12 mai 2013

La révolution française (1789-1871) - 10ème partie : naissance de la République sur les ruines de la Commune

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Lorsque Napoléon III voit son régime s'effondrer en raison de la défaite face à la Prusse lors de la guerre de 1870-1871, il n'y a plus que deux tendances historiques possibles.

Soit c'est la bourgeoisie qui, enfin, établit son régime politique, se débarrassant des faiblesses antérieures, ainsi que des scories aristocratiques. Soit c'est l'élan populaire et l'aspect démocratique qui l'emportent.

La bourgeoisie proclame la troisième république en 1870, organisant l'armistice avec la Prusse qui fonde, de son côté, l'Allemagne. Les élections de février 1871 témoignent de l'éloignement des traditions antérieures et de l'instauration du régime républicain dans sa forme moderne.

Bien sûr, les contradictions au sein de la bourgeoisie se reflètent dans l'existence de multiples tendances politiques. La monarchie de juillet, bourgeoise et autoritaire, reste un modèle politique pour tout un secteur de la bourgeoisie. Ces contradictions façonneront directement le paysage politique jusqu'en 1940.

Cependant, que ce soit dans les versions démocrates chrétiennes comme à la Hugo ou bien dans une interprétation républicaine laïque, toutes les fractions de la bourgeoisie sont d'accord pour écraser le prolétariat.

C'est forcément à Paris, bastion révolutionnaire depuis les Sans-culottes et dans la mémoire du soulèvement populaire de juin 1848, que va se cristalliser la Commune de Paris. La bourgeoisie craint tellement cela que l'Assemblée nationale a été déplacée de Paris à Versailles, le 10 mars 1871.

De fait, l'insurrection de la Commune de Paris va commencer le 18 mars 1871, mourant écrasée lors de la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871. La défaite de la Commune de Paris trouve son origine dans son point de départ : la Commune est née contre « l'assemblée des ruraux », c'est-à-dire l'assemblée nationale représentant ce qu'on peut appeler la « France profonde ». Mais cette même « France profonde » va écraser le soulèvement parisien.

Karl Marx a largement raconté et analysé la Commune de Paris, toute son histoire, ses forces et ses faiblesses. Dans L’État et la révolution, Lénine a repris l'analyse de Karl Marx, en en soulignant la dimension historique, les aspects nouveaux, propres au prolétariat.

Lénine explique :

« Marx ne se contenta d'ailleurs pas d'admirer l'héroïsme des communards “montant à l'assaut du ciel”, selon son expression.

Dans le mouvement révolutionnaire des masses, bien que celui-ci n'eût pas atteint son but, il voyait une expérience historique d'une portée immense, un certain pas en avant de la révolution prolétarienne universelle, un pas réel bien plus important que des centaines de programmes et de raisonnements.

Analyser cette expérience, y puiser des leçons de tactique, s'en servir pour passer au crible sa théorie : telle est la tâche que Marx se fixa.

La seule “correction” que Marx ait jugé nécessaire d'apporter au Manifeste communiste, il la fit en s'inspirant de l'expérience révolutionnaire des communards parisiens.

La dernière préface à une nouvelle édition allemande du Manifeste communiste, signée de ses deux auteurs, est datée du 24 juin 1872. Karl Marx et Friedrich Engels y déclarent que le programme du Manifeste communiste “est aujourd'hui vieilli sur certains points”.

“La Commune, notamment, a démontré, poursuivent-ils, que la “classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte.””...

Les derniers mots de cette citation, mis entre guillemets, sont empruntés par les auteurs à l'ouvrage de Marx La Guerre civile en France.

Ainsi, Marx et Engels attribuaient à l'une des leçons principales, fondamentales, de la Commune de Paris une portée si grande qu'ils l'ont introduite, comme une correction essentielle, dans le Manifeste communiste. »

Voici comment Lénine explique la compréhension par Karl Marx de la situation de la Commune de Paris, et comment justement Karl Marx a compris ce qu'était la dictature du prolétariat :

« En 1871, le prolétariat ne formait la majorité du peuple dans aucun pays du continent européen.

