29 Jan 2007

Brochure ANTIFASCISME - George Mosse

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Présentation

GL Mosse (1918-1999) est un historien américain d’origine allemande. Universitaire, il a mené ses travaux sur les origines idéologiques du national-socialisme et sur l’antisémitisme.

La nature de la culture « völkisch »

La culture a joué un énorme rôle dans le triomphe du fascisme, cela se voit particulièrement si l’on compare les pays où il a triomphé avec les pays où il a, à l’opposé, été écrasé. Mosse a particulièrement étudié la culture « völkisch », le terme « volk » signifiant « peuple » en langue allemande et le suffixe «isch » marquant l’adjectif.

« Völkisch » ne signifie donc pas populaire, mais en quelque sorte relevant du peuple, issu du peuple; en pratique il s’agit d’un mélange de folklore, de mysticisme et d’idéologie. Le folklore a su garder une place majeure dans les sociétés germanophones et l’idéologie « völkisch » tente d’intégrer celle-ci dans une véritable vision du monde mêlant le  corps et « l’esprit. »

Selon les théoriciens volkisch la nature de l’âme d’un peuple est déterminé par son paysage d’origine, qui a façonné son ethnie. Les Juifs sont ainsi vus comme venant du désert et par conséquent superficiel, « secs », sans « profondeur » ni « créativité », alors que les Allemands seraient naturellement liés aux forêts sombres et brumeuses, donnant un esprit profond, « mystérieux. » Pour certains théoriciens nazis, on retrouve l’image du jour sacré et du soleil chez tous les « Aryens » car ils viennent du grand Nord où le jour se fait attendre quasiment toute l’année en raison de la nuit polaire. Pareillement, selon le philosophe Heidegger, les Allemands ont pris le relais des Grecs et sont le peuple « métaphysique » par excellence: il faut (soit disant) être et penser en allemand pour « être » vraiment. Mosse a bien vu que cette culture « völkisch », en Allemagne et en Autriche (et ce par ailleurs jusqu’à aujourd’hui) a un caractère de masse; elle forme un courant idéologique clairement présent parallèlement à la culture folklorique. On retrouve par ailleurs le même genre de conceptions chez Rudolf Steiner, un des grands « penseurs » mystique de cette période et créateur de l’antroposophie, ou encore chez les » théosophes. »

En Allemagne, le mouvement autonome (antifasciste) a longtemps travaillé cette problématique du « milieu (ou centre) de la société », ces valeurs diffuses « socialement acceptables » et contrôlées par les fascistes. Dans cette perspective similaire de travail sur la culture, Mosse repère toute la littérature allemande du 19ème siècle particulièrement marquée par un antisémitisme forcené.

« L’évolution de ce sentiment, ainsi que le changement dans la façon de percevoir la nature du Juif, apparaissaient avec éclat dans la littérature populaire. L’expression la plus célèbre de ce stéréotype apparaît dans Débit et Crédit de Freytag (1855). Veitel Itzig incarnait toutes les qualités associées au Juif par la pensée völkisch. Celui-ci était laid, avare et dépourvu de toute humanité. Être déraciné, il gravissait impitoyablement les échelons de la réussite par des procédés déloyaux. Face à Itzig se trouvait l’apprenti allemand qui conservait sa droiture en se frayant son chemin dans le monde et dont l’enracinement était démontré par son honnêteté et son sens des responsabilités. »
(Les racines intellectuelles du Troisième Reich).

Mosse a bien compris que le message antisémite des nazis avait eu un terreau fertile profitant de dizaines d’années de propagande, voire même des siècles avec l’antisémitisme religieux du christianisme. Le « meurtre rituel » est un thème revenant souvent dans la propagande antisémite en Allemagne et en Autriche ; l’antisémitisme a de fait toujours été présent et la culture « völkisch » ne fait que généraliser culturellement un préjugé déjà là.

