La contradiction entre les villes et les campagnes - 5e partie
Submitted by Anonyme (non vérifié)Il n’y a pas de juste compréhension du fascisme et de la social-démocratie sans juste compréhension de la contradiction entre les villes et les campagnes.
Que fascisme et social-démocratie soient les deux aspects de la même pièce se montre très bien, précisément avec leur compréhension des villes et des campagnes.
Ainsi, le très grand « classique » de géographie intitulé « Paris et le désert français » (1947), a été écrit par Jean-François Gravier (1915-2005), qui s’est retrouvé dans le pétainisme, tout comme il s’était retrouvé dans l’Action Française, cette organisation royaliste prônant la décentralisation en se référant à Pierre-Joseph Proudhon, et critiquant justement la révolution française notamment pour son jacobinisme.
Jean-François Gravier, ancien fonctionnaire de Vichy dans la planification urbaine, dit dans son ouvrage : « dans tous les domaines, l’agglomération parisienne s’est comportée depuis 1850, non pas comme une métropole vivifiant son arrière-pays, mais comme un groupe « monopoleur » dévorant la substance nationale. »
Et si Jean-François Gravier peut affirmer dans son ouvrage que « les tentacules de Paris s’étendent ainsi sur tout le territoire », c’est pour une raison simple : Maurice Barrès est passé par là.
Le plus grand théoricien de l’extrême-droite de la fin du XIXe siècle a tout misé sur la critique de la décadence du régime, et sa série de romans formant « Le Roman de l’énergie nationale » attaque de manière frontale la ville anonyme de Paris magnétisant la population française et massacrant le lien aux ancêtres, ou comme il dit le lien « à la terre et aux morts. »
De la même manière, si on considère Honoré de Balzac comme un réaliste sur le plan littéraire, il faut se souvenir qu’il est avant tout un romantique, qui critique les villes et leur nature malsaine, étant réaliste « malgré lui » parce qu’il constate leur triomphe.
Dans ce cadre, le pétainisme est donc à considérer comme le fruit logique de la question parisienne. La « révolution nationale » se pose comme antithèse à la domination républicaine et parisienne ; elle entend sauver « l’énergie nationale » que vole Paris, afin d’empêcher la naissance de ceux que Maurice Barrès avait appelé « les déracinés ».
Impossible de voir cela sans avoir la vision qu’a le PCMLM de la contradiction entre les villes et les campagnes.
Et il ne s’agit pas seulement de comprendre l’influence d’un auteur comme Jean Giono, dont le roman « Regain » est la synthèse de l’idéologie de la nostalgie du village, du travail artisanal, de la communauté quasi féodale.
Le principal protagoniste disant « Hue, avance le nègre » au cheval exploité pour faire revivre un village vidé de ses habitants, c’est tout un symbole du romantisme, du fascisme.
Car il n’est ainsi aucunement un hasard que le thème de la décentralisation ait été apporté à la gauche par François Mitterrand, qui historiquement a initialement été attiré par l’extrême-droite et qui a eu un parcours dans le régime de Vichy.
De la même manière, le principe des « grands ensembles » passe directement de la social-démocratie au fascisme, puis du fascisme à la social-démocratie !
Fascisme et social-démocratie entendent en effet se confronter au capitalisme, mais sans pour autant accepter le communisme. Inévitablement, leurs tendances historiques fusionnent ; ce sont, comme l’a dit Staline, « des frères jumeaux ».
Il faut savoir que dès les années 1930, les partisans de la « troisième voie » entre capitalisme et socialisme prônaient une remise en cause du monde industriel, comme avec le centre d’études économiques né à Polytechnique (surnommée « l’X ») né en 1931 sous le nom de « X crise. » On retrouve les mêmes principes à l’école d’Uriage, qui va fournir l’État pétainiste en hauts fonctionnaires.
La « revitalisation » des campagnes jouait un rôle essentiel dans une idéologie tentant de freiner à tout prix la naissance d’un prolétariat urbanisé, organisé et tombant inévitablement dans l’idéologie « moderne » qu’est le communisme. Les plans faits par « l’État français », c’est-à-dire le régime de Vichy, se fondent sur cette politique visant à casser la concentration ouvrière.
Car le « retour à la terre » est dans une logique totalement planificatrice, dans l’esprit des idéologies fascistes de l’époque. Telle est l’optique du comité d’étude de l’habitation et de la construction immobilière fondé en juin 1941, qui ne pourra pas pour autant réaliser ses « plans » dans le chaos des années de guerre. Mais le fascisme vise le corporatisme, le syndicalisme national de chaque couche sociale : la décentralisation joue un rôle essentiel dans l’amoindrissement des contradictions sociales.
Ainsi, les technocrates ayant participé aux projets pétainistes n’ont pas été inquiétés par l’épuration et ont continué leur carrière dans des structures aux noms simplement modifiés. L’œuvre d’Auguste Perret, l’architecte de la reconstruction du Havre, se situe ainsi ouvertement dans la continuité de l’idéologie technocratique dominante, sans aucune rupture.
Pareillement, l’Ordre des architectes a été créé en 1941, et est un témoignage de la « découverte » de l’importance du contrôle social par l’aménagement du territoire. Avaient également été créés des inspecteurs généraux de l’urbanisme, préfigurant les actuels directeurs départementaux de l’équipement.
La naissance à la Libération d’un Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) se situe également dans le prolongement de la Délégation générale à l’équipement national née en 1940 : l’administration n’y est pas changée ! Toutes les questions urbaines sont gérées par les mêmes personnes que sous Vichy et toute la tradition reste, à ceci près qu’un élément nouveau apparaît : le principe des grands ensembles.
