Élevage, question animale et «Nuit debout»
Submitted by Anonyme (non vérifié)Cela est indéniable, la société française évolue et la question animale devient une question de société, un sujet incontournable, alors que parallèlement l'intégration des animaux dans la production capitaliste s'intensifie et se développe toujours davantage à l'échelle mondiale. Non pas que les français soient prêts à adopter un rapport non destructeur à la Nature.
Le poids des traditions réactionnaires et l'absence d'unité et de coordination des masses populaires fait que cela est encore trop difficile. Mais il y a un mouvement de fond dans les masses de plus en plus critique vis-à-vis de ce qui est considéré comme une forme de violence insupportable, et particulièrement par rapport à la viande et aux abattoirs.
Les partisans de l'économie capitaliste le ressentent fortement, et cherchent à le contourner.
Il y a d'abord les grosses puissances capitalistes et les monopoles, avec par exemple une construction marketting telle la marque « Michel&Augustin » et ses yaourts « vache à boire » dont le but est de masquer la nature industrielle de l'utilisation des animaux. Sauf que 40 % des parts de « Michel&Augustin » ont été racheté en juin 2016 par le trust agro-industriel Danone.
Et puis il y a les éleveurs, producteurs de viande et de lait, qui sont en France majoritairement des capitalistes individuels. Ces petits entrepreneurs subissent de plein fouet la crise et se sentent pris à la gorge par les capitalistes plus gros qu'eux d'un côté, et par les masses populaires de l'autre dont ils ont peur qu'elles rejettent leur activité et cessent de consommer de la viande et du lait.
Cela donne lieu à des scènes de panique et des attitudes réactionnaires plébéiennes impressionnantes, dans la veine du mouvement des « bonnets rouges ».
L’association « 269life » organisait une « Nuit debout » devant 33 abattoirs en France, en Suisse et en Belgique ce jeudi 30 juin 2016. Cela aurait pu n'être qu'un simple happening, une opération d'auto-promotion glauque et improductive, sur un mode de rébellion existentialiste.
Sauf que cela a pris une dimension particulièrement importante du fait de la réaction hystérique de ces petits producteurs justement.
Devant plusieurs des abattoirs prévus pour l'action de « 269life », il y avait la Coordination Rurale qui organisait des contre-manifestations. Il y a eu par exemple à La Roche-sur-Yon des scènes de violences incroyables, sous les yeux de la police, comme relaté par France Bleue Loire-Océan :
« Les militants s'enferment alors dans leur silence pacifique, assis devant l'autel de fleurs et de bougies. De leur côté, les éleveurs se regroupent autour d'un bar improvisé sur une botte de paille. Quelques verres plus tard, Daniel Pavageau, le patron de la Coordination Rurale en Vendée, lance une sommation aux militants toujours assis dans l'herbe: "nous allons vous expulser !"
Et la machine à lisier se met à cracher de l'urine animale devant une foule d'éleveurs surexcités, réclamant que le camion des militants soit lui aussi aspergé... »
A la radio, ce même Daniel Pavageau expliquait par ailleurs son point de vue, accusant les « vegans » de vouloir « dégoutter de manger de la viande » et de faire du « lobbying », précisant que :
« la consommation de viande par habitant il y a 15 ans, elle était à 110 kg par habitant et aujourd'hui elle est descendue à 82 ou 83, et finalement on aura plus notre place dans le monde agricole, on aura plus que des céréales, comme on connaît toutes les zones céréalières, après il y a plus de paysage rural, y a plus rien.
On fait une contre-manifestation pour, déjà en pleine crise c'est pas le moment de s'amuser à faire des conneries comme ça.
La question quand même qu'on peux se poser, de quoi on va se nourrir ? Certaines semaines, les semaines de grands travaux, on arrive à faire 80-85h par semaine, je peux vous dire qu'il faut pas qu'on se nourrisse que de salades, parce qu'on sera vite sur le carreau. »
La Coordination Rurale à Saint-Étienne tentait un autre registre avec « simplement » un barbecue en guise de réponse et expliquait à la presse :
« Le fait que l'on nous accuse de maltraitance animale est purement scandaleux. Nous aimons nos bêtes et nous les cajolons jusqu'à la fin. Ceux qui disent l'inverse n'ont jamais mis les pieds dans un élevage. Il y a parfois des accidents, des dérives dans les abattoirs, et sur ce point nous rejoignons les végans, il faut que cela cesse. Mais qu'ils arrêtent de faire courir des mauvais bruits sur notre métier. Ils ont fait de leur idéal de vie un combat, et nous éclaboussent au passage. »
Ces propos relèvent bien évidement de la manipulation grotesque. Mais il y a tout de même une tentative de conciliation rationnelle, posée, calculée, qui peut avoir son effet en France, pays de la mesure et du style raisonnable.
