10 mai 2013

Epicure, Lucrèce, Spinoza - 3e partie : Lucrèce

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Épicure, Lucrèce, Spinoza - 3ème partie : Lucrèce

Ainsi, je le répète, la terre a bien mérité
le nom de mère puisqu’elle a spontanément créé
le genre humain et comme au temps fixé produit
les races d’animaux par les grands monts s’ébattant,
et les oiseaux aériens et leurs formes diverses.

Ces vers de Lucrèce (98 – 54 avant notre ère), tirés de son unique œuvre (« De rerum natura », De la nature), résument la pensée d’un des grands auteurs matérialistes de l’humanité.

Niant les dieux, Lucrèce conçoit la vie comme un mouvement se produisant lui-même, un mouvement « éternel et spontané », et nous communistes ne disons pas autre chose ; Lucrèce synthétise d’ailleurs dans son œuvre le point de vue d’Épicure.

Lucrèce rejette les dieux, car « rien ne peut surgir de rien » ; la vie existe, avec des formes précises, et la vie s’auto-entretient, tel que le montre l’ordre des saisons.

Il n’est pas étonnant que les penseurs bourgeois disent que Lucrèce croit en la « génération spontanée », alors qu’il ne dit pas cela : il affirme juste que rien ne vient de rien, que les atomes se déplacent avec la mort, rejoignant d’autres organismes, c’est-à-dire affirmant l’équilibre chimique du monde, bien évidemment sans connaître en détail les modalités du processus, vu l’époque.

Lucrèce pose donc l’équilibre chimique du monde, un pas en avant formidable dans le matérialisme ; le monde est ainsi composé d’atomes (« l’éternelle agitation des atomes dans le grand vide ») et les corps se meuvent dans le vide, sans qu’il n’y ait un « monde supérieur » qui serait celui des dieux, et sans chercher d’autres raisons à l’origine du monde (le feu par exemple, ou bien l’eau, la terre, etc.).

Il y a donc l’affirmation de la matière, contre les dieux, et l’affirmation de la matière en mouvement, selon les principes atomiques :

Oui, tu verras souvent ces corps changer de route
et retourner en arrière sous d’aveugles chocs,
tantôt ici, tantôt là, partout et en tout sens.
Cette errance est due aux principes des choses :
ils sont les premiers à se mouvoir d’eux-mêmes,
puis les corps dont l’assemblage est le plus petit,
les plus proches pour ainsi dire de la force des atomes,
se meuvent sous la poussée des chocs aveugles
et frappent à leur tour des corps un peu plus grands.
Ainsi, depuis les atomes, le mouvement s’élève,
peu à peu il parvient à nos sens jusqu’à nous faire voir
l’agitation des corps dans un rayon de soleil,
mais les chocs originels demeurent invisibles.

Lucrèce est ainsi un authentique matérialiste : le monde existe en tant que matière se transformant de manière éternelle. Ses propos sont très forts et d’une modernité absolue, et constatons qu’à notre époque de la révolution socialiste, il s’agit encore de faire triompher cette vision du monde.

La pensée scientifique de type bourgeoise a fini par reconnaître le mouvement, mais tout au plus peut-elle le constater de manière mécanique, et elle est incapable de l’établir comme loi universelle.

Elle ne peut qu’utiliser tel ou tel aspect de la réalité pour ses intérêts de classe, mais jamais elle n’a pas de vue d’ensemble, à l’opposé de Lucrèce :

Car ce n’est pas après concertation ni par sagacité
que les atomes se sont mis chacun à sa place,
ils n’ont point stipulé quels s

 

eraient leurs mouvements,
mais de mille façons heurtés et projetés en foule
par leurs chocs éternels à travers l’infini,
à force d’essayer tous les mouvements et liaisons,
ils en viennent enfin à des agencements
semblables à ceux qui constituent notre monde
et qui se perpétuent pendant des millénaires,
une fois découverts les mouvements appropriés.

