12 mai 2013

Le romantisme en France (1ère partie)

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1.Après la vague de la Révolution française et les guerres de Napoléon Bonaparte, l'aristocratie française était en panique.

La république avait sapé ses fondements ; les guerres de Napoléon Bonaparte avaient prolongé une image que la France avait d'elle-même à partir de 1789 : en mouvement permanent, en conquête intellectuelle et matérielle.

L'aristocratie était par contre une classe finissante ; la restauration de son pouvoir était un accident dû à la défaite finale de Napoléon Bonaparte à Waterloo en 1815.

Sa seule issue était donc de profiter de l'élan de cet Empire napoléonien qui s'était effondré, afin de donner un coup de jeunesse au nouveau régime, de le reconstruire sur de nouveaux fondements.

C'était un moyen de contourner l'écueil national-bourgeois, et de présenter le retour à l'ordre comme ayant une continuité morale.

Pour cela, l'aristocratie soutint une frange de la jeunesse privilégiée qui, éprise d'aventures à la suite de Napoléon, était débordante d'énergie et cherchait un mode d'expression. L'agitation intellectuelle devait servir le programme culturel aristocrate.

Ce processus fut théorisé par Chateaubriand, qui posa les principes du romantisme français ; il ouvra une brèche idéologique et culturelle, avec à sa suite, une cohorte de jeunes intellectuels, intégrés dans le nouveau régime et surtout la capitale parisienne : Victor Hugo, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Alfred de Vigny, Alphonse de Lamartine...

Voici comment Lamartine présente, de manière totalement idéalisée, la situation à la restauration, confondant l'espace ouvert par la Révolution bourgeoise avec un rôle censé être « progressiste » de la monarchie s'étant réinstallée au pouvoir :

« Il fallait que la tyrannie de Napoléon fût bien âpre pour que le retour de l'ancien régime parût rendre la liberté et le souffle à l'âme. Il en fut ainsi cependant.

A peine était-il renversé que l'on recommença à penser, à écrire et à chanter en France (…).

La liberté de la presse rendit la respiration aux lettres. Tout ce qui se taisait reprit la voix ; les esprits humiliés de compression, la société affamée d'idées, la jeunesse impatiente de gloire intellectuelle, se vengeaient du long silence par une éclosion soudaine et presque continue de philosophie, d'histoire, de poésie, de polémique, de mémoires, de drames, d'oeuvres d'art et d'imagination.

Le siècle de François Ier eut plus d'originalité, le siècle de Louis XIV eut plus de gloire ; ni l'un ni l'autre n'eurent plus d'enthousiasme et de mouvement que ces premières années de la Restauration. » (Nouvelles confidences, 1851)

2.L'ennemi idéologique et culturel du romantisme, c'était bien évidemment la bourgeoisie, classe ennemie de l'aristocratie. Toutefois, le romantisme n'était pas un programme scientifique, sur ce plan seule la classe ouvrière naissante pouvait commencer à aller en ce sens.

Le romantisme était une mobilisation, et par conséquent sa critique de la bourgeoisie était culturelle, au service de l'hégémonie idéologique de l'aristocratie. Le romantisme remettait au goût du jour l'esprit tragique, l'esprit chevaleresque de l'aristocratie.

Dans Odes funambulesques (1878), Théodore de Banville explique la conception « anti-bourgeoise » qui prévalait dans le romantisme, dont lui-même était un chef de file (il était ami de Victor Hugo, de Charles Baudelaire et de Théophile Gautier, et a « découvert » Rimbaud).

Voici comment il présente la chose :

« Je partage avec les hommes de 1830 la haine invétérée et irréconciliable de ce que l'on appela alors les bourgeois, mot qu'il ne faut pas prendre dans sa signification politique et historique, et comme signifiant le tiers état : car, en langage romantique, bourgeois signifiait l'homme qui n'a d'autre culture que celui de la pièce de cent sous, d'autre idéal que la conservation de sa peau, et qui en poésie aime la romance sentimentale, et dans les arts plastiques la lithographie coloriée. »

Comme on le voit aisément, la bourgeoisie n'est pas définie comme classe sociale exploiteuse, mais comme un « style de vie. »

3.Le romantisme présente donc, contre le style bourgeois, un mode de vie qui sera appelé par la suite « la vie de bohème », qui n'est cependant que la formulation théorique d'une simple constatation : les romantiques sont au service d'un régime dont la classe dominante s’affaiblit chaque jour.

Les romantiques doivent donc s'intercaler dans les interstices d'une société en plein changement, changeant au fur et à mesure leur fusil d'épaule, passant du soutien de la monarchie absolue à celui de la république, mais toujours dans des termes mystiques, irrationnels, etc.

