5 avr 2015

Paul Eluard sur Victor Hugo

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Pour le 150e anniversaire de la naissance de Victor Hugo, Paul Eluard a séjourné à Moscou du 25 février au 4 mars 1952; le petit-fils de Victor Hugo, Jean Hugo, était également présent. A cette occasion, Paul Eluard prononça une allocution le 25 février, intitulée « Hugo, poète vulgaire ». Le lendemain, il tint une autre allocution, intitulée « Victor Hugo », qui est extrêmement proche.

Les voici toutes deux, précédé d'un autre discours, tenu le 1er mars devant l'école de garçons N 607. On y retrouve une version totalement bourgeoise de Victor Hugo, tout à fait en conformité avec le révisionnisme, et en rien avec le matérialisme dialectique.

« J'ai lu, compris et aimé Victor Hugo à treize ans. Auparavant, à l'école communale que je fréquentais, l'on ne m'avait donné à lire et, surtout, à apprendre par coeur que La Fontaine. Et, je m'en excuse auprès de ses admirateurs, je ne le comprenais, ni ne l'aimais.

À la fin des repas de famille on m'imposait d'ânonner le Corbeau et le Renard ou bien le Laboureur et ses enfants et, comme j'étais encore très loin de posséder ce fin talent de la diction des vers que chacun m'accorde aujourd'hui, je terminais bêtement et sans contentement, avec la conscience de mon incapacité.

Je terminais vite, pour terminer, pour qu'on me fiche la paix avec toutes ces paroles à la queue leu leu pour bons élèves bien sages et légèrement non pensants. C'est ainsi que j'ai pris La Fontaine en grippe, ce que les Français bien sages, bien pensants et légèrement réactionnaires ne sont pas près de me pardonner. »

Hugo a été pour moi, à treize ans, l'illumination de la poésie et je pourrais dire du monde, si depuis lors bien d'autres lumières ne m'avaient révélé et donné à comprendre ce monde. J'ai néanmoins toujours aimé Hugo avec l'enthousiasme naïf de mes treize ans.

Car il a toujours incarné pour moi la puissance du verbe, et du verbe orgueilleux de son pouvoir. La Fontaine m'a, pour ainsi dire, appris à lire, mais Hugo m'a appris à parler.

Savoir parler est le suprême don du poète. Il rejoint le talent de voir, si l'on donne au mot voir son véritable sens, physique et mental, moral. La poésie soutient l’Histoire et, mieux, elle soutient l'homme, elle le justifie à ses propres yeux. Hugo, pendant tout un siècle, s'est fait voyant... »

Hugo, poète vulgaire

Vous ne pouvez vous douter de ce que peut être pour moi le fait de me retrouver à Moscou, clans cette capitale prestigieuse de l'espoir. Je viens d'un pays où le peuple ne perd ni la raison, ni l'amour, mais où il doit redresser chaque jour sa barricade contre le flot dévastateur de la misère, de l'iniquité et de l'oppression étrangère.

Le peuple de France a toujours chéri la mesure et l'harmonie, la justice et la liberté. Et dans cette lutte sans répit, il ne perd pas de vue la victoire que vous avez gagnée et que vous fortifiez quotidiennement avec l'assurance des peuples qui savent que l'avenir leur est assuré et qui préparent au monde une jeunesse éternelle.

L'ampleur des fêtes qui commémorent ici le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Victor Hugo est pour le peuple de France un des témoignages les plus évidents de la solidarité des peuples et surtout du degré élevé où la culture socialiste dans un pays peut porter la connaissance et l'amour de la culture universelle.

Hier, c'était par les armes que la Russie soviétique sauvait le monde à Stalingrad, aujourd'hui c'est en célébrant comme il se doit la poésie, l'expression la plus élevée de l'âme humaine, qu'elle accroît l'idéal de bonheur et de beauté, qu'elle s'inscrit à charge contre la barbarie.

Elle prouve ainsi que le progrès matériel valable entraîne un aussi grand progrès spirituel et moral.

Victor Hugo, dans la poésie française, est un astre unique. Il n'a pas seulement les dimensions et l'éclat de tout un siècle et d'un pays, mais la grandeur et la lumière de l'universel et de l'avenir.