Lucrèce parle de bien de matière éternelle, et de mouvement éternel :

Jamais en outre la quantité de matière
n’a été plus serrée ni plus éparse.
Aucune augmentation, aucune perte en effet.
Le mouvement des atomes est donc aujourd’hui
le même que jadis, toujours semblablement
il les emportera dans la suite des âges
et ce qui a coutume de naître encore naîtra,
soumis à même loi, vivant et s’épanouissant
durant le temps assigné à chacun par la nature.

Comment faut-il vivre alors, puisque l’être humain est une composante de ce mouvement d’ensemble, et pas son centre ? Lucrèce nous rappelle les principes d’Épicure : il faut vivre sereinement, la nature n’exige rien d’autre qu’un caractère paisible.

Il faut que l’esprit puisse jouir « de sensations heureuses », que « la douleur soit éloignée du corps » ; il faut être délivré des soucis, et pouvoir vivre sans crainte.

La raison en est simple : l’esprit est lié à la matière, l’esprit est tenu par le corps, il est lié à lui et on ne peut pas séparer corps et esprit. Lucrèce dit ainsi :

Ni l’âme ni le corps sans le pouvoir de l’autre
n’ont la faculté de sentir isolément,
mais leurs mouvements réciproques en notre chair
allument et attisent la flamme de la sensation.

Il faut donc un état d’âme adéquat, paisible.

Il faut noter ici la dimension pacifique des propos de Lucrèce, que l’on retrouve chez de nombreux penseurs de la culture grecque antique ; Épicure était un végétarien, qui parfois mangeait du fromage, et la tradition de Pythagore dans son ensemble suivait ce principe.

Voici à titre d’exemple la conception d’Empédocle, qui a son importance car c’est à Empédocle que Lucrèce reprend le principe de formuler ses pensées sous la forme de poème, et réfute dans « De rerum natura » sa théorie des quatre éléments constituant le monde, ce qui en souligne son importance théorique :

L’école de Pythagore et d’Empédocle d’Agrigente et le reste des Italiens enseignent que nous sommes apparentés non seulement entre nous et aux dieux, mais aussi aux animaux privés de raison ; qu’en effet unique est le souffle qui parcourt tout l’univers à la manière d’une âme et qui nous unit à ces êtres.

C’est pourquoi, en les tuant, en les mangeant, nous commettons une injustice et une impiété, car nous détruisons des congénères. En conséquence de quoi ces philosophes ont conseillé de s’abstenir de ce qui a vie et ils ont imputé une impiété aux hommes qui rougissent de carnage chaud l’autel des Bienheureux.

Empédocle dit quelque part (fr. 136) : « Cessez donc ce massacre aux clameurs funestes. Ne voyez-vous pas que vous vous entre-dévorez dans l’inconscience de votre esprit ? » (extrait de Contre Les Dogmatiques, IX, 127, de Sextus Empiricus).

Voici par exemple des propos de Lucrèce, qui sont exactement dans le même esprit, et représentent des lignes d’une importance culturelle extrême.

Ces lignes ont un peu plus de 2000 ans, et pourtant leur regard a encore une valeur civilisatrice d’une force pénétrante :

Les animaux se connaissent aussi bien que les hommes.
Devant les temples magnifiques, au pied des autels
où fume l’encens, souvent un taurillon tombe immolé,
exhalant de sa poitrine un flot sanglant et chaud.
Cependant la mère désolée parcourt le bocage,
cherche à reconnaître au sol l’empreinte des sabots,
scrute tous les endroits où d’aventure elle pourrait
retrouver son petit, soudain s’immobilise
à l’orée du bois touffu qu’elle emplit de ses plaintes
et sans cesse revient visiter l’étable,
le cœur transpercé du regret de son petit.
Ni les tendres saules ni l’herbe avivée de rosée
ni les fleuves familiers coulant à pleines rives
ne sauraient la réjouir, la détourner de sa peine.

Ces lignes de Lucrèce se trouvent dans un passage où il explique pourquoi la matière prend différentes formes, et où il constate justement que la vie appelle la vie, que les différentes formes sont reliées les unes aux autres selon les liens maternels.

Il y a là très clairement une réfutation du patriarcat, et Lucrèce critique justement les guerres et les batailles, appelant au triomphe de la paix.

