Les inondations en France et la question de la gestion de l'eau
Submitted by Anonyme (non vérifié)La France a été marquée ce printemps 2016 par un nouvel épisode d’inondations, notamment dans le Centre et en Région parisienne. Ce sont 782 communes situées dans 16 départements qui ont été largement touchées et qui sont concernées par un arrêté de catastrophe naturelle.
Cet épisode de crues a donné lieu à des situations spectaculaires avec des quartiers d'habitation entièrement inondés dans lesquels il fallait se déplacer en barque pendant plusieurs jours, des automobilistes pris au piège sur l'autoroute A10 au niveau d’Orléans et évacués par l'armée ainsi que la hauteur exceptionnelle de la Seine à Paris (6,10 mètres) ayant fait redouter une catastrophe comme celle de 1910 (année de la grande inondation de la ville avec une hauteur de 8,62 mètres).
Des milliers d'habitants ont été évacués dans différentes communes. Des œuvres ont été mises à l’abri au Musée du Louvre et au musée d'Orsay à Paris, fermés pour l'occasion. Le château de Chambord et le parc du château d'Azay-le-Rideau ont également subi des dégâts.
Nous avions déjà évoqué cette question des inondations en février 2014 à propos des catastrophes ayant touchées la Bretagne. La situation est évidemment la même en 2016 dans une autre région du pays : les mouvements naturels de l'eau sur la Terre, perturbés par le réchauffement climatique, entrent en contradiction avec l'Humanité, non suffisamment organisée.
Nous affirmons que cette contradiction est historique et doit être résolue.
Si les crues sont des phénomènes naturels, avec un aspect indispensable (ne serait-ce que pour le brassage des populations de poissons par exemple), elles sont néanmoins accentuées et accélérées par les installations humaines et la modification des sols par l'agriculture.
Le matérialisme dialectique reconnaît à la fois la dignité du réel, en tant que valorisation de la vie comme évolution la plus avancée de la matière, et la dimension générale représentée par la biosphère.
Du point de vue communiste, c'est-à-dire pour la planification socialiste de la production et de la vie des masses, il y a par conséquent deux aspects évidents à prendre en compte avec ces événements :
- d'une part, l'aménagement du territoire en lui-même ;
- d'autre part, la reconnaissance de la réalité naturelle de la biosphère et la satisfaction de ses exigences.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, il faut bien sûr dénoncer la construction d'habitations en zone inondable. Celles-ci sont le produit de l'anarchie de l'économie capitaliste et servent surtout l’intérêt des promoteurs immobiliers, des municipalités voulant s'agrandir à tout prix et des compagnies d'assurances profitant des catastrophes.
Elles s'appuient sur l'idéologie petite-bourgeoise célébrant la petite propriété.
Un engagement à moyen et long terme de la planification socialiste en France devra être de démanteler ces habitations : tant les grands ensembles que les petites propriétés sont des aberrations sur le plan de la nature et de la culture.
Se pose également la question des moyens technologiques, ainsi que de l’ingénierie mise en place pour la surveillance des cours d'eau et l’établissement de mesures de protection.
Il existe déjà un certain nombre d'ouvrages destinés à réguler ou prévenir les crues, avec par exemple quatre lacs artificiels en amont de Paris et un cinquième en prévision depuis plusieurs années (mais faisant face à des obstacles d'ordre juridiques, financiers et écologiques).
Leur efficacité en ce qui concerne les crues est relative (et peut-être même néfaste, car ils modifient la nature des rivières et des zones humides) et, en tout cas, ils ne permettent pas de faire face à toutes les situations.
On a en arrière-plan cette approche d'apprenti-sorcier propre à la bourgeoisie, dont le pragmatisme se moque bien des dégâts.
Dans le cas de ces inondations de printemps par exemple, les lacs en question étaient déjà largement remplis comme c'est le cas normalement au mois de juin, car ils servent aussi de réserves d'eau (et de lieux de tourisme) pour l'été.
