1 fév 2009

Le 1er février 1979, Khomeiny et la révolution iranienne

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Le 1er février 1979 s'est produit un événement très important dans l'histoire du 20ème siècle.

Alors qu'en Iran le régime s'effondrait, que la révolution s'élançait, Rouhollah Khomeiny retournait en Iran.

Ainsi commençait et terminait en même temps la révolution iranienne; accueilli triomphalement en Iran par plusieurs millions de personnes, Khomeiny était directement nommé « chef de la révolution en Iran», puis « chef spirituel suprême. »

Le 11 février 1979, la guérilla communiste lançait une offensive militaire contre les forces de répression du régime, donnant le coup de grâce à celui-ci.

Pourtant la révolution ne sera pas populaire, mais « islamique ».

Le 1er février est une date-clef de cet épisode tragique, dont un détail symbolise ce qui s'est passé: à la descente de l'avion, Khomeiny était aidé d'un pilote d'Air France, car c'est un charter spécial de cette compagnie qui a amené Khomeiny en Iran.

Khomeiny était depuis quatre mois dans les Yvelines, protégé par l'Etat français, et pendant ces quatre mois il a donné 132 interviews à des radios, des chaînes de télévision et des journaux, alors que plusieurs dizaines de milliers de personnes lui rendaient visite et qu'une énorme propagande était produite et destinée à l'Iran.

La France de Valéry Giscard d'Estaing, dans sa concurrence avec les USA, voyait bien qu'elle pouvait profiter de ce qui s'annonçait: le renversement du régime pro-américain du Shah d'Iran.

L'OLP a également joué un rôle dans ce projet, en aidant matériellement Khomeiny, au point que les seules rares photos où l'on peut voir Khomeiny sourire sont celles où il est avec Arafat, main dans la main.

Khomeiny était précieux, d'une valeur inestimable pour l'impérialisme français.

Le vol qui ramenait Khomeiny en Iran avait donc les moyens de le ramener à Paris en cas d'impossibilité d'atterir; en raison des peurs de sabotage, aucune femme iranienne n'était acceptée à bord. A bord par contre se trouvait plus d'une centaine de représentants de la presse mondiale.

Car la révolution en Iran s'annonçait impétueuse. Les masses s'agitaient d'une manière telle que le roi d'Iran, le Shah, s'est senti obligé de prendre des vacances au Maroc. Plus de 40.000 citoyens nord-américains quittèrent le pays pareillement, comme 120 des 200 plus riches iraniens.

Les communistes avaient joué un rôle essentiel dans la bataille pour le renversement du régime corrompu et d'une énorme brutalité. La principale formation était l'Organisation des Fedayins Guérilleros du Peuple d'Iran, composée de cadres d'une vingtaine et d'une trentaine d'années.

Les fédayins menaient la guerre de guérilla, commencée le 8 février 1971 à Siahkal dans le nord de l'Iran avec une attaque contre un poste de gendarmerie, et leur organisation était la plus combattive contre le régime; plus de 300 de ses militants furent assassinés par le régime du Shah d'Iran.

Lorsque le régime s'effondra, la tonalité anti-impérialiste était générale dans les masses; tout le monde avait compris que le Shah était une marionnette de l'impérialisme US, les appels au peuple en armes étaient systématiques.

Mais les communistes d'Iran avaient fait une énorme erreur d'appréciation quant à la nature de l'Iran.

Les communistes d'Iran étaient marxistes-léninistes et n'avaient pas compris le marxisme-léninisme-maoïsme; ils pensaient que leur pays était capitaliste.

Or, tel n'était pas le cas: l'Iran était bien entendu, comme tous les pays non impérialistes, un pays semi-colonial semi-féodal.

Lorsque le régime s'est effondré, la question coloniale était réglée. Mais il y avait un obstacle aux attentes des fédayins, qui pensaient que la révolution irait nécessairement de l'avant - il restait la question féodale.

N'ayant pas vu cette question, les communistes d'Iran ne combattirent pas les féodaux et furent balayés par eux.

Car Khomeiny représentait les féodaux, qui pour des raisons historiques se sont opposés à la bourgeoisie compradore - bureaucratique pro-américaine.

La bourgeoisie compradore-bureaucratique pro-américaine comptait en effet moderniser le pays, non pas démocratiquement, mais par en haut, comme l'avait fait la pseudo révolution kémaliste en Turquie.

Une tentative en ce sens avait déjà été effectuée par le roi précèdent, Réza (1878-1944), qui est à l'origine du changement de nom du pays (de « Perse » à « Iran ») et était lié à l'impérialisme allemand.

