12 mai 2013

« Dom Juan » de Molière, un manifeste averroïste français au 17ème siècle – 1ère partie : le rôle central de Sganarelle

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Au 16ème siècle, l'humanisme se diffusant en Europe répandait les avancées théoriques de l'averroïsme. Au 17ème siècle, la réaction avait été brutale ; l’Église avait d'un côté utilisé Thomas d'Aquin « récupérant » Aristote pour combattre l'averroïsme sur son propre terrain, et de l'autre il avait profité de la « compagnie de Jésus. »

Cette compagnie, dont les membres seront connus comme « jésuites », formait une organisation intellectuelle et culturelle de haut niveau qui formera le cœur de la « contre-réforme », mouvement visant à briser l'averroïsme (et le protestantisme).

Les jésuites donneront naissance au baroque, par l'architecture des églises d'abord, puis comme style de vie et pessimisme religieux. Les tableaux appelés « vanités » représentent une bougie allumée qui va s'éteindre, un beau fruit qui va pourrir, une belle fleur dans un vase qui va faner, avec à côté un crâne : la vie est à considérer comme futile, comme vaine.

A quoi bon alors chercher la vérité et développer la science ?

Cependant, les humanistes existent encore, et ont progressé. D'une poignée d'érudits, ils sont devenus un mouvement très concret, consistant en des personnes rebelles à l'ordre dominant. Ce sont les « libertins » - terme désignant des personnes affranchis de l'esclavage.

L’Église fera tout pour les calomnier, les diffamer ; aujourd'hui en raison de cela, le terme libertin désigne une personne plaçant la « baise » au centre de ses préoccupations et le justifiant par différents motifs plus ou moins intellectuels.

Une œuvre va profondément marquer le 17ème siècle, en présentant un libertin : c'est Dom Juan. En fait, c'est ce qui semble avoir été le cas, en apparence seulement. Car, en réalité, cette oeuvre de Molière s'appelle « Le festin de pierre », et la pièce est averroïste de bout en bout, ce qui fait que si Dom Juan a l'air d'être au centre de la pièce, c'est en réalité Sganarelle qui est le moyen de faire passer le message averroïste.

1. Sganarelle annonce la couleur

Les penseurs bourgeois d'aujourd'hui ne comprennent pas l'averroïsme, ils ne saisissent pas sa signification. Ils ne comprennent donc pas la pièce de Molière, qui a pourtant été très peu joué et a immédiatement subi les foudres de la répression.

Or, dès le début de la pièce, on a déjà une clef évidente. On a en effet Sganarelle qui parle et qui dit de nombreuses choses. En apparence, c'est une simple scène d'exposition ; les personnes assistant au spectacle « découvrent » la pièce, et voient Sganarelle expliquer qu'il est le valet de Dom Juan et s'adresser à un autre valet, pour le prévenir comme quoi Dom Juan voulait profiter de sa maîtresse.

Mais dès le début, Sganarelle parle d'Aristote, auteur dont l'interprétation a provoqué une intense bataille idéologique et culturelle les 400 années précédentes !

Et qui plus est, Sganarelle parle d'Aristote pour s'y opposer, ce qui est une clef : il ne va pas s'y opposer, mais évidemment défendre son point de vue ; il feint de critiquer Aristote, pour en réalité prévenir que c'est l'averroïsme qu'il va mettre en avant.

Le matérialisme dialectique permet clairement de voir cela ; à l'époque, les forces obscurantistes n'ont pas été dupes. Il est intéressant de voir que la bourgeoisie est incapable de concevoir cela.

Voici donc comment la pièce commence :

« La scène est en Sicile.

ACTE I

Scène première

Sganarelle, Gusman.

Sganarelle, tenant une tabatière.

Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme.

Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droit et à gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. »

Procédons point par point :

a) L'allusion à la Sicile

La pièce se situe en Sicile. Or, Frédéric II de Hohenstaufen, qui régna sur le Saint-Empire romain germanique de 1220 à 1250, et est d'origine sicilienne, a joué un très grand rôle dans la traduction et la diffusion des œuvres d'Aristote.

b) L'explication masquée de la pensée d'Aristote

Le premier paragraphe est une mise en avant de la pensée d'Aristote. Pour Aristote, l'esprit humain n'est permis que par l'intellect, âme éternelle et unique qui vient en quelque sorte se poser dans les âmes, tout en ne se posant pas.

C'est grâce à cela qu'on pense, et nous avons vu que cela signifie que la pensée n'est que le reflet de la réalité générale.

De là, Aristote affirme qu'il faut prendre conscience de cela et que la compréhension de tout cela permet de se sentir bien. Tout être doit vivre de manière honnête, en faisant le bien, en allant vers le bien, conformément à sa nature. C'est le sens de la vie.

Or, que dit Sganarelle ? Justement au sujet du tabac que « il réjouit et purge les cerveaux humains », et donc que les cerveaux PEUVENT être heureux et être purgés – allusion directe au fait que l'esprit est en fait le cerveau, et que le cerveau peut être vidé – que l'être humain ne « pense » pas, mais reflète la réalité !

