12 mai 2013

La révolution française (1789-1871) - 7ème partie : monarchie de juillet et naissance de l'anticapitalisme plébéien antisémite

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Avec Louis-Philippe, qui devient roi par l'intermédiaire de la garde nationale française, c'est une certaine fraction de la bourgeoisie qui a pris le pouvoir. Lors de sa prise de fonction, le roi ne dispose ni de la Bible, ni d'un crucifix et l'archevêque de Paris, lié à Charles X, dut s'enfuir.

Des églises sont également pillées suite à des commémorations légitimistes et, si le pape Grégoire XVI donne à Louis-Philippe le titre de « Roi Très Chrétien », c'est parce qu'il a érigé l’évêché d’Alger, dans le cadre d'un colonialisme naissant au service de la bourgeoisie.

De fait, le catholicisme libéral, c'est-à-dire l'absolutisme masqué en pseudo parlementarisme, cède la place à l'idéologie libéral-catholique, dont les principales figures sont Félicité Robert de Lamennais (1782-1854) et Henri Lacordaire (1802-1861), sans oublier Frédéric Ozanam (1813-1853).

C'est l'idéologie de la démocratie chrétienne qui naît, et dont Victor Hugo est en fait le véritable poète, tout comme Chateaubriand était la principale figure littéraire de la réaction absolutiste. La démocratie chrétienne modernise la religion, l'intégrant dans les institutions, notamment universitaires, prônant une variante qui puisse s'adapter aux exigences scientifiques.

Le catholicisme change son fusil d'épaule : de soutien à la classe aristocrate, il se fait le serviteur de la bourgeoisie. C'est un grand changement idéologique propre à l'époque.

Ce n'est pas le seul. La bourgeoisie commerçante qui remplace la bourgeoisie financière à la tête de l’État n'est elle-même, bien sûr, pas exempte de contradiction, puisque la fraction aristocrate financière va de plus en plus prendre le dessus.

Karl Marx décrit très précisément, dans Les luttes de classes en France (1850), le processus aboutissant à la révolution de 1848 et, par conséquent, la nature de la monarchie qui naît en juillet 1830.

Il n'a pas vu, cependant, la naissance d'une idéologie anti-capitaliste de type plébéienne, comme on le voit aisément à la fin de son explication.

« Après la révolution de Juillet, lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en triomphe son compère le duc d'Orléans à l'Hôtel de ville, il laissa échapper ces mots : « Maintenant, le règne des banquiers va commencer ». Laffitte venait de trahir le secret de la révolution.

Ce n'est pas la bourgeoisie française qui régnait sous Louis-Philippe, mais une fraction de celle-ci : banquiers, rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires de mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce que l'on appelle l'aristocratie financière. Installée sur le trône, elle dictait les lois aux Chambres, distribuait les charges publiques, depuis les ministères jusqu'aux bureaux de tabac.

La bourgeoisie industrielle proprement dite formait une partie de l'opposition officielle, c'est-à-dire qu'elle n'était représentée que comme minorité dans les Chambres.

Son opposition se fit de plus en plus résolue au fur et à mesure que le développement de l'hégémonie de l'aristocratie financière devenait plus net et, après les émeutes de 1832, 1834 et 1839 noyées dans le sang, elle crut elle-même sa domination plus assurée sur la classe ouvrière.

Grandin, fabricant de Rouen, l'organe le plus fanatique de la réaction bourgeoise, tant dans l’Assemblée nationale constituante que dans la Législative, était, à la Chambre des députés, l'adversaire le plus violent de Guizot, Léon Faucher, connu plus tard pour ses vains efforts à se hausser au rôle de Guizot de la contre-révolution française, guerroya dans les derniers temps de Louis-Philippe à coups de plume en faveur de l'industrie contre la spéculation et son caudataire, le gouvernement. Bastiat, au nom de Bordeaux, et de toute la France vinicole, faisait de l'agitation contre le système régnant.

La petite bourgeoisie dans toutes ses stratifications, ainsi que la classe paysanne, étaient complètement exclues du pouvoir politique. Enfin, se trouvaient dans l'opposition officielle, ou complètement en dehors du pays légal, les représentants idéologiques et les porte-parole des classes que nous venons de citer, leurs savants, leurs avocats, leurs médecins, etc., en un mot ce que l'on appelait les capacités.

La pénurie financière mit, dès le début, la monarchie de Juillet sous la dépendance de la haute bourgeoisie et cette dépendance devint la source inépuisable d'une gêne financière croissante. Impossible de subordonner la gestion de l'État à l'intérêt de la production nationale sans établir l'équilibre du budget, c'est-à-dire l'équilibre entre les dépenses et les recettes de l'État.

Et comment établir cet équilibre sans réduire le train de l'État, c'est-à-dire sans léser des intérêts qui étaient autant de soutiens du système dominant, et sans réorganiser l'assiette des impôts, c'est-à-dire sans rejeter une notable partie du fardeau fiscal sur les épaules de la grande bourgeoisie elle-même ?

L'endettement de l'État était, bien au contraire, d'un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C'était précisément le déficit de l'État, qui était l'objet même de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement.

A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or, chaque nouvel emprunt fournissait à l'aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l'État, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus défavorables.

Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion, de dévaliser le public qui place ses capitaux en rentes sur l'État, au moyen d'opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés. En général, l'instabilité du crédit public et la connaissance des secrets d'État permettaient aux banquiers, ainsi qu'à leurs affiliés dans les Chambres et sur le trône, de provoquer dans le cours des valeurs publiques des fluctuations insolites et brusques dont le résultat constant ne pouvait être que la ruine d'une masse de petits capitalistes et l'enrichissement fabuleusement rapide des grands spéculateurs.