Il atteint aux limites de la présence et du réel, mais il semble être toujours là pour prévoir toutes les possibilités humaines, pour convaincre les hommes de la vérité de la vie, pour chanter la justice et l'optimisme, pour défendre les opprimés et attaquer les oppresseurs, pour nous montrer que tout dans la nature et l'homme peut devenir également beau, également bon.

Il chante la confiance dans la vie. Pour lui, le mal, sous toutes ses formes, doit disparaître. Et il ne se berce pas tellement de mots qu'on pourrait le croire. Il déclare, lui pourtant le plus acharné des pacifistes — et son instinct révolutionnaire ne s'y et pas trompé — : «La guerre civile? qu’est-ce à dire? Est-ce qu'il y a une guerre étrangère? Est-ce que toute guerre entre hommes n'est pas guerre entre frères? La guerre ne se qualifie que par son but. Il n'y a ni guerre étrangère ni guerre civile; il n'y a que la guerre injuste et la guerre juste... La guerre ne devient honte, l'épée ne devient poignard que lorsqu'elle assassine le droit, le progrès, la raison, la civilisation, la vérité. Alors, guerre civile ou guerre étrangère, elle et inique; elle s'appelle le crime. »

Victor Hugo se mêle de tout, car c'est son devoir et son rôle. Par le langage, il ranime ce qui a été, montre ce qui est, communique et dicte ce qui doit être.

Savoir parler en le don suprême du poète. Il rejoint le talent de voir et d'entendre, si l'on donne aux mots voir et entendre leur véritable sens, physique et mental, moral..

Voir et entendre, pour Hugo, c'est recevoir, comprendre, assimiler pour ensuite exprimer par le langage le connaissable — et même l'inconnaissable.

La poésie soutient le monde et l'Histoire, mais elle doit d'abord fortifier l'homme, le justifier à ses propres yeux. Ce qui préservera le mieux l'oeuvre de Hugo des atteintes du temps, c'est le reproche de vulgarité que les beaux esprits lui ont fait.

Hugo en-il vulgaire ?

Oui, si c'en être vulgaire que d'exprimer son cœur sans douter du coeur des autres. Oui, si c'est affirmer avec audace l'exclusive importance du bien. Oui, si c'est ne craindre aucun mot, fût-il le plus rare ou le plus banal.

Hugo est-il vulgaire ?

Oui, si c'est substituer la richesse du verbe à la stérilité prétentieuse. Oui, si c'est chanter le ciel et la terre, la cime et le gouffre, le passé et l'avenir, l'animal et l'homme. Oui, si c'est exalter l'amour de la patrie et de la liberté et si c'est ne pas avoir honte de sa barbe blanche et de jouer naïvement avec ses petits-enfants.

Comment aussi lui pardonnerait-on le mauvais goût d'avoir chanté, mieux et plus haut que personne, les misérables, avec des mots étincelants, avec vérité et bonté. Bien sûr que son amour de la nature et de l'homme et que sa sensibilité et son imagination étaient vulgaires, car il n'était qu'un être collectif qui se nommait Hugo.

Il faut bien dire aussi que ceux qui ne parlent que pour eux-mêmes se nomment « personne ». Les rêves de Hugo sont les rêves des hommes de son temps, mais sa réalité en celle de la conscience du lendemain. Elle sublimise autant qu'elle le combat le XIXe siècle, mais c'est pour élever le XXe.

Hugo, on l'a répété, en un homme de progrès, et comme tel, il ne craint pas de changer, de tomber, de se relever pour repartir. C'en le langage qui le relève.

Il en un être qui a la parole, il en profite, il en abuse, car la parole le mène sans cesse au-delà de ses propres limites. Le jeu de l'art devient sérieux. Il faut vivre et vaincre. Si les tombeaux sont innombrables, les vivants eux-mêmes sont innombrables et ils doivent triompher.

Hugo dit l'infini et l'éternel. Mais il s'assure néanmoins du lieu et du moment, il vit comme s'il était tous les hommes à tous les moments — et partout, sur toute la terre. Il en vulgaire, au sens le meilleur de ce mot, contre le scepticisme intéressé, égoïste et bas des hommes qui se croient uniques, dans un lieu inexistant, dans un temps sans prolongement.