« La déshumanisation du Juif est peut-être l’un des développements les plus importants dans l’évolution de l’idéologie völkisch (...). On se demandait si, le Juif étant dépourvu d’une âme véritable, il pouvait être considéré comme un être humain (...). C’est ainsi que, dans toute une série de romans populaires, les personnages juifs étaient dépourvus de toute qualité humaine et subissaient un sort misérable, victimes de leurs pulsions égocentriques pour le pouvoir. La personnification du mal dans le Juif à travers ses caractéristiques profondes fut renforcée par l’accent mis sur son apparence extérieure. La race, après tout, était un critère absolu. Les propriétés physiques du Juif furent donc opposées à l’idéal de beauté germanique; une silhouette tordue, corpulente, avide et sensuelle, reposant sur des jambes courtes, et, bien sûr, le « nez juif », étaient comparés à la silhouette esthétiquement proportionnée de l’homme nordique. Certes, de tels stéréotypes existaient depuis les XVI et XVIIème siècles, mais à l’époque ils n’étaient pas aussi déterminants. Au cours des siècles précèdent, le Juif était encore représenté comme un personnage comique, quoique grotesque. Dans l’image que mettait en avant la pensée völkisch, il menaçait de maintenir les Allemands en servitude »
(Les racines intellectuelles du Troisième Reich).

La bataille pour la culture de masse

Mosse considère que cette base « völkisch », issue du romantisme antirationnel du 19ème siècle, a été à la base du nazisme, qui consiste donc en une révolte contre la modernité. Il remarque en effet que l’Allemagne s’unifie contre Napoléon, et donc d’une certaine manière contre le rationalisme, et que de nombreux auteurs célèbrent une liaison mystique avec la nature que posséderaient ceux qui sont rattachés à la terre « pure. » Le concept de nation, en Allemagne, est alors lié culturellement au sang, à l’ethnie, dont le sol est le territoire « naturel » et parfaitement « adapté », le tout formant une symbiose « cosmique. » Le christianisme est souvent réinterprété et assimilé à des vieux contes et légendes germaniques, voire réinterprété et prétexte à l’occultisme. Tout cela est prétexte à des mouvements culturels, qui influencent ou deviennent des mouvements de masse. Généralisation des clubs de gymnastique (fondés par le « völkisch » Friedrich Ludwig Jahn), développement des jeunesses pratiquant la marche à pied dans les forêts (les Wandervögel), création de cercles occultistes, associations estudiantines pangermanistes (dont la statue « völkisch » est toujours à l’entrée de la faculté de Vienne) : toutes ces structures jouent un rôle essentiel dans la promotion de la culture fasciste en tant que culture de masse.

Et cette culture de masse est systématique, elle est présente dans tous les domaines intellectuels sous la forme d’un néo-romantisme se fondant sur le « style » imposé par Nietzsche :

« Ce qui semblait manquer, selon ces hommes adeptes de la pensée völkisch, néo-romantiques et admirateurs de Stefan George, c’était un mythos exprimant les aspirations du peuple allemand (...). Pour eux l’âme allemande semblait morte et incapable d’entrer en communication avec le cosmos; elle paraissait dépourvue d’un caractère spirituel reflétant ses valeurs, ses aspirations et ses capacités (...). »
(Les racines intellectuelles du Troisième Reich)

La culture « völkisch » apparaît donc capable de changer non seulement la vie quotidienne, mais d’expliquer l’ensemble du monde et l’ensemble des faits qui s’y déroule.

Mosse souligne d’ailleurs bien – et il est peutêtre le seul historien universitaire à le faire - qu’à côté des nazis, le parti fasciste légaliste qu’a été le DNVP (Parti national populaire allemand) s’est également appuyé / fondé sur cette culture, et que son rôle a été énorme à côté du parti nazi (le DVNP a été un parti de masse et l’équivalent légaliste du parti nazi, et issu des milieux initialement conservateur - putschiste il a compris l’utilité de la culture « völkisch » pour avoir un impact populaire) Il est également le seul à parler de manière approfondie des thèses racistes et antisémites des frères Strasser, représentant l’aile pseudoanticapitaliste du parti nazi et le « front noir », qui eux aussi diffusaient et s’appuyaient sur le délire « völkisch » et la culture allant avec. Pour le DVNP, pour les nazis, pour les frères Strasser, la révolution avait le même fond: elle était une révolution « antijuive ».

« C’est ainsi que s’explique le succès remporté par Hitler: sa capacité à transformer les aspirations et revendications révolutionnaires d’une grande partie de la population en une révolution antijuive. Ce ne fut pas le gros capitaliste ou le commissionnaire, mais le Juif qui devint l’incarnation de l’ennemi. Dans l’astucieuse distinction qu’il établit entre capitalisme juif et capitalisme allemand, Hitler épargnait à la structure capitaliste de l’Allemagne une ruine assurée et, en fait, la préservait. »
(Les racines intellectuelles du Troisième Reich)

Les grandes questions: