Jean Jaurès - 9e partie : contre les thèses de la social-démocratie, du marxisme
Submitted by Anonyme (non vérifié)Jean Jaurès parlait allemand, suffisamment donc pour étudier les documents de la social-démocratie allemande, pour donner son point de vue sur les oeuvres de Karl Marx et Friedrich Engels. Pourtant, il ne l'a pas fait. Il n'a jamais popularisé le marxisme, et pour cause !
Pour autant, Jean Jaurès doit tout de même se positionner par rapport à l'interprétation du marxisme. Il ne défend pas le marxisme, mais il doit se positionner de par la vigueur de la confrontation au sein de la social-démocratie internationale. On a ainsi Karl Kautsky qui défend l'orthodoxie, alors qu'Eduard Bernstein la réfute (au nom du fait que le mouvement est tout, le but n'est rien).
N'étant pas marxiste, et sans aborder cette question idéologique, Jean Jaurès dit simplement, sur un plan politique:
« C'est ici que je ne suis d'accord ni avec Kautsky ni avec Bernstein ; j'estime contre Bernstein que la classe prolétarienne et la classe bourgeoise sont et demeurent, quoi qu'on fasse, radicalement distincte, radicalement antagonistes, mais j'estime contre Kautsky qu'il ne faut pas avoir peur de la multiplicité des rencontres et des contacts entre la classe prolétarienne, maîtresse de sa conscience et de son action, et les autres classes.
Et voici pourquoi : c'est qu'il est impossible à une classe d'agir sans agrandir la surface de contact entre elle et le reste de la société humaine. »
(Conférence tenue à l'hôtel des sociétés savantes, février 1900)
C'est tout à fait révélateur du bricolage de Jean Jaurès, qui manie en fait le proudhonisme comme projet qualifié de socialiste. Sa conception de l'Etat est d'ailleurs fort logiquement totalement étrangère au marxisme. Voici ce que dit Jean Jaurès, se revendiquant même de Ferdinand Lassalle, ennemi réformiste historique de Karl Marx et Friedrich Engels au début de la social-démocratie :
« Quand les socialistes dans leurs polémiques ou dans le langage officiel de leurs congrès parlent de “l’État bourgeois” comme si la classe ouvrière n’avait dans l’État aucune part, ils emploient une formule trop sommaire qui a une part de vérité, mais qui ne correspond pas à la réalité toute entière. Il n’y a jamais eu d’État qui ait été purement et simplement un État de classe, c’est-à-dire qui ait été aux mains d’une classe dominante un instrument à tout faire et le serviteur de tous les caprices. (…) Il est impossible que l’État dans son administration ne tienne pas compte de ces forces diverses, et que, même quand il sanctionne et applique la puissance dominante d’une classe, il ne lui oppose pas, par prévoyance sinon par humanité, quelque limitation. Dans les sociétés différenciées où il y a des classes et par conséquent des rapports souvent complexes entre les classes, il est impossible que l’État se porte sans réserve d’un côté, car il fausserait la société elle-même.
Il porterait une des classes à l'absolu. Il supprimerait l'autre. Il substituerait donc une société abstraite et fictive à la société réelle dont il a la charge, et cette société ainsi faussée ne pourrait pas vivre.
En fait l'Etat n'exprime pas une classe, il exprime le rapport des classes, je veux dire le rapport de leurs forces. Lassalle a dit que la vraie constitution d'un pays était déterminée et définie, non pas par des formules de papier, mais par le rapport réel des forces qui déterminent la véritable nature de l'Etat.
Il a donc pour fonction de maintenir, de protéger les garanties d'existence, d'ordre, de civilisation communes aux deux classes, de rendre efficace la primauté de la classe qui domine par la propriété des lumières et l'organisation, et d'ouvrir à la classe qui monte des voies proportionnées à sa puissance réelle, à la force et à l'étendue de son mouvement d'ascension.
Il est bien vrai que la forme de la propriété a, dans l'ensemble des rapports sociaux, une valeur de premier ordre, et dans une société fondée sur la propriété bourgeoise, où la propriété bourgeoise et capitaliste exerce une action si profonde, il est permis, pour abréger, pour noter d'un mot la caractéristique la plus saillante, de parler de l'Etat bourgeois.
Mais ce serait un désastre pour l'esprit s'il prenait à la rigueur cette simplification abusive. Elle l'habituerait à éliminer de ses calculs, de ses jugements, de ses hypothèses, des forces qui, pour n'être pas encore dominantes, commencent cependant à faire équilibre au privilège brut de la propriété et qui en tout cas peuvent grandir.
Elle immobiliserait les rapports des classes qui sans cesse se transforment. Elle substituerait le point de vue statique au point de vue dynamique dans l'appréciation des sociétés qui toujours se meuvent. Elle enlèverait à la classe ouvrière le sens de la vie et de l'histoire, le sens de la grande action politique qui doit s'ajuster à la complexité changeante des choses. »
(L'Armée nouvelle, oeuvre par ailleurs critiquée par Rosa Luxembourg dans un article de 1911)
La conception de Jean Jaurès n'est même pas du révisionnisme: elle est anti-marxiste depuis le début, et dans tous ses fondements.