Enquête sur les maos en France: Germain et Marcel (1971)
Submitted by Anonyme (non vérifié)[Cette enquête date de 1971, juste après l'auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s'éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L'enquête consiste en des interviews des membres de l'ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]
GERMAIN. - Moi, j'ai toujours été maoïste. Je ne suis pas un mao de 68. Tu vois, je n'ai pas les cheveux longs.
MARCEL. - Pour toi, c'est différent. Toi, tu pouvais déjà être jugé comme maoïste à l'époque.
Tu as vécu plus à fond que moi l'avancée de Mao en 45, 48.
Moi j'étais jeune militant.
On ne nous parlait pas de la Chine.
GERMAIN. - Nous, dans nos journaux, dans nos réunions, on parlait de Mao.
Les victoires de l'armée populaire chinoise, village par village, étaient les victoires de la grande famille communiste.
On en causait tous les jours.
Il y avait des communiqués dans notre presse du P.C., aussi bien dans L'Huma que dans Liberté, le journal du Nord et du Pas-de-Calais.
MARCEL. - Je ne suis pas aussi affirmatif.
Pour Germain, qui était dirigeant, Mao Tsé-toung, ça voulait dire quelque chose.
Mais, dans nos réunions de cellule, ça apparaissait beaucoup moins.
Je me souviens qu'on avait parlé avec Germain puisqu'on militait dans la même ville, mais je ne me souviens pas de trucs officiels.
GERMAIN. - II y avait Les Cahiers du communisme où on parlait des contradictions ,de la pensée de Mao.
Il y avait les textes où Mao dit qu'avant d'être éducateur il faut s'éduquer soi-même. Enfin, c'était ce qu'on pigeait à ce moment-là.
On en parlait. Bien sûr, on ne se disait pas " maoïste " mais tout ça faisait partie du fait d'être communiste, et on puisait dans le P.C. chinois des formes de luttes et d'action pour nous-mêmes, quitte à corriger notre travail pratique.
Même Thorez et Duclos n'oubliaient jamais de rappeler les victoires de la Chine populaire.
Ils ne lisaient peut-être pas beaucoup de textes mais ils parlaient de Mao Tsé-toung.
MARCEL. - Pendant la grève de 48, il y avait des réunions de masse avec 10 000, 15 000 mineurs où on annonçait : " Nos camarades chinois poursuivent leur avance victorieuse. "
C'était compris comme une victoire des prolos.
On voyait Mao comme Staline.
GERMAIN. - Les maoïstes sont staliniens, si ça veut dire qu'ils sont aussi durs dans la lutte que Staline l'a été. Surtout dans la lutte clandestine avant la Révolution de 17.
Après, il y a eu des erreurs que je ne veux pas juger. Staline, c'est l'idée de la guerre antifasciste et de l'Armée Rouge.
MARCEL. - Moi, je juge par les Russes que j'ai connus dans la mine. Ces gars-là n'avaient rien à se mettre que leurs habits de travail, par tous les temps.
Ils n'avaient même pas de quoi manger. On leur donnait nos tartines. Mais dès qu'ils entendaient le mot Staline, leur cœur battait.
On se disait : " Ce Staline, qu'est-ce qu'il a dû leur faire, pour qu'ils l'aiment comme ça. "
GERMAIN. - On voyait toujours la ligne marxiste-léniniste communiste.
On ne voyait pas le maoïsme.
Enfin, ça ne s'appelait pas ainsi. Le nom est né en 68. On a dit : les " maoïstes ". Comme on a dit : les " staliniens ".
Il y a eu comme ça des gens qui justifiaient leur position politique sur la personne de Staline.
Nous, on ne se servait pas de la personne de Mao. On disait : " On est des communistes tout simplement et on est liés à la Chine. "
Au moment où le P.C. a lâché la Chine, il a aussi lâché la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, ça a été à peu près quand le Kominform s'est dissous, et le décalage avec la Chine populaire a marqué le grand revirement aussi bien sur le plan international que sur le plan intérieur.
Il y a eu le clan russe et le clan de la Chine populaire mais nous, on n'a pas changé notre ligne.
Lorsqu'on était communistes en 47, on était maoïstes. C'est eux maintenant qui ne sont plus communistes.
C'est eux qui ont trahi. Ils ont renié Staline, ils ont renié Mao. Ils renient tout.
Aujourd'hui, ils renient même leur politique de lutte de classes, c'est encore plus grave.
Je ne me suis pas détaché du P.C. du jour au lendemain. Il y a eu des contradictions, des problèmes. Après la grève de 48, les syndicats devaient renouer des relations avec la direction des Houillères.
Mais la direction voulait bien recevoir tel ou tel représentant de l'organisation syndicale, mais tel ou tel autre, elle n'en voulait pas.
Il fallait poser des revendications et accepter des entrevues.
Les Houillères voulaient faire le choix des délégués, et les directions syndicales ont accepté.
NOUS, on n'était pas d'accord.
Ce n'est pas au patron à choisir le délégué.
Ça devenait mou si les représentants n'étaient pas mandatés par la classe ouvrière.
D'abandon en abandon, des avantages acquis ont été perdus. Même ce qui tenait le plus à cœur aux ouvriers mineurs : un avantage acquis depuis cent ans, depuis nos pères, comme l'eau gratuite, on l'a perdu.
Maintenant les mineurs payent l'eau alors qu'ils ne l'ont jamais payée.
Avant on retenait quatre francs ou six francs par mois pour le logement, maintenant on cause de loyer de cent quatre-vingts francs par mois.
Ce sont des faits formidables.
De même, au lieu de continuer à construire des maisons pour les mineurs, on coupe celles qui existent en deux.
On met deux familles ensemble.
On met le pensionné, le silicose qui crache ses poumons sur la cour, et on met le jeune ménage devant.
Laisser faire les Houillères là-dessus, c'est plus que de la mollesse, c'est l'abandon pur et simple de la lutte des classes.
Les comités d'entreprises de groupes, de puits, n'ont plus fonctionné. Il a fallu attendre Mai 68 pour que ça reprenne un peu.
MARCEL. - Par exemple après la grève de 48, les meneurs ont été sabrés.
Même pour la sécurité, l'ingénieur refusait de me voir. Il refusait nos délégués pour la sécurité.