L'utilisation du mot cerveau est admirablement bien placé.

Qui plus est, après il est dit que, toujours soi disant au sujet du tabac, que « il instruit les âmes à la vertu », ce qui signifie que l'âme (terme d'Aristote) est vide, et qu'il faut qu'elle tende à ce qui lui faut... Ce qui est la conception d'Aristote.

c) L'animal social comme être qui partage

Sganarelle explique que le tabac fait qu'on est positif et qu'on va partout le proposer, qu'en consommer « inspire des sentiments d’honneur et de vertu. »

C'est absurde, puisqu'au contraire on est bien content d'avoir du tabac et de le consommer. Ainsi donc, il n'est pas parlé du tabac, mais de la philosophie : c'est de la philosophie dont parle Sganarelle...

2.Sganarelle et l'averroïsme

Avant de regarder le reste de l'oeuvre et sa réception, voyons immédiatement un autre passage où Sganarelle se révèle averroïste, puisque selon nous là est la clef.

Dans un passage connu, Sganarelle tente apparemment de convaincre Dom Juan de croire en la religion. Dom Juan se moque et demande à Sganarelle d'expliquer sa vision du monde.

Sganarelle le fait, et les commentateurs bourgeois ne font que considérer que ce sont des propos insignifiants, contradictoires, etc. Alors qu'en réalité, il s'agit ni plus ni moins que la pensée d'Averroès, voire d'Aristote lui-même !

Voici le passage en question :

« Sganarelle
Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n’y a rien de plus vrai que le Moine-Bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. Mais encore faut-il croire en quelque chose dans le monde : qu’est-ce donc que vous croyez ?

Dom Juan
Ce que je crois ?

Sganarelle
Oui.

Dom Juan
Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

Sganarelle
La belle croyance et les beaux articles de foi que voici ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ? Il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que, pour avoir bien étudié, on en est bien moins sage le plus souvent.

Pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais, avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit.

Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s’est bâti de lui-même.

Vous voilà, vous, par exemple, vous êtes là : est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l’homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l’un dans l’autre ? ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces…, ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui…

Oh ! dame, interrompez-moi donc, si vous voulez. Je ne saurais disputer, si l’on ne m’interrompt. Vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice. »

Prenons les thèses averroïstes – humanistes - (pré)matérialistes, et voyons comment Sganarelle les met en avant.

1.Thèse averroïste selon laquelle le monde est éternel

Sganarelle devrait, en tant que chrétien, défendre la conception de la création du monde. Or, il fait le contraire !

Il dit expressément : « je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. »

2.Thèse aristotélicienne sur l'éternelle réalité des espèces

Au lieu de parler d'Adam et Eve comme il le devrait, Sganarelle prend le principe de la procréation, ce qui est clairement dans la logique d'Aristote...

Sganarelle dit ainsi : « Vous voilà, vous, par exemple, vous êtes là : est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? »

3.Thèse matérialiste du corps humain comme assemblage, comme « machine »

Sganarelle devrait parler de l'âme pour justifier le christianisme. Au lieu de cela, il parle du corps et le présente comme une machine bien organisée !

C'est clairement matérialiste, soit dans le sens d'Aristote (la matière a pris une forme particulière), soit ouvertement dans le sens matérialiste complet (l'être comme matière vivante assemblée).

Sganarelle dit ainsi :

« Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l’homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l’un dans l’autre ? ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces…, ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui… »

4.Thèse averroïste comme quoi l'être humain ne pense pas

Sganarelle a l'air de se présenter comme un « simplet » qui rejette la culture, les livres, la connaissances, l'érudition, etc.

Théoriquement, il est censé représenter le religieux qui critique l'érudition du libertin.

En réalité, sa thèse est averroïste ; il rejette l'orgueil humain, et affirme voir les choses simplement, car son esprit est un simple reflet de l'intellect... Reflet pur, non parasité. On a ici, au-delà même d'Averroès, ouvertement la thèse d'Avicenne.

Voici ce que dit Sganarelle :

« Pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais, avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres »

Cela montre qu'il y a deux libertins dans la pièce « Dom Juan » (en réalité : « Le festin de pierre »). Ce qui est présenté, c'est d'un côté un Dom Juan présentant certaines thèses libertines, et de l'autre un Sganarelle en présentant d'autres, plus complexes.

C'est parfaitement conforme à la « double vérité » que les averroïstes avaient dû pratiquer depuis le 13ème siècle, afin d'éviter la répression.

« Dom Juan » (en réalité : « Le festin de pierre ») est un manifeste averroïste, et d'ailleurs il a été considéré comme un manifeste humaniste/matérialiste à l'époque, et réprimé en tant que tel, malgré toute sa prudence et son double jeu.

Voici ce que le matérialisme dialectique permet de comprendre, rétablissant une juste perspective historique sur un moment clef de l'histoire de France.

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