Ce principe de construire des grands ensembles est véritablement sorti des trente glorieuses, c’est-à-dire des années 1945-1975 caractérisées par une grande croissance économique du capitalisme français sur les ruines des destructions causées par la guerre mondiale. La politique de construction des grands ensembles n’aurait jamais pu voir le jour sans le formidable appareil créé par Vichy. Mais elle se fonde également sur l’esprit social-démocrate qui s’est développé dans les années 1920.
Le premier grand ensemble en France est en effet la cité de la Muette, à Drancy. S’il suit le centre-ville de Villeurbanne et les cités de Châtenay-Malabry et de Bagneux, il est le premier totalement standardisé : tous les éléments sont identiques, depuis la barre jusqu’à la tour, toutes les pièces de robinetteries et de sanitaires sont fabriquées en série. Au total, 1 200 logements sont répartis sur une dizaine d’hectares, dix barres parallèles de deux ou trois étages sont reliées entre elles par cinq gratte-ciels de quinze étages chacun.
Le destin de cette cité est symbolique de cette logique d’exploitation. Non seulement elle n’est pas terminée, mais elle va être occupée par des gardes-mobiles chargés d’intervenir dans Paris, pour enfin accueillir des prisonniers de guerre et à partir de 1941 des personnes d’origine juive en partance pour les camps de la mort. En 1950, les immeubles deviennent des HLM.
L’exemple est très parlant : le principe des grands ensembles est en effet indissociable d’une pensée planificatrice, propre aux années 1920-1930. La vie populaire a indéniablement été façonnée par l’idéologie social-démocrate. Les cités sont dans les années 1920-1940 des projets municipaux sociaux-démocrates, avant d’être une politique d’État dans les années 1950-1970.
Les grands ensembles se voient généralisés, avant le frein du 21 mars 1973, date d’une circulaire ministérielle signée par le ministre de l’Équipement, du Logement et des Transports Olivier Guichard, circulaire « visant à prévenir la réalisation des formes d’urbanisation dites « grands ensembles » et à lutter contre la ségrégation sociale par l’habitat. »
En 20 ans, environ 300 000 logements ont été construits chaque année (contre 10 000 par an au début 1950), l’écrasante majorité étant « aidée » par l’État (primes à la construction, prêts à taux réduit, etc. avec un rôle essentiel de la Caisse des dépôts et consignations), et presque la majorité (43 % en 1962) est en banlieue parisienne, où l’État reconnaît en 1966 qu’encore 50 000 personnes vivent dans plus d’une centaine de bidonvilles. C’est en partie l’époque des « zones à urbaniser en priorité » ; de 1959 à 1967, 195 ZUP sont aménagées, soit 803 000 logements.
Leur réalisation est mégalomane et inhumaine à la fois. Commencé en mars 1958, le quartier du Haut-du-Lièvre de Nancy s’appuie essentiellement sur deux barres : le Cèdre bleu (400 mètres, 15 niveaux, 917 logements) et le Tilleul argenté (300 mètres, 17 niveaux, 716 logements). La presse locale parle des « plus longues barres d’Europe », même si en fait en Yougoslavie « autogestionnaire » existe déjà une barre d’un kilomètre dans le quartier de la « nouvelle Belgrade. »
Pour la construction, une petite usine est implantée sur place, ainsi qu’une grue sur rail. Si le quartier a 16 000 habitants en 1966, entre 1970 et 1976 la totalité des logements a changé de locataires ! Classée « zone urbaine sensible » en 1996, le quartier a vu en 2007 son code postal (54100) changé pour prendre celui de Nancy (54000) et ne pas « stigmatiser » les habitants.
Le principal architecte du Haut-du-Lièvre est Bernard Zehrfuss, qui a également été de 1943 à 1948 le directeur du service d’architecture de la direction des travaux publics… du protectorat de Tunisie, après avoir obtenu le premier grand prix de Rome en 1939 pour un projet de « palais de l’empire colonial français ». Il sera également l’architecte de l’usine Renault de Flins et de la « cité Flins » !
C’est un terrible symbole de l’oppression, dans le cadre de la contradiction entre les villes et les campagnes.
Parmi les grands ensembles les plus connus, on peut citer les Bleuets à Créteil, la Pierre Collinet à Meaux, les Grandes Terres à Marly-le-Roi, les Courtillières à Pantin, le Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, la cité des 4 000 à La Courneuve…
Et il faut ici souligner le rôle d’une figure politique comme Henri Sellier. Ministre de la Santé Publique sous le gouvernement de Front Populaire, maire de Suresnes en banlieue parisienne pendant 22 ans, conseiller général de la Seine, président de l’Office des Habitations à Bon Marché du département de la Seine, fondateur de l’Association française pour l’urbanisme, il s’est fait notamment connaître pour sa publication de 1921 : « La crise du logement et l’intervention publique en matière d’habitat populaire ».
Sellier est celui qui dans l’entre-deux-guerres a mis en place en France les « cités-jardins », dont l’objectif était « d’édifier des agglomérations propres à assurer le décongestionnement de Paris et de ses faubourgs » et dont l’un des exemples les plus connus est la « cité-jardin » de Suresnes, répartie sur 42 hectares dominant la Seine, avec ses 2 500 logements collectifs et individuels, et ses équipements médicaux, scolaires, commerciaux, religieux, etc.
Une vie sociale entièrement façonnée par le capitalisme, et « modernisée » par le fascisme et la social-démocratie : si l’on veut mener à bien la révolution socialiste, il faut impérativement comprendre cette question se posant à la lumière du marxisme-léninisme-maoïsme.