Les copains au lieu de se battre et de dire : " Non, c'est eux qu'il faut voir ", ils préféraient se taire et garder leurs strapontins.
Ils disaient : " Tant pis, n'y va pas. Faut quand même quelqu'un pour discuter et si toi, ils te veulent pas, le mieux, c'est que nous, on aille discuter. "
Comme ça ils ont éliminé les plus durs.
GERMAIN. - Et 90 %, faut bien le reconnaître, c'était d'anciens résistants.
La direction des Houillères, qui avait collaboré avec les Allemands, réglait doublement ses comptes aux résistants, à ceux du syndicat illégal qui s'était formé dans l'illégalité.
En les rejetant, les Houillères gardaient de nouveau les collaborateurs.
Il ne fallait pas être pris en train de distribuer un tract.
C'était tout le statut du mineur et de ses droits syndicaux qui était saboté.
Les condamnations pleuvaient pour rendre les délégués inéligibles.
En 1952 c'est arrivé au point qu'un responsable m'a dit : " Tu comprends pas, Germain, c'est plus le moment de frapper sur la table. "
Aujourd'hui, je peux me retrouver avec cet individu-là, et je lui dirai : " Voilà, voilà pourquoi...
Accepter l'ostracisme envers les militants de la base, voilà où ça conduit. "
La grève de 48 est partie sur un mouvement bien précis : la fermeture des puits, liée au Plan Marshall, au plan Schuman, au Pool Charbon-Acier, et appliquée par lés décrets Lacoste.
Ils ont donc continué à fermer les puits non seulement pour le Nord et le Pas-de-Calais, mais pour toute la France, comme on va fermer les usines sidérurgiques et textiles à l'heure présente.
Et notre position en 48 était juste. On ne comprend toujours pas que l'on ne cause pas des vrais responsables de cette situation en France.
A ce moment-là, c'était la social-démocratie, les socialistes Jules Moch, Lacoste, Ramadier et compagnie qui nous arrachaient toutes les commissions, comités, que l'on avait obtenus à la Libération, et tout ça pour mieux appliquer leur plan rétrograde.
C'est là où l'on voit bien la coupure nette : pour reconstituer une unité politique, le P.C. abandonne la plate-forme de luttes et de combats contre la bourgeoisie, contre la réaction, et même aujourd'hui, contre ce qui a un nouveau visage encore plus virulent, contre l'impérialisme qui va se servir du fascisme pour appliquer sa politique de régression sociale en dégradant nos lois et nos libertés.
MARCEL. - Germain a été éliminé tout doucement du P.C., et il est tombé très malade en 50.
Moi, je suis toujours resté au parti en menant des luttes à l'intérieur des réunions de cellule, mais sans bagage.
Je ne pouvais rien faire d'autre que de crier : " Je ne suis pas d'accord. " J'étais d'ailleurs surnommé : " Pas d'accord. " Ça devenait même marrant.
Ils travaillaient les autres copains en leur disant d'avance : " On te prévient, Marcel sera pas d'accord. "
Je restais à l'intérieur des réunions, mais ce n'étaient pas des réunions où se posaient les problèmes de lutte de classes.
J'ai tenu cinq mois comme secrétaire de section, mais dès que j'ai commencé à mordre un peu, ça a été fini.
Je me souviens que je n'avais même plus droit à la parole en réunion de section. Je ne pouvais même pas poser de questions.
Pendant ces cinq mois, c'était encore une belle période pour mener des luttes. Il y avait eu l'affaire Henri Martin.
On s'était battus d'une façon vraiment révolutionnaire. Vraiment on se battait : il y avait des actions de milice déjà à l'époque.
On faisait aussi des bombages, des peinturlurages sur les Houillères, les gendarmeries.
Des troupes de comédiens étaient venues pour jouer des pièces de théâtre sur le jugement d'Henri Martin.
Ces pièces ont été interdites par les préfets, mais nous, on en a profité pour faire une grande manifestation.
Comme il y avait longtemps qu'on n'avait pas fait de manifestation, ça a réveillé les gens.
Aux militants qui n'étaient pas venus, je leur ai demandé pourquoi, " Pourquoi tu te baladais ce jour-là? "
J'ai demandé une réunion d'autocritique. C'était normal en tant que secrétaire de section.
Mais en fait d'autocritique, c'est moi qui ai été balancé, " Tu es trop jeune ", on m'a dit. Et on m'a redescendu.
Les gens étaient éliminés doucement, comme ça, mais pas par une discussion de lutte de classes, parce que le parti, en tout cas dans le Nord, ne pouvait même plus se le permettre.
Un gars vraiment vidé, c'était très rare, mais les gars écœurés qui se retiraient d'eux-mêmes, c'était fréquent.
A ce moment-là, je me souviens, j'ai commencé à recevoir des feuilles d'Unir, un groupe dissident qui savait que, par là, ça n'allait pas.
Ils envoyaient des lettres : " Tu n'es pas content du parti, alors écris-nous ", mais ça n'a pas duré parce que nous, on avait écrit en se disant : " Tiens, il y a quelque chose qui pointe ", mais, quand on leur demandait un rendez-vous, ils répondaient : " Ah non, on ne peut pas se faire connaître " et quand on leur demandait quelles actions ils entreprenaient, ils ne répondaient pas.
Il a fallu attendre 68.
Je n'étais plus mineur mais j'étais à nouveau délégué dans une usine. J'avais réussi un coup de force.
Comme je n'arrivais plus à trouver de travail dans le Nord, j'étais parti à Paris et je m'étais fait embaucher chez Panhard.
Puis une nouvelle usine métallurgique s'est créée dans le Nord.
On embauchait des ouvriers triés sur le volet, mais comme j'avais mon certificat de Paris, ils m'ont considéré comme un Parisien et ils m'ont pris.
C'est comme ça que je suis arrivé à entrer dans l'usine malgré les enquêtes.
Parce que c'est toujours pareil avec la social-démocratie, quand une industrie se monte, encore maintenant, elle n'implante qu'un syndicat F.O.
Alors j'ai mené une lutte et j'ai reformé un syndicat C.G.T. et ainsi, je suis revenu à la surface.
Comme Béthune est une ville bourgeoise où le parti n'existe pratiquement pas, très vite, je me suis retrouvé à la tête de Béthune jusqu'en 68.
