La révolution française (1789-1871) - 4ème partie : le jacobinisme réalise la république
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C'est le camp de la contre-révolution qui précipita les choses et remis en cause le schéma à l'anglaise. La grande bourgeoisie aurait, en effet, préféré le sta tu quo, ayant conquis une position apparemment inexpugnable et donnant une certaine existence à la monarchie.
Mais cette dernière joua son va-tout, avec l'épisode de la « fuite à Varennes », tentative de fuite du roi les 20 et 21 juin 1791. L'échec de cette tentative qui visait à avoir les coudées franches pour agglomérer la contre-révolution eu comme résultat d'affaiblir les partisans de la monarchie constitutionnelle.
On a alors une pression des secteurs les plus démocratiques, organisés dans des « clubs » : le club des Cordeliers (Marat, Danton) et les Jacobins (Robespierre, Pétion) poussèrent à la déchéance du roi Louis XVI. Ces secteurs furent repoussés une première fois par le club des Feuillants qui prit la direction des institutions et tenta de maintenir la monarchie constitutionnelle.
Mais la pression réactionnaire internationale fut telle que la situation dégénéra en guerre entre la France aux idées révolutionnaires et les puissances représentant la pointe de la réaction : l'Autriche, rejointe un peu plus tard par la Prusse, puis pratiquement toute l'Europe.
Cela amena une mobilisation populaire en défense du pays (la chanson La Marseillaise trouve son origine dans ce moment) dont le symbole sont les mots de Danton, le 2 septembre 1792 : « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace et la Patrie sera sauvée. »
Et le contenu politique direct de cette nouvelle période fut l'insurrection républicaine du 10 août 1792, avec des exécutions populaires des contre-révolutionnaires (ce que la réaction qualifiera de « massacres de Septembre »).
De fait, ce fut la mobilisation populaire générale, portée par des figures comme Robespierre, Danton, Marat ou Saint-Just, et dont le symbole est la victoire sur l'armée prussienne, le 20 septembre 1792, à Valmy.
Ce fut l'irruption sur la scène de l'histoire des « Sans-culottes », composés d'ouvriers de manufactures, d'apprentis, de misérables, de négociants, de boutiquiers, de petits artisans.
Les « Sans-culottes » formaient un mouvement contradictoire, oscillant entre refus du capitalisme libéré et exigences populaires démocratiques. C'était un mouvement petit-bourgeois, bataillant pour sa subsistance et s'approchant de revendications égalitaristes refrénant la propriété.
Les Sans-culottes, vivant de leur travail mais en conflit avec les grandes structures capitalistes, avaient comme idéal une société de petits producteurs, ceux-ci disposant de « leur » champ, « leur » atelier, « leur » boutique. Ils considéraient ainsi que les députés avaient des comptes à leur rendre, qu'ils pouvaient leur donner des recommandations, voire les révoquer.
La position historique des « Sans-culottes » était ainsi parfaitement intenable, leur idéal pouvant se réaliser en Amérique du Nord où la colonisation était possible, mais pas en France où le capitalisme avait déjà donné naissance à des structures importantes comparées à la petite production.
Les Sans-culottes vont donc osciller entre soutien à l'élargissement de la démocratie et terreur plébéienne contre les ennemis de la révolution, entre revendications déjà réactionnaires pour l'époque et idéalisation quasi-romantique de la petite production, dans l'esprit déjà « moderne » des petits-commerçants.
Cependant, dans le cadre du jacobinisme, les sans-culottes représentent ainsi les couches les plus pauvres de la bourgeoisie, ainsi que les ouvriers ; en ce sens, leur rôle est positif et va dans le sens d'une application complète des principes révolutionnaires formulés par la bourgeoisie elle-même.
Le jacobinisme, cependant, était porté par la bourgeoisie la plus radicale, mais déjà installée. Il est donc en contradiction avec l'égalitarisme des sans-culottes, qui ne pouvaient au maximum que soutenir cette bourgeoisie la plus radicale, mais aucunement prendre la direction de la révolution, de par sa nature finalement plébéienne.