La révolution ne pouvait être “populaire” et entraîner véritablement la majorité dans le mouvement qu'en englobant et le prolétariat et la paysannerie.

Le “peuple” était justement formé de ces deux classes. Celles-ci sont unies par le fait que la “machine bureaucratique et militaire de l’État” les opprime, les écrase, les exploite.

Briser cette machine, la démolir , tel est véritablement l'intérêt du “peuple”, de sa majorité, des ouvriers et de la majorité des paysans ; telle est la “condition première” de la libre alliance des paysans pauvres et des prolétaires ; et sans cette alliance, pas de démocratie solide, pas de transformation socialiste possible.

C'est vers cette alliance, on le sait, que la Commune de Paris se frayait la voie. Elle n'atteignit pas son but pour diverses raisons d'ordre intérieur et extérieur.

Ainsi donc, en parlant d'une “révolution véritablement populaire”, et sans oublier le moins du monde les traits particuliers de la petite bourgeoisie (dont il a beaucoup et souvent parlé), Marx tenait compte avec la plus grande rigueur des véritables rapports de classes dans la plupart des États continentaux d'Europe en 1871.

D'autre part, il constatait que la “démolition” de la machine de l’État est dictée par les intérêts des ouvriers et des paysans, qu'elle les unit et leur assigne une tâche commune : la suppression de ce “parasite” et son remplacement par quelque chose de nouveau.

Par quoi précisément ?

A cette question Marx ne donnait encore, en 1847, dans le Manifeste communiste , qu'une réponse tout à fait abstraite, ou plutôt une réponse indiquant les problèmes, mais non les moyens de les résoudre. La remplacer par l'“organisation du prolétariat en classe dominante”, par la “conquête de la démocratie”, telle était la réponse du Manifeste communiste.

Sans verser dans l'utopie, Marx attendait de l'expérience du mouvement de masse la réponse à la question de savoir quelles formes concrètes prendrait cette organisation du prolétariat en tant que classe dominante, de quelle manière précise cette organisation se concilierait avec la plus entière, la plus conséquente “conquête de la démocratie”.

Aussi limitée qu'ait été l'expérience de la Commune, Marx la soumet à une analyse des plus attentives dans sa Guerre civile en France. Citons les principaux passages de cet écrit : Au XIXème siècle s'est développé, transmis par le moyen âge, “le pouvoir centralisé de l’État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature”. En raison du développement de l'antagonisme de classe entre le Capital et le Travail, “le pouvoir d'Etat prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir public organisé aux fins de l'asservissement de la classe ouvrière, d'un appareil de domination de classe. Après chaque révolution qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d’État apparaît de façon de plus en plus ouverte”. Après la Révolution de 1848-1849, le pouvoir d’État devient “l'engin de guerre national du Capital contre le Travail”. Le Second Empire ne fait que le consolider.

“L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune”. “La Commune fut la forme positive” “d'une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même.”

En quoi consistait précisément cette forme “positive” de république prolétarienne socialiste ? Quel était l'Etat qu'elle avait commencé de fonder ?

“Le premier décret de la commune fut... la suppression de l'armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.”

Cette revendication figure maintenant au programme de tous les partis qui se réclament du socialisme. »

Dans L’État et la révolution, Lénine rappelle qu'à l'origine, dans le mouvement ouvrier, le marxisme et l'anarchisme ont le même but : une société sans classes ni État. Il accorde une très grande place à la question de la mobilisation des masses populaires. C'est le principe du futur État soviétique.

Lénine explique, citant Karl Marx et analysant son propos :

« “La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres étaient naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière.”

“Au lieu de continuer d'être l'instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l'administration.

Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour des salaires d'ouvriers. Les bénéfices d'usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l'Etat disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes...

Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le “pouvoir des prêtres”... Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de leur feinte indépendance... ils devaient être électifs, responsables et révocables.”

Ainsi, la Commune semblait avoir remplacé la machine d’État brisée en instituant une démocratie “simplement” plus complète : suppression de l'armée permanente, électivité et révocabilité de tous les fonctionnaires sans exception.