Le déficit budgétaire étant l'intérêt direct de la fraction de la bourgeoisie au pouvoir, on s'explique le fait que le budget extraordinaire, dans les dernières années du gouvernement de Louis-Philippe, ait dépassé de beaucoup le double de son montant sous Napoléon, atteignant même près de 400 millions de francs par an, alors que la moyenne de l'exportation globale annuelle de la France s'est rarement élevée à 750 millions de francs.

En outre, les sommes énormes passant ainsi entre les mains de l'État laissaient place à des contrats de livraison frauduleux, à des corruptions, à des malversations et à des escroqueries de toute espèce. Le pillage de l'État en grand, tel qu'il se pratiquait au moyen des emprunts, se renouvelait en détail dans les travaux publics. Les relations entre la Chambre et le gouvernement se trouvaient multipliées sous forme de relations entre les différentes administrations et les différents entrepreneurs.

De même que les dépenses publiques en général et les emprunts publics, la classe dominante exploitait aussi les constructions de lignes de chemin de fer. Les Chambres en rejetaient sur l'État les principales charges et assuraient à l'aristocratie financière spéculatrice la manne dorée.

On se souvient des scandales qui éclatèrent à la Chambre des députés lorsqu'on découvrit, par hasard, que tous les membres de la majorité, y compris une partie des ministres, étaient actionnaires des entreprises mêmes de voies ferrées, à qui ils confiaient ensuite, à titre de législateurs, l'exécution de lignes de chemins de fer pour le compte de l'État.

Par contre, la moindre réforme financière échouait devant l'influence des banquiers, telle, par exemple, la réforme postale. Rothschild protesta, l'État avait-il le droit d'amoindrir des sources de revenu qui lui servaient à payer les intérêts de sa dette sans cesse croissante ?

La monarchie de Juillet n'était qu'une société par actions fondée pour l'exploitation de la richesse nationale française dont les dividendes étaient partagés entre les ministres, les Chambres, 240 000 électeurs et leur séquelle. Louis-Philippe était le directeur de cette société : Robert Macaire sur le trône.

Le commerce, l'industrie, l'agriculture, la navigation, les intérêts de la bourgeoisie industrielle ne pouvaient être que menacés et lésés sans cesse par ce système. Aussi, celle-ci avait-elle inscrit sur son drapeau, pendant les journées de Juillet : Gouvernement à bon marché.

Pendant que l'aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la gestion de l'État, disposait de tous les pouvoirs publics constitués, dominait l'opinion publique par la force des faits et par la presse, dans toutes les sphères, depuis la cour jusqu'au café borgne, se reproduisait la même prostitution, la même tromperie éhontée, la même soif de s'enrichir, non point par la production, mais par l'escamotage de la richesse d'autrui déjà existante.

C'est notamment aux sommets de la société bourgeoise que l'assouvissement des convoitises les plus malsaines et les plus déréglées se déchaînait, et entrait à chaque instant en conflit avec les lois bourgeoises elles-mêmes, car c'est là où la jouissance devient crapuleuse, là où l'or, la boue et le sang s'entremêlent que tout naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction.

L'aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses jouissances, n'est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la société bourgeoise.

Quant aux fractions de la bourgeoisie française qui n'étaient pas au pouvoir, elles criaient « A la corruption ! », le peuple criait : « A bas les grands voleurs ! A bas les assassins ! » quand, en 1847, dans les théâtres les plus illustres de la société bourgeoise, on représentait publiquement les scènes mêmes qui conduisent, d'ordinaire, le lumpenprolétariat dans les bordels, dans les hospices et dans les maisons de fous, devant les juges, dans les bagnes et à l'échafaud.

La bourgeoisie industrielle voyait ses intérêts menacés, la petite bourgeoisie était moralement indignée, l'imagination populaire s'insurgeait, Paris était inondé de pamphlets : « La dynastie Rothschild » « Les Juifs, rois de l'époque », etc., où l'on dénonçait, flétrissait avec plus ou moins d'esprit, la domination de l'aristocratie financière. »

Karl Marx a compris que la révolution de 1848, qui met un terme à la phase de domination de l'aristocratie financière, était progressiste et donnait libre cours à l'aspect populaire de la révolution, qui justement fera grand peur par la suite à la bourgeoisie, au point qu'elle écrasera cette dimension dans le sang.

Cependant, Karl Marx n'a pas saisi que l'échec de la protestation populaire allait donner libre cours aux fractions de la petite-bourgeoisie qui refuseront de passer sous la coupe de la classe ouvrière se renforçant parallèlement au capitalisme.

Karl Marx a constaté et a participé, de manière magistrale, à la fondation du mouvement ouvrier. Il n'a pas vu un aspect secondaire né au milieu des révoltes populaires propres au Paris du 19ème siècle : la naissance d'un « anticapitalisme » de type plébéien, représentant les intérêts de la petite bourgeoisie face au grand capital, et ne pouvant critiquer les capitalistes en général, utilisa l'antisémitisme afin de se construire en pseudo « socialisme ».

Si en 1848, cela n'était pas visible encore pour Karl Marx, d'autant plus que la bourgeoisie a encore un rôle historique à jouer, dans la France de la fin du 19ème siècle, cela va jouer de manière capitale dans la culture des masses, et se révéler un obstacle particulièrement puissant dans l'acquisition du marxisme.