25 Jan 2010

Blanqui, Guesde, Sorel: la tradition « révolutionnaire » française du coup de force et du rejet de la théorie

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Il existe en France une certaine tradition, une tradition « volontariste » de la révolution: c’est la conception de la « rébellion » à la française, où l’on s’imagine que le peuple, du jour au lendemain, met en quelque sorte le bonnet phrygien et va prendre la Bastille.

Cette tradition est terriblement ancrée et a été une grande source dans les défaites du mouvement communiste en France.

Dans notre pays en effet, le matérialisme bourgeois étant largement implanté grâce à la force et la profondeur de la révolution bourgeoise de 1789, l’étude des travaux de Marx et d’Engels a souvent été faussé par une vision fausse, mécanique, bref: bourgeoise.

Le marxisme a, dans cette optique bourgeoise, été considéré comme une sociologie, présentant de manière économiste les couches sociales. Le léninisme a été lui vu comme un pragmatisme consistant en des méthodes pour prendre le pouvoir.

Cette tradition est très profonde dans la classe ouvrière. Le point de départ de cette déviation est Jules Guesde, qui a le premier diffusé le marxisme en France, mais de manière particulièrement tronquée.

Engels dit ainsi dans sa Lettre à E. Bernstein du 2 novembre 1882 que

« Ce que l’on appelle « marxisme » en France est certes un article tout spécial, au point que Marx a dit à Lafargue : « Ce qu’il y a de certain, c’est que moi je ne suis pas marxiste ». »

Il est vrai Jules Guesde était un grand publiciste, oeuvrant à la propagande socialiste, notamment face aux illusions anarchistes. Mais son collectivisme était propagandiste; il n’a jamais assimilé le marxisme.

Il était trop influencé par le jacobinisme, par la révolution de 1789, par le blanquisme, c’est-à-dire le culte du « coup de force », du « grand soir. » Jules Guesde n’a jamais compris que le marxisme était une vision du monde, fondée sur la dialectique.

Pour lui, le marxisme était la théorie de la lutte de classes, pas une science. La dialectique était totalement incomprise, pire: jamais considérée.

Tout était vu simplement comme un conflit de classe, une question économique, et le socialisme était considéré comme l’humanisme le plus abouti: dans « Le problème et la solution » de 1892, il explique ainsi que l’homme doit se faire Dieu.

Le révolutionnarisme guesdiste était simplement un économisme, d’où la mise en avant du terme « collectivisme » au lieu de celui de « communisme. »

Cela ne représente toutefois qu’un aspect de la pensée de Guesde, un aspect qui pouvait être dépassé relativement aisément.

L’aspect principal, qui devait avoir des conséquences terriblement néfastes sur la classe ouvrière, est que Jules Guesde a en fait de manière malheureusement brillante anticipé le léninisme: c’est là la source d’un énorme problème pour le communisme français.

Car cette anticipation s’est faite de manière profondément erronée. Il existe en fait un tradition qui commence par Blanqui, qui passe par Jules Guesde, et qui se conclut par Georges Sorel.

Louis Auguste Blanqui (1801-1881), qui a passé 37 années de sa vie en prison, a été un grand révolutionnaire, mais sa conception était celle du « coup de force. »

Engels dit à son sujet:

« Blanqui est essentiellement un révolutionnaire politique ; il n’est socialiste que de sentiment, par sympathie pour les souffrances du peuple, mais il n’a pas de théorie socialiste ni de projets pratiques de transformation sociale. Dans son activité politique il fut avant tout un « homme d’action » qui croyait qu’une petite minorité bien organisée pourrait, en essayant au bon moment d’effectuer un coup de main révolutionnaire, entraîner à sa suite, par quelques premiers succès la masse du peuple et réaliser ainsi une révolution victorieuse. (…)

De l’idée blanquiste que toute révolution est l’œuvre d’une petite minorité dérive automatiquement la nécessité d’une dictature après le succès de l’insurrection, d’une dictature que n’exerce naturellement pas toute la classe révolutionnaire, le prolétariat, mais le petit nombre de ceux qui ont effectué le coup de main et qui, à leur tour, sont soumis d’avance à la dictature d’une ou de plusieurs personnes. L’on voit que Blanqui est un révolutionnaire de la génération précédente. » (Programme des émigrés blanquistes de la Commune)

Jules Guesde se situe dans cette tradition. On a pu voir une opposition de par le caractère démocratique de Jules Guesde, qui rejetait la conception conspiratrice de Blanqui.

Et on a pu penser que Guesde était un révolutionnaire de qualité de par sa mise en avant du parti et de sa primauté sur les syndicats, alors largement influencés par l’anarchisme.

Mais en réalité, Guesde avait la même conception que les anarcho-syndicalistes, et également que Blanqui: c’est la théorie du Grand Soir.

Il est vrai que cette attente du « bon moment » Blanqui la réservait à une élite. Mais malgré leur caractère démocratique, Guesde et les anarcho-syndicalistes avaient la même conception du « bon moment. »

Ce révolutionnarisme s’émoussa logiquement pour se transformer chez Guesde en électoralisme, en soutien à la guerre impérialiste de 1914-1918, et finalement au choix des socialistes contre les communistes au congrès de Tours en 1920.

L’anarcho-syndicalisme et son attente du « grand soir » s’effondrera pareillement en 1914, dans l’Union sacrée, le soutien à la guerre impérialiste.

Mais la tradition blanquiste, du coup de force, du « grand soir », s’est elle relativement maintenue en France. C’était inévitable, car cette conception est typiquement national-bourgeoise; c’est un fétiche de la révolution bourgeoise de 1789.

Le plus grand théoricien de cette tradition est Georges Sorel, auteur en 1907 des « Réflexions sur la violence »; cependant, il faut accorder également une grande place au rôle de Bergson, qui a par ailleurs été expliqué dans l’article Bergson, le vitalisme et l’intuition: une conception « française. »

Sorel a continué ce qui a été commencé par Blanqui, et continué par Guesde: la tentative d’ajouter au marxisme, considéré comme mécanique et économiste, donc juste mais limité, une conception du « coup de force. »

Cette conception ne pouvait que se fonder sur l’idéologie bourgeoise de l’intuition, à l’opposé total de la conception marxiste-léniniste-maoïste de la science.

D’où en France la grande tradition « révolutionnaire » économiste et anti-théorique, totalement volontariste et bien entendu inévitablement happée par la social-démocratie.

C’est cela qui explique tant l’opportunisme historique du Parti Communiste que la force du trotskysme.

La France est le seul pays au monde où le communisme a été fort, mais où les connaissances théoriques ont été terriblement extrêmes; il est également le seul pays où le trotskysme a réussi à véritablement s’enraciner, et ce de manière durable, avec une dimension sociale importante.

Cela explique aussi la permanence du courant « marxiste-léniniste », totalement ossifié et improductif, dans l’attente du « grand soir » de l’insurrection, et se reconnaissant à juste titre dans l’Albanie d’Enver Hoxha, désert sur le plan théorique et pragmatique-machiavélique sur le plan pratique.

En France, le marxisme est vu comme un économisme, auquel il faut ajouter quelque chose: l’intuition, la politique à la française: en réalité, l’opportunisme, le pragmatisme.

Le PCMLM brise cette tradition et affirme la science marxiste – léniniste – maoïste.

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