On notera d’ailleurs pareillement sa réfutation de l’alcool, prétexté par une explication sur le rapport entre l’esprit et le corps :

Et quand l’esprit du vin en l’homme a pénétré,
et diffuse âprement sa chaleur par les veines,
les membres s’alourdissent, les jambes se dérobent,
on titube, la langue s’empâte, l’esprit se noie,
le regard flotte, viennent les cris, les sanglots, les querelles
et tout le cortège de semblables effets.

Lucrèce montre ici qu’il a très bien perçu ce qu’est la vie et ce qui peut la déranger ; sa réfutation de l’alcool est ici aussi d’une grande modernité, et une orientation véritablement positive.

Il faut vivre, mais de manière sensée, c’est-à-dire en suivant les sens et non les illusions ; « la volupté est plus pure aux hommes sensés » qu’à ceux qui errent de manière passionnée et qui ne sont jamais rassasiés.

Voilà pourquoi Lucrèce accorde une grande attention aux premiers êtres humains, et à l’apparition de l’art ; le jeu et l’art, la gaieté formant le bonheur : un bonheur naturel, ce que Lucrèce souligne bien, tant en affirmant que l’art vient de la nature, qu’en affirmant que l’art ne s’épanouit que lorsque l’être humain est lui-même, naturel.

Voilà ce qui n’est pas seulement une description, mais un programme pour l’humanité ; et ce programme, il est clairement communiste, puisque le communisme est la sortie du royaume de la nécessité.

Voici ce que dit Lucrèce :

On imitait avec la bouche les voix limpides des oiseaux
bien avant de savoir répéter en chantant
les poèmes mélodieux qui charmèrent l’oreille.
Le sifflement du zéphyr dans les tiges des roseaux
apprit aux hommes des champs à souffler dans des pipeaux.
Puis insensiblement s’exprimèrent les douces plaintes
que répand le chalumeau rythmé par les doigts des musiciens :
il fut inventé dans les bois profonds, bosquets et prairies,
lieux solitaires des bergers en leurs divins loisirs.
Ainsi le temps produit peu à peu chaque chose
que la raison élève au royaume de la lumière.
Voilà ce qui charmait et réjouissait nos ancêtres
quand ils s’étaient rassasiés car tout alors séduit les cœurs.
Souvent donc entre amis couchés sur l’herbe tendre,
ils choyaient allégrement leur corps à peu de frais,
surtout quand le temps souriait et que la saison
parsemait de mille fleurs les prairies verdoyantes.
Alors ils s’adonnaient aux jeux, devisaient et riaient,
c’était alors vraiment que s’épanouissait la muse agreste.
Alors leur gaieté folâtre les invitait à ceindre
leur tête et leurs épaules de fleurs et feuilles tressées,
ils s’avançaient sans rythme, remuaient lourdement
leur corps et d’un pied lourd frappaient la terre mère.
Ainsi naissaient les rires, les doux éclats de joie :
tout alors était neuf et donc plus merveilleux.

À lire ces lignes, on peut clairement dire que Lucrèce est un précurseur non seulement du matérialisme, mais en tant que tel du communisme. Le mode de vie que l’on reconnaît ici comme mis en avant est clairement quelque chose dont on peut profiter pour le programme communiste.

En raison de la période où Lucrèce a vécu, son point de vue ne pouvait triompher ; considérer que la guerre était le fruit de la volonté de possession était révolutionnaire, mais il fallait que les forces productives soient davantage développées pour que cette affirmation puisse être énoncée de manière scientifique, par une classe sociale rejetant le fétichisme de la possession : la classe ouvrière.

Néanmoins, Lucrèce a posé des fondements matérialistes ayant contribué à la naissance de la science MLM de notre époque, et il a posé des jalons moraux que nous devons comprendre.

Il ne s’agit pas seulement de considérer qu’il est juste d’éviter le superflu, l’inutile, le luxe qui ne correspond à rien. Il s’agit de comprendre avec Lucrèce que :

Nul ne reçoit la vie comme propriété ;
usufruit seulement, telle est la loi pour tous.

Les êtres humains sont une composante de la biosphère, il s’agit de respecter la vie au lieu d’anéantir la planète pour la domination, l’oppression et l’exploitation !