Or, en réalité, ce “simplement” représente une oeuvre gigantesque : le remplacement d'institutions par d'autres foncièrement différentes.

C'est là justement un cas de “transformation de la quantité en qualité” : réalisée de cette façon, aussi pleinement et aussi méthodiquement qu'il est possible de le concevoir, la démocratie, de bourgeoise, devient prolétarienne ; d’État (= pouvoir spécial destiné à mater une classe déterminée), elle se transforme en quelque chose qui n'est plus, à proprement parler, un État.

Mater la bourgeoisie et briser sa résistance n'en reste pas moins une nécessité. Cette nécessité s'imposait particulièrement à la Commune, et l'une des causes de sa défaite est qu'elle ne l'a pas fait avec assez de résolution. Mais ici, l'organisme de répression est la majorité de la population et non plus la minorité, ainsi qu'avait toujours été le cas au temps de l'esclavage comme au temps du servage et de l'esclavage salarié.

Or, du moment que c'est la majorité du peuple qui mate elle-même ses oppresseurs, il n'est plus besoin d'un “pouvoir spécial” de répression ! C'est en ce sens que l'Etat commence à s'éteindre. Au lieu d'institutions spéciales d'une minorité privilégiée (fonctionnaires privilégiés, chefs de l'armée permanente), la majorité elle-même peut s'acquitter directement de ces tâches ; et plus les fonctions du pouvoir d'Etat sont exercées par l'ensemble du peuple, moins ce pouvoir devient nécessaire.

A cet égard, une des mesures prises par la Commune, et que Marx fait ressortir, est particulièrement remarquable : suppression de toutes les indemnités de représentation, de tous les privilèges pécuniaires attachés au corps des fonctionnaires, réduction des traitements de tous les fonctionnaires au niveau des “salaires d'ouvriers”.

C'est là justement qu'apparaît avec le plus de relief le tournant qui s'opère de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne, de la démocratie des oppresseurs à la démocratie des classes opprimées, de l’État en tant que “pouvoir spécial” destiné à mater une classe déterminée à la répression exercée sur les oppresseurs par le pouvoir général de la majorité du peuple, des ouvriers et des paysans. »

Avec la Commune de Paris, c'est le prolétariat qui a lève le drapeau de la démocratie, mais de la démocratie pour les masses seulement, car la bourgeoisie est devenue une classe réactionnaire, comme l'aristocratie en son temps.

Lénine voit, donc, dans la Commune de Paris, toute une étape historique : celle où ce sont les masses qui prennent en main la société toute entière.

Il explique :

« La culture capitaliste a créé la grande production, les fabriques, les chemins de fer, la poste, le téléphone, etc.

Et, sur cette base l'immense majorité des fonctions du vieux “pouvoir d’État” se sont tellement simplifiées, et peuvent être réduites à de si simples opérations d'enregistrement, d'inscription, de contrôle, qu'elles seront parfaitement à la portée de toute personne pourvue d'une instruction primaire, qu'elles pourront parfaitement être exercées moyennant un simple “salaire d'ouvrier” ; ainsi l'on peut (et l'on doit) enlever à ces fonctions tout caractère privilégié, “hiérarchique”.

Électivité complète, révocabilité à tout moment de tous les fonctionnaires sans exception, réduction de leurs traitements au niveau d'un normal “salaire d'ouvrier”, ces mesures démocratiques simples et “allant de soi”, qui rendent parfaitement solidaires les intérêts des ouvriers et de la majorité des paysans, servent en même temps de passerelle conduisant du capitalisme au socialisme.

Ces mesures concernent la réorganisation de l’État, la réorganisation purement politique de la société, mais elles ne prennent naturellement tout leur sens et toute leur valeur que rattachées à la réalisation ou à la préparation de l'“expropriation des expropriateurs”, c'est-à-dire avec la transformation de la propriété privée capitaliste des moyens de production en propriété sociale.

“La Commune, écrivait Marx, a réalisé ce mot d'ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l'armée permanente et le fonctionnarisme d’État.”