Quand le mouvement s'est emmené, je suis parti en pointe tout de suite : " Allez, on occupe. Partout, on occupe. "
J'étais secrétaire de l'Union locale mais tout de suite, ils ont parachuté un gars, " Toi, tu restes dans ton usine. C'est le camarade qui sera secrétaire de l'Union locale. "
Naturellement, je n'aurais pas accepté les manifestations dans le calme que le parti voulait.
Et puis les étudiants sont venus.
Ce qu'on appelait le mouvement de soutien aux luttes du peuple.
Comme je ne les éjectais pas, ils ont dit : " Ça y est, il est maoïste. "
C'est eux qui m'ont baptisé de la sorte.
C'est dans le parti qu'on m'a traité de mao et je ne savais même rien du maoïsme.
GERMAIN. - Nous étions des staliniens et nous en étions fiers. On le répétait.
On le répète encore.
Ça veut dire qu'on est encore des durs et que eux ce sont des révisionnistes.
Pour nous, Staline, c'est celui de l'Armée Rouge.
Ils révisent leurs principes marxistes-léninistes, nous on ne les révise pas.
On fait la critique et l'autocritique mais on ne révise pas.
Dans un texte d'un congrès de l'Union soviétique, on avait lu : " Que les bouches s'ouvrent. "
Fort de ça, Marcel a écrit un rapport et l'a porté en main propre à Maurice Thorez.
Comme ça, il ne pouvait pas dire qu'il ne l'avait pas reçu.
MARCEL. - C'était en 1954-1955. Il revenait d'U.R.S.S. malade, à moitié paralysé.
On m'a dit que je ne pouvais pas le voir, et on était bien surveillés.
Mais à sa première réunion, j'y suis allé. Je n'ai jamais eu de réponse.
GERMAIN. - Nous, nous n'avons jamais quitté le parti.
Nous sommes toujours des communistes.
Nous ne sommes simplement plus d'accord avec les hommes qui dirigent ici le parti.
Dès 1944, dès la Libération, il y a eu beaucoup de communistes, beaucoup de résistants, qui n'étaient plus d'accord avec la ligne politique du P.C.
Lorsqu'on a dissous les milices patriotiques, la veille, Jacques Duclos avait dit qu'il fallait les garder parce qu'elles étaient les gardiennes de nos libertés et la démocratie.
Nous, on se battait pour l'application du Conseil national de la Résistance et Thorez s'amenait pour dire le contraire.
Nous, on sortait d'une lutte, on avait un programme, on voulait acquitter cette facture de la lutte contre le fascisme et contre les collaborateurs, et ceux qui se battaient pour ça, on les traitait de trotskystes.
On arrivait à s'empoigner avec des dirigeants nationaux.
Ils remettaient Jouhaux dans la C.G.T. à côté de Benoît Frachon, quand on sait tout ce que Jouhaux, traître à la classe ouvrière, avait fait comme alliance avec la social-démocratie, nous, à la base, on ne pouvait pas l'accepter.
On nous disait qu'on ne comprenait pas.
Il y avait des heurts violents.
On continuait à se battre dans ce parti parce qu'il n'y en avait pas d'autre, mais on sentait, dès 1944, que la coupure irait en s'aggravant.
On ne pouvait pas se battre seuls dehors.
On se battait dedans pour faire respecter la voie marxiste-léniniste, la vraie voie communiste.
On éduquait, on entraînait sur cette ligne-là nos camarades qui étaient menés en bateau.
Je me souviens d'un discours de Cachin en 1945, qui faisait les comptes des progrès du communisme dans tous les pays et qui finit par la France : " Ici, camarades, c'est l'affaire de quelques semaines, et peut-être de quelques jours. "
Tout le monde s'embrassait.
Ça y était, on allait avoir le pouvoir.
Et ils se sont contentés d'une vice-présidence du Conseil pour Thorez, octroyée par de Gaulle dans le gouvernement provisoire.
Les dirigeants du parti se sont vus en collaboration avec les gouvernements de la réaction, et ça leur a suffi.
Ça a été la démarcation et l'abandon de la lutte de classes.
La coupure avec les masses, avec la lutte du peuple, ça date de la libération, du 28 octobre, date de la dissolution des milices patriotiques.
Il n'y a qu'à reprendre le discours de Duclos sur le désarmement des milices en 1944.
Il faut le photocopier ce discours, lui remettre devant les yeux.
La veille, il était un révolutionnaire.
Le lendemain, il n'était plus rien.
Dans le Nord et le Pas-de-Calais, il y a bien des endroits où Thorez, Lecœur et les autres n'ont plus pu remettre les pieds. Il y aurait eu des grossièretés.
Moi, très vite, je n'ai plus été éligible. Je n,'avais pas le droit d'aller dans des réunions où il y avait un patron.
J'ai eu cet honneur-là : les patrons ne m'aimaient pas.
Après ma maladie, eh bien, on s'est mis à lutter comme on pouvait.
On luttait à deux avec Marcel.
On faisait des articles. On préparait des affaires pas mal.
MARCEL. - Oui, à cette époque, je travaillais dans le bâtiment, et quand il y a des intempéries, dans cette branche-là, le boulot s'arrête.
Je me mettais alors à faire des articles.
J'ai commencé par aider le journaliste de Liberté qui était malade.
On m'acceptait, on me repoussait, puis on finissait par prendre mon article.
J'avais appris par exemple qu'un mineur avait été blessé.
Je fais mon enquête.
Le lendemain, j'écris l'article : " Le martyre d'un mineur ", trois heures à se traîner sans secours, et ci et ça.
Ça fait un bruit terrible.
Les Houillères sont en fureur.
J'écris plusieurs articles comme ça.
Déjà dans le style de La Cause du peuple, ce qui est normal puisqu'on ne craignait pas la vérité, qu'on appelait un chat, un chat.
Au début, les camarades ont dit : " C'est bien ce que tu fais là. "
Je signais mes articles pour éviter qu'on coupe dedans.
Je les portais à l'autobus parce que ma commune est à une cinquantaine de kilomètres de Lille.
Tous les journalistes faisaient la même chose.
On donnait les articles avec un pourboire au chauffeur et ça arrivait ainsi à Nord-Matin, le journal du parti socialiste, à La Voix du Nord, le journal de droite, à La Croix du Nord, le journal catholique, et à Liberté, l'organe du P.C.
