Denis Diderot et le matérialisme - 1re partie : il y a 300 ans naissait Diderot
Submitted by Anonyme (non vérifié)Il y a 300 ans, le 5 octobre 1713, naissait Denis Diderot, l'illustre figure du matérialisme français, le grand activiste des Lumières qui fut le maître d'oeuvre de l’Encyclopédie.
Diderot est une figure incontournable de l'histoire de notre peuple, car il a été un combattant acharné pour la science et le caractère populaire de celle-ci ; il a diffusé les thèses du matérialisme, affirmant l'unité de l'univers, la réalité comme « un immense océan de matière », ainsi que le fait que « la sensibilité est une propriété universelle de la matière. »
Son œuvre a ainsi été appréciée et saluée par Karl Marx, Friedrich Engels et Lénine dans leur analyse de l'histoire du matérialisme.
Il est cependant faux de dire de Diderot, comme cela a pu l'être par Georges Politzer dans ses « Principes élémentaires de philosophie », qu'il « fut le plus grand penseur matérialiste avant Marx et Engels. »
Voir les choses ainsi est erroné, et a consisté en la très grande erreur d'interprétation faite par le Parti Communiste français, qui a considéré que le matérialisme dialectique et le matérialisme historique consistaient en une sorte de formule « matérialisme comme Diderot + développement de type dialectique. »
Diderot n'a, en effet, pas échappé aux limites de la société française de son époque.
Quelle était cette société française ? Historiquement, la bourgeoisie a été incapable de développer le protestantisme, elle a été battue par l'aristocratie, mais surtout par la monarchie absolue dont les bases avaient été posées par François Ier et généralisées par Louis XIV.
La bourgeoisie a historiquement été trop faible pour assumer et généraliser le protestantisme, c'est-à-dire le catholicisme sans clergé dominateur, une morale individuelle exigeante et conforme au labeur exigé par la bourgeoisie, une science permise par l'existence d'un Dieu transcendant ayant « offert » la planète aux humains laborieux.
Pour cette raison, la bourgeoisie a dû assumer le « déisme » comme prétexte à l'affirmation selon laquelle l'humanité pouvait librement transformer le monde, monde qui aurait donc été fourni par un Dieu créateur mais désormais lointain.
La première étape de ce déisme fut réalisée par Descartes, qui a élaboré tout un échafaudage théorique pour justifier la négation de la nature et la primauté de la conscience « transformant » le monde au moyen de la logique mathématique, rejetant les cinq sens comme « trompeurs ».
La seconde étape de ce déisme fut le grand « rattrapage » consistant à assumer les thèses du matérialisme anglais, et donc la réalité des cinq sens afin de pouvoir procéder à des « expérimentations ».
Les thèses du matérialisme anglais furent ainsi diffusées par Voltaire, donnant naissance à un « sensualisme » porté par Condillac ou encore Rousseau, alors que Diderot se chargea de synthétiser le matérialisme français.
L’Encyclopédie a ainsi un double caractère : d'un côté, c'est un ouvrage « fermé », établissant les connaissances effectuées jusque-là, dans un esprit mécanique-mathématique représenté par D'Alembert, qui participa à la gestion de l'Encyclopédie avec Diderot pour quelques années.
De l'autre, c'est un ouvrage « ouvert », s'assumant comme ayant des manques et appelant à aller de l'avant dans les connaissances ; c'est Diderot qui a représenté cette ligne.
Diderot assumait en effet l'athéisme, tout en étant encore profondément marqué par l'humanisme français lié à la Renaissance italienne et empreint d'un certain scepticisme, ainsi que d'une vision épicurienne de l'univers, celui-ci se transformant sans logique interne.
Diderot était ainsi proche du courant matérialiste athée porté par La Mettrie, Helvétius et d’Holbach, comme en témoignent ses œuvres matérialistes les plus connues comme le neveu de Rameau ou Jacques le fataliste.
Cependant, il n'a jamais élaboré de « système » complet ; son matérialisme est militant et une grande arme pour le rationalisme en guerre avec la féodalité, mais il se veut en mouvement sur le plan des idées, il ne propose pas de vision du monde à l'esprit systématique.
Diderot prolonge ainsi Descartes lorsqu'il synthétise le matérialisme dans sa version française : le monde considéré comme un tout cohérent que l'on peut connaître, et qui se transforme, sans cependant que cette transformation obéisse à une logique interne.
Diderot a ainsi été le grand activiste français de la raison à l'époque des Lumières ; il a joué un rôle historique pour notre peuple, en diffusant l'affirmation de la raison notamment au moyen de l'Encyclopédie.
Toutefois, les Lumières ont contourné la défaite bourgeoise des 16e et 17e siècles, avec comme conséquence un matérialisme « laïc », considérant comme secondaire et non contradictoire d'éventuellement être prêt à reconnaître un Dieu créateur « lointain » ou bien de voir en le « hasard » l'origine du développement du monde.
C'est précisément ce point qui fera que le matérialisme historique aura, au cours du 20e siècle, un écho particulièrement considérable dans la société française qui y verra une sorte de « rationalisme » social, alors que le matérialisme dialectique comme science du mouvement interne de la matière restera inversement à la fois foncièrement méconnu et totalement rejeté. Vu que le premier s'appuie sur le second, il est aisé de saisir les conséquences.
Diderot a ainsi été aux côtés de Rousseau le grand héraut de la bourgeoisie dans sa phase politique offensive visant à renverser la féodalité, mais il a possédé précisément les mêmes limites, même si Rousseau était déiste et lui était athée.
Cela n'enlève rien évidemment au rôle historique essentiel de Diderot (et de Rousseau) dans l'histoire de notre peuple ; Diderot est incontournable de par son rôle et sa fonction dans les Lumières et le triomphe national-bourgeois sur la féodalité.
Diderot a porté le plus haut le matérialisme bourgeois en France, et cela a été une contribution progressiste historiquement. En saisir la portée, et les limites, est capital pour comprendre l'histoire de la France.