12 sep 2014

La peinture des frères Le Nain - 3e partie : Jules Champfleury et les peintres de pauvres gens

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Jules Champfleury (1821-1889) venait de Laon en Picardie, tout comme les frères Le Nain. Et il s'avère qu'il fut un ami de Gustave Courbet, et le principal théoricien du réalisme en France.

S'il écrivit d'ailleurs « Le réalisme », il fut également à l'origine d'une œuvre sur la peinture des frères Le Nain, permettant à leurs œuvres d'être connues et reconnues.

Il était, bien entendu, un grand admirateur d'Honoré de Balzac, ce qui témoigne de l'importance de Jules Champfleury, simple autodidacte devenu journaliste, intellectuel, assumant le camp du réalisme.

Dans « Documents positifs sur la vie des frères Le Nain », paru en 1865, l'une de ses œuvres sur les frères Le Nain, Champfleury note que leur activité a été totalement oublié à Laon, que le Louvre célèbre des médiocres alors que les frères Le Nain ne sont jamais pris en compte.

Jules Champfleury se charge, quant à lui, de valoriser les œuvres des frères Le Nain, qu'il présente dans « Nouvelles recherches sur la vie et l'oeuvre des frères Le Nain » comme « les peintres des pauvres gens ».

Il précise sa pensée de la manière suivante :

« Les Le Nain sont des esprits mélancoliques, graves, parlant sagement, réfléchis, peu actifs, lourds, étudiant les paysans à la ferme, jamais au cabaret ; la joie, qui rallie même les natures distinguées à la réprésentation des gens de basse condition, est absente de leur œuvre.

On boit souvent dans leurs tableaux ; mais qui est-ce qui boit ? Un homme âgé, dans un coin, tenant une gourde grossière, et retrouvant dans quelques gorgées de vin une partie de ses forces dépensées au travail.

Les Le Nain chantent la vie de famille. Combien de fois ont-ils représenté la ménagère tenant dans ses bras le poupon enveloppé dans une couverture, et autour d'elle de nombreux enfants de toute taille, presque graves, qui ne veulent pas troubler le repos du grand-père qui boit.

Les travaux de la ferme, un repas grossier après le travail, les animaux qu'on conduit à l'abreuvoir, tels sont leurs sujets qui tous pourraient s'intituler : Intérieur de ferme ou le Repas à la ferme.

Tous ces personnages, hommes, femmes, enfants sourient doucement, et à travers ce sourire perce une sorte de tristesse.

Souvent encore, les Le Nain ont peint un vieux flûteur entouré de charmants enfants bouclés qui prêtent une oreille attentive à la musique simple qui sort de cette flûte naïve.

On peut donner une façon matérielle de reconnaître les tableaux des Le Nain, à l'entassement des chaudrons, écuelles, légumes, qui se trouvent souvent sur le premier plan ; mais la personnalité des peintres laonnois n'a pas besoin de cette vulgaire indication.

Ce sont des peintres de pauvres gens.

Telle est leur œuvre, tels sont les Le Nain.

Ils ont peint des portraits, des scènes de corps-de-garde, des tableaux d'église, et ils y ont apporté leur manière ; mais ce ne sont ni les seigneurs, ni les saints, ni les soldats, qui les ont rendus populaires, ce sont les paysans et les pauvres, car ils se sont complu à peindre les guenilles, quoique leurs familles de paysans soient propres, aimant le travail. »

Voici également comment Jules Chamfleury note la dimension que nous devons considérer comme typique, qui dépasse donc les faiblesses des œuvres des frères Le Nain :

« Ils possèdent un accent qui n'appartient à personne, une façon de grouper les personnages maladroite, une manière de peindre souvent plâtreuse et triste : leurs figures des premiers plans sont rarement en harmonie avec celles du fond, qu'on croirait éloignées d'une lieue ; ce sont des acteurs qui viennent sur le devant de la toile chanter le couplet final au public.

Les Le Nain ont mille défauts, et ce sont de grands peintres qu'on ne peut oublier quand on les a vus une fois (…).

Ils ont cherché la réalité jusque dans leur inhabileté à placer des figures isolées au milieu de la toile. »

Prolongeant son élan démocratique, Champfleury note ainsi :

« Ainsi que les bibliothèques des chefs-lieux devraient avant tout contenir ce qui importe à la localité, à son histoire, et les livres sortis des imprimeries du pays et les oeuvres de ceux qui sont nés dans le département. de même les musées de province devront diriger leurs efforts dans le même sens.

Il n'y a que quatre toiles de Le Nain au Louvre : le musée de Laon devrait en posséder dix un jour. »

La France socialiste se devra de réaliser cette exigence de Jules Champfleury.

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