En ce qui concerne les moyens de surveillance et de prévision, ils ont clairement fait défaut lors des récentes crues. Les cours d'eau ayant fait augmenter la hauteur de la Seine à Paris ne sont habituellement pas (ou peu) pris en compte dans les modélisations, car ils sont, en fait, très près de Paris, et de relativement petites tailles. Il n'y a que peu de moyens de surveillance sur ces cours d'eau.
A contrario, la surveillance des parties les plus importantes du bassin versant de la Seine (à partir de Paris), celles qui sont prises en compte dans la modélisation des risques classique (pour prévoir une situation équivalente à celle ayant engendrée la crue de 1910) ne montraient pas d'apport en eau menaçant la capitale.
On peut ainsi dire que ce fut une chance pour Paris que les abondantes précipitations de la fin mai n'aient été limitées qu'à une partie (environ un tiers) du bassin versant de la Seine (à partir de Paris).
Si les stratégies de surveillance des cours d'eau et l’établissement de mesures de protection doivent être renforcées par une société mieux organisée grâce à la planification, cela ne présente pour autant qu'un aspect secondaire de la question des inondations.
L'autre aspect, qui est en fait l'aspect principal, est bien sûr celui de la reconnaissance de la réalité naturelle de la biosphère et la satisfaction de ses exigences.
Les phénomènes de crues ne sont pas évitables et il ne serait pas souhaitable pour la biosphère d'imaginer les éviter. La circulation de l'eau sur la Terre a un rôle important. Il faut reconnaître cette importance, connaître et comprendre l'organisation de ces mouvements d'eau et cesser de s'y opposer frontalement.
Cet aspect ne peut pas être compris, mais simplement entraperçu par la bourgeoisie. En tant que classe, la bourgeoisie est prisonnière à la fois de sa vision du monde prétendant dominer la nature et des nécessités d'accumulation et de circulation du capital.
Les inondations pouvant cependant être un obstacle à l'accumulation et à la circulation du capital, il existe des réflexions sur la nature de ces inondations et les moyens de les éviter.
De manière récente, c'est-à-dire seulement depuis les années 1970, ont été reconnus le rôle et l'importance des zones humides, entre autre pour la régulation des crues. La problématique de l'artificialisation des sols est maintenant connue et largement documentée.
Cela marque une contradiction importante pour le mode de production capitaliste, puisque depuis ses balbutiements jusqu'à son avènement, il n'a eu de cesse justement de combattre et de dessécher les zones humides.
Ce phénomène est très bien décrit par l'historien Jean-Michel Derex dans son article « Pour une histoire des zones humides en France (XVIIe-XIXe siècle) » dans la revue Histoire & Sociétés rurales (N°15, 2001).
Il explique comment elles ont massivement disparues, alors que « en 1767, le subdélégué d’Avranches estimait qu’un tiers de la France était constitué de landes et de marais ».
Son article pointe de manière intéressante le fait que « ces espaces ont longtemps été ignorés par les historiens français », reflétant le fait qu'ils étaient (et sont encore relativement) perçus comme des espaces vides ou inutiles, voir nuisibles, et n'étaient considérés que par rapport à leur dessèchement (parallèlement aux défrichements des forêts).
Ce mouvement de dessèchement a bien sûr accompagné le bouleversement de la morphologie des campagnes françaises par et pour l'amélioration de la productivité agricole, à la fois nécessaire au mode de production capitaliste, et en même temps produit de celui-ci.
Dans un second temps, à partir de la moitié du XXe siècle, les zones humides ont également été fortement menacées par le développement urbain s’étalant sur des espaces de plus en plus grands, voyant le développement de faubourgs se transformant peu à peu en « banlieues » et « périphéries ».
Le mode de production capitaliste se retrouve donc face à une contradiction insoluble.
Il doit à la fois reconnaître l'existence des zones humides et des abords des cours d'eau pour éviter les phénomènes entravant la production et la circulation des marchandises (inondations, certaines pollutions, etc.) et, à la fois, ces zones humides et abords des cours d'eau se trouvent en travers de son chemin dans son processus d'expansion.