Les paysans se trouvaient dans la même situation. Ne formant pas une classe en tant que telle, ils entendaient abolir la féodalité, tout en s'orientant vers la petite propriété par le démembrement, ce qui formait une tendance déjà réactionnaire pour l'époque.
Ce qui n'empêchera pas la situation de se retourner en son contraire par la suite, puisque les gros propriétaires au XIXème siècle ne perfectionneront pas leurs techniques de production, préférant morceler les terres pour les louer, exploitant massivement les paysans pauvres et provoquant un retard significatif de l'agriculture française.
De manière significative par ailleurs, la question paysanne n'a réellement été découverte qu'à la fin du XIXème siècle par les historiens russes, notamment par l'anarchiste Kropotkine qui expliquait que
« la révolte des paysans dans le but de détruire les droits féodaux et de recouvrer les terres communales, voilà l'essence même, le fondement véritable de la Grande Révolution. »
(La Grande Révolution de 1789-1793)
La question paysanne a pourtant été au cœur du processus précipitant la fin de la monarchie, au moment de la « Grande peur ». Les exigences de justice des masses paysannes étaient fortes, puis violentes.
Pierre Victurnien Vergniaud, grande figure de la révolution française à l'éloquence certaine mais peu connue en raison de sa participation au mouvement de la Gironde, avait pris la défense de la révolte du Limousin à la fin de l'année 1789 et au début de l'année 1790 ; il expliquait alors notamment :
« Avec le sentiment confus de leurs forces, se réveilla dans les cœurs celui des grandes oppressions dont ils avoient été les victimes. Ils foulèrent, en frémissant d'indignation, cette glèbe qu'ils avoient si longtemps arrosés de leurs sueurs et de leurs larmes. Leurs regards se portèrent avec la sombre inquiétude du ressentiment sur ces châteaux superbes où si souvent ils étaient venus s'avilir par de honteux hommages et d'où, plus d'une fois aussi, les caprices de l'orgueil, les attentats d'une cupidité toute puissante, les ordres arbitraires et des vexations de tout genre s'étaient répandus comme des torrents dévastateurs sur des campagnes désolées. »
Les mouvements paysans, lors de la révolution, détruisaient les tours des châteaux, arrachaient aux nobles l'abandon des droits sur les terres, détruisaient les girouettes (réservées alors à la noblesse), brûlaient les bancs réservés aux nobles dans les églises.
Mais détruire la féodalité ne signifiait donc pas la répartition des terres et le mouvement le plus radical de la paysannerie a participé à l'élan jacobin. L'adresse du citoyen Loiseil, notaire en la commune de Rue dans la Somme, affirmait en janvier 1793 :
« La noblesse est abolie, que dis-je ? Il en existe encore une : cette classe riche, qui a vu avec plaisir tous les ci-devant devenir ses égaux, n'a pas admis pour ses égaux les infortunés au-dessous d'elle. [...] Il faut que vous mettiez la classe indigente de la nation hors de la dépendance de la classe riche. »
La Pétition de la commune de Seyne, dans le Gard, explique ainsi :
« La royauté, le clergé et la noblesse sont abolis à jamais, mais il reste les gros propriétaires fonciers à abattre, car c'est dans ce moment même qu'ils appesantissent leur main sur les pauvres habitants des campagnes. »
La pétition de la commune de Vallérargues, dans le Gard, dit pareillement :
« La royauté, la noblesse et le haut clergé sont anéantis à jamais, mais le gros propriétaire foncier vit, et nous le voyons marcher avec la même audace que le ci-devant noble. »
La Pétition de la commune de Corde, dans les Basses-Pyrénées, analyse la situation de la manière suivante :
« Jusqu'à présent la classe des indigents a été oubliée, les Assemblées constituante et législative n'ont rien fait pour elle, elles ne se sont occupées que du propriétaire. Réparez promptement, sages législateurs, leur injustice. »
Le citoyen Frotier de Versailles note quant à lui en août 1792 :
« Pense à toi, petite classe, tant des villes que des campagnes. Voilà le moment arrivé de ton bonheur ou de ton esclavage. »
Le mouvement paysan visait donc le fermier capitaliste des grands fermages, le fermier général des grands métayages, le riche laboureur, le grand marchand, etc. ; le citoyen Monviaux, procureur de la commune de Blérancourt, dans l'Aisne, déclare ainsi en février 1793 que :
« Le gros propriétaire, ou l'entrepreneur cultivateur est un despote, qui ne faisait aucun scrupule de démonter son voisin, son ami. »
Il y avait bien une dimension progressiste dans la lutte contre l'oppression et les grands capitalistes, mais une inévitable conception réactionnaire de la tâche à accomplir puisque c'est un retour en arrière, un morcellement, qui apparaissait au mouvement paysan comme la seule option possible et souhaitable.