Le romantisme est une mystique, au départ royaliste, puis républicaine, avant sa décadence en pure mystique (le symbolisme qui fait l'éloge du simple « moi », et son avatar « ultra » qui célèbre les rêves « personnels » : le surréalisme).

Cette évolution montre que le romantisme a consisté en une « intelligentsia », une communauté intellectuelle et culturelle au service de la classe dominante à ses débuts, et adaptant ses propres positions en fonction de l'évolution des rapports de force au 19ème siècle.

Preuve de cela, l'esprit « aventurier » du romantisme est resté totalement étranger à la Commune de Paris de 1871, à l'engagement socialiste, tout comme à la condition ouvrière, si ce n'est rarement et uniquement pour mettre en avant une mystique néo-catholique (principalement avec Hugo).

Voici le poème « Ma Bohême. (Fantaisie) » de Rimbaud, qui date de 1870 et explique cette approche du mode de vie « bohème » :

« Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal :
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal  ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
− Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
− Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur ! »

4.Il n'y a pas de « pré-romantisme » français, construction idéologique actuelle de la bourgeoisie pour tenter de nier les luttes de classes ayant eu lieu historiquement en France et prétendre qu'il y aurait eu continuité.

Il existe des auteurs ayant pavé la voie au romantisme, mais ils ne sont pas « pré-romantiques » et naturellement Rousseau n'en fait nullement partie.

Le principal auteur ayant contribué à l'esprit romantique est André Chénier (1762-1789), poète critiquant les « excès » de la révolution française, tentant d'empêcher l'exécution de Louis XVI et qui finira lui-même guillotiné.

C'est André Chénier qui sera le principal « modèle » de l'esprit romantique, et la charge idéologique est évidente. Alfred de Vigny contera sa vie, ainsi que celle du poète anglais Thomas Chatterton (1752-1770), qui écrivait sous le pseudonyme d'un moine du 15ème siècle et mourra à 17 ans en suicidant à l'arsenic plutôt que de mourir de faim, et celle du poète français anti-Lumières Nicolas Gilbert (1750-1780).

Chénier, Chatterton et Gilbert ont été « immortalisé » par Vigny comme modèle « romantique » mais le contenu idéologique est l'aspect principal : c'est vers le passé qu'il faudrait regarder, vers le moyen-âge.

5. Le romantisme français n'est en fait qu'une reprise adaptée du romantisme allemand. Le contenu idéologique du « Génie du christianisme » de Chateaubriand, paru en 1802 et premier ouvrage romantique français, n'est qu'un pâle écho d'un ouvrage allemand du même moment, « Europe ou la chrétienté » de Novalis (Friedrich Freiherr von Hardenberg de son vrai nom).

Novalis y fait l'apologie du moyen-âge, d'une époque censée avoir été « magnifique » moralement et culturellement car l'Europe se caractérisait par une union spirituelle (au moyen-âge, l'expression « la chrétienté » désignait l'Europe).

Mais le romantisme allemand avait un double caractère ; il s'est formé comme une expression nationale allemande en opposition aux invasions napoléoniennes. En raison de la situation des multiples États allemands de l'époque, il porte un aspect bourgeois tout comme un aspect aristocratique.

Le romantisme anglais était dans une situation très similaire ; les romantismes allemand et anglais levaient le drapeau du moyen-âge surtout comme idéal national, comme prétexte à unifier la nation sous une bannière idéale.

Rien de cela en France, où le romantisme est unilatéralement réactionnaire, et ne consiste pas en le sentimentalisme romantique anglais ou allemand, dont l'équivalent français est Jean-Jacques Rousseau et Madame de Staël, qui a formulé cette conception et pour cette raison a été jeté dans les oubliettes par l'aristocratie, puis la bourgeoisie.

Chateaubriand a lui-même explicitement souligné ce fait :

« L'auteur [c'est-à-dire Chateaubriand lui-même, dans son roman René] y combat en outre le travers particulier des jeunes gens du siècle, le travers qui mène directement au suicide.

C'est J.-J. Rousseau qui introduisit parmi nous ces rêveries si désastreuses et si coupables.

En s'isolant des hommes, en s'abandonnant à ses songes, il a fait croire à une foule de jeunes gens qu'il est beau de se jeter ainsi dans le vague de la vie. Le roman [de Goethe] de Werther a développé depuis ce germe de poison. » (Défense du Génie du christianisme)

Le romantisme français n'est ainsi pas une mise en avant de la sensibilité, de l'émotion, dans une possible quête d'harmonie et d'ouverture à la nature, mais un catholicisme rénové, une mystique, un irrationalisme, en quête d'un paysage (voire d'un « terroir), dont les prolongements seront le symbolisme, le surréalisme, le fascisme.

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