Hugo s'en imposé au peuple de France, parce qu'il le reflétait, dans son passé, son présent, son avenir. Et ce n'est pas remonter très loin en arrière que d'évoquer le temps où mes camarades et moi réimprimions dans Les Lettres françaises clandestines, son texte frénétique contre l'ennemi, toujours le même, revenu dans notre pays.

Écoutez un fragment de cet appel aux armes, encore aujourd'hui bien vulgaire pour nos pétainistes d'hier, pour nos actuels agents de l'étranger. Contre toute oppression, Hugo parle toujours le plus beau, le meilleur français.

« Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la guerre des plaines, la guerre des bois. Levez-vous! Levez-vous! Pas de trêve, pas de repos, pas de sommeil. Le despotisme attaque la liberté, l'Allemagne attente à la France. Qu'à la sombre chaleur de notre sol cette colossale armée fonde comme la neige. Que pas un point du territoire ne se dérobe au devoir. Organisons l'effrayante bataille de la patrie.

Ô francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les torrents, profitez de l'ombre et du crépuscule, serpentez dans les ravins, glissez-vous, rampez, ajustez, tirez, exterminez l'invasion. Défendez la France avec héroïsme, avec désespoir, avec tendresse. Soyez terribles, ô patriotes. » [Hugo, Actes et paroles, Aux Français]

Hugo veut toujours vaincre. Pour lui, rien n'est jamais perdu. Et c'est en vertu de son optimisme qu'il reprend avec entêtement le combat. L'homme doit si libérer, car il est fait pour être libre, il est fait pour connaître la suprême justice, il est fait pour être heureux et pour exercer sa bonté comme une force naturelle.

Hugo oppose sans cesse le bien au mal. C'est une antithèse familière au peuple russe, qui est optimiste et bon. C'est l'optimisme de Hugo qui fait souffrir ses détracteurs. Et c'est l'optimisme du peuple de l'Union soviétique, son amour de la justice et de la paix qui pousse à la férocité et au désespoir sen adversaires. Ils sont du camp de la défaite, de la misère morale, du néant.

Que leur importe le coeur des autre puisque le leur est si petit. Ils sont une poignée qui vivent de la misère du plus grand nombre. Et ce n'est pas eux que l'on tue.

Jamais la cause des opprimés, leur espoir et leurs luttes, n'a trouvé Victor Hugo indifférent et ce n'est pas par hasard que Herzen lui écrivait en 1863, au moment de l'insurrection polonaise : « Au secours, grand frère! Dites un mot à la civilisation! » Et ce n'est pas sans raison que le tsar de toutes les Russies interdisait à son ambassadeur à Paris, le baron Morengeim, d'assister aux obsèques de Vidor Hugo.

L'un et l'autre savaient qui était Hugo, quelle force il représentait, non seulement en France, mais pour le monde entier, non seulement pour le XIXe siècle, mais pour l'avenir.

Hugo, collaborateur des journaux londoniens de Herzen : Kolokol (« La Cloche ») et L'Étoile polaire, avait déjà, dès 1834, prophétisé : « La Russie se lève. Cet empire, jeune encore au milieu du vieux continent, grandit depuis un siècle avec une rapidité singulière. Son avenir est d'un poids immense dans nos destinées. »

Hugo avait vu loin. Cet empire est passé entre les mains du peuple et le présent de l'Union soviétique est d'un poids immense pour le bonheur et la paix de l'humanité. En célébrant Victor Hugo, le pays de Lénine et de Staline tend la main, une fois de plus, à tous les combattants de la paix, aux honnêtes gens du monde entier.

 

VICTOR HUGO

Vous ne pouvez vous douter de ce que peut être pur moi le fait de me retrouver à Moscou, dans cette capitale prestigieuse de l'espoir.

Je viens d'un pays où peuple ne perd ni la raison, ni l'amour, mais où il doit redresser chaque jour sa barricade contre le flot dévastateur de la misère, de l'iniquité et de l'oppression étrangère. Le peuple de France a toujours chéri mesure et l'harmonie, la justice et la liberté.