Tel ne fut pas le cas par contre devant l'abattoir de Vitré en Bretagne où c'était la panique totale, avec des propos relevant d'une arriération culturelle impressionnante, et montrant l'état de panique dans lequel peuvent être certains éleveurs de l'ouest de la France.
Voici les propos d'un agriculteur sur place diffusés par la radio Europe 1 :
« Ne mangez pas de viande, mais fichez nous la paix. Je ne devrais même pas être là pour écouter, vous êtes des inutiles, vous n'existez pas »
puis, alors qu'une militante répond « non, j'ai un combat à mener et je continuerai à me battre », l'agriculteur d'enchaîner :
« et bien nous on a un combat aussi, c'est de nourrir l'humanité, c'est la mission que Dieu nous a donné. »
Entendre cela en 2016 en France est très impressionnant. Il y a là certainement quelque chose de propre à la contradiction ville-campagne dans l'Ouest de la France qui, à la fois possède des villes modernes et dynamiques comme Angers, Nantes ou Rennes et rejette encore massivement le Front National, et en même temps voit dans ses campagnes subsister une population rurale agricole franchement arriérée, souillant les sols et les eaux massivement, sans aucune réflexion sur l'avenir, avec en arrière-plan l'influence idéologique du catholicisme très profonde dans cette partie de la France.
Cela n'est pas sans évoquer les descriptions précises et perspicaces de cette France de l'Ouest par Honoré de Balzac dans Les Chouans, dont l'intrigue se déroule justement dans la région de Vitré (aux alentours de Fougères).
La suite des propos de l’éleveur sont encore plus impressionnants, relevant une aliénation terrible par rapport à la question animale :
« mais je voit pas ce qu'on peut faire de mal aux animaux en les mangeant ? »
« C'est votre idée, vous mangez et faites ce que vous voulez de votre cul, entre guillemets, mais vous venez sur notre terrain, on va vous dire merci peut-être ? Pourquoi vous venez nous emmerder ? Nous on a nos animaux, on les adore ».
Il conclue finalement de manière délirante :
« Allez donc en Chine vous allez voir si vous allez ramener votre science là bas. Chez les cocos ! [les communistes, NDLR] »
On ne peux que détester l’attitude hautaine et méprisante de la part des journalistes parisiens d'Europe 1 que l'on voit dans la vidéo de l'émission réagir à ces propos en se moquant de ces gens de manière méprisante.
Il n'y a pas lieu de se moquer, mais plutôt que comprendre ce que de tels propos révèlent de la société française et des contradictions qui la traverse.
Car forcément, cela ne relève pas que de la simple « beaufferie » mais montre clairement la détresse et l'état de panique dans lesquels peuvent vivre ces éleveurs de l'Ouest de la France. Cela montre clairement à quel point la question du rapport aux animaux est importante et particulièrement celle de l'élevage et des abattoirs, tellement il provoque des désordres psychologiques chez les personnes qui vivent quotidiennement au cœur de cette violence déniant toute dignité propre à la vie.
Car on ne peut tenir de tels propos sur les animaux sans être prisonnier d'une terrible schizophrénie.
Il est vraiment nécessaire pour les personnes progressistes d'écouter cette éleveuse, en larmes, presque hystérique, affirmant :
« Aujourd'hui, je vois de plus en plus d'éleveurs qui se barrent et à cause de conneries comme vous, qui défendent des stupidités, et qui vont empêcher une économie, pourquoi, parce que des consommateurs vont vous écouter »
Ces propos sont tous à fait significatifs, et hautement symboliques.
L'Humanité doit nécessairement évoluer dans son rapport aux animaux, reflet de son rapport à la Nature. Le mode de production capitaliste a poussé l'utilisation des animaux très loin, jusqu'à rendre celle-ci absolument cruelle, barbare, incompatible avec la civilisation.
Il y a là une contradiction essentielle entre le progrès et le passé, entre l'humanité s'arrachant largement au passé et un passé encore tellement présent dans les esprits. C'est là le propre du retard de la conscience sur la réalité en mouvement.