L'administration concernant l'eau en France est particulièrement complexe et il existe un grand nombre d'organismes et d'autorités se chevauchant. Elle est surtout motivée par une approche de « gestionnaire » de l'eau, considérée comme une marchandise, et relève principalement de la mentalité des ingénieurs des Ponts & Chaussées issus de la prestigieuse grande école éponyme.
Pendant longtemps l'administration concernant l'eau en France a consisté en la canalisation des petites rivières (ce qui peut aussi amplifier les problèmes lorsqu'elles débordent) et de manière générale à effectuer des travaux de modification des écoulements (digues, barrages, retenues, canaux et fossés de décharge, etc.) pour éviter les crues.
De manière plus récente l'approche s'est modernisée et affinée. Un élément important est la loi sur l'eau de 1992 qui fait officiellement de l'eau le « patrimoine commun de la Nation » et qui est censée protéger les écosystèmes aquatiques et les zones humides, tout en considérant bien entendu l'eau et les zones humides comme des ressources économiques : la bourgeoisie ne peut pas comprendre, ni reconnaître la biosphère.
C'est de là que sont issus les SDAGE et SAGE, c'est-à-dire les schémas d'aménagements à grande échelle pour tout ce qui concerne les eaux en France (il y a six bassins, organisés autour des grands fleuves, sauf pour le bassin Artois-Picardie).
D'autre part, il y a la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 septembre 2006 qui est une transposition de la Directive Cadre Européenne sur l'Eau (DCE), avec des objectifs plus « généraux » concernant la qualité des eaux.
Un autre aspect très connu est la Loi littoral (de 1986, en partie remise en cause en 2005) visant à limiter et encadrer l'urbanisation du littoral français.
Sur le plan local, la gestion de l'eau – et des aménagements la concernant – doit être réorganisée en profondeur à partir de 2018 avec la mise en place de la Gemapi, la Gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations.
C'est une loi visant à harmoniser et orienter la gestion de l'eau localement. Elle est censée permettre d'orienter ou d'inciter les collectivités territoriales à une gestion plus moderne et plus fine de l'eau, avec la prétention de « [redonner] à nos rivières un fonctionnement naturel ».
La vidéo ci-dessous présente de manière claire et précise l'état d'esprit de la Gemapi en ce qui concerne l'évitement des inondations.
On relèvera bien sûr une volonté allant d'aller de l'avant par rapport aux catastrophes que peuvent engendrer les crues et cela va dans le sens d'une meilleur reconnaissance de la réalité naturelle de la biosphère.
Les possibilités de cette loi restent cependant bien faibles. Elle n'a pas le pouvoir d'imposer un modèle et le fait qu'elle s'appuie surtout sur de la gestion locale (bien que favorisant les visions à grande échelle, par bassin versant) est un frein majeur.
Il faudrait au contraire un plan d'envergure, à l'échelle nationale, pour imposer une organisation nouvelle. Dans le cas présent, la Gemapi n'aura que peu de poids face aux intérêts locaux particuliers et à la pression des monopoles.
La bourgeoisie n'est pas en mesure de faire triompher la connaissances scientifiques et de satisfaire aux exigences de la biosphère.
C'est particulièrement flagrant en ce qui concerne la loi sur l'eau qui est régulièrement agressée (pour l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, le Center Parcs des Chambarans, etc.) et qui, de toutes manières, est très limitée en elle-même.
La bourgeoisie est capable au contraire de déployer des forces très importantes pour satisfaire ses exigences à court terme, souvent à rebours des connaissances scientifiques et des risques bien connus en ce qui concerne les risques d’inondation.
Un exemple typique est cet étang asséché par le constructeur Vinci pour faire passer l'autoroute A10 près de Gidy au nord d'Orléans, qui correspond justement à l'endroit où l'autoroute fût coupée lors des inondations de ce printemps.
On a ici un exemple tout à fait représentatif de l'irrationalité du mode de production capitaliste. S'il a joué un rôle historiquement positif en développant les forces productives, désormais il doit céder la place à la planification.