Le citoyen Dedernet de Saint-Etienne (appelée Armeville ou Commune d'Armes pendant la Révolution française, en raison du nom religieux initialement et de la fabrication locale d'armes), propose ainsi comme solution dans son Mémoire en octobre 1794 :
« Il faut donc morceler et vendre à petits lots et affermer à parties brisées les biens ruraux. »
Le jacobinisme alla en partie dans le sens de ces exigences, dans le sens d'une république démocratique.
Le 21 septembre, la Convention nationale proclama l'abolition de la royauté et la fondation de la République, avec une constitution devant être ratifiée au suffrage universel. Finalement, Louis XVI fut guillotiné le 21 janvier 1793 place de la Révolution, pour ses activités contre-révolutionnaires organisées clandestinement et notamment révélées par la découverte de l'armoire de fer, un coffre-fort secret dans ses appartements du palais des Tuileries.
Les journées du 31 mai et du 2 juin 1793 amenèrent l'écrasement des Girondins, partisans timorés de la République et dans l'esprit de la monarchie constitutionnelle, alors que l'insurrection contre-révolutionnaire en Vendée, portée par la catholicisme, est noyée dans le sang (entre 110 et 170 000 morts).
La Constitution de l'an I laissa la place au Comité de Salut Public au printemps 1793 alors qu'il y avait des invasions de la part de l'Autriche et de la Prusse, ainsi que de l'Angleterre au nord et à l'est et de l'Espagne au sud-ouest, ainsi que des Piémontais au sud-est.
La levée en masse permis de faire passer les effectifs militaires à 750 000 hommes à la fin 1794 (contre 270 000 fin 1792 et 550 000 fin 1793). La Terreur se généralise pour écraser les ennemis de la révolution.
La Déclaration des droits précédant la Constitution votée le 24 juin 1793 témoignait de cet approfondissement démocratique : y est expliqué que « le but de la société est le bonheur commun », qu'il y a des droits au travail, à l'assistance et à l'instruction (articles 21 et 22) ainsi que, non seulement le droit de résister à l'oppression (article 33) comme en 1789, mais en plus à l'insurrection (article 35).
Qu'est-ce que donc finalement que le jacobinisme ? Le jacobinisme fut l'expression d'un bloc social assemblant deux secteurs de la bourgeoisie qui avaient des disparitions démocratiques : la moyenne-bourgeoisie, la petite-bourgeoisie, à quoi s'ajoutent la paysannerie et la plèbe urbaine.
Le jacobinisme consistait idéologiquement en les appels démocratiques les plus larges, avec des élans de mobilisation et, politiquement, en un centralisme complet pour diriger la bataille face à la restauration.