Seule une infime minorité de la paysannerie ainsi que des autres couches de la petite bourgeoisie s'“élève”, “arrive” au sens bourgeois du mot, c'est-à-dire que seuls quelques individus deviennent ou des gens aisés, des bourgeois, ou des fonctionnaires nantis et privilégiés.

L'immense majorité des paysans, dans tout pays capitaliste où il existe une paysannerie (et ces pays sont en majorité), sont opprimés par le gouvernement et aspirent à le renverser ; ils aspirent à un gouvernement “à bon marché”.

Le prolétariat peut seul, s'acquitter de cette tâche et, en l'exécutant, il fait du même coup un pas vers la réorganisation socialiste de l’État.

“La Commune, écrivait Marx, devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois.”

“Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait représenter et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en quête d'ouvriers, de surveillants, de comptables pour ses entreprises.”

Cette remarquable critique du parlementarisme, formulée en 1871, est elle aussi aujourd'hui, du fait de la domination du social-chauvinisme et de l'opportunisme, au nombre des “paroles oubliées” du marxisme. »

Lénine voit ainsi dans la Commune de Paris le modèle soviétique. Il y a fusion du législatif et de l'exécutif (ce que la bourgeoisie appellera « totalitarisme »). Les masses font les lois démocratiquement, et elles les appliquent. Elles vérifient leur réalité, elles vivent la démocratie elle-même. Il y a des organes représentatifs, mais dépendants des masses, ce ne sont plus des députés coupés de la réalité sociale.

Lénine considère que la Commune de Paris a montré que cette voie était possible :

« Il est extrêmement symptomatique que, parlant des fonctions de ce personnel administratif qu'il faut à la Commune comme à la démocratie prolétarienne, Marx prenne comme terme de comparaison le personnel “de tout autre employeur”, c'est-à-dire une entreprise capitaliste ordinaire avec ses “ouvriers, surveillants et comptables”.

Il n'y a pas un grain d'utopisme chez Marx ; il n'invente pas, il n'imagine pas de toutes pièces une société “nouvelle”.

Non, il étudie, comme un processus d'histoire naturelle, la naissance de la nouvelle société à partir de l'ancienne, les formes de transition de celle-ci à celle-là. Il prend l'expérience concrète du mouvement prolétarien de masse et s'efforce d'en tirer des leçons pratiques.

Il “se met à l'école” de la Commune, de même que tous les grands penseurs révolutionnaires n'hésitèrent pas à se mettre à l'école des grands mouvements de la classe opprimée, sans jamais les aborder du point de vue d'une “morale” pédantesque (comme Plékhanov disant : “Il ne fallait pas prendre les armes”, ou Tsérétéli : “Une classe doit savoir borner elle-même ses aspirations”).

Il ne saurait être question de supprimer d'emblée, partout et complètement, le fonctionnarisme. C'est une utopie.

Mais briser d'emblée la vieille machine administrative pour commencer sans délai à en construire une nouvelle, permettant de supprimer graduellement tout fonctionnarisme, cela n'est pas une utopie, c'est l'expérience de la Commune, c'est la tâche urgente, immédiate, du prolétariat révolutionnaire. »

Lénine voit donc en la Commune le modèle soviétique, et il ne s'agit pas de fédéralisme : c'est la société toute entière qui devient Commune. L'objectif final, c'est la commune mondiale, le communisme.

L'Etat, en tant que force de répression, disparaît en même temps que la classe opprimée, tandis que la Commune, la gestion de la réalité par les masses elles-mêmes, grandit. Karl Marx explique :

« La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qui se sont réclamés d'elle montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du Travail. »

C'est pourquoi le grand Lénine conclura alors sur l'expérience de la Commune de Paris :

« La Commune est la forme, “enfin trouvée” par la révolution prolétarienne, qui permet de réaliser l'émancipation économique du Travail.

La Commune est la première tentative faite par la révolution prolétarienne pour briser la machine d'Etat bourgeoise ; elle est la forme politique “enfin trouvée” par quoi l'on peut et l'on doit remplacer ce qui a été brisé. »