Son fils Mohammad Reza ira dans le même sens, mais cette fois sous la direction des Britanniques et des Américains, avec la « révolution blanche » (c'est-à-dire non sanglante): la terre était achetée de force aux féodaux et revendus à un prix moindre aux paysans, abolissant de fait le servage pour quasiment la moitié de la population iranienne.

Pourquoi cette modernisation?

En fait, dans les années 1950, la bourgeoisie nationale avait poussé à l'indépendance du pays, avec notamment les nationalisations dans l'industrie pétrolière organisées par le premier ministre Mohammad Mossadegh.

Mais le roi, sous l'égide des impérialismes britannique et américain, coupa court à ces velléités. La bourgeoisie nationale alors mise de côté, il lui restait encore toutefois à affronter les féodaux qui conservaient un poids énorme dans le pays et formaient une menace claire, de par leur autonomie par rapport au capitalisme compradore-bureaucratique.

La révolution blanche est ainsi une révolution par en haut organisée par le capitalisme compradore-bureaucratique afin de satisfaire les besoins de l'impérialisme et de disposer d'une certaine stabilité dans sa domination.

Pour être certaine de triompher et afin d'asseoir la victoire sur les féodaux en profitant d'une base populaire, la bourgeoisie compradore-bureaucratique prôna des réformes telles que la mise de côté de la religion, la mixité hommes-femmes et l'accès de ces dernières aux études et aux élections, l'alphabétisation générale, la nationalisation des forêts, la privatisation des sociétés publiques afin de relancer le capitalisme, etc.

Cette modernisation par en haut était hautement policée: les 60.000 agents des services secrets (la SAVAK) était en lien avec le 1/3 de la population pour surveiller et réprimer toute activité contestataire, par la censure, la prison, la torture et le meurtre s'il le fallait.

C'est dans ce contexte que Khomeiny a été le principal opposant à la « révolution blanche »; en tant que chef de file des religieux, il était en même temps le chef de file des féodaux, et les féodaux voyaient leur base matérielle être la cible de la « révolution blanche ».

Le programme de Khomeiny, représentant cette classe, était donc simple: le pays devait être dirigé par le clergé, clergé qui justement était lié aux féodaux.

Lénine avait abordé cette question essentielle, expliquant:

« Quant aux États et nations plus arriérés, où prédominent des rapports de caractère féodal, patriarcal ou patriarcal-paysan, il faut tout particulièrement avoir présent à l'esprit :

1° La nécessité pour tous les partis communistes d'aider le mouvement de libération démocratique bourgeois de ces pays ; et, au premier chef, l'obligation d'apporter l'aide la plus active incombe aux ouvriers du pays dont la nation arriérée dépend sous le rapport colonial et financier ;

2° La nécessité de lutter contre le clergé et les autres éléments réactionnaire s et moyenâgeux qui ont de l'influence dans les pays arriérés ;

3° La nécessité de lutter contre le panislamisme et autres courants analogues, qui tentent de conjuguer le mouvement de libération contre l'impérialisme européen et américain avec le renforcement des positions des khans, des propriétaires fonciers, des mollahs, etc.» (Rapport de la commission nationale et coloniale » au deuxième congrès de l'Internationale Communiste en 1920)

En Iran, il y avait donc quatre forces majeures:

- la bourgeoisie compradore - bureaucratique liée à l'impérialisme (principalement US)

- les forces féodales représentées par les factions religieuses

- la bourgeoisie nationale, représentant le mouvement démocratique bourgeois, qui a été battu en 1953

- le prolétariat, représenté par les communistes, mais ne disposant pas de la paysannerie comme alliée.

Khomeiny lança l'offensive des forces féodales par un sermon en juin 1963, attaquant violemment la « révolution blanche »; cela fit de lui une figure de l'opposition, son arrestation suite au sermon provoquant une série de troubles dans tout le pays pendant quasiment une semaine, l'armée rétablissant l'ordre dans le sang.

De fait, plus le régime mettait en avant la dynastie royale, plus les féodaux pouvaient apparaître comme une opposition au régime grâce à la dimension culturelle.

Les féodaux pouvaient mettre en avant la communauté islamique alors que le régime célébrait à Persépolis, pour plus d'une centaine de millions de dollars, le 2.500ème anniversaire de la dynastie (avec une tonne de caviar, 200 chefs de cuisine parisiens), en présence de l'ensemble des principaux rois de la planète (venant de Suède, de l'Etat espagnol, des Pays-Bas, du Japon, du Danemark, de Belgique, de Norvège, de Monaco, etc.), mais également de nombreux présidents (Nikolai Podgorny de l'URSS, Tito de la Yougoslavie, Ceauşescu de Roumanie, etc.) et le premier ministre français Jacques Chaban-Delmas.