Et dans cette lutte sans répit, il ne perd pas de vue la victoire que vous avez gagnée et que vous fortifiez chaque jour, avec l'assurance des peuples qui savent que venir leur cet assuré et qui préparent au monde une jeunesse éternelle.

L'ampleur des fêtes qui commémorent ici le cent quantième anniversaire de la naissance de Victor Hugo est pour le peuple de France un des témoignages plus évidents de la solidarité des peuples et surtout degré élevé où la culture socialiste dans un pays peut porter la connaissance et l'amour de la culture universelle.

Hier, c'était par les armes que la Russie soviétique sauvait le monde à Stalingrad, aujourd'hui, en célébrant comme il se doit la poésie, l'expression plus élevée de l'âme humaine, qu'elle accroît l'idéal de bonheur et de beauté, qu'elle s'inscrit à luge contre la barbarie. Elle prouve ainsi que le progrès matériel valable entraîne un aussi grand progrès spirituel et moral.

Victor Hugo a écrit : « La force des peuples barbares tient à leur jeunesse disparaît avec elle. La force des peuples civilisés tient à leur intelligence et se développe avec elle. Il n'y a pas d'exemple d'un peuple barbare à la fois eux et puissant. Il se civilise ou il meurt. »

Victor Hugo, dans la poésie française, est un astre unique. Il n'a pas seulement les dimensions et l'éclat de tout un siècle et d'un pays, mais la grandeur lumière de l'universel et de l'avenir.

Il atteint limites de la présence et du réel, mais il semble toujours là pour prévoir toutes les possibilités humaines, pour convaincre les hommes de la vérité de la vie, pour chanter la justice et l'optimisme, défendre les opprimés et attaquer les oppresseurs, pour montrer que tout dans la nature et l'homme peut devenir également beau, également bon.

Il chante confiance dans la vie. Pour lui, le mal, sous toute formes, doit disparaître. Et il ne se berce pas tellement de mots qu'on pourrait le croire. Il déclare pourtant le plus acharné des pacifistes — et son instinct révolutionnaire ne s'y est pas trompé - : « La guerre civile ? qu'est-ce à dire ? Est-ce qu'il une guerre étrangère ? Est-ce que toute guerre entre hommes n'est pas une guerre entre frères ? La guerre ne se qualifie que par son but. Il n'y a ni guerre étrangère ni guerre civile; il n'y a que la guerre injuste et la guerre juste. La guerre ne devient honte, l'épée ne devient poignard que lorsqu'elle assassine le droit, le progrès, la raison, la civilisation, la vérité. Alors, guerre civile ou guerre étrangère, elle est inique; elle s'appelle le crime. »

Comme aucun Français, Victor Hugo a su bafouer, insulter et maudire les tyrans; il se penche sur leur ombre, il les fouaille, il prend la patrie et le peuple à témoin : Voyez comme ils sont petits et vils, comme il serait facile de les écraser.

Il prend l'espace, le ciel et l'éternité des temps à témoin : ces oppresseurs et ces bourreaux ne tiennent qu'à un fil, c'est la bêtise, l'ignorance, la paresse, l'égoïsme. La lumière ne les admet pas, ils sont le vieil ennemi ténébreux, invertébré et lâche.

Hugo est déjà en puissance, dans le siècle précédent, le siècle des lumières, des matérialistes et de la Révolution, pourtant si anti-poétique, mais si épris d'utopie, si rêveur et aussi si ambitieux.

Il s'en défend mal, il va au travers de longue vie en trébuchant, mais quand il tombe, c'est pour mieux se relever. Il n'a pour armes que le Verbe et sa générosité naturelle, son abondance énorme, sa puissance de travail, son exaltation et sa haine du mal.

Ce génie est un homme, mais c'est surtout un poète qui veut combler le vide poétique de tout un siècle : le XVIIIe.

Il veut réchauffer son pays par ses chants. Et le mot France prend vite pour lui un sens Universel. Il prend soutien sur notre peuple, mais il le veut frère de tous les peuples. Il ne parle pas d'un homme, mais de tous les hommes.

C'est là une tradition française, mais aussi la tradition de toute la poésie : partir du lieu où l'on vit pour aimer l'univers. En aimant chacun leur patrie, passionnément, les peuples se retrouvent égaux — et frères.