Les autres journalistes me sont vite tombés dessus, "Qu'est-ce que tu fais comme articles? Tu nous les passes, nous on te passe les nôtres.
Tu vois, comme ça on s'arrange. "
Ils s'arrangeaient tellement bien que celui de La Voix du Nord disait à celui de Nord-Matin : " N'attaque pas trop les Houillères et moi, je mentionnerai telle réunion revendicative ", etc.
Ils jouaient au football de table tous ensemble, les rouges contre les blancs!
Ils se refilaient leurs informations sans jamais aller voir sur place.
Moi, j'ai dit : " Je ne marche pas dans vos combines. Je travaille pour le journal du P.C. et c'est tout. "
Ils m'ont dit que le journaliste de Liberté que je remplaçais ne s'embarrassait pas comme moi de ce détail, que j'avais bien tort.
Au bout de quelque temps, après quelques articles assez virulents, le bruit a couru que je voulais faire une carrière de journaliste et prendre la place de mon camarade malade, et on m'a vidé.
GERMAIN. - C'était encore une manière d'arrêter l'esprit de lutte parce qu'on avait dévoilé pas mal de petits scandales, mis les pieds là où il ne fallait pas. On ne devait pas faire de mal aux Houillères.
Par exemple, l'histoire des désherbants, on a été les premiers à en parler.
On a fait un drame avec ça en expliquant comme c'était toxique, comment les pigeons mouraient avec ces produits, et pourquoi les ingénieurs refusaient de s'en servir.
La mauvaise herbe mourait, mais un enfant qui laissait tomber son bonbon dans le produit par terre pouvait s'intoxiquer et les pigeons aussi.
Dans les mines, les pigeons, c'est sacré.
On avait vraiment touché une corde sensible.
Toutes les sociétés colombophiles partent en guerre contre l'usine qui fabriquait ces produits-là : Carbolux qui dépendait des Houillères.
On aurait pu à ce moment-là monter des milices rien qu'avec les colombophiles!!!
MARCEL. - Les contradictions à l'intérieur du P.C., pour les militants de base, existent toujours.
A l'heure actuelle, je les entends parler de l'alliance avec le parti socialiste.
Ça, c'est un truc dont on s'est toujours méfiés.
Les gars disent : " Tant pis, mais ce coup-ci pour les élections de 72, j'irai pas. "
En fait, ils iront peut-être mais, de plus en plus, ils se démarquent.
Et un gars qui élève la voix dans une réunion, aussitôt il est le maoïste. Attention.
GERMAIN. - Parfois, il y a confusion.
Après l'élection présidentielle je rencontre un vieux camarade, un ancien responsable d'organisation syndicale, instruit politiquement, qui me dit : " T'as vu Germain, ce Krivine. Ça, c'est notre parti communiste d'avant. "
Et il y a eu effectivement une cinquantaine de voix pour Krivine chez nous.
Pas des voix d'anarchos, des voix de vrais communistes.
Pourtant, entre gauchistes et maoïstes, il y a une sacrée différence et Krivine, c'est un anarcho qui n'a pas de ligne politique.
Le copain ne connaissait pas la ligne d'orientation maoïste.
Il y a un travail sérieux à faire.
PATRICK (le jeune de Renault). - II faut comprendre que dans les usines, il n'y a pas encore tellement de différence entre trotskyste ou maoïste.
En fait, pour les gars, tout ça, c'est gauchiste.
MARCEL. - Même le P.S.U. apparaît comme gauchiste et les gars préfèrent encore voter P.C. que P.S.U.
Notre travail d'action maoïste ouvre la voie, mais il ne faut pas se tromper, il y a des actions positives, celles qui correspondent profondément à la volonté des masses, et des actions dangereuses, celles qui sont parachutées sans explication et qui apparaissent comme gratuites, désordonnées, gauchistes, quoi!
PATRICK. - Quand on est maoïste dans une usine, on est -pris pour responsable de tout ce qui se passe à la porte, même si c'est n'importe quel groupe qui vient et qui fait n'importe quoi.
On me dit : " Tes copains ont distribué un tract ", même si ce sont des tracts trotskystes.
Tout ce qui est en dehors du P.C. c'est gauchiste.
MARCEL. - Ça c'est un problême actuel du maoïsme eu France.
GERMAIN. - Tant qu'on n'aura pas fait le travail nécessaire d'explication, il y aura méfiance.
Il faut multiplier les contacts, discuter, éduquer : faire passer l'esprit maoïste.
Il n'y a pas de réticence au maoïsme.
Au contraire, tous les vrais communistes sont maoïstes, mais ils ne le savent pas encore.
Il y a seulement un manque d'information.
MARCEL. - Par exemple, à la fosse 6, on a travaillé avec un Secours Rouge, maoïste.
On a fait du bon travail mais quand les gars voient arriver les lycéens, ils disent : " Ben, si c'est ça l'organisation révolutionnaire, on va encore attendre. "
Ils ne voient pas encore se dessiner l'organisation maoïste, ils ne voient pas qu'il y a du monde derrière, ils ne voient qu'un groupe de sept, huit lycéens avec un professeur. Ils sont d'accord avec le groupe mais ils le croient isolé.
PATRICK. - Ils se méfient de l'image maoïste, étudiante.
GERMAIN. - L'autre jour, j'ai vu une femme entendre pour la première fois Le Chant des partisans.
Sa réaction a été une profession de foi, elle a dit : " Mais ces maos ce sont les communistes d'avant. "
Si un travail avait été fait en profondeur, cette femme qui a eu cette réaction-là, elle serait tout de suite maoïste.
Vu qu'elle l'est déjà, sans confusion, sans retrait.
Elle a compris naturellement, simplement, sur une chanson.
Le mouvement des maos dans les puits maintenant commence à créer la confiance.
Quand un mineur a des ennuis avec un porion, il dit : " Fais gaffe, il y a des maos dans le coin, ils vont t'arranger ", et le porion s'écrase.
Les mineurs résistent
aux porions, et c'est le début.
La révolte contre les agents de maîtrise va se consolider.
On va étudier d'autres formes de lutte pour aller plus loin, pour s'élargir, pour devenir une force- On n'explose pas d'un seul coup.
MARCEL. - Il faut aussi corriger nos erreurs. Par exemple l'apport des forces démocratiques n'a pas été suffisamment expliqué.
