintien de l’activité n’est pas physiquement impossible ».

Il expliquait que cette solution « serait très coûteuse » et que « le développement de l’aéroport serait contraint par l’aggravation des nuisances », mais pas que cela serait impossible.

Enfin, le troisième rapport, réalisée en mars 2016, à la demande de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, affirmait :

« L’agrandissement et la rénovation des installations actuelles de Nantes Atlantique permettraient d’accompagner la croissance du trafic. »

Le rejet par la Cour administrative d’Appel de Nantes des requêtes déposées par des associations d'opposants à l'aéroport Notre-Dame-des-Landes dirigées contre des arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique est donc en quelque sorte un coup de théâtre juridique.

Lien vers le dossier : Vladimir Vernadsky et la biosphère

C'est nullement étonnant, simplement le reflet du caractère non-démocratique du régime politique en France et du caractère décadent des institutions bourgeoises, incapables de se conformer à leurs propres exigences...

Cela ne constitue toutefois pas l'aspect principal de la contradiction en ce qui concerne l'aéroport Notre-Dame-des-Landes.

La construction de cet aéroport serait de toute manière une erreur, car contraire aux nécessités de la défense de la biosphère en générale, et des zones humides en particulier.

La question de la saturation éventuelle de l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique est quant à elle posée de manière erronée car justement l'enjeu de notre époque est la réduction des émissions de gaz à effet de serre en général, et donc la réduction du trafic aérien.

La zone humide de Notre-Dame-des-Landes doit être préservée, l'aéroport ne doit pas être construit. Le trafic aérien doit reculer, dans la régions nantaise comme partout sur la biosphère, conformément aux exigences de la lutte contre le réchauffement climatique.

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