Une vérité très simple, et cependant négligée, c'est que Hugo demeure grand parce qu'il croyait vraiment ce qu'il disait. Son accent ne trompe pas.

Sa conviction est toujours profonde et son poids lui accorde une vertu suprême de persuasion. Herzen a dit de lui qu'il était trop sous l'influence de sa poésie pour pouvoir être un homme politique.

« Mais, ajoute-t-il, si ce n'est pas une tête d'un parti, c'est une grande et fière personnalité. Qui est-ce qu'il n'a pas obligé à réfléchir sur la peine de mort par le Dernier jour d'un condamné? À qui n'a-t-il pas donné de remords par ses tableaux terriblement tranchants et illuminés curieusement, à la manière de Turner, des cicatrices de la société et de la misère, de la bassesse de son temps? »

La générosité de Victor Hugo est immense. Car il tend la main à tous les déshérités, à toutes les victimes des chiens enragés du monde affreux où il vit. Il est en guerre contre les maîtres absurdes, contre les ignobles oppresseurs.

Et cette générosité, au rebours de celle de bien d'autres écrivains, ne se dément pas envers les poètes de son temps, pourtant si loin de lui. Il salue le génie de son rival Lamartine; il impose Vigny à l'Académie; il encourage Musset; il est l'ami de Nerval; il soutient Sainte-Beuve ; il est le premier à proclamer le génie de Balzac, le premier à découvrir le frisson nouveau de Baudelaire; il surnomme Rimbaud Shakespeare enfant: Il appelle Mallarmé : mon cher poète impressionniste.

Orgueilleux pourtant, il l'est, mais avec la tranquillité d'un homme sûr de sa force et de son pouvoir. Il n'a pas le temps de se raffiner. Pour lui, qui tient tout un siècle, la vie est courte.

La pensée de Hugo, son langage, sa poésie sont faits de contrastes violents. L'ombre et la lumière, le bien et le mal, la vie et la mort se réfléchissent sang cesse, se contrarient, se combattent. Le poète en est le pivot moral, lytique. Il se veut prophète, car il se sent des forces insoupçonnées.

Il a la même confiance dans le rôle de son oeuvre que Gogol aux meilleurs moments de sa vie. L'homme parle, il peut tout décrire : lui-même et ce qui l'entoure, ce qu'il connaît et même, par imagination, ce qu'il ne connaît pas.

Et il et une vérité incontestable : c'est que plus l'homme parle, plus on l'entend. Hugo a beaucoup parlé et a été beaucoup entendu. La preuve en est ici où son oeuvre est traduite en 44 langues. La preuve en dans la jeune république chinoise où le tirage des Misérables vient d'atteindre cinq millions d'exemplaires.

La preuve en et aussi naturellement en France où Victor Hugo est l'écrivain le plus populaire. Son visage est connu de tous et l'on peut dire de lui qu'il a en partie formé l'esprit français jusqu'à nos jours.

Je veux revenir aux antithèses, au procédé simple qui anime l'oeuvre de Hugo. Il y a dans Les Contemplations (on les a comptées) deux cent cinq antithèses de l'ombre et de la lumière, cent seize bien et du mal, quatre-vingt-trois de la naissance et la mort.

Les deux vers qui condensent le mieux ce procédé sont :

L'aveugle voit dans l'ombre un monde de clarté:
Quand l'oeil du corps s'éteint, l'oeil de l'esprit s'allume.

Il n'y a pas de quoi rire de cette méthode d'opposition, de contradiction qui permet toujours à l'homme d'espérer. Nous connaissons tous que la cessation de la douleur entraîne un contentement souverain, qu'il est bon de rire après les larmes et que l'aurore profit des éternels minuits.

Il a manqué à Victor Hugo de connaître ce contraste énorme entre la lumière du monde socialiste et l'ombre de l'ancien monde, de voir d'un côté, quotidiennement, la lumière grandir et, de l'autre, l'ombre l'épaissir.

Mais il ne lui a pas manqué de souhaiter, de prévoir une lumière totale qui adoucira toute la terre, une paix durable dont l'espoir gagne sans cesse du terrain dans le coeur des hommes.

On en construit les fondations ici, au pays du socialisme, au pays de Staline.