Nous avons des médecins du Secours Rouge qui viennent dans les mines.
Ils viennent pour aider les gens à se faire reconnaître comme silicoses.
Et les gars voient là-dedans une aide pour leurs revendications.
Ils ne voient pas que les démocrates qui se joignent au peuple le font dans un esprit révolutionnaire, qu'il s'agit de bien autre chose qu'une revendication.
Si on est sur une ligne revendicative, on est battus d'avance.
Pour ceux qui veulent se battre, les ce comités de silicoses ", ça ne voulait rien dire, ça ne suffisait pas.
Il faut que les mineurs sentent qu'il y a le Secours Rouge mais qu'il y a, à côté, une organisation qui n'est pas encore un parti mais où on milite comme dans un parti.
S'ils voient réellement que ça existe, c'est gagné, ils ne pourront pas adhérer à autre chose.
Créer des comités de lutte et des milices, les gens ne demandent que ça.
Si on leur dit : " On va faire telle action, démolir tel maître porion ", ils disent ce d'accord " mais ils demandent des garanties, " On est d'accord mais l'organisation que tu nous présentes ne donne pas les garanties. Faut en connaître un peu plus. "
GERMAIN. - On fait des erreurs.
Par exemple, on fait un tract adressé aux agents de maîtrise, les porions, les maîtres porions, en leur enjoignant de choisir leur camp.
Qu'ils déclarent s'ils sont du camp du peuple ou du camp de la réaction.
Quinze jours plus tard, dans Liberté ceux du P.C. écrivent : "Les gauchistes ont distribué un tract où ils veulent casser la gueule à tous les porions. " J
ustement, on n'a pas du tout dit ça.
On devrait l'expliquer.
Au lieu de ça, on n'a pas répondu. Fallait refaire un autre tract avec l'ancien texte et l'article de Liberté côte à côte pour que les masses jugent elles-mêmes.
MARCEL. - On enregistre aussi des succès.
L'autre jour, un mineur va voir son délégué pour lui parler de son problème de silicose.
Le délégué lui a répondu : " Va donc voir au Secours Rouge.
Ils sont plus forts que nous. " Le délégué lui-même!
GERMAIN. - Dans Liberté on n'attaque pas le Secours Rouge, ni les maos.
On n'oserait pas.
On attaque les gauchistes.
Mais nous, nous ne sommes pas des gauchistes, nous ne sommes pas des aventuristes, nous sommes des maoïstes.
Il faut faire disparaître la confusion.
Les gauchistes, ce sont des groupuscules nés de 68, tandis que Mao, il y a longtemps qu'il existe.
Il a soixante-dix-huit ans passés.
Ce n'est pas un aventuriste.
Nous avons une ligne politique sur laquelle nous appuyer, une doctrine pour laquelle nous battre, tandis qu'eux, ils n'ont rien.
Faut aussi répondre aux groupuscules et même parfois avec méchanceté parce qu'ils induisent tout le monde en erreur.
Notre position est forte et belle et nous avons la Chine à faire connaître.
MARCEL. - Les premières contradictions du P.C.F. avec la Chine, je m'en souviens bien.
Je vivais à Paris; c'était au moment de l'O.A.S.
Ça plastiquait partout. J'habitais aux Champs-Elysées.
On était douze dans une pièce. J'appartenais donc à une belle cellule, la cellule des Champs-Elysées et là, il y avait un ingénieur, responsable de France-Chine.
Un soir, il me dit : " On fête l'anniversaire de la Révolution chinoise, salle Pleyel.
Ce serait bien si tu venais avec des camarades prolos. "
II était content d'avoir un prolo dans sa cellule, celui-là.
Il me donne des invitations et j'y vais avec une quinzaine de copains.
Le lendemain, j'ouvre L'Huma et je ne vois rien. Aucune mention de la soirée.
La semaine d'après, je revois l'ingénieur et je lui demande ce que ça veut dire, pourquoi France-Chine célèbre la Révolution chinoise et pourquoi L'Huma n'en parle même pas.
Il me répond : " Ben, il y a des contradictions. "
Je demande lesquelles. Il ne m'a pas répondu.
J'ai encore demandé en réunion de cellule.
Jamais, on ne m'a donné de réponse.
GERMAIN. - La contradiction, c'était peut-être qu'il y ait quinze prolos dans la salle!
MARCEL. - Le P.C.F. n'a jamais essayé de donner une explication claire sur les divergences entre l'U.R.S.S. et la Chine.
On nous cachait tout. On laissait les gens dans l'ignorance.
Moi, j'avais envie de savoir. J'étais intrigué sur la Chine, mais ma deuxième approche de Mao, ça a été seulement en 68.
J'étais depuis 1966 dans cette usine où j'étais entré comme un type qui se cache mais où, au bout d'un an de présence, je pouvais me présenter comme délégué et j'ai voulu constituer une liste pour former un syndicat C.G.T.
C'était assez difficile de trouver des gens parce qu'ils avaient été triés au départ parmi les moins combatifs.
Et puis, j'ai découvert, dans un autre secteur, un gars qui essayait aussi de faire une liste comme moi.
On s'est mis ensemble et on a présenté notre liste en employant des méthodes qui ne se pratiquaient pas : c'est-à-dire que l'on a attendu le dernier moment pour ne pas être virés.
Je me suis présenté au bureau du personnel à la dernière minute.
Ça a fait un drame, " Quoi, un syndicat C.G.T. ici! "
Ils n'en revenaient pas les directeurs, et ils ont refusé ma liste en disant qu'elle n'était pas représentative.
On ne s'en est pas tenus là.
On a distribué des bulletins de vote à l'entrée en expliquant aux gars pourquoi on n'avait pas été acceptés. Pendant vingt-quatre heures, j'ai distribué et expliqué, quitte à perdre ma journée.
Et il y a eu quand même cent gars qui ont voté pour notre liste.
Au dépouillement, le gars de la C.F.D.T. a tenu à marquer les cent bulletins blancs.
Ils étaient considérés comme blancs, vu qu'on était irréguliers.
Mais le juge a été obligé de reconnaître qu'on était représentatifs, et il y a eu un nouveau vote.
Là, je vivais dans l'euphorie.
Il y avait une liste d'unité F.O. avec le patron et nous avions cassé cette belle unité-là.
Cette victoire après une lutte avait soudé les gars.