Pareillement, le régime avait changé le calendrier, désormais fondé sur la naissance de la monarchie, et les féodaux pouvaient mettre en avant comme «révolutionnaire» le calendrier islamique.

Voilà comment les féodaux l'ont emporté: en s'appropriant l'anti-impérialisme par l'intermédiaire d'une critique religieuse et féodale; c'est le fondamentalisme.

Ce phénomène n'a pas été compris par les communistes d'Iran. Lorsque le régime s'est effondré, les communistes d'Iran ont pensé que l'adhésion des masses à l'Islam ne pouvait être que temporaire, qu'au fond la dimension principale était anti-impérialiste et révolutionnaire.

Les communistes d'Iran voyaient bien que les discours très radicaux de Khomeiny étaient de la démagogie, mais pensaient que les masses déborderaient ce qu'ils considéraient comme de simples préjugés.

Or, ces préjugés reposaient sur la base féodale de l'Iran et ne pouvaient être dépassés que par une révolution démocratique, ce que n'était pas la révolution iranienne, dont la direction idéologique et culturelle dépendait des féodaux.

Si les choix politiques n'étaient pas encore arrêtés, cela ne serait qu'une question de temps avant que les féodaux, disposant d'un Etat, ne liquident les révolutionnaires.

Cette liquidation se déroula à partir de 1982-1983, période où le régime stabilisé put écraser toute opposition.

Au lendemain de la révolution de 1979, l'Organisation des Fedayins Guérilleros du Peuple d'Iran était la principale force de gauche, elle avait obtenu 10% des voix aux élections, le reste allant aux factions religieuses.

Mais sa majorité considérait que le régime était un «régime national, démocratique et anti-impérialiste» et qu'il fallait le soutenir: l'organisation fut écrasée, après que le 1er mai 1981, cent mille de ses partisans manifestaient à Téhéran et annonçaient la fin de la lutte armée.

Seule la minorité de l'organisation avait compris que la lutte devait continuer contre le régime islamique.

La liquidation fut également le sort également du Tudeh, le «parti des masses d'Iran», le parti pseudo communiste et en fait révisionniste soutenu par les soviétiques, qui a soutenu le nouveau régime, avant de se faire interdire en 1982 et de voir ses dirigeants devoir participer à des procès spectacles en faveur du régime.

A notre époque, une révolution qui n'est pas dirigée par la classe ouvrière ne peut pas apporter quelque chose de positif.

Dans un pays comme l'Iran, ne pas avoir saisi la nature semi-coloniale semi-féodale du pays et avoir prôné une révolution qui soit immédiatement socialiste, et non démocratique, a été une erreur essentielle des communistes.

Cette position a été idéaliste, tout comme celle en France du philosophe Michel Foucault, qui en fervent spontanéiste et idéaliste a été un ardent défenseur des possibilités révolutionnaires de l'Islam en Iran, notamment avec son article « A quoi rêvent les Iraniens » («A l'aurore de l'histoire, la Perse a inventé l'Etat et elle en a confié les recettes à l'Islam : ses administrateurs ont servi de cadres au Calife.

Mais de ce même Islam, elle a fait dériver une religion qui a donné à son peuple des ressources indéfinies pour résister au pouvoir de l'Etat. Dans cette volonté d'un gouvernement islamique, faut-il voir une réconciliation, une contradiction, ou le seuil d'une nouveauté ? (...) J'entends déjà les Français qui rient. Mais je sais qu'ils ont tort»).

La révolution iranienne de 1979 n'a pas changé la nature du pays, elle n'a pas été une révolution authentique. Aujourd'hui, l'Iran est dominé par une couche compradore-bureaucratique, complétement enserrée dans les rapports impérialistes mondiaux.

Les féodaux et le clergé qui ont porté Khomeiny au pouvoir dirigent le pays grâce à un capitalisme d'Etat entremêlé d'institutions religieuses, un capitalisme d'Etat qui est le principal propriétaire terrien, le principal banquier, le principal industriel, le principal commerçant du pays.

La pénétration impérialiste est gigantesque, tant par des pays comme l'Allemagne (deux tiers de l'industrie iranienne fonctionnent avec des machines allemandes) que bien sûr la France (présence de Total, de Peugeot, de Renault, des banques françaises, etc.).

L'Iran reste donc aujourd'hui un pays semi-colonial semi-féodal, malgré les soubresauts provoqués par le changement de bourgeoisie compradore-bureaucratique.

Et l'histoire de ce pays est un avertissement très clair pour les révolutionnaires authentiques qui s'imaginent que les forces féodales peuvent jouer un rôle positif à notre époque.

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