Lénine s'est ainsi toujours exprimé favorablement au contenu du jacobinisme en tant qu'expression politique allant jusqu'au bout de la révolution. Il a exposé de manière approfondie son point de vue en parlant de la situation en Russie dans Le « jacobinisme » peut-il servir à intimider la classe ouvirère ?, publié dans la Pravda en 1917 :
« Ou l'offensive, le tournant vers la contre-révolution, le succès (pour longtemps ?) de la cause de la bourgeoisie impérialiste, avec Tchernov et Tsérétéli « se lavant les mains ». Ou le « jacobinisme ».
Les historiens de la bourgeoisie voient dans le jacobinisme une déchéance (« verser dans »). Les historiens du prolétariat voient dans le jacobinisme l'un des points culminants les plus élevés atteints par une classe opprimée dans la lutte pour son émancipation.
Les Jacobins ont donné à la France les meilleurs exemples de révolution démocratique et de riposte à la coalition des monarques contre la république. Il ne pouvait être question pour eux de remporter une victoire complète, surtout parce que la France du XVIIIème siècle était entourée sur le continent de pays trop arriérés et parce qu'en France même les bases matérielles du socialisme, les banques, les syndicats capitalistes, l'industrie mécanique, les chemins de fer faisaient défaut.
Le « jacobinisme » en Europe ou à la frontière de l'Europe et de l'Asie, au XXème siècle, serait la domination de la classe révolutionnaire, du prolétariat, qui, épaulé par la paysannerie pauvre et mettant à profit les conditions matérielles existantes favorables pour marcher au socialisme, pourrait non seulement apporter tout ce que les Jacobins du XVIIIème siècle apportèrent de grand, d'indestructible, d'inoubliable, mais amener aussi dans le monde entier la victoire durable des travailleurs.
Le propre de la bourgeoisie est d'exécrer le jacobinisme. Le propre de la petite bourgeoisie est de le craindre. Les ouvriers et les travailleurs conscients croient au passage du pouvoir à la classe révolutionnaire, opprimée, car c'est là le fond du jacobinisme, la seule issue à la crise, la seule façon d'en finir avec le marasme et la guerre. »
Pareillement, Lénine a fait le parallèle entre les bolcheviks et les jacobins :
« Les girondins de la social démocratie russe contemporaine, les néo-iskristes, ne fusionnent pas avec les gens de l'Osvobojdénié, mais par les mots d'ordre qu'ils se donnent, ils se mettent à leur remorque.
Et les gens de l'Osvobojdénié, c'est-à-dire les représentants de la bourgeoisie libérale, veulent en finir avec l'autocratie sans rien brusquer, par la voie des réformes, en faisant des concessions, sans léser l'aristocratie, la noblesse, la cour, précautionneusement et sans rien casser, aimablement et en toute politesse. [...]
Les jacobins de la social démocratie contemporaine [...] veulent élever par leurs mots d'ordre la petite bourgeoisie révolutionnaire et républicaine et tout particulièrement la paysannerie à la hauteur du démocratisme conséquent du prolétariat, sans que ce dernier y perde rien de son indépendance de classe.
Ils veulent que le peuple, c'est-à-dire le prolétariat et la paysannerie, règle « à la plébéienne » son compte à la monarchie et à l'aristocratie, en exterminant sans merci les ennemis de la liberté, en réprimant par la force leur résistance, sans faire aucune concession à un passé maudit de servage, d'asiatisme, d'outrage à l'humanité.
Ce n'est évidemment pas que nous voulions à toute force copier les jacobins de 1793, et faire nôtres leurs idées, leur programme, leurs mots d'ordre, leurs méthodes d'action. Pas du tout. [...]
Par cette comparaison, nous voulons simplement expliquer que les représentants de la classe avancée du XXème siècle, ceux du prolétariat, c'est-à-dire les social démocrates, se divisent en deux ailes (opportuniste et révolutionnaire), tout comme les représentants de la classe avancée du XVIIIème siècle, ceux de la bourgeoisie, se divisaient en girondins et jacobins. »
(Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905)
Le jacobinisme, au-delà de ses contradictions, représentait la pointe de la révolution française, sa fraction la plus démocratique.