Suffisait d'un mot d'ordre ce On y va ", pour que ça y aille, comme en milice.
Donc, avant 68, en novembre ou décembre, on déclenche un mouvement de grève.
On est même venus à Paris et on a envahi les bureaux.
On voulait faire une manifestation.
On s'était mis, pour la préparer, dans la salle des délégués, et le patron vient nous prévenir que les R.G. nous demandent.
Il dit : " Faut vous arranger avec les R.G., ils veulent savoir quel chemin vous prendrez, où vous irez, etc. " Je dis : " On n'a rien à foutre avec les R.G. On passera où on voudra. "
La C.F.D.T. se joint à nous, mais F.O., que l'on avait réussi à entraîner dans la grève, va discuter avec les R.G. et revient nous dire : " Faut faire ce que veulent les R.G. parce qu'ils ont appris que des étudiants viendront à la manifestation. "
Les R.G. ajoutaient que les étudiants venaient pour briser notre mouvement, etc.
Déjà, la propagande. En fait, c'était le mouvement du soutien aux luttes du peuple, l'U.J.C.M.L. : bien avant le 22 mars 1968.
Et la première personne que j'ai vue, eh bien, c'est ce gars là-bas dans le jardin.
Mais je ne l'ai pas vu le jour de la manifestation.
Ce jour-là, les R.G. avaient de mauvais renseignements, on n'a pas vu un seul étudiant.
Je les ai vus un peu plus tard, à la Bourse du Travail. Ils m'ont demandé si on pouvait discuter et, tout de suite, j'ai accepté la discussion.
Ainsi, j'ai commencé à les connaître, quand le mouvement a démarré en 68, à Saint-Nazaire, on s'est dit, avec lès copains de C.F.D.T., que nous aussi, ce que l'on avait de mieux à faire, c'était d'occuper l'usine.
On l'a fait de façon vraiment dure.
On est partis à cinquante pour s'opposer aux licenciements qui devaient justement avoir lieu.
Quand les copains du mouvement de soutien aux luttes du peuple se sont amenés avec leurs banderoles, leurs pancartes, on les a lues, on a vu qu'elles correspondaient bien aux idées des travailleurs et on les a mises sur les murs.
Aussitôt le secrétaire de l'Union départementale arrive et gueule : " Ça ne va pas du tout. "
Je demande pourquoi.
Il me dit : ce Ce sont des pancartes des étudiants. "
Je dis : " Et alors, ce qui est écrit dessus, c'est vrai ou c'est pas vrai? "
II n'a pas poussé plus loin et ainsi, avant même que les mineurs commencent la grève, on avait fait débrayer tout Béthune.
A ce moment-là, un copain étudiant m'a demandé si je voulais venir à une réunion à Paris.
C'était une réunion de l'U.J.C.M.L. dans une faculté.
Je ne l'ai appris que plus tard.
J'ai eu peur en arrivant parce qu'il y avait des portes en vitres qui s'ouvraient toutes seules dès qu'on s'approchait, et je n'avais jamais vu un truc pareil.
Pendant le trajet, j'avais commencé à questionner : " C'est bien ce mouvement de soutien aux luttes du peuple, mais je pense que ce n'est pas tout, va falloir m'expliquer. "
Et c'est là qu'ils m'ont dit qu'ils étaient maoïstes, ce qu'était la Révolution culturelle, etc.
Jusque-là je croyais que la Révolution culturelle c'était la destruction de la religion.
Pour moi, en Chine, on avait mis les bouddhas en l'air, c'était ça la Révolution culturelle.
Quand ils m'ont expliqué, vraiment ça m'a transformé.
GERMAIN. - Beaucoup de camarades, ça leur a passé sous le nez, la Révolution culturelle, tandis que moi, je la voyais bien comme une consolidation de la dictature du prolétariat.
MARCEL. - Quand je voyais Germain, on ne parlait pas de la Chine.
On avait bien assez à parler de ce qu'on menait comme lutte à l'usine.
On parlait du jour le jour.
Après 68, je lui ai porté le journal et on a commencé à discuter du maoïsme, à vraiment se lier aux étudiants.
La première action a été la grève à Faulquemont.
Maintenant je suis considéré comme un mao.
Quand je discute, je me retrouve sur les mêmes positions que mes anciens camarades mais je ne les changerai que si on mène des luttes ensemble.
Il faut gagner la confiance.
GERMAIN. - On distribuait La Cause du peuple.
En avril-mai 1970, La Cause du peuple a été interdite mais quand j'ai vu que les camarades arrivaient à sortir quand même le journal dans la clandestinité, alors je me suis dit qu'on pouvait leur faire confiance, qu'ils étaient des révolutionnaires et qu'ils avaient compris leur travail.
C'était une preuve de maturité de pouvoir lutter contre la répression dans la clandestinité, d'autant que c'est plus difficile d'être clandestin quand le régime a des apparences de semi-liberté comme en ce moment.
MARCEL. - Un grand pas a été fait aussi avec la préparation du tribunal populaire de Lens, dans l'hiver 70. Ça a permis de discuter avec les familles parce qu'on ne peut pas arriver et dire tout de go : " Eh bien, voilà, je suis maoïste. " Ça fait trop de surprise.
Pour entrer en contact, la meilleure des choses, c'est le journal.
Aussitôt que tu donnes le journal à un gars, il dit : " C'est trop dur. "
Alors, il faut lui montrer que ce n'est pas dur.
Ça engage immédiatement la discussion, et là tu te déclares mais pas pour savoir qui est mao et qui ne l'est pas.
Ça, ce n'est pas intéressant.
GERMAIN. - La question du nom, on s'en fout.
J'avais un ami qui a été fusillé pendant la Résistance et j'écoute toujours ce qu'il m'avait dit : " Germain, si un jour le P.C. dévie de sa ligne révolutionnaire et qu'un autre parti se forme à côté, avec la ligne de notre ancien parti, faut aller au nouveau parti. " C'est ça la fidélité.
Si des camarades nous crient qu'on est des maos comme si c'était une infamie, s'ils crachent sur notre figure, ils viendront un jour ou l'autre passer leur langue pour l'essuyer.
Ça ne durera qu'un temps parce que les militants à la base et même les délégués, de plus en plus, s'opposent aux diri-séants.
Ce qui nous fait du tort, c'est le gauchisme.
MARCEL. - Les actions de partisans ne sont pas toutes bonnes non plus.
Quand deux gars s'implantent dans un puits, qu'ils coupent un tapis, mettent du sable dans un wagon, font dérailler, etc., pour rien, comme ça, juste pour faire une action, c'est très mauvais.
Ce n'est pas compris s'il n'y a pas d'explication, pas de raison.
Si c'est pour venger un mineur tué, pour s'opposer aux licenciements, pour s'attaquer à un chef, alors c'est bon.
Une action pour s'opposer à la fermeture d'un puits, c'est une action juste.
C'est la justice populaire, c'est toujours bien compris.
Cette année, pour le 1er mai, ce sont les mineurs eux-mêmes qui ont été planter le drapeau rouge au haut du terril de la fosse 6.
PATRICK. - Oui mais à Bruay, c'est des mecs comme vous, les maos.
On ne peut pas vous traiter d'irresponsables, vous attaquer sur votre honorabilité.
Les syndicats ne peuvent pas dire de Germain ou de toi que vous êtes de jeunes fous.
Tandis que moi, ils me traitent de con.
Ils disent que je n'y connais rien à la lutte des classes, que lorsqu'ils étaient jeunes, ils avaient aussi mes idées, etc.
Ils ne peuvent pas vous traiter de gauchistes, alors comment font-ils pour vous attaquer?
GERMAIN. - Ça, c'est vrai, ils ne peuvent pas. On a un trop lourd passé de militant. Avec nous, ils discutent. Par-derrière, ils nous sabrent tant qu'ils peuvent. Ils nous calomnient.
MARCEL. - Ils disent que c'est Germain qui a fait mettre tous les mineurs à la porte après la grève de 48; que si Germain n'avait pas été si dur, les mineurs n'auraient pas été licenciés, que maintenant, s'il revient, c'est pour faire le même truc.
L'aspect combatif à tout casser de Germain en 48, de moi-même en 68, ils le mettent en avant comme un épouvantail.
GERMAIN. - C'est un truc qui peut leur servir mais pas beaucoup : les camarades savent que ce sont des carriéristes qui leur racontent ces salades.
MARCEL. - L'autre jour, il y avait la grève à la fosse 6. Les gars du Secours Rouge viennent avec des tracts. Les militants C.G.T. se sont mis à les distribuer. Arrive le responsable qui hurle : " Qui a donné ces tracts? " Je m'avance : " C'est moi. "
Le gars, je le connais très bien. Il est resté tout déconfit.
Il y a une autre chose qui m'aide et qui a été donnée par l'importance du tribunal populaire que le maoïsme seul a pu faire parce mie c'est conforme à sa ligne.
C'est important de montrer et de voir comment on peut travailler avec nos amis démocrates.
Un Jean-Paul Sartre qui vient coucher dans les mines avant de faire son réquisitoire, on n'y croyait pas.
Et dans son réquisitoire, ça c'est senti qu'il avait dormi dans un coron.
Ça a été une surprise pour les mineurs. Ils ne pensaient même pas que ça pouvait exister. Ça a eu beaucoup d'échos.
On commence à penser que le Secours Rouge est vraiment une union, que les intellectuels peuvent effectivement se mettre au service des travailleurs.
Il n'y a que les intellectuels pour ne pas comprendre à quel point c'est ressenti profondément.
Que des ingénieurs, que des médecins viennent, au début, vraiment, les mineurs n'arrivaient pas à le croire.
C'est la meilleure explication du maoïsme que nous pouvons donner, la preuve qu'intellectuels et travailleurs peuvent s'unir au service du peuple.
C'est bien simple, le premier camarade étudiant qu'on a connu, il a fallu qu'il soit arrêté et qu'on lise sur le journal qu'il était ingénieur, pour qu'on le sache.
Il n'osait pas nous le dire.
Et nous on était vexés qu'il ne nous ait pas fait confiance.
Il était gêné d'être ingénieur alors que nous autres, on ne se pose pas de problème.
Un gars qui se met à côté de nous, on ne va pas aller regarder dans son passé, ou bien s'il a un nom qui commence par " de ".
Il subit la répression comme nous.
C'est tout ce qu'on voit, et la répression, actuellement, augmente la combativité.
La répression a pesé sur les mineurs après 48, et les a empêchés de bouger.
Maintenant, c'est de nouveau un bon moment pour la lutte parce que les travailleurs ne se sentent plus isolés.
C'est pour ça que les intellectuels, c'est important : ça donne une autre image.
GERMAIN. - Pour les délégués mineurs qui ont des dizaines d'années de mine derrière eux, même si un puits ferme, ils ne vont pas lutter, casser leur carrière pour ça, c'est foutu.
Ils sont acquis au camp de la bourgeoisie.
L'esprit bourgeois existe partout mais on ne peut pas dire que les travailleurs n'ont pas une position de classe.
Un ouvrier mineur qui fait des économies, des sacrifices, et qui s'achète une voiture, on dit : " Celui-là, c'est un bourgeois; il s'embourgeoise. "
Ce n'est pas vrai.
Un homme qui mange la moitié d'une banane un jour, pour avoir l'autre moitié le lendemain, il ne peut pas avoir l'esprit bourgeois.
PATRICK. - C'est vrai qu'il y a deux parties dans la tête. Une partie bourgeoise et une partie prolétarienne, mais ce n'est pas sur la question des bagnoles ou des machines à laver que ça se départage.
C'est sur la question de : " Comment tu vis? "
Tu peux avoir une bagnole de sport et aller frimer le soir, mais si tu es obligé de subir l'esclavage toute la journée, qu'est-ce que ça veut dire?
Tu es un esclave à la machine, tu as le chef au-dessus, et ça, tu ne peux pas l'accepter.
Même avec 2 500 francs par mois, tu ne l'acceptes pas.
GERMAIN. - Huit heures par jour comme ça, tu ne peux pas avoir l'esprit bourgeois.
C'est le bla-bla de la réaction.
MARCEL. - La classe ouvrière, elle reçoit les produits de consommation qu'on lui fait avaler.
Moi aussi, quand je marche à pied ou à mobylette, je me dis: " Si j'avais une auto, j'irais plus vite. "
Ce n'est pas l'esprit bourgeois ça.
Bon, il y a une modernisation qui permet d'avoir une voiture mais en même temps qui change tout par rapport à, mettons une vingtaine d'années.
Je prends moi-même il y a vingt ans : j'aimais mon métier de mineur.
Après une nuit au fond de la mine j'étais un homme.
Maintenant, on n'aime plus son métier.
Aucun mineur, aucun ouvrier avec la modernisation poussée n'aime plus son métier. Même avec 5 000 francs par mois et une résidence secondaire, les ouvriers n'aiment plus leur métier.
GERMAIN. - Ce que le mineur aimait bien, c'était l'ambiance familiale.
Souvent, le père était chef d'équipe; il y avait les fils, les neveux, les cousins.
Maintenant, le père n'a qu'un souhait, c'est que son fils ne travaille plus à la mine.
PATRICK. - Le copain de Batignolles expliquait bien l'autre jour comment les gars, avant, aimaient leur travail.
Ils faisaient des pièces uniques, ils sentaient une aristocratie ouvrière, ils avaient l'amour professionnel.
Maintenant, ça n'existe plus : les gars en ont marre, ils font n'importe quoi : ça va pas, tant pis.
MARCEL. -Le travail maoïste est d'expliquer qu'en Chine les cadences infernales n'existent pas.
Qu'au contraire, on peut être ouvrier et aimer encore son métier.
Le stakhanovisme a été la première plaie creusée en U.R.S.S. dans le communisme.
Dans les mines, même les Allemands n'avaient pas réussi à nous mettre au stakhanovisme.
Eh bien, maintenant ça y est, c'est la lutte à mort pour la productivité, le système Bedot, du nom de l'ingénieur belge qui s'est occupé du rendement dans les mines.
Quand on raconte aux gars ce qui s'est passé pendant la Révolution culturelle, comment Liu Shao-chi, qui voulait la productivité, a été balayé, parce que c'est la ligne de droite de vouloir la productivité au détriment des hommes, ici, les gars, ils n'en reviennent pas.
Ils disent : ce C'est pas possible. " Pourtant ce qui vaut pour la Chine vaut bien aussi pour nous.
Peu importe de produire moins, il faut penser à l'homme d'abord.
L'ouvrier en France, chacun sait qu'au travail, il est comme une bête.
PATRICK. - Les gars ne pensent plus qu'à se faire donner des certificats de maladie. J
'en connais un qui prend régulièrement ses deux jours tous les quinze jours avec l'aide d'un médecin de famille.
C'est un vieux, il sait qu'on ne peut pas le foutre à la porte, il en profite.
Tous les mecs essayent de se tirer le plus possible.
GERMAIN. - C'est l'esprit d'égoïsme.
MARCEL. - C'est pour ça qu'une révolution culturelle apportera un bien considérable mais il faut le faire comprendre et ce n'est pas du jour au lendemain. Les ouvriers, si on leur dit : ce La lune est belle ", ils le savent bien.
Ce qu'il faut leur montrer, c'est comment nous, on peut changer, ce que nous, on peut faire changer : que ce soit faire baisser les loyers, ou briser les cadences.
Si on mène une lutte pour les cadences, c'est mieux que de dire : " En Chine ceci... " ou : " En Chine cela... "
La Chine peut servir d'exemple, c'est tout.
Mais ce n'est rien, si on ne fait pas passer la théorie dans la pratique : la lutte, ici.
GERMAIN. - Faut en causer quand même de la Chine.
MARCEL. - Maintenant, on est arrivés au moment où on peut en causer. Mais, quand on a fait quelque chose.
PATRICK. - Par exemple, on fout de la peinture sur un chef que les masses ont désigné comme le plus salaud. Bon, par là, on casse l'autorité des chefs.
Après, on peut parler d'un pays où on travaillerait sans chef.
Les gars disent : " Des chefs, il en faudra toujours. "
On discute.
On fait apparaître immédiatement la lutte des classes.
Il y a ceux qui comprennent d'emblée qu'on peut se passer des chefs et ceux qui répètent : " C'est pas possible. C'est pas possible. "
Alors, là, on peut expliquer ce qui se passe en Chine, les comités d'ouvriers, etc.
MARCEL. - J'ai déjà rallié pas mal de mecs en discutant. Je discute une heure avec quelqu'un, je lui dis : " Fais donc tes recherches ", et je sais qu'il va chercher.
Mais l'explication de masse, pour transformer la réalité, elle ne peut se faire que dans l'action.
GERMAIN. - Quand ils ont compris, un autre problème apparaît. Les gars voudraient bien savoir à qui s'adresser, avoir une carte, s'enrégimenter.
PATRICK. - C'est la question de l'organisation; comment s'organiser avec les autres copains, avec les autres boîtes, c'est toujours l'idée : il faut s'organiser.
En fait, l'organisation aussi ne peut naître que dans la lutte.
Le comité de luttes Renault, il n'est pas né en faisant des cours ou des conférences.
C'est un processus complexe.
D'abord, on veut quelque chose en dehors du syndicat parce que le syndicat, on sait que c'est de la merde.
Il faut un endroit où on peut s'exprimer, une démocratie.
L'idée de démocratie est vachement forte dans les usines.
La lutte ensemble, ça concrétise tout ça, et l'étape est franchie pour l'organisation.
MARCEL. - II faut sentir les étapes et ne pas être con.
Dans mon village, par exemple, il y a ceux qui votent et ceux qui ne votent pas, on le sait.
Aux élections de députés, je n'ai pas été voter.
Je ne me suis pas caché.
J'ai donné mes raisons.
Seulement, aux élections municipales, j'ai voté.
Les flics étaient venus tourner autour de moi mais le premier fonctionnaire de la commune, qui est considéré comme un flic et qui a les renseignements, il m'avait quand même prévenu.
Et les ouvriers qui sont au conseil municipal m'avaient dit : "T'en fais pas, s'il t'arrive quelque chose, on sera là. "
Dans ces conditions, tant pis, c'est plus juste de voter, sinon je me coupe et je commets une grave bêtise.
Ils m'avaient d'ailleurs prévenu : " Si tu ne votes pas, il ne faudra plus compter sur nous. "
Je n'ai pas eu de mal à choisir ma liste. Il n'y en avait qu'une.
Mais j'ai quand même rayé le gros premier qui était sur la liste.
Il l'a su. Il ne m'en a même pas voulu. Il a dit : " C'est normal, il est de gauche. "
27 août 1971.